Tribunal administratif de Paris, 2ème Chambre, 8 décembre 2022, 2013798

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal administratif de Paris
  • Numéro d'affaire :
    2013798
  • Type de recours : Plein contentieux
  • Dispositif : Rejet
  • Rapporteur : M. Charzat
  • Président : M. Bachoffer
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Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Par une requête, enregistrée le 3 septembre 2020, la SARL APSP, représentée par la société KS Conseil, mandataire, doit être regardée comme demandant au tribunal de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015 et de l'amende qui lui a été infligée en application des dispositions du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts. Elle soutient que : - le rappel de taxe sur la valeur ajoutée est insuffisamment motivé ; - l'administration, à qui la charge de la preuve incombe sur ce point, n'apporte pas la preuve du bien-fondé du rappel de taxe sur la valeur ajoutée déductible sur les factures de sous-traitance ; - l'administration fait peser sur elle la charge d'effectuer des contrôles qui relèvent des prérogatives du service en refusant la déduction au motif que le sous-traitant émetteur des factures en litige a commis des irrégularités et qu'elle ne s'est pas assurée de ce que ce sous-traitant remplissait ses obligations fiscales et sociales ; - l'amende de 50 % pour infraction aux règles de facturation n'est ni motivée ni fondée. Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2021, l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction du contrôle fiscal d'Île-de-France conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que : - les conclusions à fin de décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2015 sont irrecevables ; - aucun moyen de la requête n'est fondé.

Vu :

- les autres pièces du dossier. Vu : - le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de M. A, - et les conclusions de M. Charzat, rapporteur public.

Considérant ce qui suit

: 1. La société APSP a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015 à l'issue de laquelle l'administration a notamment mis à sa charge un rappel de taxe sur la valeur ajoutée déductible sur des factures de sous-traitance au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2015 et une amende pour infraction aux règles de facturation en application des dispositions du 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts. Par la présente requête, la société APSP en demande la décharge. Sur la régularité de la procédure : 2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée () ". Pour être régulière au regard des dispositions précitées, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs. 3. La société requérante soutient que le rappel de taxe sur la valeur ajoutée en litige est insuffisamment motivé. Toutefois, il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 18 juillet 2017 désigne l'impôt concerné et l'année d'imposition en litige, et décrit de façon détaillée les motifs qui fondent la rectification envisagée. Ainsi, la proposition de rectification adressée à la société APSP est suffisamment motivée. Sur le bien-fondé de l'imposition : 4. En premier lieu, aux termes du 1 du II de l'article 271 du code général des impôts : " Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures () ". Le 4 de l'article 283 du même code dispose que : " Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée ". Aux termes du 2 de l'article 272 du même code : " La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ". 5. En vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations celle mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération. 6. L'administration fiscale a remis en cause la déduction opérée par la société APSP, à hauteur de 122 676 euros, de la taxe sur la valeur ajoutée sur les factures de sous-traitance émises par la société BADIS pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2015, au motif qu'il s'agissait de factures de complaisance. L'administration fait valoir que la société BADIS a cessé toute activité le 20 janvier 2015, qu'aucune correspondance commerciale ni aucun devis n'ont été présentés au service pour justifier de la réalité des prestations facturées et que la société ne disposait pas d'effectifs suffisants pour leur exécution dès lors, d'une part, qu'elle n'a rémunéré aucun salarié selon les deux déclarations qu'elle a déposées auprès de l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) en 2015 et, d'autre part, que les stipulations du contrat la liant avec la société requérante l'empêchaient de recourir elle-même à des sous-traitants. Alors que ces faits sont de nature à faire naître un doute sur la réalité des prestations facturées par la société sous-traitante, en se bornant à soutenir que les factures qu'elle a présentées au service vérificateur justifient de la réalisation des prestations par son sous-traitant, la société APSP ne produit aucun élément permettant d'apprécier leur réalité. Par suite, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que les factures émises par la société BADIS constituent des factures de complaisance. 7. En second lieu, aux termes de l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige : " Toute personne vérifie, lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimal en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant est à jour de ses obligations de déclaration et de paiement auprès des organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1, L. 611-8 et L. 752-1 du présent code et L. 723-3 du code rural et de la pêche maritime ". Le 1° de l'article L. 8222-1 du code du travail dispose que : " Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte : / 1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ; () ". Aux termes de l'article L. 8221-3 du même code : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'activité, l'exercice à but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne qui, se soustrayant intentionnellement à ses obligations : / () 2° () n'a pas procédé aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l'administration fiscale en vertu des dispositions légales en vigueur. Cette situation peut notamment résulter de la non-déclaration d'une partie de son chiffre d'affaires ou de ses revenus ou de la continuation d'activité après avoir été radié par les organismes de protection sociale en application de l'article L. 613-4 du code de la sécurité sociale ; () ". Aux termes de l'article L. 8221-5 du même code : " Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : () 3° () de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ". 8. Il résulte des dispositions de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, reprises en substance à l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et dont les dispositions de l'article 271 du code général des impôts citées au point 4 assurent la transposition, que le bénéfice du droit à déduction de taxe sur la valeur ajoutée doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par son arrêt du 18 décembre 2014, Staatssecretaris van Financiën c/ Schoenimport " Italmoda " Mariano Previti vof et Turbu.com BV, Turbu.com Mobile Phone's BV (C-131/13, 163/13 et 164/13). 9. Si les opérateurs qui prennent toute mesure pouvant raisonnablement être exigée d'eux pour s'assurer que leurs opérations ne sont pas impliquées dans une fraude, qu'il s'agisse de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ou d'autres fraudes, ne doivent pas perdre leur droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, en revanche, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens, dès lors que, dans une telle situation, l'assujetti devient complice de la fraude, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 6 juillet 2006, Axel Kittel et Recolta Recycling SRPL (C-439/04 et C-440/04). 10. Si l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard, un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens ou des services afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 21 juin 2012, Mahagében kft (C-80/11). Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens ou un prestataire de services, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens ou services, pour les céder à son tour, de s'assurer qu'en ce qui concerne ces biens et services, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations. 11. Enfin, il incombe à l'administration fiscale d'établir les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Lorsque sont en cause des opérations similaires réalisées par des sociétés différentes pendant une courte période, ces éléments doivent porter sur chacune de ces sociétés, qu'il s'agisse de l'existence de la fraude reprochée, des indices permettant à l'assujetti mis en cause de la soupçonner ou encore des mesures qui peuvent raisonnablement être exigées. 12. D'une part, il résulte de l'instruction, en particulier de la proposition de rectification, que la société BADIS, seul sous-traitant de la société requérante sur la période vérifiée, n'a pas rempli ses obligations déclaratives en matière fiscale et sociale. En outre, cette société, qui a cessé de fonctionner le 20 janvier 2015, date à partir de laquelle elle n'a plus déclaré aucun salarié à l'URSSAF, a continué de facturer à la société requérante des prestations jusqu'au 3 novembre 2015, pour un montant total hors taxe de 759 959, 95 euros. Ainsi, l'administration doit être regardée comme établissant que cette société, qui n'a ni déclaré ni payé la taxe qu'elle avait facturée à la société APSP, a été impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée. 13. D'autre part, pour démontrer que la société requérante savait ou aurait dû savoir que son sous-traitant était impliqué dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, le service vérificateur a notamment indiqué que, malgré les éléments énoncés au point précédent, la société APSP ne démontrait pas avoir procédé aux vérifications qui lui incombent au titre des dispositions du code de la sécurité sociale et du code du travail citées au point 7, s'agissant du respect par son co-contractant de ses obligations sociales et fiscales ainsi que du droit du travail. En outre, l'administration fiscale indique également que le gérant de la société BADIS sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2015 était salarié par la société requérante. 14. La société requérante ne remet pas sérieusement en cause ces éléments en se bornant à soutenir qu'elle ne disposait d'aucun indice lui permettant de soupçonner les irrégularités décrites au point 12 et que l'administration fait peser sur elle la charge d'effectuer des contrôles qui relèvent des prérogatives du service. Par suite, c'est à bon droit et sans faire peser sur la société APSP la charge d'effectuer des contrôles qui relèvent des prérogatives du service que l'administration a estimé que cette société disposait d'indices suffisants lui permettant de soupçonner l'existence d'une fraude commise par son sous-traitant. Sur les pénalités : 15. Aux termes de l'article 1737 du code général des impôts : " I. - Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : / 1. Des sommes versées ou reçues, le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, les éléments d'identification mentionnés aux articles 289 et 289 B et aux textes pris pour l'application de ces articles ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom ; () ". Il résulte de ces dispositions que l'administration peut mettre l'amende ainsi prévue à la charge de la personne qui a délivré la facture ou à la charge de la personne destinataire de la facture si elle établit que la personne concernée a soit travesti ou dissimulé l'identité, l'adresse ou les éléments d'identification de son client ou de son fournisseur, soit accepté l'utilisation, en toute connaissance de cause, d'une identité fictive ou d'un prête-nom. L'article L. 80 D du livre des procédures fiscales dispose que : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable ". 16. Pour justifier l'application de l'amende prévue au 1 du I de l'article 1737 du code général des impôts, l'administration fiscale s'est fondée sur le fait que les factures émises par le sous-traitant de la société requérante constituaient des factures de complaisance. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que l'administration apporte la preuve que la société requérante a accepté de régler à la société BADIS, en toute connaissance de cause, des factures correspondant à des prestations que cette société n'était pas en mesure de réaliser. Par suite, les pénalités étaient fondées en droit et suffisamment motivées. 17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par l'administration, que la société APSP n'est pas fondée à demander la décharge de l'imposition contestée. Par conséquent, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions.

D E C I D E

Article 1er : La requête de la SARL APSP est rejetée. Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SARL APSP et à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction du contrôle fiscale d'Île-de-France. Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022, à laquelle siégeaient : M. Bachoffer, président, Mme Dousset, première conseillère, M. Khansari, conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2022. Le rapporteur, A. A Le président, B. BACHOFFER La greffière, L. REGNIER La République mande et ordonne au ministre délégué chargé des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2/1-