RUL/CH
S.A.R.L. TRANSPORTS [V] FRÈRES
C/
[T] [C]
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE - AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT
DU 17 NOVEMBRE 2022
MINUTE N°
N° RG 22/00296 - N° Portalis DBVF-V-B7G-F56B
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CHAUMONT, section Commerce, décision attaquée en date du 09 Novembre 2015, enregistrée sous le n° 14/00044
APPELANTE :
S.A.R.L. TRANSPORTS [V] FRÈRES
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me
Edouard CHARLOT-JACQUARD de la SELARL
CHARLOT ET ASSOCIES, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE substitué par Me
Emilie BAUDRY, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉ :
[T] [C]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me
Sylvie COTILLOT de la SCP
COTILLOT-MOUGEOT, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE substituée par Me
Renauld TRIBOLET, avocat au barreau de la HAUTE-MARNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article
945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Octobre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller chargé d'instruire l'affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT :
rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [T] [C] a été embauché le 4 juin 2011 par la société Transports [V] FRERES (ci-après société [V]) par contrat à durée déterminée en qualité de chauffeur routier.
Les parties ont régularisé un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2012.
Les 18 février et 15 octobre 2013, le salarié a fait l'objet d'un avertissement.
Il a par ailleurs été placé en arrêt de travail du 9 novembre au 4 décembre 2013 puis à compter du 10 janvier 2014.
Le 5 février 2014, le salarié a effectué une déclaration d'accident du travail invoquant une altercation et des coups subis de la part de son employeur.
Par requête du 7 février 2014, il a saisi le conseil de prud'hommes de Chaumont afin d'obtenir la résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur, ou subsidiairement qu'il soit jugé sans cause réelle et sérieuse, et la condamnation de celui-ci à lui payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité spéciale de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement nul ou tout au moins sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour non-respect de l'obligation de sécurité, outre un rappel de salaire pour la période du 21 au 31 octobre 2013.
Le 9 juillet 2014, le salarié a été déclaré inapte sans possibilité de reclassement par le médecin du travail.
Il a été licencié le 23 août 2014.
Par jugement du 9 novembre 2015, le conseil de prud'hommes de Chaumont a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, et condamné celui-ci à payer au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaire, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité spéciale de licenciement, d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Par déclaration formée le 10 décembre 2015, l'employeur a relevé appel de cette décision.
Le dossier, initialement fixé à l'audience du 19 septembre 2017, a fait l'objet d'un retrait du rôle par arrêt du 28 septembre 2017.
Par conclusions du 25 avril 2022, la société [V] a sollicité la réinscription de la procédure au rôle de la cour de céans.
Aux termes de ses dernières écritures du 30 juin 2022 soutenues oralement à l'audience, l'appelant demande de :
- débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- infirmer partiellement le jugement déféré en ce qu'il :
* a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur,
* l'a condamné à verser à M. [C] les sommes suivantes :
- 539,49 euros à titre d 'arriérés de salaires pour la période du 21 au 31 octobre 2013, outre 59,34 euros au titre des congés payés afférents,
- 3 033,40 euros à titre d 'indemnité compensatrice de préavis, outre 303,34 euros au titre des congés payés afférents,
- 1 516,70 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement,
Avec intérêts aux taux légal à compter du jugement,
- 18 200,40 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouter M. [C] de sa demande :
* de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur,
* de rappel de salaires au titre de la période du 21 au 31 octobre 2013,
* d'annulation de l'avertissement dont il a fait l'objet le 15 octobre 2013,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour manquement à l'obligation de sécurité résultat,
- condamner M. [C] à lui restituer toutes les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement,
- condamner M. [C] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures du 28 avril 2021 soutenues oralement à l'audience, M. [C] demande de :
Sur le harcèlement moral,
- réformer le jugement déféré,
- juger qu'il rapporte la preuve d'éléments justifiant de l'existence d'un harcèlement à l'encontre desquels l'employeur ne démontre pas qu'ils soient matériellement inexacts et ne justifie pas du caractère objectif de ceux-ci,
- juger que l'employeur s'est rendu auteur de faits de harcèlement moral à son égard,
- le condamner à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,
Sur la violation de l'obligation de sécurité et de l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi,
- réformer le jugement déféré,
- juger que l'employeur n'a pas respecté son obligation d'exécuter le contrat de travail dans des conditions permettant d'assurer la santé de son salarié et n'a pas exécuté le contrat de travail de bonne foi,
- le condamner à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,
Sur l'annulation de l'avertissement du 15 octobre 2013,
- réformer le jugement déféré,
- annuler l'avertissement du 15 octobre 2013,
Sur la rupture du contrat de travail,
A titre principal,
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et condamné ce dernier à lui payer les sommes suivantes :
* 593,49 euros à titre d'arriérés de salaires pour la période du 21 au 31 octobre 2013, outre 59,34 euros au titre des congés payés afférents,
* 3 033,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 303,34 euros au titre des congés payés afférents,
* 1 516, 70 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement,
Sur le montant des dommages et intérêts,
A titre principal,
- réformer le jugement déféré,
- condamner l'employeur à lui payer 40 000 euros à ce titre,
à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement en ce qui concerne le montant de 18 240 euros,
à titre subsidiaire, sur la rupture du contrat de travail,
- juger que l'inaptitude est la conséquence de l'attitude fautive de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail,
- juger que le licenciement est nul comme intervenu dans un contexte de harcèlement moral et à titre subsidiaire dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :
* 3 033,40 euros, outre 303,34 au titre des congés payés afférents
* 1 516,70 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement,
* 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, ou pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 4 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile,
- débouter l'employeur de toutes ses demandes.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article
455 du code de procédure civile.
MOTIFS
DE LA
DÉCISION
I - Sur l'annulation de l'avertissement du 15 octobre 2013 :
Une sanction disciplinaire se définit comme toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif.
Au visa de l'article
L 1333-2 du code du travail, M. [C] demande la "réformation" de l'avertissement du 15 octobre 2013 au motif qu'il ne repose pas sur des faits matériellement établis.
Par courrier du 15 octobre 2013, l'employeur a notifié à son salarié un avertissement rédigé comme suit :
"Nous avons remarqué, que depuis votre retour de congé, le 16 septembre 2013, votre attitude a changé et une mauvaise volonté d'effectuer votre travail consciencieusement s'est installée.
En effet, les lettres de voiture ne sont pas toujours bien complétées (exemple manque tonnage le 09/10/13, beaucoup trop d'heures à rouler mais peu d'heures de travail, consommation gasoil trop importante, exemple du 16 au 20/09/13 : 41,81 litres au 100)". (pièces n° 3 et 6)
Par courrier du 28 octobre 2013, le salarié a contesté cette sanction (pièce n° 8).
Au titre des éléments dont la preuve lui incombe, l'employeur produit les fiches de travail journalières du salarié pour les mois de septembre à décembre 2013 (pièces n° 17 à 20).
Etant rappelé que s'agissant du fait de ne pas avoir rempli correctement sa lettre de voiture, un seul fait est précisément visé dans le courrier d'avertissement (9 octobre 2019), l'examen de la fiche de travail journalière correspondante montre que tel est effectivement le cas pour les lettres n° 8315 et 8316. Toutefois, un tel manquement ne saurait à lui seul justifier un avertissement.
Par ailleurs, il n'est produit aucun élément de nature à corroborer le fait que le salarié aurait mis son camion en marche avec la carte chauffeur enclenchée sans rouler pour ainsi cumuler les heures de travail, ni le fait que sa consommation de carburant serait trop importante sur la période du 16 au 20 octobre 2013.
En conséquence, nonobstant l'argument inopérant tiré du fait que l'avertissement notifié n'a pas eu de conséquence sur le salarié, il y a lieu de considérer que l'avertissement du 15 octobre 2013 constitue une sanction disproportionnée comparativement au seul fait matériellement établi. Il sera en conséquence annulé, le jugement étant confirmé sur ce point.
II - Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :
a - Sur le bien fondé de la demande :
Le salarié peut demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail en démontrant que l'employeur est à l'origine de manquements suffisamment graves dans l'exécution de ses obligations contractuelles de telle sorte que ces manquements ne permettent pas la poursuite du contrat de travail.
Si la résiliation est prononcée, elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul selon le cas.
Il est jugé de façon constante que lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d'une même instance, le juge, qui constate la nullité du licenciement, ne peut faire droit à la demande de réintégration.
En cas de licenciement postérieur à la résiliation, celle-ci prend effet à la date d'envoi de la lettre de licenciement.
En l'espèce, M. [C] fait grief à son employeur :
- le non-paiement de salaires,
- une non-fourniture de prestations de travail,
- une exécution déloyale du contrat de travail caractérisée par sa modification sans l'accord du salarié,
- des sanctions infondées,
- un harcèlement moral,
- une agression physique le 8 janvier 2014.
S'agissant de la non-fourniture de la prestation de travail convenue et le non-paiement du salaire convenu :
Sur le premier point, M. [C] développent dans ses écritures l'argumentation suivante :
"En l'espèce, ce sont bien les conditions de travail qui ont été imposées à Monsieur [T] [C] dans la relation hiérarchique, depuis son retour de congés en août 2013 jusqu'à la date de la rupture du contrat de travail en août 2014, qui sont à l'origine de la constatation d'inaptitude du Médecin du travail.
Ce qui est en cause, c'est l'impossibilité de réintégrer une ambiance de travail, qui le mettait en difficultés et ne permettait plus d'assurer sa santé psychique.
Comme indiqué ci-dessus, ce ne sont pas ses capacités physiques à tenir le poste qui étaient en cause.
Monsieur [T] [C] considère donc que son employeur a failli à son obligation de sécurité, telle que définie aux articles L.4111-11,
L.4121-1 et
L.4121-2 du Code du Travail, et à son obligation de protéger le salarié contre le harcèlement moral.
C'est cela qui est à l'origine de l'inaptitude et donc de l'impossibilité de maintenir son contrat de travail.
Il s'agit là encore d'une violation délibérée des obligations de l'employeur, qui justifie le prononcé de la rupture du contrat de travail à ses torts".
Ce moyen est toutefois sans rapport avec la non fourniture de la prestation de travail alléguée.
Sur le second point, M. [C] soutient, au visa d'un arrêt du 13 mars 2013 n° 11-22.082 de la Cour de Cassation sans rapport avec la question d'un éventuel non paiement du salaire convenu, que l'inexécution fautive du contrat de travail en lien avec l'obligation essentielle qui consiste à payer le salaire convenu justifie la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur.
Néanmoins, la cour relève que par ailleurs dans ses écritures, au titre de "l'exposé de la situation de fait", le salarié fait mention que l'employeur ne lui aurait plus fourni de travail à compter du 21 octobre 2013 et incidemment retenu son salaire sur la période du 21 au 31 octobre 2013.
A cet égard, il ressort d'un courrier émanant du salarié du 22 octobre 2013 qu'il informe son employeur du fait de s'être présenté le lundi 21 octobre 2013, qu'il lui a été indiqué qu'aucune mission ne pouvait lui être confiée et qu'il est donc rentré chez lui comme demandé, la même situation s'étant présentée le 22 octobre 2013 (pièces n° 4 et 7).
Cet événement est corroboré par deux attestations de M. [F], son cousin, déclarant avoir "pu constater qu'à la suite d'un bref dialogue avec Mr [V] [U], Mr [C] est rentré chez lui n'ayant pas eu de mission à accomplir ce jour ; refus de l'employeur à donner du travail à son salarié" et "le mardi 22 octobre 2013, j'ai accompagné Mr [C] [T] sur son lieu de travail et qu'à la suite d'une discussion entre Mr [V] [U] et Mr [C] [T] à l'extérieur du bureau, celle-ci a pris fin dans la rue d'où j'ai pu entendre clairement bien qu'étant resté dans la voiture qui était stationnée en face de la porte du bureau que Mr [V] n'avait aucune mission à lui confier ce jour à savoir « il n'y a rien pour toi aujourd'hui" (pièces n° 36 et 45)
L'employeur oppose que durant la période du 21 au 23 octobre 2013 inclus, le salarié a refusé d'exécuter les tâches qui lui étaient attribuées.
Néanmoins, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il n'est pas justifié d'un tel refus.
Au contraire, le courrier adressé dès le lendemain par le salarié démontre qu'en dépit de cet événement il s'est tenu à la disposition de son employeur.
En outre, le texto adressé le 22 octobre 2013 par la société à son salarié ("demain matin 8h30 a noidant" (pièce n° 5) ne caractérise pas un quelconque refus du salarié dès lors que l'employeur admet par ailleurs que M. [C] s'est bien présenté le 23 octobre à 8h30 à son travail.
En revanche, l'affirmation selon laquelle il ne serait descendu de son véhicule qu'à 9h20 et aurait refusé de rejoindre le chantier en cours à [Localité 4] puis quitté l'entreprise sans motif légitime n'est aucunement corroborée.
Dans ces conditions, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs formulés par le salarié, le refus réitéré de l'employeur de fournir un travail à son salarié, assorti d'une retenue de son salaire correspondante, caractérise un manquement à son obligation de fournir du travail présentant un caractère suffisamment grave pour justifier une résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur à effet au 23 août 2014, date de l'envoi de la lettre de licenciement pour inaptitude (pièce n° 52).
b - Sur les demandes pécuniaires :
M. [C] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné l'employeur à lui payer les sommes suivantes :
- 593,49 euros à titre d'arriérés de salaires pour la période du 21 au 31 octobre 2013, outre 59,34 euros au titre des congés payés afférents,
- 3 033,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 303,34 euros au titre des congés payés afférents,
- 1 516, 70 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement.
* sur le rappel de salaire :
Il résulte des développements qui précèdent que M. [C] a fait l'objet d'une retenue injustifiée de son salaire pour la période du 21 au 31 octobre 2013 (pièce n° 17bis).
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 593,49 euros à titre de rappel de salaire, outre 59,35 au titre des congés payés afférents.
* sur le préavis :
Le salarié qui n'exécute pas le préavis a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice correspondant au salaire intégral que le salarié aurait perçu s'il avait travaillé pendant celui-ci.
En l'espèce, sur la base d'un salaire brut moyen de 1 516,70 euros, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a alloué à M. [C] la somme de 3 033,40 euros à ce titre outre 303,34 euros au titre des congés payés afférents.
* sur l'indemnité spéciale de licenciement :
Au visa de l'article
L1226-14 du code du travail, M. [C] indique dans ses écritures que lorsque "le salarié a bénéficié d'un arrêt de travail suite à une déclaration d'arrêt de travail tel que l'a retenu le jugement du Conseil de Prud'hommes de Chaumont du 9 novembre 2015, il peut bénéficier d'une indemnité spéciale de licenciement, prévue en cas de licenciement intervenu de façon irrégulière, pendant la procédure".
Il est constant que M. [C] a été licencié le 23 août 2014 pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Afin de permettre de déterminer si la résiliation judiciaire prononcée produit les effets d'un licenciement nul justifiant l'octroi d'une indemnité spéciale de licenciement ou sans cause réelle et sérieuse, il convient de déterminer si, comme le soutient confusément le salarié, il a été licencié en raison d'une inaptitude consécutive à un accident du travail.
En l'espèce, il ressort des pièces produites que M. [C] a lui-même procédé à une déclaration d'accident du travail le 5 février 2014 en faisant état d'un événement survenu le 8 janvier précédent, à savoir une agression physique dont il aurait fait l'objet de la part de son employeur (pièces n° 23, 26, 29, 34), fait pour lequel il a déposé plainte (pièce n° 40).
Néanmoins, il ressort de l'enquête pénale que le seul témoin des faits, par ailleurs contestés par l'employeur, ne confirme pas qu'un coup aurait été porté, même s'il admet que la situation était tendue entre M. [C] et son employeur "ces derniers temps" (pièce n° 40). Ces propos ont été réitérés dans le cadre de l'enquête administrative diligentée consécutivement à la déclaration d'accident du travail. (pièce n° 12)
Par ailleurs, l'avis d'inaptitude ne fait aucune mention d'un lien avec le fait du 8 janvier 2014 tel que dénoncé (pièce n° 59).
Dès lors, peu important que l'enquête pénale ait été classée sans suite et que la CPAM ait refusé la prise en charge de l'accident du travail déclaré, il s'en déduit qu'aucun lien ne peut être établi entre l'accident du travail déclaré par le salarié et l'avis d'inaptitude du 23 juin 2014, de sorte que la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a alloué à M. [C] l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article
L. 1226-14 du code du travail, étant relevé qu'il n'est par ailleurs formulé aucune demande à titre d'indemnité légale de licenciement, même à titre subsidiaire, seulement à titre d'indemnité spéciale de licenciement.
* sur les dommages-intérêts :
M. [C] sollicite à titre principal que le montant des dommages-intérêts alloués soit porté à 40 000 euros, à titre subsidiaire que le jugement déféré soit confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 18 200,40 euros.
L'employeur conclut au rejet de la demande au motif que la demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur et les demandes afférentes ne sont pas fondées.
Compte tenu des circonstances de la rupture du contrat de travail et de la situation du salarié, il sera alloué à M. [C] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts conformément à l'article
L1235-1 du code du travail dans sa rédaction applicable à la date de la rupture, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.
III - Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral :
L'article
L.4121-1 du code du travail dispose que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, incluant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés, sur le fondement de principes généraux de prévention cités par l'article
L.4121-2 du même code.
Il résulte des dispositions de l'article
L.1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 précise à sa suite qu'en cas de litige relatif à l'application notamment de l'article
L.1152-1 précité, le salarié présente des éléments de fait qui permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement.
Ainsi lorsque le salarié présente des faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
M. [C] soutient à cet égard que les motifs justifiant la résiliation de son contrat de travail caractérisent également un harcèlement moral, à savoir :
- la non-fourniture de travail et le non-paiement de son salaire,
- la modification unilatérale de son contrat de travail,
- des sanctions infondées,
- une agression physique le 8 Janvier 2014.
Au titre des éléments qu'il lui appartient de démontrer, il justifie notamment :
- d'un courrier du 22 octobre 2013 dénonçant l'absence de fourniture de travail (pièces n° 4 et 7),
- deux attestations de M. [F] (pièces n° 36 et 45),
- de son bulletin de paye du mois d'octobre 2013 (pièce n° 17 bis),
- d'attestation de collègues et de clients soulignant son professionnalisme (pièces n° 46 à 50),
- de procès-verbaux issus de l'enquête menée sur les faits du 8 janvier 2014 (pièce n° 33),
- des certificats médicaux (pièces n° 26 à 29, 72 et 74).
Néanmoins, s'il apparaît que M. [C] a effectivement fait l'objet de sanctions les 18 février et 15 octobre 2013, celles-ci, limitées en nombre et cantonnées à un avertissement, ne manifestent pas de la part de l'employeur un exercice disproportionné et sans discernement de son pouvoir disciplinaire, ce d'autant que seul l'avertissement du 15 octobre 2013 a été contesté par le salarié.
En outre, ce que le salarié qualifie de "sanctions disciplinaires injustifiées et répétées, telles que la sanction des faits du 18 octobre 2013 et l'avertissement du 23 octobre 2013 ainsi que la lettre "d'avertissement" du 6 novembre 2013" ne constituent en rien des sanctions disciplinaires. En effet, il n'existe pas de courrier du 18 octobre 2013 et les courriers du 23 octobre et du 6 novembre 2013 sont en réalité des réponses de l'employeur au courrier du salarié contestant l'avertissement du 15 octobre 2013.
Par ailleurs, au titre de la modification unilatérale du contrat de travail M. [C] développent dans ses écritures l'argumentation suivante :
"En l'espèce, l'ensemble du non-respect des obligations de l'employeur quant :
- à la fourniture de travail,
- au paiement des congés,
- au respect de la dignité du salarié, qui n'était plus assuré compte tenu des insultes dont faisait l'objet Monsieur [T] [C],
- enfin au processus de harcèlement moral et aux conséquences de l'agression dont il a été l'objet le 8 janvier 2014,
justifie pleinement - alors que ses conditions de travail ont induit une altération de santé psychique, qui a conduit le médecin du travail à le déclarer inapte à tout poste dans l'entreprise et impossibilité de reclassement en une seule visite ; ce qui caractérise au vu des dispositions réglementaires applicables en la matière le danger immédiat pour la santé ou la sécurité de l'intéressé - que Monsieur [C] impute son inaptitude au comportement de son employeur et sollicite du Conseil de Prud'hommes qu'il en tire la conséquence d'une absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé en raison de cette inaptitude, ainsi imputable à l'employeur".
Ce moyen est toutefois sans rapport avec la modification unilatérale du contrat de travail alléguée et l'affirmation formulée par ailleurs dans ses écritures que son employeur lui aurait demandé de faire "des pneus ou du béton" n'est corroborée par aucun élément.
Enfin, il résulte des développements qui précèdent d'une part que l'agression du 8 janvier 2014 alléguée n'est pas démontrée et d'autre part si l'employeur a manqué à ses obligations contractuelles de fourniture de travail et de paiement du salaire, ce manquement est resté ponctuel et limité dans le temps.
En conséquence, ces éléments, pris dans leur ensemble, ne permettent pas de supposer l'existence d'un harcèlement moral.
Au surplus, M. [C] ne justifie d'aucun préjudice distinct résultant du harcèlement allégué et qui ne soit par ailleurs pas déjà indemnisé au titre de la résiliation du contrat de travail.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
IV - Sur les dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et de l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi :
L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs que le médecin du travail est habilité à faire en application de l'article
L. 4624-1 du code du travail.
M. [C] soutient à ce titre qu'il a été physiquement agressé le 8 janvier 2014.
Or il ressort des développements qui précèdent que ce fait n'est pas établi.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
V - Sur les demandes accessoires :
- Sur l'article
700 du code de procédure civile et les dépens :
Le jugement déféré sera confirmé sur ces points.
Les demandes des parties au titre de l'article
700 du code de procédure civile formulées à hauteur d'appel seront rejetées.
La société [V] succombant au principal, elle supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement rendu le 9 novembre 2015 par le conseil de prud'hommes de Chaumont sauf en ce qu'il a condamné la société Transports [V] FRERES à payer à M. [T] [C] les sommes suivantes :
- 1 516,70 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement,
- 18 200,40 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
REJETTE la demande de M. [T] [C] à titre d'indemnité spéciale de licenciement,
CONDAMNE la société Transports [V] FRERES à payer à M. [T] [C] la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société Transport [V] FRERES aux dépens d'appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION