SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête No 22215/93
présentée par I.C.
contre la Grèce
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La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 1er décembre 1993 en
présence de
MM. A. WEITZEL, Président
C.L. ROZAKIS
F. ERMACORA
E. BUSUTTIL
A.S. GÖZÜBÜYÜK
Mme J. LIDDY
MM. M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER
G.B. REFFI
B. CONFORTI
N. BRATZA
I. BÉKÉS
Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 15 juin 1993 par I.C. contre la Grèce
et enregistrée le 13 juillet 1993 sous le No de dossier 22215/93 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Les faits de la cause tels qu'ils ont été exposés par le
requérant peuvent être résumés comme suit.
Le requérant est un ressortissant turc, d'origine grecque, né en
1914. Il est représenté devant la Commission par Me Stelios Spetsakis,
avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation grecque.
Le requérant a travaillé à Istanbul du 1er mars 1950 au
3 septembre 1958 en tant que vendeur et du 1er janvier 1958 au
10 décembre 1971 en tant que chauffeur. En 1973 il est arrivé en Grèce
et s'est installé à Athènes.
Le 20 septembre 1982, le requérant a déposé auprès de l'organisme
de sécurité sociale (Idryma Koinonikon Asfaliseon - IKA) d'Athènes une
demande tendant à ce qu'il soit reconnu titulaire d'un droit à une
pension de vieillesse, assortie d'une demande tendant à ce que ses
annuités d'assurance en Turquie soient reconnues en Grèce après rachat.
Le 10 janvier 1983, le bureau compétent de l'IKA a rejeté cette
demande au motif qu'elle était tardive. En effet, l'IKA a estimé que
la demande tendant à la reconnaissance des annuités d'assurance
effectuée en Turquie aurait dû être déposée dans un délai d'un mois
après l'arrivée du requérant en Grèce.
Le requérant a recouru contre cette décision devant la commission
administrative locale de l'IKA (Topiki Dioikitiki Epitropi), autorité
administrative de recours en la matière. Cette autorité a rejeté le
recours en date du 21 mai 1984.
Le 16 juillet 1984, le requérant a saisi le tribunal
administratif du Pirée d'un recours en annulation de la décision
susmentionnée. Par jugement N° 2405/1986 du 7 mai 1986, le tribunal a
rejeté ce recours.
Le 17 juillet 1986, le requérant a recouru (anairesi) contre ce
jugement devant le Conseil d'Etat (Symvoulio tis Epikrateias). Ce
recours a été rejeté par arrêt du 15 février 1993 (N° 244/1993).
GRIEFS
1. Le requérant se plaint d'abord qu'en rejetant sa demande de
pension les juridictions grecques l'ont injustement privé de ses droits
patrimoniaux et invoque l'article 1 du Protocole N° 1 à la
Convention.
2. Le requérant se plaint, en outre, que les juridictions saisies
de son affaire ont commis des erreurs de droit en rejetant son
argumentation tirée notamment de l'imprescriptibilité du droit à
pension. Il soutient qu'il n'a pas bénéficié d'un procès équitable dans
le cadre de la procédure relative à sa demande de pension de vieillesse
et invoque l'article 6 par. 1 de la Convention.
3. Le requérant soutient, en outre, que les décisions rendues dans
son affaire constituent une atteinte discriminatoire à son droit à
pension en violation de l'article 14 qui prohibe toute discrimination
dans la jouissance des droits garantis par la Convention fondée, entre
autres, sur l'appartenance à une minorité nationale ou toute autre
situation.
4. Par ailleurs, le requérant se plaint que les décisions des
juridictions grecques violent la Charte sociale européenne, le Code
européen de la sécurité sociale et le Pacte international relatif aux
droits économiques sociaux et culturels.
5. Il se plaint, enfin, de la durée de la procédure.
EN DROIT
1. Le requérant se plaint d'abord que le rejet de sa demande de
pension constitue une violation de son "droit au respect de ses biens"
garanti à l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1) à la Convention.
La Commission rappelle que l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1)
garantit à ceux qui ont versé des contributions à une institution
d'assurance sociale le droit de tirer un bénéfice de cette institution
(N° 5849/72, Müller c/ Autriche, Rapp. Comm. 1.10.75, D.R. 3 p. 25).
On ne saurait cependant déduire du droit de toute personne au respect
de ses biens un droit à une pension de vieillesse, lorsque la personne
sollicitant le bénéfice de cette prestation sociale n'a pas versé des
contributions à l'institution sollicitée. Cette disposition ne saurait,
en outre, être interprétée comme garantissant un droit à ce que des
annuités d'assurance effectuées dans un pays étranger soient reconnues,
ne serait ce qu'après rachat, par une institution d'assurance.
Il est vrai qu'en l'espèce le requérant soutient que c'est à tort
que l'IKA a refusé de lui permettre de racheter des annuités
d'assurance en Turquie et qu'il invoque à l'appui de cette allégation
des dispositions du droit national.
Cependant, la Commission ne s'estime pas appelée à se prononcer
sur cette argumentation qui aurait pu être soumise aux juridictions
nationales auxquelles il appartient d'interpréter et d'appliquer le
droit interne.
Elle ne saurait, en effet, sur la base de cette argumentation,
non vérifiée par les autorités nationales, conclure que le
requérant avait en l'espèce un droit patrimonial acquis en droit grec
et protégé par l'article 1 du Protocole N° 1 (P1-1).
Dès lors, aucune apparence de violation de la disposition
invoquée ne saurait être décelée en l'espèce.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
2. Le requérant se plaint qu'il n'a pas bénéficié d'un procès
équitable devant les juridictions administratives. Il allègue que ces
juridictions ont commis des erreurs de droit. Il invoque l'article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention qui garantit à toute personne le
droit à un procès équitable devant un tribunal qui décidera soit des
contestations sur ses droits et obligations de caractère civil soit sur
le bien-fondé d'une accusation en matière pénale dirigée contre elle.
La Commission rappelle toutefois qu'elle n'est pas compétente
pour examiner une requête relative à des erreurs de droit ou de fait
prétendument commises par les juridictions internes, sauf si et dans
la mesure où elles sont susceptibles d'avoir entraîné une violation
d'un droit garanti par la Convention. La Commission renvoie sur ce
point à sa jurisprudence constante (voir, par exemple N° 7987/77,
déc. 13.12.79, D.R. 18, pp. 31,61).
En l'espèce, à supposer même que la disposition invoquée
s'applique à la procédure en cause, la Commission constate que les
juridictions grecques ont rendu leurs décisions après avoir entendu le
requérant et sur la base des éléments qui leur ont été soumis dans le
cadre des procédures contradictoires. Dans ces conditions aucune
apparence de violation du droit à un procès équitable ne saurait être
décelée.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le requérant soutient, en outre, que les décisions rendues dans
son affaire constituent une atteinte discriminatoire à ses droits et
invoque l'article 14 (art. 14) de la Convention.
La Commission rappelle que l'article 14 (art. 14) dispose que la
jouissance des droits et libertés garantis par la Convention doit être
assurée, sans distinction aucune. Cette disposition n'interdit la
discrimination que dans la jouissance des droits garantis par la
Convention (No 10733/84, déc. 11.3.85, D.R. 41 p. 211) et, par
conséquent, elle ne trouve pas à s'appliquer si les faits du litige ne
tombent pas sous l'empire de l'une au moins des clauses normatives de
la Convention.
La Commission a estimé qu'en l'espèce, en l'absence de versement
effectif de contributions, le droit à pension que faisait valoir le
requérant ne pouvait passer pour un "bien" protégé par l'article 1 du
Protocole N° 1 (P1-1). Toutefois, elle estime que la matière en
question est couverte par la garantie du droit au respect des biens
et, par conséquent, une différence injustifiée de traitement des
requérants par rapport à d'autres personnes qui se trouvent dans des
situations analogues peut soulever des problèmes au regard de l'article
14 de la Convention combiné avec l'article 1 du Protocole No 1
(art. 14+P1-1).
Le requérant soutient en particulier qu'en tant que ressortissant
étranger d'origine ethnique grecque il était tenu de solliciter la
reconnaissance des annuités d'assurance à l'étranger, dans un an à
partir de son arrivée en Grèce, alors que pareille limitation n'est pas
prévue en ce qui concerne les marins de la marine marchande.
La Commission estime toutefois que la situation du requérant
n'est aucunement analogue à celle des marins et que, partant, aucune
apparence de discrimination ne peut être décelée sur la base des
éléments fournis par celui-ci.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée et doit être rejetée conformément à l'article 27 par. 2
(art. 27-2) de la Convention.
4. Le requérant se plaint que les décisions des juridictions
grecques violent la Charte sociale européenne, le Code européen de la
sécurité sociale et le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels.
Le requérant invoque l'article 60 (art. 60) de la Convention qui
dispose que celle-ci ne sera pas interprétée de manière à limiter les
droits et libertés fondamentaux reconnus par le droit interne ou par
toute autre convention.
La Commission rappelle qu'aux termes de l'article 19
(art. 19) de la Convention elle n'est compétente que pour examiner des
requêtes par lesquelles une violation des droits et libertés garantis
par la Convention est alléguée. Elle n'est pas compétente pour examiner
des requêtes relatives à des prétendues violations d'autres instruments
internationaux ou du droit interne. L'article 60 (art. 60) de la
Convention ne confère aucunement aux organes de celle-ci pareille
compétence.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible
ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de
l'article 27 par. 2 (art. 27-2).
5. Le requérant se plaint, enfin, que sa cause n'a pas été entendue
"dans un délai raisonnable" comme l'exige l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention.
La Commission estime qu'elle ne saurait se prononcer sur la
recevabilité de ce grief sans le bénéfice des observations
contradictoires des parties. Elle décide, dès lors, d'ajourner l'examen
de cette partie de la requête.
Par ces motifs
, la Commission, à l'unanimité
AJOURNE l'examen du grief tiré de la durée de la procédure
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.
Le Secrétaire Le Président
de la Première Chambre de la Première Chambre
(M.F. BUQUICCHIO) (A. WEITZEL)