AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq septembre deux mille sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller DESGRANGE, les observations de la société civile professionnelle CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, de Me RICARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIETE BP FRANCE,
contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de PONTOISE, en date 24 mars 2005, qui a autorisé l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles
L. 450-4 du code de commerce, 6, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme,
591 et
593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale et violation des droits de la défense ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a autorisé la DGCCRF à procéder ou à faire procéder dans les locaux de l'entreprise BP aux visites et aux saisies de tous documents nécessaires à la recherche de la preuve des agissements qui entrent dans le champ des pratiques prohibées par les points 2 et 3 de l'article
L. 420-1 du code de commerce, relevés dans le secteur du GPL combustibles et carburants ;
"aux motifs qu'à cette requête, sont annexés les documents suivants : - la demande d'enquête du rapporteur général du conseil de la concurrence susvisée, - la note du directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, en date du 18 mars 2005, - la copie d'un procès-verbal d'audition dressé par le rapporteur du conseil de la concurrence, en date du 25 octobre 2004, relatif aux déclarations des avocats et des représentants légaux des demandeurs de clémence, - la copie de l'arrêt, 10 septembre 2003, n° 02-81.419 concernant la constatation d'infractions en train de se commettre de l'article
L. 450-4, alinéa 2, du code de commerce, - des fiches d'identité provenant de serveurs internet "pages jaunes.fr" et "infogreffe.fr" concernant l'entreprise BP ; que les informations communiquées à nous par l'administration à l'appui de sa requête ont été remises par les avocats des demandeurs de clémence au rapporteur du conseil de la concurrence ; que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite et qu'elles peuvent être utilisées pour la motivation de la présente ordonnance puisqu'elles émanent de la consultation de banques de données électroniques accessibles au public, mais également de l'exercice par la DGCCRF de la possibilité d'échanger des informations entre autorités de concurrence et de se
voir communiquer les informations ou les documents que le conseil de la concurrence détient ou qu'il recueille ; que, lors du dépôt de la requête, des documents où figure le nom des demandeurs de clémence nous ont été présentés ; que le procès-verbal d'audition du conseil de la concurrence qui nous a été présenté et que nous avons pu consulter mentionne toutes les informations utiles concernant les demandeurs de clémence ; que le conseil de la concurrence a rendu un avis conditionnel de clémence le 8 février 2005 ; que le procès-verbal du 25 octobre 2004 (annexe à la requête n° 3), utile à la qualification de nos présomptions doit être décrit afin de déterminer les faits susceptibles d'établir les indices ou présomptions d'infraction aux points 2 et 3 de l'article
L. 420-1 du code de commerce ; que le procès-verbal précité relate les contacts entre concurrents Shell et BP à l'occasion des contrats de "net return (NRA)" identiques "terme pour terme" qui les lient à Butagaz et qui les amènent à limiter volontairement les volumes de production qu'ils confient à l'entreprise Butagaz à charge pour cette dernière de les vendre, à fixer de concert les prix du GPL, à partager les coûts et à échanger des informations notamment dans un souci de coordination des stratégies commerciales ; que "Butagaz est une filiale de Shell France à 100 %" ; que le contrat Butagaz/BP pour le GPL combustible a été dénoncé par Butagaz en mars 2003 avec un préavis qui continue à courir jusqu'en mars 2008 ; que le contrat Butagaz/BP GPL carburant est toujours d'actualité ; que, pour le GPL carburant, un comité d'orientation composé de représentants des trois entreprises concernées par ces pratiques prohibées présumées se réunit trimestriellement afin de définir "la stratégie développement, en sachant de toute façon que c'est Butagaz qui fixe les prix auquel est vendu le GPL" ; que les demandeurs de clémence mentionnent que, dans ces accords anticoncurrentiels, "BP est à la fois consentant et gagnant puisque, sans rien faire, il bénéficie de 25 % du marché" ; que cet ensemble de faits indique que ces agissements ont pu être favorisés par des échanges d'informations entre ces entreprises ; que nous pouvons ainsi présumer une concertation prohibée par l'article
L. 420-1 point
2 du code de commerce ; que, du fait même de la présomption précédente, portant sur une action concertée consistant à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse, se déduit la volonté de ces entreprises de limiter ou contrôler la production de GPL combustible et carburant, présomption de la pratique prohibée visée au point 3 de l'article
L. 420-1 du code de commerce ; qu'il résulte de tout ce que dessus que les agissements décrits peuvent s'analyser comme autant d'ententes expresses ou tacites, voire comme des actions concertées entre les entreprises Shell, Butagaz et BP qui ont pour objet et/ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence dans le secteur du GPL combustible et carburant au sens des points 2 , 3 de l'article
L. 420-1 du code de commerce ;
que l'article
L. 450-4, alinéa 2, du code de commerce dispose que, "lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée" ; que les réunions trimestrielles susvisées continuent à se dérouler et que les agissements présumés prohibés décrits ci-dessus perdurent ; qu'ainsi, les conditions de mise en oeuvre de l'article précité semblent réunies ; que, dans son arrêt du 10 septembre 2003 (annexe à la requête n° 4), la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que "l'administration n'a pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure de l'article
L. 450-4 du code précité, laquelle n'est pas subordonnée à une enquête préalable des agents du service de la concurrence" ; qu'ainsi, la portée de nos présomptions est suffisante au regard des qualifications prévues à l'article
L. 420-1 du code de commerce dans ses points 2 et 3 ; que la recherche de la preuve de ces pratiques nous apparaît justifiée ; que, par ailleurs, l'utilisation des pouvoirs définis à l'article
L. 450-3 du code de commerce ne paraît pas suffisante pour permettre à l'administration de corroborer ses soupçons ; qu'en effet, les actions concertées, conventions ou ententes qui ont pour objet ou effet de limiter ou contrôler la production et/ou de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse sont établies suivant les modalités secrètes, et les documents nécessaires à la preuve desdites pratiques sont vraisemblablement conservés dans des lieux et sous une forme qui facilitent leur dissimulation ou leur destruction en cas de vérification ; que le recours aux pouvoirs de l'article
L. 450-4 du code de commerce constitue donc le seul moyen d'atteindre les objectifs recherchés ; qu'en outre, les opérations de visite et de saisie sollicitées ne sont pas disproportionnées compte tenu de ce que les intérêts de l'entreprise concernée sont garantis dès lors que les pouvoirs de l'administration sont utilisés sous notre contrôle ;
qu'il convient de rechercher les lieux où se trouvent le plus vraisemblablement les documents nécessaires à l'apport de la preuve des pratiques présumées ; que les demandeurs de clémence se sont engagés à faire des recherches documentaires afin d'étayer leurs déclarations et de répondre à leur obligation de collaboration loyale et totale ; qu'il est vraisemblable que les documents utiles à l'apport de cette preuve se trouvent dans les locaux de l'entreprise BP qui apparaît également au coeur des pratiques relevées dans le secteur du GPL combustible et carburant ; qu'en outre, les demandeurs de clémence précisent qu' "il pourrait y avoir des notes internes à BP dont on n'a pas de copie" ;
"1 ) alors que, d'une part, viole les droits de la défense et ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le bien fondé de la requête présentée par la DGCCRF, le juge de l'autorisation qui fait état "d'informations communiquées à nous par l'administration et remises par les avocats des demandeurs de clémence", informations dont ni la nature ni la teneur ne sont révélées par l'ordonnance, et qui ne figurent ni dans les documents annexés à la requête, ni au dossier susceptible d'être consulté par l'entreprise à l'égard de laquelle les mesures de perquisition et saisies ont été prises ;
"2 ) alors que, d'autre part, l'ordonnance constate que, lors du dépôt de la requête, des documents, distincts de ceux qui figurent en annexe de la requête et sur lesquels figurerait le nom des demandeurs de clémence, ont été "présentés" au juge des libertés et de la détention (ordonnance p.2, 5) ; qu'en acceptant de donner l'autorisation sur la base de tels documents non annexés à la requête et nécessaires à l'exercice du recours en cassation contre l'ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie de documents, le juge des libertés et de la détention a violé les articles visés au moyen ;
"3 ) alors qu'en se référant encore à un avis de clémence qui aurait été rendu au profit de la société Shell le 8 février 2005, avis dont aucune des pièces annexées à la requête ne fait état, l'ordonnance attaquée, qui ne met pas la Cour de cassation en mesure de savoir par quel canal cette information aurait été portée à la connaissance du juge et si l'avis de clémence lui-même, qui n'est couvert par aucun secret et se trouve seulement dispensé de publication aux termes de l'article
L. 464-2 du code de commerce, lui a ou non été remis, viole derechef les textes et principes susvisés ;
"4 ) alors que la demande d'autorisation aux fins de procéder ou faire procéder à des opérations de visite et de saisie de documents est présentée dans le cadre d'une requête demandée soit par le ministre chargé de l'économie, soit par le rapporteur général du conseil de la concurrence, sur proposition du rapporteur en charge de l'affaire ; que la production de cette proposition, en ce qu'elle définit le champ de l'enquête et les orientations de celle-ci est une obligation pour l'administration ; qu'en l'espèce, l'ordonnance se réfère à une demande d'enquête du conseil de la concurrence, en date du 8 mars 2005, sans que soit produite la fiche du rapporteur qui s'y trouvait jointe ; qu'ainsi, le juge des libertés et de la détention a violé les textes visés au moyen ;
"5 ) alors que l'administration est tenue de fournir au juge tous les éléments en sa possession qui sont de nature à l'éclairer sur le bien fondé de la demande ; qu'en ne communiquant pas au juge la note du rapporteur annexée à la demande d'enquête, l'administration a méconnu les obligations qui s'imposaient à elle et qu'en autorisant l'administration à opérer des opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention n'a pas légalement justifié sa décision ;
"6 ) alors que le juge qui autorise l'administration requérante à procéder à des opérations de visite et de saisie de documents doit faire apparaître en quoi le recours à une mesure de perquisition est l'unique moyen de rechercher la preuve d'une concertation ; qu'en l'espèce, dans le cadre de la procédure de clémence prévue par l'article
L. 464-2 du code de commerce, les sociétés Shell et Butagaz se sont astreintes à une obligation de collaboration loyale et totale à l'égard de l'administration poursuivante, destinée à donner à cette dernière tous les éléments utiles lui permettant de se prononcer sur la licéité des accords conclus avec BP ; que le juge des libertés, qui n'explique pas en quoi les éléments que l'administration poursuivante avait l'assurance de recueillir spontanément de la société Shell, auraient été insuffisants pour lui permettre de se prononcer sur la valeur des informations qu'elle échangeait avec BP et la légalité de l'accord conclu avec cette dernière, prive sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
"7 ) alors qu'en autorisant l'administration requérante à procéder à des opérations de visite et de saisie de documents eu égard aux modalités soi-disant secrètes de la prétendue concertation anticoncurrentielle, les sociétés Shell et Butagaz s'étaient engagées, dans le cadre de la procédure de clémence, à collaborer pleinement et loyalement avec les autorités de concurrence, ce dont il résultait que tous les tenants et aboutissants des accords NRA, qui n'ont jamais été secrets, étaient connus des autorités de concurrence, le juge des libertés et de la détention n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient et a violé les articles visés au moyen" ;
Attendu que, d'une part, l'article 450-4 du code de commerce ne fait pas d'autre obligation au magistrat saisi d'une demande d'autorisation de procéder, en tous lieux, à des visites et saisies de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles, que celle de vérifier que cette demande est faite dans le cadre d'enquêtes demandées par le ministre de l'économie ou, comme en l'espèce, par le conseil de la concurrence ;
Attendu, d'autre part, qu'il ne résulte d'aucune mention de l'ordonnance que le juge se soit référé à des pièces qui n'auraient pas été annexées à la requête ;
Attendu, en outre, que l'administration n'a pas à rendre compte de son choix de recourir à la procédure de l'article
L. 450-4 du code de commerce, laquelle n'a pas un caractère subsidiaire par rapport aux autres procédures pouvant être utilisées ;
Attendu, enfin, que le juge s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'administration, a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements frauduleux justifiant la mesure autorisée ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article
567-1-1 du code de procédure pénale : M. Dulin conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Desgrange conseiller rapporteur, Mme Thin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;