QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE PRZYBYŁA c. POLOGNE
(Requête no 42778/07)
ARRÊT
STRASBOURG
7 juillet 2009
DÉFINITIF
07/10/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Przybyła c. Pologne,
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Nicolas Bratza, président,
Lech Garlicki,
Giovanni Bonello,
Ljiljana Mijović,
Ján Šikuta,
Mihai Poalelungi,
Nebojša Vučinić, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 juin 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 42778/07) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Kajetan Przybyła (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 septembre 2007 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Me Mariusz Czajkowski, avocat à Konin. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 13 mai 2008, le président de la quatrième section a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1952 et réside à Gołuchów.
5. Le 20 mai 1994, le tribunal de district ordonna à un tiers le paiement d'une somme d'argent au requérant.
6. Le 13 juin 1994, le requérant engagea une procédure d'exécution auprès de l'huissier de justice. Il l'invita entre autres à saisir un immeuble appartenant au débiteur.
7. Le tribunal de district supervisait la procédure d'exécution et procéda à des tentatives de ventes aux enchères des biens du débiteur ; il connut de plusieurs recours interjetés par le débiteur à l'encontre des actes de l'huissier. Le tribunal régional statua à son tour sur les appels interjetés par le débiteur à l'encontre des décisions du tribunal de district. La procédure fut suspendue à plusieurs reprises.
8. Le 8 septembre 2005, le tribunal de district adjugea au requérant l'immeuble en cause, décision confirmée en appel le 28 février 2007.
9. Le 26 février 2007, le requérant engagea une action sur la base de la loi de 2004 pour dénoncer la durée de la procédure d'exécution.
10. Le 16 avril 2007, par deux décisions séparées, le tribunal régional constata une durée excessive de la procédure devant l'huissier de justice et de celle devant le tribunal de district. Il octroya au requérant à ce titre respectivement 4 000 PLN (soit environ 870 EUR) et 2 000 PLN (soit environ 435 EUR).
Tout en admettant que le débiteur avait sciemment entravé le bon déroulement de la procédure d'exécution, le tribunal régional releva que l'huissier et le tribunal de district n'avaient pas apporté à l'affaire la diligence nécessaire. Ils avaient en particulier violé plusieurs dispositions du code de procédure civile, notamment dans la mesure où la procédure avait été suspendue sans raison valable. Selon le tribunal, l'affaire n'était pas compliquée et le requérant n'avait guère contribué aux retards survenus.
11. La procédure est toujours pendante.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
12. Le 17 septembre 2004 est entrée en vigueur la loi adoptée le 17 juin 2004, qui a introduit dans le système juridique polonais une voie de recours contre la longueur excessive des procédures judiciaires (Ustawa o skardze na naruszenie prawa strony do rozpoznania sprawy w postępowaniu sądowym bez nieuzasadnionej zwłoki).
Les décisions Charzyński c. Pologne no 15212/03 (déc.), §§ 12-23, ECHR 2005-V, Ratajczyk c. Poland no 11215/02 (déc.), ECHR 2005-VIII et Krasuski c. Poland, no 61444/00, §§ 34-46, ECHR 2005-V, ainsi que l'arrêt Swat c. Pologne no 13545/03, 18 décembre 2007, §§ 20-24 décrivent le droit et la pratique internes pertinents concernant l'efficacité de la voie de recours interne instaurée par la loi de 2004.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
13. Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
14. Le Gouvernement ne se prononce pas.
15. La période à considérer a débuté le 13 juin 1994 et n'a pas encore pris fin. Elle a donc duré environ quinze années, pour trois degrés de juridiction.
A. Sur la recevabilité
16. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il y a donc lieu de le déclarer recevable.
17. La Cour note par ailleurs que le requérant, qui cite l'article 1 du Protocole no 1 à la Convention, se plaint de surcroît de l'impossibilité de jouir paisiblement de son bien du fait de la durée de la procédure d'exécution. Néanmoins, dans la mesure où les faits invoqués dans ce contexte sont les mêmes que ceux soulevés dans le cadre de l'article 6 § 1 de la Convention, la Cour juge approprié d'examiner ce grief sur le terrain de cette dernière disposition.
B. Sur le fond
18. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
19. La Cour a traité à maintes reprises d'affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d'espèce et a constaté la violation de l'article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
20. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu'en l'espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l'exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.
II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
21. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
22. Le requérant, qui ne produit pas de justificatifs à l'appui de sa demande, réclame 80 000 PLN (soit environ 17 430 EUR) au titre du préjudice matériel qu'il aurait subi. Il réclame de surcroît 80 000 PLN (soit environ 17 430 EUR) au titre de son préjudice moral.
23. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
24. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité et compte tenu des sommes obtenues au niveau interne (voir § 10), elle lui accorde 3 600 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
25. Le requérant demande également 14 500 PLN (soit environ 3 160 EUR) pour les frais et dépens engagés devant la Cour. A l'appui de sa demande, il présente une facture pro forma d'un montant de 14 000 PLN net et 17 080 PLN brut établie par son avocat. Il présente également une facture d'un montant de 467,87 PLN brut dressée par un traducteur de la langue française.
26. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
27. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l'accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
28. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 3 600 EUR (trois mille six cents euros) pour dommage moral et 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt; ces sommes étant à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 juillet 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Lawrence Early Nicolas Bratza
Greffier Président