Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire en réplique enregistré le 24 mai 2022 et le 31 octobre 2023, Mme B F, représentée par Me Athon-Pérez, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du directeur général de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) du 8 avril 2022 refusant de reconnaître comme imputable au service l'accident du 13 septembre 2012 ;
2°) d'enjoindre au directeur général de l'AP-HP, à titre principal, de reconnaître l'imputabilité au service de son accident de service dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 2 400 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'un défaut d'examen de l'ensemble des éléments du dossier, et en particulier de l'expertise du docteur A, l'AP-HP ayant méconnu l'étendue de sa propre compétence ;
- elle est entachée d'un vice de procédure, dès lors que la commission de réforme a rendu son avis alors qu'elle ne comportait pas de médecin spécialiste, et que le docteur E ne pouvait siéger au sein de cette commission de manière impartiale ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'erreur d'appréciation, dès lors que le syndrome dépressif dont elle est victime est en relation avec un accident avéré et directement imputable au service.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 octobre 2023, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme F ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 88-436 du 19 avril 1988 ;
- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Errera,
- les conclusions de M. Lahary, rapporteur public,
- et les observations de Me Achard, pour Mme F.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme F exerçait les fonctions de cadre de santé au sein du pôle digestif de l'hôpital Saint-Antoine, rattaché à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP). Elle a été placée en congé maladie de longue durée à compter du 18 septembre 2012. Le 3 octobre 2016, l'intéressée a établi une déclaration d'accident de service demandant la reconnaissance de l'incident du 13 septembre 2012 comme imputable au service. Le 26 juin 2018, la commission de réforme a émis un avis défavorable à cette reconnaissance et, par un arrêté du 26 octobre 2018, le directeur général de l'AP-HP a rejeté sa demande. Par un jugement n°1908702/2-2 et n°1913470/2-2 en date du 14 décembre 2020, devenu définitif, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 26 octobre 2018 et a enjoint au directeur de l'AP-HP de procéder au réexamen de la situation de Mme F. Dans le cadre de l'exécution de ce jugement, Mme F a été convoquée à une expertise médicale le 5 février 2022. Son dossier a été soumis à nouveau à la commission de réforme de l'AP-HP qui, lors de sa séance du 15 mars 2022, a émis un avis défavorable à la reconnaissance d'un accident de service. Par un arrêté du 8 avril 2022, le directeur général de l'AP-HP a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident survenu le 13 septembre 2012. Par la présente requête, Mme F demande l'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article
41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, applicable au présent litige : " Un fonctionnaire en activité a droit : () 2° À des congés de maladie () Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article
L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de la maladie ou de l'accident est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (). Aux termes de l'article
16 du décret du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière, dans sa version alors applicable : " La commission départementale de réforme des agents des collectivités locales est obligatoirement consultée si la maladie provient de l'une des causes prévues au deuxième alinéa du 2° de l'article
41 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée. Lorsque l'administration est amenée à se prononcer sur l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident, elle peut, en tant que de besoin, consulter un médecin expert agréé. La commission de réforme n'est pas consultée lorsque l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident est reconnue par l'administration. La commission de réforme peut, en tant que de besoin, demander à l'administration de lui communiquer les décisions reconnaissant l'imputabilité. "
3. En premier lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier, ni des termes mêmes de la décision attaquée, que le directeur général de l'AP-HP, qui s'est approprié l'avis du 15 mars 2022 de la commission de réforme, se soit estimé comme étant en situation de compétence liée par cet avis. Par ailleurs, la circonstance que la décision attaquée ne vise pas l'expertise du docteur A en date du 5 février 2022, qui a en tout état de cause été bien reçue par le secrétariat de la commission de réforme ainsi que l'atteste le tampon " courrier arrivé " en date du 15 février 2022, est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision attaquée serait entachée d'un défaut d'examen complet de la situation de Mme F.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 27 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière : " Il est créé auprès du préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, deux commissions de réforme compétentes respectivement : / () / 2° Pour les personnels affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, non soumis à l'article 118 susvisé et relevant d'établissements, administrations ou services publics ayant leur siège à Paris, à l'exception du centre de gestion prévu à l'article
17 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée. " En vertu des dispositions de l'article 30 du même arrêté, la commission de réforme comprend notamment " () deux praticiens de médecine générale, membres du comité médical dont relève l'agent, auxquels est adjoint, pour les cas relevant de sa compétence, un médecin spécialiste, qui participe aux délibérations mais ne participe pas aux votes () ".
5. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie. Il résulte des articles 27 et 30 de l'arrêté du 4 août 2004 que doit être présent, au sein de la commission de réforme appelée à statuer sur l'imputabilité au service de la maladie contractée par un agent des administrations parisiennes, en plus des deux praticiens de médecine générale, un médecin spécialiste de la pathologie invoquée par l'agent qui, s'il participe aux échanges de la commission, ne prend pas part au vote de son avis. La garantie qui résulte de ces dispositions constitue pour l'agent le fait que la commission de réforme soit éclairée par un médecin spécialiste de sa pathologie. Dès lors, dans l'hypothèse où, en dépit de l'absence au sein de la commission d'un médecin spécialiste de la pathologie de l'agent, la commission dispose de plusieurs certificats médicaux rédigés par des médecins psychiatres ainsi que d'un rapport d'expertise récent établi par un psychiatre ayant examiné l'agent, celui-ci ne peut être regardé comme ayant été effectivement privé d'une garantie.
6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, si la commission départementale de réforme comprenait deux praticiens de médecine générale lors de sa séance du 15 mars 2022, au cours de laquelle la demande de reconnaissance d'un accident de service de Mme F a été examinée, aucun médecin spécialiste n'y a en revanche participé. Toutefois, l'AP-HP soutient en défense, sans être contredite à cet égard, que la commission départementale de réforme a disposé du dossier complet de Mme F, incluant notamment les certificats de Mme D, psychologue clinicienne, en date des 28 février 2014 et 29 novembre 2018, le certificat du docteur C en date du 8 novembre 2016, ainsi que le rapport d'expertise du 5 février 2022, établi par le docteur A, psychiatre. Ces éléments permettaient à la commission, au sein de laquelle siègent au demeurant deux médecins, de porter une appréciation de manière éclairée et complète. Dans ces conditions, la présence d'un médecin spécialisé en psychiatrie n'était pas nécessaire pour éclairer l'examen de la demande de Mme F. Par suite, l'absence de médecin spécialiste lors de la séance de la commission de réforme du 15 mars 2022 n'a pas privé l'intéressée d'une garantie. Le moyen ainsi tiré du vice de procédure doit être écarté.
7. En troisième lieu, si la requérante soutient que le docteur E ne pouvait siéger au sein de cette commission de manière impartiale du fait de son appartenance au service central de la médecine statutaire de l'AP-HP, il ne ressort pas des pièces que ce médecin généraliste aurait manqué à son devoir d'impartialité. Par ailleurs, la circonstance que le docteur E, en sa qualité de membre de la médecine statutaire, ait été à l'origine de la saisine du docteur A, psychiatre, auteur du rapport du 5 février 2022, n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie, dans la mesure où il n'est ni établi ni même allégué que le docteur E aurait exposé préalablement son avis sur la situation de Mme F, et où le seul fait qu'elle relève de la médecine statutaire n'est pas, à lui seul, de nature à permettre de considérer qu'elle aurait manqué à son devoir d'impartialité.
8. En quatrième lieu, constitue un accident de service, pour l'application des dispositions citées au point 2, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Sauf à ce qu'il soit établi qu'il aurait donné lieu à un comportement ou à des propos excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, lequel peut conduire le supérieur hiérarchique à adresser aux agents des recommandations, remarques, reproches ou à prendre à leur encontre des mesures disciplinaires, un entretien, notamment d'évaluation, entre un agent et son supérieur hiérarchique, ne saurait être regardé comme un événement soudain et violent susceptible d'être qualifié d'accident de service, quels que soient les effets qu'il a pu produire sur l'agent.
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme F a déclaré avoir eu, le 13 septembre 2012, une altercation avec sa supérieure hiérarchique, au cours de laquelle elle rapporte avoir été mise en cause quant à ses capacités professionnelles, dans des termes vifs. Elle a déclaré avoir été prise d'une attaque de panique le lendemain, s'être retrouvée dans la quasi-impossibilité de quitter son domicile, et avoir mis fin à toute vie sociale. Les différents professionnels qui l'ont examinée ont diagnostiqué un syndrome dépressif majeur accompagné de troubles anxieux généralisés avec notamment une phobie sociale extrêmement importante. La situation de Mme F s'est cependant significativement améliorée à partir du printemps 2013, comme l'a relevé le docteur A dans son rapport du 5 février 2022.
10. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le seul document relatant de manière détaillée l'altercation du 13 septembre 2012 est le courrier envoyé par Mme F à la commission de réforme le 13 juin 2018, soit plus de cinq ans et demi après les faits. Ce n'est du reste que le 29 août 2016 que Mme F a fait parvenir à l'administration une demande d'imputabilité au service au titre de cet accident, et le certificat médical d'accident du travail n'a été établi que le 3 octobre 2016, soit plus de quatre ans après les faits, et ce alors même que, comme il a été dit au point précédent, Mme F indique avoir subi des conséquences psychologiques dès le lendemain de l'entretien. Aucune autre pièce du dossier ne permet de déterminer si la supérieure hiérarchique de Mme F aurait effectivement, au cours de l'entretien du 13 septembre 2012, tenu des propos excessifs à son encontre ou adopté un comportement excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, les attestations établies par d'anciens collègues de la requérante, établies en 2018 soit près de six ans après les faits allégués, se bornent à faire état, sans autre précision, de ce que Mme F avait des " problèmes relationnels avec son supérieur hiérarchique ".
11. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que Mme F avait, depuis l'année 2010 au moins, des problèmes de santé, dont il a résulté qu'elle a été placée en congé de maladie ordinaire du 11 février 2010 au 7 mai 2010, puis du 17 septembre 2010 au 17 mars 2011, et qu'un praticien a relevé, la concernant, l'existence d'une dépression en janvier 2012. Dans ces conditions, en l'absence d'élément permettant de regarder comme établie l'existence d'un évènement soudain et brutal le 13 septembre 2012, Mme F n'est pas fondée à soutenir que le directeur général de l'AP-HP aurait commis une erreur d'appréciation en refusant, par la décision attaquée, de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident qu'elle soutient avoir subi.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de Mme F doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme F est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme B F et à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris.
Délibéré après l'audience du 13 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Sorin, président,
M. Errera, premier conseiller,
Mme de Saint Chamas, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 novembre 2023.
Le rapporteur,
A. ERRERALe président,
J. SORINLa greffière,
B. CHAHINE
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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