Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 28 novembre 2018, 16-29.053

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Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
2018-11-28
Cour d'appel de Poitiers
2016-11-15

Texte intégral

COMM. FB COUR DE CASSATION ______________________ Audience publique du 28 novembre 2018 Cassation Mme X..., conseiller le plus ancien faisant fonction de président Arrêt n° 963 F-D Pourvoi n° K 16-29.053 R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E _________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ Statuant sur le pourvoi formé par M. Bruno Y..., domicilié [...] , contre l'arrêt rendu le 15 novembre 2016 par la cour d'appel de Poitiers (2e chambre civile), dans le litige l'opposant : 1°/ à M. Z... Y..., domicilié [...] , sous curatelle représenté par l'UDAF 85 en qualité d'administrateur ad hoc, 2°/ à Mme D... Y..., domiciliée [...] , 3°/ à Mme E... Y..., épouse F... , domiciliée [...] , 4°/ à l'Union nationale des associations familiales UDAF 85, dont le siège est [...] , en qualité d'administrateur ad hoc de M. Z... Y..., 5°/ au Groupement forestier du Boulay et du Fourneau, groupement forestier, dont le siège est [...] , 6°/ à M. Olivier A..., domicilié [...] , pris en qualité de mandataire des deux parts indivises du groupement forestier du Boulay et du Fourneau, défendeurs à la cassation ; Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; Vu la communication faite au procureur général ; LA COUR, en l'audience publique du 9 octobre 2018, où étaient présents : Mme X..., conseiller le plus ancien faisant fonction de président, M. B..., conseiller référendaire rapporteur, Mme Orsini, conseiller, M. Graveline, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. B..., conseiller référendaire, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de M. Bruno Y..., de la SCP Alain Bénabent , avocat de M. Z... Y..., de Mmes D... et E... Y... et de l'Union nationale des associations familiales UDAF 85, l'avis de M. C..., avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué

, que Mmes E... et D... Y... et MM. Z... et Bruno Y... sont associés du Groupement forestier du Boulay et du Fourneau (le Groupement), constitué, en 1997, pour une durée de 99 ans ; que, le 5 juillet 2013, l'assemblée générale extraordinaire du Groupement a décidé à la majorité des deux tiers prévue par l'article 22-5 paragraphe b des statuts la réduction de la durée du groupement de 99 à 19 ans, portant ainsi le terme de la société au 31 décembre 2016 ; qu'estimant qu'une telle décision ne pouvait être adoptée qu'à l'unanimité et qu'elle était contraire à l'intérêt social, M. Bruno Y... a assigné le Groupement et ses associés en annulation de la délibération adoptée le 5 juillet 2013 ;

Sur le moyen

unique, pris en ses trois premières branches :

Attendu que M. Bruno Y... fait grief à

l'arrêt de rejeter sa demande alors, selon le moyen : 1°/ que décider de réduire la durée de vie d'une société, revient à anticiper le terme auquel la société sera dissoute de plein droit, donc à anticiper sa dissolution ; que la décision de dissolution anticipée d'une société ne pouvant être prise, quelles que soient les stipulations statutaires qui prétendraient déroger à cette règle d'ordre public, qu'à l'unanimité, s'agissant d'une modification fondamentale du contrat de société lui-même, la décision de réduire la durée de la vie sociale ne peut elle-même être valablement adoptée qu'à l'unanimité ; que cette décision ne relève pas de la règle de la majorité, fût-elle qualifiée ; qu'au cas présent, la cour d'appel a elle-même relevé que la décision de réduire la durée de vie du Groupement forestier de 80 ans, pour la fixer 2 ans et demi après la délibération litigieuse, revenait à décider sa dissolution pour un terme anticipé ; qu'elle n'en a toutefois pas tiré les conséquences qui s'imposaient, en acceptant que les associés formant le groupe majoritaire aient pu décider cette dissolution avancée en assemblée générale extraordinaire, à une majorité des deux tiers des voix présentes ou représentées ;

qu'en statuant ainsi

, la cour d'appel a violé les articles 1832, 1844-6 et 1844-7 du code civil, ensemble le principe selon laquelle la décision des associés de modifier le terme de la vie sociale revêt un caractère contractuel et non institutionnel ; 2°/ que les statuts du Groupement forestier assimilaient l'hypothèse de la réduction de la durée de vie de la société à celle de la dissolution anticipée, à l'article 22-5-b, en unissant ces deux décisions par la conjonction de coordination « ou » exprimant l'équivalence, dès lors que ces décisions s'inscrivaient dans une énumération dont elles ne constituaient pas les derniers termes, la locution « la réduction de durée ou la dissolution anticipée du Groupement » étant suivie par une virgule, elle-même suivie d'un autre type de décisions (« nomination et révocation du ou des liquidateurs ») ; qu'en estimant que les associés auraient, par ces statuts, manifesté une volonté de distinguer spécifiquement l'hypothèse de la « réduction de durée » de celle de la « dissolution anticipée », pour ne soumettre à la règle de majorité qualifiée édictée in limine dans l'article 22-5-b que le premier type de délibération, et non le second, lequel relèverait, lui, de l'article 5 des statuts (soumettant à la loi de l'unanimité les questions de « durée - prorogation - dissolution »), la cour d'appel a dénaturé les statuts, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; 3°/ que les statuts soumettaient expressément toutes les questions de durée de vie de la société à la règle de l'unanimité, en vertu de leur article 5 précité ; que c'est par inadvertance que, au milieu de nombreuses décisions liées au fonctionnement de la société comme institution (et non à sa terminaison comme contrat susceptible d'être « résilié »), l'article 22-5-b paraissait soumettre à la règle de la majorité qualifiée (des deux-tiers des voix présentes ou représentées), à côté de la « prorogation » ou de la « dissolution anticipée », la « réduction de durée » ; qu'en refusant d'appliquer l'article 5 des statuts, qui avait manifestement la prééminence, en tant que loi spéciale des parties dérogeant à la loi générale inexactement exprimée à l'article 22-5-b, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ; Mais attendu que, contrairement au postulat de la première branche, la réduction de la durée d'une société n'a pas pour conséquence d'entraîner sa dissolution anticipée ; qu'ayant retenu, par une interprétation, exclusive de dénaturation, des articles 5 et 22-5, paragraphe b, des statuts du Groupement, que l'ambiguïté de leurs termes rendait nécessaire, que les décisions de réduction de la durée du Groupement étaient soumises à la seule règle de majorité stipulée à l'article 22-5, paragraphe b précité, la cour d'appel a pu en déduire que la délibération litigieuse n'était pas soumise à la règle de l'unanimité prévue à l'article 5 des statuts, qui ne visait que les décisions de prorogation et de dissolution anticipée ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen

, pris en sa quatrième branche :

Vu

l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour rejeter la demande d'annulation de la délibération adoptée le 5 juillet 2013, l'arrêt retient

que les associés représentant, par eux-mêmes ou comme mandataires, les trois quarts du capital social pouvaient décider, à la majorité des deux tiers des voix représentées, de réduire la durée du Groupement, en application de l'article 22-5, paragraphe b, des statuts ;

Qu'en statuant ainsi

, sans répondre aux conclusions de M. Bruno Y... qui soutenait que le vote ayant abouti à l'adoption de la résolution du 5 juillet 2013 était contraire à l'intérêt social et constituait un abus de majorité, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS

: CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ; Condamne M. Z... Y..., représenté par l'UDAF 85, et Mmes D... et E... Y... aux dépens ; Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à M. Bruno Y... la somme globale de 3 000 euros et rejette les autres demandes ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE

au présent arrêt Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour M. Bruno Y.... Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement rendu le 18 février 2016 par le tribunal de grande instance de La-Roche-sur-Yon et, statuant à nouveau, d'avoir débouté M. Bruno Y... de sa demande d'annulation de la délibération adoptée le 5 juillet 2013, et d'avoir rejeté le surplus des demandes ; Aux motifs que « l'article 1844-7 du code civil est ainsi rédigé : « La société prend fin : 1° par l'expiration du temps pour lequel elle a été constituée sauf prorogation effectuée conformément à l'article 1844-6, 2° par la réalisation ou l'extinction de son objet, 3° par l'annulation du contrat de société, 4° par la dissolution anticipée décidée par les associés, 5° par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal, 6° par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal dans le cas prévu à l'article 1844-5, 7° par l'effet d'un jugement ordonnant la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, 8° pour tout autre cause prévue par les statuts » ; que la réduction de durée de vie d'une société entraîne incontestablement sa fin à un terme plus proche que celui initialement visé ; que pour autant, les dispositions de l'article 1844-7 du code civil ne prévoient pas, au titre des événements entraînant la fin de la société, la réduction de sa durée de vie ; qu'elles ne l'interdisent pas puisqu'au contraire, ce texte prévoit en son 8° que la société prend fin pour « tout autre cause prévue par les statuts » ; qu'or, en l'espèce, l'article 22-5-b) prévoit expressément que les associés peuvent notamment décider (selon la majorité définie par ce texte), « la prorogation, la réduction de durée ou la dissolution anticipée du Groupement ( ) » ; qu'il s'agit d'une énumération des décisions pouvant être prises en assemblée générale extraordinaire selon une majorité spécifique ; qu'il en ressort que les fondateurs du Groupement forestier ont pris la peine de distinguer expressément les notions de « réduction de durée » et de « dissolution anticipée », même si leurs effets sont identiques, en ce que dans les deux hypothèses, la société prend fin, dans la première, à la survenue du nouveau terme fixé, et dans la seconde, à la date prévue pour la dissolution ; que dès lors que les associés ont manifesté dans les statuts la volonté de prévoir spécifiquement les modalités de vote pour les décisions réduisant la durée de vie de la société, ce que la loi n'interdit pas, cette volonté doit être respectée ; qu'en outre, s'il existe effectivement une contradiction entre les articles 5 et 22-5-b quant aux modalités de vote des décisions de dissolution anticipée, il n'en existe aucune s'agissant de la décision de réduire la durée de vie d'une société, seul l'article 22-5-b traitant du régime applicable pour ce type de décision ; qu'il n'y a donc pas lieu à application de l'article 5 des statuts et les associés représentant par eux-mêmes ou comme mandataires les trois quarts du capital social pouvaient décider à la majorité des deux tiers des voies représentées de réduire la durée du Groupement forestier de 99 ans à 19 ans en application de l'article 22-5-b ; que le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a annulé la délibération du 5 juillet 2013 et M. Bruno Y... débouté de sa demande en annulation de cette délibération, et ce sans qu'il y ait lieu de dire expressément que « la résolution sur la réduction de durée du Groupement forestier d'une durée de 99 ans pour la porter à 19 ans a été votée à la majorité de l'article 22-5-b des statuts », ce fait n'étant pas contesté en tant que tel » (arrêt p. 4 et 5) ; 1° Alors que décider de réduire la durée de vie d'une société, revient à anticiper le terme auquel la société sera dissoute de plein droit, donc à anticiper sa dissolution ; que la décision de dissolution anticipée d'une société ne pouvant être prise, quelles que soient les stipulations statutaires qui prétendraient déroger à cette règle d'ordre public, qu'à l'unanimité, s'agissant d'une modification fondamentale du contrat de société lui-même, la décision de réduire la durée de la vie sociale ne peut elle-même être valablement adoptée qu'à l'unanimité ; que cette décision ne relève pas de la règle de la majorité, fût-elle qualifiée ; qu'au cas présent, la cour d'appel a elle-même relevé que la décision de réduire la durée de vie du Groupement forestier de 80 ans, pour la fixer 2 ans et demi après la délibération litigieuse, revenait à décider sa dissolution pour un terme anticipé ; qu'elle n'en a toutefois pas tiré les conséquences qui s'imposaient, en acceptant que les associés formant le groupe majoritaire aient pu décider cette dissolution avancée en assemblée générale extraordinaire, à une majorité des deux tiers des voix présentes ou représentées ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1832, 1844-6 et 1844-7 du code civil, ensemble le principe selon laquelle la décision des associés de modifier le terme de la vie sociale revêt un caractère contractuel et non institutionnel ; 2° Alors que les statuts du Groupement forestier assimilaient l'hypothèse de la réduction de la durée de vie de la société à celle de la dissolution anticipée, à l'article 22-5-b, en unissant ces deux décisions par la conjonction de coordination « ou » exprimant l'équivalence, dès lors que ces décisions s'inscrivaient dans une énumération dont elles ne constituaient pas les derniers termes, la locution « la réduction de durée ou la dissolution anticipée du Groupement » étant suivie par une virgule, elle-même suivie d'un autre type de décisions (« nomination et révocation du ou des liquidateurs ») ; qu'en estimant que les associés auraient, par ces statuts, manifesté une volonté de distinguer spécifiquement l'hypothèse de la « réduction de durée » de celle de la « dissolution anticipée », pour ne soumettre à la règle de majorité qualifiée édictée in limine dans l'article 22-5-b que le premier type de délibération, et non le second, lequel relèverait, lui, de l'article 5 des statuts (soumettant à la loi de l'unanimité les questions de « durée - prorogation - dissolution »), la cour d'appel a dénaturé les statuts, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; 3° Alors que les statuts soumettaient expressément toutes les questions de durée de vie de la société à la règle de l'unanimité, en vertu de leur article 5 précité ; que c'est par inadvertance que, au milieu de nombreuses décisions liées au fonctionnement de la société comme institution (et non à sa terminaison comme contrat susceptible d'être « résilié »), l'article 22-5-b paraissait soumettre à la règle de la majorité qualifiée (des deux-tiers des voix présentes ou représentées), à côté de la « prorogation » ou de la « dissolution anticipée », la « réduction de durée » ; qu'en refusant d'appliquer l'article 5 des statuts, qui avait manifestement la prééminence, en tant que loi spéciale des parties dérogeant à la loi générale inexactement exprimée à l'article 22-5-b, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ; 4° Alors enfin que, dans ses conclusions d'appel (p. 18 et suiv.), M. Bruno Y... exposait que l'annulation de la délibération litigieuse, de réduction de la durée de vie de la société de 80 années, s'imposait par ailleurs dès lors qu'elle ne visait qu'à privilégier des intérêts personnels au bloc majoritaire, et qu'elle était contraire à l'intérêt social ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.