Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, 12 janvier 1999, 97-13.801

Mots clés
publicite commerciale • publicité mensongère • vente • produits "frais" • définition • preuve • constatations nécessaires • produits frais • société • produits • publicité • pourvoi • préjudice

Chronologie de l'affaire

Cour de cassation
12 janvier 1999
Cour d'appel de Versailles (12e Chambre civile, 1re Section)
30 janvier 1997

Synthèse

  • Juridiction : Cour de cassation
  • Numéro de pourvoi :
    97-13.801
  • Dispositif : Cassation partielle
  • Publication : Inédit au bulletin - Inédit au recueil Lebon
  • Textes appliqués :
    • Code civil 1382
    • Code de la consommation L213-1, L214-1 et L215-4
  • Nature : Arrêt
  • Décision précédente :Cour d'appel de Versailles (12e Chambre civile, 1re Section), 30 janvier 1997
  • Identifiant Légifrance :JURITEXT000007399799
  • Identifiant Judilibre :61372343cd58014677407858
  • Rapporteur : M. Léonnet
  • Président : M. BEZARD
  • Avocat général : M. Raynaud
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Résumé

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Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Sur le pourvoi formé par la société Danone, société anonyme dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 30 janvier 1997 par la cour d'appel de Versailles (12e Chambre civile, 1re Section), au profit de la société Andros, société anonyme dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ; La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 17 novembre 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Moratille, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. Léonnet, conseiller, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Danone, de la SCP Vier et Barthélémy, avocat de la société Andros, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la société Andros, spécialiste du fruit, a, pour dynamiser ses ventes, conditionné des compotes de pommes sous emballage plastique présentées dans les rayons frais des grandes et moyennes surfaces sous l'appellation "compote Andros" ; qu'en avril 1993, la société Danone "a décidé de se positionner dans le secteur des compotes individuelles" en présentant un produit sous l'appellation de "compotes fraîches" ; que, quelques semaines plus tard, la société Andros fit une campagne de publicité présentant ses compotes comme des "compotes de pommes fraîches" ; que les deux entreprises se sont alors mises mutuellement en demeure de donner des informations sur les caractéristiques de leur fabrication, les autorisant à utiliser ces dénominations réciproques ; que, le 2 juin 1993, la société Andros a assigné devant le tribunal de commerce la société Danone pour qu' il soit mis fin à sa publicité qualifiée de mensongère, ainsi qu'à ses agissements constitutifs de concurrence déloyale ; qu'elle a également demandé l'allocation de dommages-intérêts ; que la société Danone s'est portée reconventionnellement demanderesse en estimant que la société Andros s'était rendue coupable de publicité mensongère et la faire condamner à des dommages-intérêts pour la campagne d'affichage qu'elle avait effectuée en vue de réduire "l'impact de lancement du produit Danone, en provoquant la confusion dans l'esprit des consommateurs" ;

Sur le premier moyen

, pris en ses quatre branches :

Attendu que la société Danone fait grief à

l'arrêt attaqué d'avoir décidé que la société Danone s'est rendue coupable d'acte de concurrence déloyale et de publicité trompeuse en utilisant le mot "frais", alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte de l'avis du Conseil national de la consommation, auquel se réfère expressément l'arrêt attaqué, que, "dans certains cas", les produits peuvent être considérés comme "frais", même s'ils ont fait l'objet d'une pasteurisation, et que dénature ce texte non normatif, en violation de l'article 1134 du Code civil, l'arrêt attaqué qui décide que les seules dérogations possibles devraient être prévues par un texte réglementaire ; alors, d'autre part, qu'en se bornant à écarter toutes les possibilités d'exception, sauf celles figurant dans un texte spécial, au lieu de rechercher, comme elle y était invitée, si l'exception indéterminée figurant dans l'avis du Conseil national de la consommation ne correspondait pas à la situation de tous les produits présentés comme "frais" aux consommateurs et qui, comme les compotes, impliquent une cuisson pour les seuls besoins de leur fabricaton, la cour d'appel a méconnu son office en violation des articles L. 121-1 du Code de la consommation et 1382 du Code civil ; qu'au surplus, en s'abstenant de répondre aux conclusions de l'exposante (signifiées le 20 mai 1994, p.10, et signifiées le 10 juin 1996, p.6), qui faisait valoir que la notion de produit frais était reconnue par les autorités compétentes pour des produits, tels notamment le pain et les blinis, dont la cuisson était nécessaire à leur consommation, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, enfin, qu'ayant constaté que l'avis du Conseil national de la consommation auquel elle se référait admettait, "dans certains cas", que la pasteurisation puisse faire exception au principe selon lequel le qualificatif de produit frais doit être réservé aux produits exempts de traitement de conservation, la cour d'appel ne pouvait, sans priver sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, décider contradictoirement que les "compotes fraîches de Danone" n'entraient pas dans le champ de l'exception prévue en cas de pasteurisation du seul fait qu'elles étaient pasteurisées, "un tel procédé interdisant alors de considérer le produit comme frais puisque les conditions de la conservation s'en trouvent radicalement modifiées" (p.15) ;

Mais attendu

, en premier lieu, que la cour d' appel , après avoir rappelé que l'avis du Conseil national de la consommation du 8 février 1990 n'avait aucune valeur normative, mais présentait un grand intérêt pour la solution du litige, car il avait pour but d'aboutir à un usage clair et cohérent du terme "frais", en matière de denrées alimentaires, en permettant d'éviter des distorsions de concurrence, a relevé que "cet avis limite l'emploi du terme frais au cas où trois conditions sont simultanément réunies", dont elle a cité le contenu : " - que le produit alimentaire possède, au moment de la vente, les caractéristiques essentielles, notamment organoleptiques et hygièniques qu'il présentait lors de la production ou de la fabrication ; - qu'il n'ait pas été conservé grâce à l'emploi de tout traitement ou à l'addition de toute substance, destinée à stopper l'activité des enzymes et de la microflore, exception faite de la réfrigération, et, dans certains cas, de la pasteurisation ; - qu'il ait été produit ou fabriqué depuis moins de 30 jours" ; qu'ayant constaté que la compote litigieuse avait subi un traitement de conservation et appréciant la portée de l'avis du Conseil national de la consommation ainsi que les éléments de fait qui lui étaient soumis, la cour d'appel n'encourt pas les griefs de la première et quatrième branche du moyen ; Attendu, en second lieu, que, n'ayant pas écarté toutes les possibilités d' exception permettant d'appliquer à un produit qui a subi un traitement de conservation "le terme frais", et n'étant pas tenue d'entrer dans le détail de l'argumentation développée dans les écritures des parties, la cour d'appel n'encourt pas les griefs des deuxième et troisième branches du moyen ; Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le deuxième moyen

, pris en ses cinq branches :

Attendu que la société Danone fait grief à

l'arrêt de l'avoir condamnée, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dès l'instant où elle confirmait le jugement selon lequel la date limite de conservation utilisée par Danone était "licite", la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, affirmer que l'usage de ladite date limite de conservation aurait été destiné à abuser le public sur l'image de fraîcheur et serait, comme tel, constitutif d'un acte de concurrence déloyale ; qu'au surplus, l'arrêt attaqué se trouve privé de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, faute de répondre aux énonciations du jugement (p.11) selon lesquelles, même si des analyses faites sur des échantillons avaient démontré l'absence de germes pathogènes, l'on ne pouvait reprocher à Danone d'avoir pris toutes dispositions pour éviter des accidents auprès de sa clientèle, la pasteurisation d'un produit n'interdisant pas que celui-ci soit soumis à une date limite de conservation ; alors, d'autre part, qu'en vertu de l'article 17 du décret du 7 décembre 1984, le producteur agit sous sa propre responsabilité quant au choix des mentions relatives aux dates limite de conservation qu'il fait figurer sur ses produits et qu'une tromperie en cette matière suppose le recours aux expertises spécifiques prévues par les textes sur les fraudes dont procède le décret susvisé, de sorte qu'en susbstituant sa propre appréciation à celle du fabricant et en se référant, tout en le déplorant, à des prélèvements unilatéralement effectués par Andros, et analysés de façon non contradictoire, la cour d'appel a violé les articles L. 213-1, L. 214-1 et L. 215-4 du Code de la consommation et les articles 1 à 23 du décret du 22 janvier 1919 ; alors, enfin, qu'en déduisant le caractère trompeur de la date limite de conservation d'une comparaison entre la durée de conservation des produits Danone et celle des compotes ménagères (qui se dégradent au bout de quelques jours), sans prendre en compte la circonstance, reconnue par Andros, que, à la différence des compotes ménagères, la durée de conservation des produits industriels est aussi déterminée par la nature hermétique du conditionnement, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; qu'au surplus, la cour d'appel attaquée viole également les articles 16, 432, 440 et 444 du nouveau Code de procédure civile en retenant exclusivement les conclusions des expertises techniques produites par Andros sans avoir réouvert les débats sur l'ensemble des questions techniques, à l'audience de continuation du 10 décembre 1996, prévue à cet effet et mentionnée dans l'arrêt attaqué (p.1), contrairement aux indications données par le juge unique aux parties à l'audience de plaidoirie du 6 novembre 1996 ;

Mais attendu

, en premier lieu, que la cour d'appel, qui a confirmé le jugement du tribunal de commerce "par ces motifs et ceux non contraires des premier juges", et qui n'avait pas à répondre à ce qui n'était qu'une simple argumentation contenue dans les conclusions de la société Danone, ne s'est pas contredite ; Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'appréciation des éléments de preuve en se référant aux expertises diligentées par la société Andros, régulièrement versées aux débats, et qui ont été soumises à la discussion contradictoire des parties ; qu'elle en a déduit que si "Danone a utilisé pour ses compotes une date limite de conservation", mention qu'elle n'était pas tenue de faire figurer sur ses emballages, "ce n'est nullement pour éviter des pertes de qualités organoleptiques ou des risques d'incidents micro-biologiques, mais pour conforter auprès du public l'image de fraîcheur qu'elle a voulu donner à son produit, lequel ne peut être considéré comme très périssable sur le plan micro-biologique au sens de la directive CEE du 18 décembre 1978" ; qu'elle n'encourt pas, dès lors, les griefs de la troisième et quatrième branches du moyen ; Attendu, enfin, que c'est dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire que le président de la cour d'appel, s'estimant suffisamment éclairé par les plaidoiries et les dossiers remis lors de l'audience par les parties, a décidé de ne pas réouvrir les débats et a mis l'affaire en délibéré ;

Sur le troisième moyen

:

Attendu que la société Danone fait grief à

l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Andros la somme de 16 000 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le pourvoi, qu'il n'était pas contesté que la société Andros occupait sur le marché des compotes une position dominante (97%) et que, indépendamment des actes de concurrence déloyale et de dénigrement reprochés au nouveau venu sur le marché (Danone), ladite société aurait été, de toute façon, obligée de lutter pour préserver ses parts de marché, de sorte qu'en s'abstenant de rechercher si la plupart des chefs de préjudice sollicités par Andros (baisse des prix, promotions...) ne découlaient pas simplement de l'arrivée d'un concurrent, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le lien de causalité, comme il le lui était demandé, entre les agissements délictueux et le préjudice indemnisé, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu

que la cour d' appel, adoptant les motifs des premiers juges, a constaté que les agissements de la société Danone avaient contraint la société Andros à renégocier ses contrats avec les moyennes et grandes surfaces, ce qui avait réduit sa marge bénéficiaire de 9 000 000 francs, et que les documents diffusés par la société Danone avaient porté atteinte à son image de marque, son préjudice s'élevant à cet égard à 7 millions de francs ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Mais sur le quatrième moyen

, pris en sa quatrième branche :

Vu

l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour rejeter

la demande reconventionnelle de la société Danone à l'encontre de la société Andros, l'arrêt énonce que cette société, en demandant que ses compotes individuelles soient placées dans le rayon réfrigéré avec mention d'une date limite d'utilisation optimum (DLUO), ne constitue qu'une information pour le consommateur sur le risque de ne pas trouver, après la date mentionnée, toutes les qualités organoleptiques qu'avait le produit dans la période antérieure ; qu'il ne peut davantage être reproché à la société Andros d'avoir créé une ambiguïté concernant la nature de son produit ; qu'en portant mention, sur les documents publicitaires relatifs à son produit , d'une "conservation au frais" et "température conseillée + 6 centigrades", la société Andros n'a nullement cherché à opérer une confusion entre froid et fraîcheur, tout producteur étant libre de recommander de conserver son produit à la température la plus adéquate ; qu'enfin, la société Andros, en utilisant la mention "compotes de pommes fraîches" dans sa campagne lancée en mai 1993, n'a commis aucune faute, cette appellation étant très en retrait par rapport à celle utilisée à tort par Danone ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi

, sans vérifier de façon concrète, ainsi que la société Danone l'y invitait dans ses écritures, si l'ensemble des éléments caractérisant sa campagne publicitaire en 1993, et non chaque élément pris isolément, ne créait pas une ambiguïté sur la nature exacte des produits qu'elle commercialisait pouvant entraîner, en associant les mentions DLVO et celle de "compotes de pommes fraîches", une confusion dans l' esprit des consommateurs, ainsi qu'elle le soutenait en versant aux débats un sondage d'opinion, la cour d' appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS

, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du quatrième moyen : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Danone tendant à voir condamner la société Andros à lui payer des dommages-intérêts pour publicité mensongère et concurrence déloyale, l'arrêt rendu le 30 janvier 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ; Condamne la société Andros aux dépens ; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Andros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.