Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires enregistrés les 22 juillet 2020, 10 novembre 2020 et
23 juin 2022, Mme C A demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler la décision en date du 2 juin 2020 par laquelle la directrice de l'EPHAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) de E l'a suspendue de ses fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois à compter du 2 juin 2020 ;
2°) de condamner l'EHPAD " D " à lui verser la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral subi ;
3°) de lui enjoindre de procéder à la reconstitution de sa carrière ;
4°) de mettre à la charge l'EHPAD " D " une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient dans le dernier état de ses écritures, que :
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'annulation :
- la décision attaquée méconnaît les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, dès lors que les faits reprochés ne sont pas vraisemblables ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
- elle a subi un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en le fixant à la somme de 1 500 euros.
Par trois mémoires, enregistrés les 28 septembre 2020, 2 juin 2022 et 29 novembre 2022, l'EPHAD " D ", représenté par Me Lacroix, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
L'EHPAD " D " fait valoir que les conclusions indemnitaires sont irrecevables en l'absence de demande indemnitaire préalable et qu'aucun des moyens que contient la requête n'est fondé. Il demande en outre que soit écartée des débats la pièce n° 3 communiquée le 23 juin 2022 par Mme A, dès lors que la transmission de cette pièce constitue une violation du secret médical.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code pénal ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. L'hôte, rapporteur ;
- les conclusions de M. Colera, rapporteur public ;
- les observations de Mme A et celles de Me Neven, substituant Me Lacroix, représentant l'EPHAD " D ".
Après avoir pris connaissance de la note en délibéré, enregistrée le 29 mai 2023 et présentée par Mme A.
Considérant ce qui suit
:
1. Mme A, aide-soignante titulaire, demande l'annulation de la décision en date du 2 juin 2020, par laquelle la directrice de l'EPHAD " D " l'a suspendue de ses fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois à compter du 2 juin 2020 pour avoir maltraité physiquement et moralement une patiente. Elle demande également le versement de la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral subi.
I- Sur les conclusions reconventionnelles tendant à ce qu'une pièce soit écartée des débats :
2. Aux termes de l'article
226-13 du code pénal : " La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de
15 000 euros d'amende. ".
3. Mme A a produit un fichier électronique servant à la transmission des informations, notamment médicales, entre les membres du personnel soignant et concernant la patiente qu'elle est accusée d'avoir maltraitée. La communication spontanée au tribunal de cette pièce par Mme A constitue une méconnaissance des dispositions de l'article
226-13 du code pénal, qu'il appartient à l'EPHAD " D " ou aux héritiers de cette patiente décédée, s'ils l'estiment opportun, de poursuivre devant les juridictions répressives. Néanmoins, cet article ne fait pas, dès lors qu'il ne le prévoit pas expressément, obstacle au pouvoir et au devoir qu'a le juge administratif de joindre au dossier, sur production spontanée d'une partie, des éléments d'information ainsi que de statuer au vu de ces pièces après en avoir ordonné la communication pour en permettre la discussion contradictoire, dans la mesure toutefois où cette communication à l'autre partie ne constitue pas, en elle-même, une méconnaissance de cet article, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que ce fichier, communiqué seulement à l'EHPAD " La Seigneurerie ", émane de cet établissement. Il s'ensuit que les conclusions reconventionnelles tendant à ce que cette pièce soit écartée des débats doivent être écartées.
II- Sur les conclusions aux fins d'annulation :
4. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / (). " Ces dispositions trouvent à s'appliquer dès lors que les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.
5. Il ressort des pièces du dossier qu'à la fin du mois de (ANO)mai(/ANO) 2020, une patiente qui avait développé une forme grave de COVID-19 pendant les mois de 2020, s'est plainte auprès de l'équipe soignante de maltraitances physiques et morales subies de la part de Mme A pendant cette période. Ces maltraitances ont consisté en des propos injurieux, des gestes brusques, le jet d'un coussin, des coups dans le dos, un abandon sur le lit dans une position inconfortable et le rétablissement, après quelques heures, dans une position plus confortable de façon brusque. Elles sont consignées dans un compte rendu des propos tenus par cette patiente et recueillis par la cadre supérieure de santé, compte rendu signé par la patiente le 2020. Ces faits sont au surplus corroborés par quatre courriels en date des 2020, 2020, 2020, par lesquels la psychomotricienne, la psychologue, l'infirmière psychiatrique et le médecin-gériatre de l'équipe soignante font état des propos tenus devant eux par la patiente, relatant les mêmes maltraitances. Enfin, dans un rapport rédigé le 2020, la cadre supérieure de santé de l'établissement rapporte avoir eu un entretien avec Mme A le 2020, entretien au cours duquel cette dernière n'a pas nié les faits et a expliqué qu'elle agissait comme on le fait dans les pays (ANO)asiatiques(/ANO) et que grâce à elle la patiente remarchait et n'avait plus de protections. Si Mme A produit 17 attestations émanant d'une infirmière, d'un aide-soignant et de quinze aides-soignantes qui ont travaillé avec elle et font état de ce qu'elles n'ont jamais vu la requérante maltraiter des patients, il ne ressort pas des pièces du dossier et n'est du reste pas soutenu par l'intéressée que les soins sont toujours dispensés en binôme au sein de l'EPHAD " D " et en particulier qu'ils l'ont été en ce qui concerne la patiente qui s'est plainte de maltraitances. En outre, en se bornant à se prévaloir d'une " invraisemblance temporelle des accusations ", Mme A n'établit pas qu'elle n'aurait pas dispensé de soins à cette patiente en 2020. Enfin, s'il ressort du fichier électronique de transmission d'informations concernant cette patiente qu'elle a eu en février 2022 des comportements caractérisant une psychose se manifestant par la crainte d'un empoisonnement, cette maladie, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle se serait manifestée avant, n'est pas de nature à remettre en cause les propos cohérents répétés par cette patiente dans les mêmes termes devant cinq témoins différents sur les maltraitances dont elle a fait l'objet de la part de Mme A en 2020. Il en va de même de la circonstance, mentionnée dans l'une des attestations produites par Mme A, que la patiente maltraitée, d'origine (ANO)vietnamienne(/ANO), a fait part à une aide-soignante en juin 2020 qu'elle craignait Mme A en raison de ses origines (ANO)chinoises(/ANO). Dans ces conditions, il ressort des pièces du dossier que les faits imputés à Mme A présentaient un caractère suffisant de vraisemblance. Au surplus, au regard des éléments exposés, leur gravité, au demeurant non contestée, est avérée. Dans ces conditions, ces faits justifiaient que Mme A fasse l'objet d'une suspension. Dès lors, la décision attaquée ne méconnaît pas les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et n'est pas entachée d'erreur d'appréciation.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A n'est pas fondée à demander l'annulation la décision en date du 2020, par laquelle la directrice de l'EPHAD " D " l'a suspendue de ses fonctions à titre conservatoire pour une durée de quatre mois à compter du 2020.
III- Sur les conclusions indemnitaires :
7. En l'absence de faute de l'administration, les conclusions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité.
IV- Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Aux termes de l'article
L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ". Aux termes de son article L. 911-2 : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision intervienne dans un délai déterminé. ". Enfin, aux termes de son article L. 911-3 : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles
L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. ".
9. Le présent jugement, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions susvisées doivent être rejetées.
V- Sur les frais liés au litige :
10. Aux termes de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
11. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'EHPAD " D ", qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A, qui au demeurant n'a pas présenté sa requête par le ministère d'un avocat, réclame au titre des frais liés à l'instance. Au surplus, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de Mme A le versement de la somme demandée par l'EHPAD " D ", au titre des frais liés au litige.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'EPHAD " D ", présentées sur le fondement des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme C A et à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes de " D ".
Délibéré après l'audience du 26 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Salzmann, présidente,
- Mme de Bouttemont, première conseillère,
- M. L'hôte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2023.
Le rapporteur,La présidente,SignéSigné F. L'hôteM. SalzmannLa greffière,SignéA. Capelle
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.