Vu les procédures suivantes :
I. Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2022 sous le n° 2215611, M. C D, représenté par Me Roulleau, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné ;
2°) d'enjoindre à l'autorité compétente de réexaminer sa situation et de lui délivrer une attestation de demande d'asile ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de celles de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que l'arrêté contesté méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article
L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens invoqués dans la requête sont infondés.
M. D a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du
7 février 2023.
II. Par une requête, enregistrée le 25 novembre 2022 sous le n° 2215614, Mme A E, représentée par Me Roulleau, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée ;
2°) d'enjoindre à l'autorité compétente de réexaminer sa situation et de lui délivrer une attestation de demande d'asile ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de celles de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'arrêté contesté méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article
L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens invoqués dans la requête sont infondés.
Mme E a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 février 2023.
Le président du tribunal a délégué à M. B les pouvoirs qui lui sont attribués par l'article
L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Au cours de l'audience publique du 2 mars 2023, à 14h30, M. B a lu son rapport et constaté l'absence des parties ;
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience ;
Considérant ce qui suit
:
1. M. D et son épouse, Mme E, ressortissants russes nés respectivement le 29 août 1989 et le 6 août 2002, entrés en France le 24 janvier 2022 selon leurs dires, se sont présentés en préfecture le 1er février 2022 pour solliciter leur admission au séjour au titre de l'asile. Ils ont été définitivement déboutés du droit d'asile le 23 septembre 2022. Par des arrêtés du 24 octobre 2022, dont les intéressés demandent l'annulation par les présentes requêtes qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul jugement, le préfet de Maine-et-Loire leur a respectivement fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel ils sont susceptibles d'être éloignés.
Sur le fondement des arrêtés attaqués :
2. Il résulte des dispositions de l'article L. 611-1, 4° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été définitivement refusé ou qu'il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles
L. 542-1 et
L. 542-2 de ce code, à moins que l'intéressé ne soit titulaire d'une autorisation de séjour. En l'espèce, M. D et Mme E, qui ont été définitivement déboutés du droit d'asile et séjournent irrégulièrement en France, se trouvent dans le champ de ces dispositions.
Sur l'objet du litige et les moyens invoqués :
3. Les requérants se bornent à soutenir que les arrêtés litigieux ont été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article
L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu du risque personnel qu'ils encourent en cas de retour dans leur pays d'origine. Dans ces conditions, ils doivent être regardés comme contestant la légalité de la seule décision fixant le pays à destination duquel ils sont susceptibles d'être éloignés, qui est distincte de l'obligation de quitter le territoire prise à leur encontre, en tant seulement qu'elle fait mention de la Russie.
4. Aux termes de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes du dernier alinéa de l'article
L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des circonstances regardées comme établies par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), que M. D et Mme E sont d'origine avar et résidaient en République du Daghestan lorsqu'ils ont quitté la Russie. Les requérants produisent la copie d'une convocation de M. D pour se rendre le 27 octobre 2022 au commissariat militaire du district de Makhatckhala en vue de sa mobilisation au sein des forces armées russes dans le cadre du service militaire, en invoquant l'hostilité de M. D à l'égard du conflit armé russo-urkrainien.
6. Il ressort de différentes sources d'information, tels le communiqué de la Fédération internationale pour les droits humains du 23 septembre 2022, intitulé " Russie : la détention arbitraire et l'enrôlement forcé de manifestant.es pacifiques doivent cesser ", et le rapport de l'Agence de l'Union européenne pour l'asile relatif au service militaire en Fédération de Russie, publié en décembre 2022, que le recrutement par les autorités russes de combattants pour la guerre contre l'Ukraine est organisé dans une atmosphère générale de coercition et de répression, affectant en particulier les individus appartenant à des minorités ethniques. Il en ressort également que les difficultés rencontrées par l'armée russe face à la résistance et à la contre-offensive ukrainienne induisent un besoin permanent de nouveaux combattants et laissent donc présumer la multiplication des violations des droits de l'homme, notamment au Daghestan où la mobilisation par les autorités locales est présentée par plusieurs sources, tel un article publié le 2 octobre 2022 sur le site d'information RadioFreeEurope/RadioLiberty, comme attisant les tensions interethniques.
7. Il suit de là que les requérants sont fondés à soutenir que M. D risque d'être persécuté, de même que ses proches, en cas de retour en Russie en raison de son opposition à la guerre en Ukraine et de son refus d'être mobilisé au sein des forces armées de la fédération de Russie. Dès lors, la décision fixant le pays de renvoi a été prise, tant pour M. D que pour son épouse, Mme E, en méconnaissance des stipulations et dispositions mentionnées au point 4, en tant qu'elle fait mention de leur pays d'origine.
8. Il résulte de ce qui précède que les arrêtés litigieux doivent être annulés en tant qu'ils fixent la Russie comme pays à destination duquel M. D et Mme E sont susceptibles d'être éloignés.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Eu égard à la portée de l'annulation prononcée au point 8, le présent jugement n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de la requête aux fins d'injonction doivent être rejetées, sans préjudice pour M. D et Mme E de la possibilité de présenter auprès de l'OFPRA une demande tendant au réexamen de leur demande d'asile.
Sur les frais liés au litige :
10. M. D et Mme E ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, leur conseil peut se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et
L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, dans chacune des présentes instances, la somme de 1 000 euros à verser à Me Roulleau, avocat de M. D et de Mme E, au titre de ces dispositions et sous réserve que Me Roulleau renonce à percevoir la part contributive.
D É C I D E :
Article 1er : Les arrêtés du préfet de Maine-et-Loire en date du 24 octobre 2022 sont annulés en tant qu'ils fixent la Russie comme pays à destination duquel M. D et Mme E sont susceptibles d'être éloignés.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à Me Roulleau au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et
L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes visées ci-dessus est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. C D, à Mme A E, à Me Roulleau et au préfet de Maine-et-Loire.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mars 2023.
Le magistrat désigné,
C. CANTIE La greffière,
S. LEGEAY
La République mande et ordonne au préfet de Maine-et-Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N°2215611-2215614