Vu la procédure suivante
:
Par une ordonnance du 4 avril 2022, enregistrée le même jour au greffe du tribunal, le président de la section du contentieux du Conseil d'État a transmis au tribunal la requête présentée par Mme C en application de l'article
R. 351-8 du code de justice administrative.
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 décembre 2020 et 11 juin 2021 au greffe du tribunal administratif de Toulouse, Mme D C, représentée par Me Petitgirard, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler la décision du 30 septembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté son recours préalable obligatoire dirigé contre le rejet de sa demande tendant au versement d'une pension d'invalidité ;
2°) d'enjoindre à la ministre de faire droit à sa demande de pension au titre des séquelles dorsolombaires au taux de 20 %, au titre des séquelles de la région cervicale au taux de 10 % et au titre des séquelles dermatologiques au taux de 10 % ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative et au titre de l'article 37 de la loi de 1991 modifiée relative à l'aide juridique.
Elle soutient que la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article L 121-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ; elle a subi un traumatisme au niveau de la région sacro-coccygienne, suite à un violent atterrissage en parachute le 19 septembre 2003 ; elle souffre de lombalgies, de cervicalgies et d'un psoriasis directement liés à ce fait de service ; elle subit un taux d'invalidité de 20 % en ce qui concerne les lombalgies, un taux de 20 %, tout en retenant un état antérieur de 10 % s'agissant des cervicalgies et un taux de 10 % concernant le psoriasis ; elle a ainsi droit à une pension militaire d'invalidité.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 mars 2021 et 15 juillet 2021, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision du 16 décembre 2019 sont irrecevables dès lors que cette dernière a fait l'objet d'un recours administratif préalable obligatoire qui a été rejeté par une décision du 30 septembre 2020 de la commission de recours de l'invalidité ; cette dernière décision est la seule susceptible d'être déférée au tribunal administratif ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une décision du 9 avril 2021, Mme C a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu :
- la décision de renvoi de l'affaire en formation collégiale, prise en application de l'article R. 222-19, 2ème alinéa du code de justice administrative ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A,
- et les conclusions de Mme Moynier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme D C a servi dans l'armée de terre du 5 juin 2001 au 19 avril 2007. Par une demande enregistrée le 30 août 2007, Mme C a sollicité le versement d'une pension d'invalidité au titre de " lombalgies basses avec hernie discale L4-L5. L5-S1. Episodes de cruralgies aigues ". Par une décision du 27 janvier 2010, le ministre de la défense a rejeté sa demande. Par une nouvelle demande du 17 janvier 2018, reçue le 18 janvier 2018, Mme C a sollicité le versement d'une pension d'invalidité au titre de différentes infirmités : " douleurs permanentes avec irradiation dans les membres supérieurs, cervicalgies ", " psoriasis " et " lombalgies chroniques invalidantes avec cervicalgies ". Par une décision du 16 décembre 2019, la ministre des armées a rejeté sa demande. Par un recours du 15 juin 2020, Mme C a saisi la commission de recours de l'invalidité. Par une décision du 30 septembre 2020, la commission de recours de l'invalidité a rejeté ce recours préalable obligatoire. Mme C demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures, d'annuler cette dernière décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la ministre des armées :
2. Aux termes de l'article L. 711-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " Les recours contentieux contre les décisions individuelles prises en application du livre Ier et des titres Ier à III du livre II sont précédés d'un recours administratif préalable exercé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. ".
3. Aux termes de l'article R. 711-1 du même code : " Tout recours contentieux formé à l'encontre des décisions individuelles prises en application des dispositions du livre Ier et des titres Ier à III du livre II du présent code est précédé, à peine d'irrecevabilité, d'un recours administratif préalable obligatoire examiné par la commission de recours de l'invalidité, placée conjointement auprès du ministre de la défense et du ministre chargé du budget () ".
4. S'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation d'une décision qui ne peut donner lieu à un recours devant le juge de l'excès de pouvoir qu'après l'exercice d'un recours administratif préalable et si le requérant indique, de sa propre initiative ou le cas échéant à la demande du juge, avoir exercé ce recours et, le cas échéant après que le juge l'y a invité, produit la preuve de l'exercice de ce recours ainsi que, s'il en a été pris une, la décision à laquelle il a donné lieu, le juge de l'excès de pouvoir doit regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l'annulation de la décision, née de l'exercice du recours, qui s'y est substituée.
5. En défense, la ministre des armées soulève l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation présentées par la requérante au motif qu'elles sont dirigées contre la décision du 16 décembre 2019, à laquelle s'est substituée la décision prise par la commission de recours de l'invalidité du 30 septembre 2020, sans que l'intéressée ne régularise sa requête en ce sens avant l'expiration du délai de recours contentieux.
6. Toutefois, dès lors que l'intéressée a produit, dès sa requête introductive d'instance, la décision prise suite à son recours administratif préalable par la commission de recours de l'invalidité le 30 septembre 2020, les conclusions contestant la décision initiale de la ministre des armées doivent être regardées comme dirigées contre la décision rejetant le recours administratif préalable obligatoire de l'intéressée. En outre, Mme C a régularisé sa requête à ce titre en dirigeant ses conclusions, dans son mémoire en réplique, contre cette dernière décision. Dans ces conditions, la fin de non-recevoir soulevée par la ministre des armées ne peut qu'être écartée.
Sur le bien-fondé des conclusions à fin d'annulation :
7. L'article
L. 151-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dispose que : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. Il en est de même de la date d'entrée en jouissance de la pension révisée pour aggravation ou pour prise en compte d'une infirmité nouvelle. () ". Il résulte de ces dispositions que l'évaluation de l'invalidité au titre de laquelle la demande de pension est sollicitée doit être effectuée à la date de cette demande.
8. L'article L. 121-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre dispose que : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; () ". L'article L. 121-2 du même code dispose que : " Est présumée imputable au service : 1° Toute blessure constatée par suite d'un accident, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ; () ".
9. Il résulte des dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre que le demandeur d'une pension, s'il ne peut prétendre au bénéfice de la présomption légale d'imputabilité au service, doit rapporter la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. Cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle, ni des conditions générales de service partagées par l'ensemble des militaires servant dans la même unité et soumis de ce fait à des contraintes et des sujétions identiques.
10. L'article L. 121-5 du même code dispose que : " La pension est concédée : 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le taux global d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmités résultant exclusivement de maladie, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : a) 30 % en cas d'infirmité unique ; b) 40 % en cas d'infirmités multiples. ".
11. Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine, consécutive à un fait précis de service. Dans le cas contraire, elle doit être regardée comme résultant d'une maladie.
12. Lorsqu'il est saisi d'un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer sur les droits de l'intéressé en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, et aussi, le cas échéant, d'apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens ou au vu de moyens d'ordre public, la régularité de la décision en litige.
13. En l'espèce, Mme C soutient que le 19 septembre 2003 lors d'un saut en parachute à Pamiers, elle a effectué une réception au sol brutale sur la région sacro-coccygienne, ce qui lui a occasionné des blessures à l'origine de lombalgies, de cervicalgies et d'un psoriasis au titre desquels elle sollicite le versement d'une pension d'invalidité. Il est constant que la requérante ne peut se prévaloir de la présomption légale d'imputabilité au service prévue par les dispositions précitées et doit donc apporter la preuve de l'existence d'une relation certaine et directe de cause à effet entre les troubles qu'elle invoque et un fait précis ou des circonstances particulières du service.
Concernant les lombalgies :
14. Il résulte de l'instruction que la requérante a effectué un saut en parachute le 19 septembre 2003 ainsi qu'en atteste l'ordre de mission aérienne et que le médecin en chef, le 1er décembre 2003, a mentionné dans le livret médical de l'intéressée que Mme C " a été blessée en saut de septembre 2003 à Pamiers, traumatisme lombaire non soigné. ". Toutefois, cette constatation est intervenue près de trois mois après l'évènement et aucun rapport circonstancié, ni mention au registre des constatations des blessures ne se retrouve dans les pièces du dossier, ainsi que le fait valoir la ministre des armées dans ses écritures en défense. En outre, il ressort de ce même livret médical que la requérante présentait déjà avant le 19 septembre 2003 des lombalgies et dorsalgies chroniques relevées depuis le mois de juillet 2003 lors de la visite systématique annuelle (VSA) et signalées au médecin du 17ème régiment du génie parachutiste (RGP). Par ailleurs, dans son expertise du 24 juillet 2019, un médecin généraliste agréé, rappelle que Mme C présente des séquelles à type de lombalgies chroniques connues depuis juillet 2003. Il ajoute que l'intéressée présente un antécédent de maladie de Sheuermann ancienne avec des lombalgies communes sans irradiation radiculaire en rapport avec une discopathie dégénérative L4-L5 et L5-S1 justifiant un taux d'invalidité de 20 % dont la moitié est due à la maladie de Sheuermann. Ce médecin ne se prononce, au demeurant, pas expressément sur le lien de causalité entre une mauvaise réception qui serait due au saut en parachute de septembre 2003 et ces lombalgies. Enfin, si le rapport en date du 23 septembre 2020 réalisé à la demande de la requérante et émanant du docteur B, médecin-conseil de victimes, mentionne que : " dans l'intervalle entre ce saut traumatique et la déclaration d'inaptitude TAP, Mme C ne présente aucun traumatisme tant dans sa sphère personnelle que professionnelle, et dans cet intervalle, elle ne développe pas de pathologie rachidienne inflammatoire ou autre, il semble donc licite de penser que même si cet évènement n'est pas répertorié dans un rapport circonstancié, il est bien le fait générateur des douleurs ressenties par Mme C ", ces seuls éléments qui font référence à des probabilités sont insuffisants pour démontrer l'existence d'une relation directe et certaine de cause à effet entre les lombalgies dont souffre la requérante et le saut en parachute du 19 septembre 2003.
Concernant les cervicalgies :
15. La requérante se prévaut d'une expertise qui relève qu'elle présente une cervicalgie diffuse associée à une névralgie cervico-brachiale gauche. L'expert médical affirme que : " cette pathologie est certes apparue plusieurs années après que Mme C ait quitté l'armée mais on sait que cette pathologie est très fréquente chez les militaires parachutistes, on rappellera à nouveau l'absence d'anomalie cervicale au jour de l'incorporation " et propose de retenir un taux d'invalidité de 20 % avec un état antérieur de 10 % en rapport avec un canal cervical étroit. Toutefois, cette pièce médicale, qui se réfère à des éléments généraux, ne caractérise pas l'existence d'une relation directe et certaine de cause à effet entre les troubles que l'intéressée invoque et un fait précis de service, à savoir l'accident de saut du 19 septembre 2003. En outre, un autre médecin, dans un rapport d'expertise du 24 juillet 2019, confirme qu'il ne peut " être retenu un lien déterminant et certain avec un accident en service du fait de l'apparition des cervicalgies documentées neuf ans après avoir quitté les armées ". Enfin, dans son avis du 13 septembre 2019, le médecin en chef chargé des pensions militaires d'invalidité relève l'absence de traumatisme avéré concernant les lombalgies et les cervicalgies et retient ainsi que ces troubles résultent de " maladies ". Par suite, aucune relation certaine et directe de cause à effet entre les cervicalgies dont souffre la requérante et le saut en parachute du 19 septembre 2003 ne peut être caractérisée.
Concernant le psoriasis :
16. La requérante se borne à soutenir que l'apparition de sa pathologie dermatologique, un psoriasis, est concomitante au saut traumatique du 19 septembre 2003 et n'a d'autre origine que le stress qu'elle a subi suite à ses blessures n'ayant jamais souffert d'une telle pathologie avant 2003. Cependant, l'argumentation relative à la temporalité concernant l'apparition de cette maladie est insuffisante et aucune des pièces médicales produites à la présente instance ne vient établir l'existence d'un lien de causalité direct et certain avec l'accident de saut en parachute survenu le 19 septembre 2003. Si un médecin affirme que " cette pathologie est apparue dans le contexte d'une anxiété importante liée à l'accident du 19 septembre 2003 " et qu'" il semblerait licite de considérer l'anxiété réactionnelle de cet accident comme le principal facteur ayant favorisé l'apparition de cette pathologie dermatologique et ainsi fixer un taux de PMI de 10 % ", ces affirmations renvoient à de simples hypothèses médicales concernant l'imputabilité de la pathologie au fait de service du 19 septembre 2003. Un autre médecin indique d'ailleurs pour sa part que cette pathologie " connu[e] depuis 2004 () ne présente pas un lien direct et déterminant avec un fait traumatique militaire () ". Par suite, aucune relation certaine et directe de cause à effet entre le psoriasis dont souffre la requérante et le saut en parachute du 19 septembre 2003 ne peut être caractérisée.
17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme C n'est pas fondée à soutenir que la ministre des armées aurait méconnu les dispositions précitées de l'article L. 121-1 et suivants du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre en ne reconnaissant pas de lien de causalité direct et certain entre les infirmités dont elle souffre et le fait de service du 19 septembre 2003.
18. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de Mme C tendant à l'annulation de la décision du 30 septembre 2020 doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
19. Le présent jugement n'implique aucune mesure d'exécution au titre des articles
L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Il y a lieu, en conséquence, de rejeter les conclusions présentées aux fins d'injonction par la requérante.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme C sollicite au titre des frais liés au litige et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme D C et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Gayrard, président,
Mme Bayada, première conseillère,
Mme Bossi, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 septembre 2022.
La rapporteure,
M. BossiLe président,
J.-Ph. Gayrard
La greffière,
B. Flaesch
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Montpellier, le 23 septembre 2022.
La greffière,
B. Flaeschil