Chronologie de l'affaire
Cour d'appel d'Agen 28 février 2012
Cour de cassation 25 septembre 2013

Cour de cassation, Chambre sociale, 25 septembre 2013, 12-18459

Mots clés préjudice · risque · salariés · réparation · amiante · maladie · anxiété · société · existence · trouble · sécurité sociale · sécurité Sociale · indemnisation · preuve · procédure civile

Synthèse

Juridiction : Cour de cassation
Numéro affaire : 12-18459
Dispositif : Cassation partielle sans renvoi
Décision précédente : Cour d'appel d'Agen, 28 février 2012
Président : M. Lacabarats (président)
Avocat(s) : SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2013:SO01587

Chronologie de l'affaire

Cour d'appel d'Agen 28 février 2012
Cour de cassation 25 septembre 2013

Texte

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... et six autres salariés de la société Babcock Wanson (la société) ont présenté leur démission pour prétendre au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) en application de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ; qu'ils ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir la condamnation de la société à leur verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts réparant leur préjudice économique, ainsi qu'un préjudice d'anxiété résultant de leur exposition à l'amiante ;

Sur le premier moyen

:

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de diverses sommes en réparation d'un préjudice d'anxiété et du bouleversement dans les conditions d'existence subis par les requérants, alors, selon le moyen :

1°/ que tant le conseil des prud'hommes que la cour d'appel d'Agen ont relevé que la société Babcock Wanson avait contesté le droit à indemnisation des prétendues victimes en l'absence de tout « état pathologique constaté » et en l'absence de toute « preuve médicale » ; que de surcroît l'exposante faisait valoir que le risque d'anxiété dans la population concernée s'avérait inférieur à 3 % et pouvait, en ce cas, être
« médicalement pris en charge » ; qu'en se contentant d'affirmer que tous les demandeurs seraient recevables à invoquer « une situation d'inquiétude permanente » caractérisant un préjudice d'anxiété et une impossibilité invalidante d'envisager l'avenir, sans répondre au moyen fondé sur la nécessité d'établir médicalement le trouble psycho-social invoqué, la cour d'Agen a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en imputant à une faute de l'employeur une « forte inquiétude » permanente de nature à entraîner « une modification dans les conditions d'existence » et en caractérisant l'ampleur de ces troubles psychiques consécutifs à l'activité professionnelle par des indemnités atteignant respectivement 5 000 et 3 000 euros, la cour d'appel d'Agen, qui déclare par ailleurs que les « salariés appelants ne sont pas malades », prive sa décision de toute base légale au regard des articles L. 451-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale et, par fausse application, 1147 du code civil ;

3°/ que l'anxiété consécutive à une prétendue exposition à des agents nocifs, dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail constitue une maladie d'origine professionnelle hors tableau et doit, comme telle, relever du contrôle des organismes gestionnaires du risque de maladie professionnelle prévus par les articles L. 461-1 et D. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale ; que de surcroît, ce trouble psychique doit, en vertu de l'article L. 451-1 être porté au contentieux exclusivement devant les juridictions de sécurité sociale de sorte qu'en affirmant la recevabilité des demandes formées devant le juge prud'homal par les anciens salariés de Babcock, et en constatant, par elle-même, l'existence de l'anxiété perturbatrice affectant les travailleurs, en en appréciant l'importance chez chacun d'eux et en évaluant la réparation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ainsi que l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

Mais attendu, d'abord, que répondant aux conclusions prétendument délaissées, la cour d'appel, qui a constaté que les salariés, qui avaient travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouvaient, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, a ainsi caractérisé l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété qu'elle a souverainement évalué ;

Et attendu, ensuite, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des pièces de la procédure, que la société avait conclu devant la cour d'appel à l'incompétence de la juridiction prud'homale au profit des juridictions de sécurité sociale ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa troisième branche comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais

sur le second moyen

pris en sa cinquième branche :

Vu l'article 1147 du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice ;

Attendu que pour condamner leur ancien employeur à leur verser diverses sommes en réparation du préjudice résultant du bouleversement de leurs conditions d'existence, la cour d'appel énonce que les salariés exposés à l'amiante subissent un risque de diminution de leur espérance de vie et de développer une maladie grave les empêchant d'envisager sereinement leur avenir ; qu'ils peuvent être amenés à modifier, en raison de ce risque, les orientations de leur vie quotidienne et leurs projets de vie ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres branches du second moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Babcock Wanson à payer diverses sommes en réparation du bouleversement dans les conditions d'existence, l'arrêt rendu le 28 février 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette les demandes de réparation du bouleversement dans les conditions d'existence ;

Laisse à chacune des parties, la charge des dépens par elle exposés ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille treize.

MOYENS ANNEXES

au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour la société Babcock Wanson.


PREMIER MOYEN DE CASSATION


(preuve de l'anxiété et des troubles dans les conditions d'existence)

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du Conseil des prud'hommes ayant déclaré les défendeurs au pourvoi recevables dans leur action, et ayant retenu l'existence d'un préjudice dit d'anxiété, d'avoir majoré à hauteur de 5.000 ¿ la réparation de ce préjudice et d'avoir accueilli, en outre, un préjudice correspondant à « un trouble dans les conditions d'existence justifiant une indemnisation distincte de 3.000 ¿ » ;

AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES QUE « les dispositions de la loi du 23 décembre 1998, organisant le dispositif de départ à la retraite anticipée pour les personnes exposées aux fibres d'amiante n'ont pas pour effet d'écarter la possibilité pour les salariés de saisir le Conseil afin de faire reconnaître l'existence d'un préjudice lié à leur état de santé en lien avec leur activité ; (¿) que pour ce qui est des salariés ayant bénéficié du dispositif ACAATA, il peut être retenu qu'en raison de leur exposition à l'amiante ils se trouvent face à un risque de déclaration inopinée d'une maladie grave ; que pour autant que cette exposition doit être avérée, démontrée par des relevés de taux d'empoussièrement dûment établis ; qu'il convient d'établir qu'un suivi médical régulier est effectué, et que par ailleurs des éléments de preuve d'un phénomène d'anxiété soient tracés par le médecin traitant ; que le lien d'anxiété et l'exposition au risque d'amiante doit être également avéré ; que les plaignants avancent avoir fait l'objet d'une contamination par le biais des fibres d'amiante au pouvoir cancérigène avéré ; que la contamination d'un organisme vivant par un agent vivant ou par une substance minérale a pour effet d'entraîner potentiellement une maladie ; qu'aucun salarié, soit parmi les plaignants, soit parmi les autres membres de l'entreprise n'a développé de maladie grave liée à l'amiante ;
qu'aucun témoignage émanant du médecin du travail ne fait le lien direct entre l'anxiété dont seraient victimes sans distinction tous les salariés en raison de leur activité dans l'entreprise ; que pour autant qu'il ne peut être préjugé du développement ou non de la maladie, en la matière la période dite d'incubation s'exprimant en dizaines d'années ; qu'il pourra être au bénéfice du doute retenu le principe de la matérialité d'un préjudice d'anxiété, lequel pour autant rappelons-le n'est en rien avéré, il sera accordé aux seuls salariés ayant quotidiennement été exposés une indemnité de 3.000 ¿ » ;

ET AUX MOTIFS PROPRES QUE « que les salariés ont tous été exposés à l'inhalation des poussières d'amiante au cours de la relation de travail, soit : - de 1983 à 2005 pour M. X..., - de 1975 à 1992 pour M. Y..., - de 1983 à 2005 pour M. Z..., - de 1979 à 1998 pour M. A..., - de 1973 à 2007 pour M. B..., - de 1984 à 2002 pour M. C... ; que s'agissant de Madame D..., elle a exercé les fonctions de secrétaire comptable de l'entreprise de 1972 à 2004 ; qu'un plan des lieux montre que les bureaux étaient implantés près des ateliers qu'elle était obligée de traverser fréquemment ; que les attestations produites montrent de façon claire et précise la présence d'une poussière importante sur l'ensemble du site en raison de la nature de ses activités ;
qu'elle a donc été exposée de la même manière aux poussières d'amiante ; que l'employeur n'ayant pas satisfait à son obligation de sécurité de résultat, les salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sont recevables et biens fondés à solliciter l'indemnisation du préjudice qui en découle ; sur l'indemnisation du préjudice : qu'il n'est pas contesté que les salariés appelants ne sont pas actuellement malades mais qu'ils ont été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante ; qu'il est amplement démontré par les appelants que l'amiante est une substance cancérigène susceptible de provoquer différentes maladies et notamment un cancer du poumon ou de la plèvre ; que les salariés soumis à ce risque se trouvent par le fait de l'employeur dans une inquiétude permanente liée à l'angoisse de développer à plus ou moins brève échéance une maladie pouvant être invalidante et mortelle ; que cette inquiétude est d'autant plus forte que ces salariés ont vu nombre de leurs collègues de travail décéder des conséquences de ces maladies ; qu'ils doivent en outre régulièrement subir des examens médicaux de contrôle propres à réactiver cette angoisse ; que les salariés appelants caractérisent ainsi un préjudice d'anxiété qu'il convient d'indemniser en leur allouant des dommages et intérêts d'un montant de 5.000 ¿ ; qu'il y a lieu de réformer la décision déférée en ce sens ; que les salariés exposés à l'amiante subissent en outre, en raison de la diminution de leur espérance de vie et du risque de développer une maladie grave, risque dont ils sont particulièrement conscients, une modification dans leurs conditions d'existence ; que ces salariés ne peuvent en effet envisager sereinement leur avenir et peuvent être amenés à modifier, en raison de ce risque, les orientations de leur vie quotidienne et leurs projets de vie ; qu'ils en subissent donc un préjudice distinct du préjudice d'anxiété, et distinct de la diminution de leurs ressources en raison de leur adhésion au dispositif ACAATA dont ils bénéficient par ailleurs ; qu'il y a lieu d'indemniser ce préjudice en allouant à chacun des salariés concernés des dommages et intérêts d'un montant de 3.000 ¿ » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE tant le Conseil des prud'hommes que la Cour d'AGEN ont relevé que la société BABCOCK WANSON avait contesté le droit à indemnisation des prétendues victimes en l'absence de tout « état pathologique constaté » (jugement p.8 al.3) et en l'absence de toute « preuve médicale » (arrêt p.5 al.10 et s.) ; que de surcroît l'exposante faisait valoir (conclusions p.7) que le risque d'anxiété dans la population concernée s'avérait inférieur à 3 % et pouvait, en ce cas, être « médicalement pris en charge » ; qu'en se contentant d'affirmer que tous les demandeurs seraient recevables à invoquer « une situation d'inquiétude permanente » caractérisant un préjudice d'anxiété et une impossibilité invalidante d'envisager l'avenir, sans répondre au moyen fondé sur la nécessité d'établir médicalement le trouble psycho-social invoqué, la Cour d'AGEN a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'en imputant à une faute de l'employeur une « forte inquiétude » permanente de nature à entraîner « une modification dans les conditions d'existence » et en caractérisant l'ampleur de ces troubles psychiques consécutifs à l'activité professionnelle par des indemnités atteignant respectivement 5.000 et 3.000 ¿, la Cour d'AGEN, qui déclare par ailleurs que les « salariés appelants ne sont pas malades », prive sa décision de toute base légale au regard des articles L.451-1 et L.461-1 du Code de la Sécurité Sociale et, par fausse application, 1147 du Code civil ;

ALORS, DE TROISIEME PART, ET SUBSIDIAIREMENT QUE l'anxiété consécutive à une prétendue exposition à des agents nocifs, dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail constitue une maladie d'origine professionnelle hors tableau et doit, comme telle, relever du contrôle des organismes gestionnaires du risque de maladie professionnelle prévus par les articles L.461-1 et D.461-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale ; que de surcroît, ce trouble psychique doit, en vertu de l'article L.451-1 être porté au contentieux exclusivement devant les juridictions de Sécurité Sociale de sorte qu'en affirmant la recevabilité des demandes formées devant le juge prud'homal par les anciens salariés de BABCOCK, et en constatant, par elle-même, l'existence de l'anxiété perturbatrice affectant les travailleurs, en en appréciant l'importance chez chacun d'eux et en évaluant la réparation, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ainsi que l'article L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale.

SECOND MOYEN DE CASSATION SUBSIDIAIRE

(mauvaise application du droit commun)

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR reconnu l'existence de préjudices d'anxiété et de troubles dans les conditions d'existence et d'AVOIR condamné à ce titre l'employeur à verser à chacun des 7 défendeurs au pourvoi des indemnités atteignant respectivement 5.000 et 3.000 ¿ ;

AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES QUE « les dispositions de la loi du 23 décembre 1998, organisant le dispositif de départ à la retraite anticipée pour les personnes exposées aux fibres d'amiante n'ont pas pour effet d'écarter la possibilité pour les salariés de saisir le Conseil afin de faire reconnaître l'existence d'un préjudice lié à leur état de santé en lien avec leur activité » (p.8) ; (¿) qu'il pourra être au bénéfice du doute retenu le principe de la matérialité d'un préjudice d'anxiété, lequel pour autant rappelons le n'est en rien avéré, il sera accordé aux seuls salariés ayant quotidiennement été exposés une indemnité de 3.000 ¿ » (p.9) ;

ET AUX MOTIFS PROPRES QUE « que les salariés ont tous été exposés à l'inhalation des poussières d'amiante au cours de la relation de travail, soit : - de 1983 à 2005 pour M. X..., - de 1975 à 1992 pour M. Y..., - de 1983 à 2005 pour M. Z..., - de 1979 à 1998 pour M. A..., - de 1973 à 2007 pour M. B..., - de 1984 à 2002 pour M. C... ; que s'agissant de Madame D..., elle a exercé les fonctions de secrétaire comptable de l'entreprise de 1972 à 2004 ; qu'un plan des lieux montre que les bureaux étaient implantés près des ateliers qu'elle était obligée de traverser fréquemment ; que les attestations produites montrent de façon claire et précise la présence d'une poussière importante sur l'ensemble du site en raison de la nature de ses activités ;
qu'elle a donc été exposée de la même manière aux poussières d'amiante ; que l'employeur n'ayant pas satisfait à son obligation de sécurité de résultat, les salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sont recevables et biens fondés à solliciter l'indemnisation du préjudice qui en découle ; sur l'indemnisation du préjudice : qu'il n'est pas contesté que les salariés appelants ne sont pas actuellement malades mais qu'ils ont été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante ; qu'il est amplement démontré par les appelants que l'amiante est une substance cancérigène susceptible de provoquer différentes maladies et notamment un cancer du poumon ou de la plèvre ; que les salariés soumis à ce risque se trouvent par le fait de l'employeur dans une inquiétude permanente liée à l'angoisse de développer à plus ou moins brève échéance une maladie pouvant être invalidante et mortelle ; que cette inquiétude est d'autant plus forte que ces salariés ont vu nombre de leurs collègues de travail décéder des conséquences de ces maladies ; qu'ils doivent en outre régulièrement subir des examens médicaux de contrôle propres à réactiver cette angoisse ; que les salariés appelants caractérisent ainsi un préjudice d'anxiété qu'il convient d'indemniser en leur allouant des dommages et intérêts d'un montant de 5.000 ¿ ; qu'il y a lieu de réformer la décision déférée en ce sens ; que les salariés exposés à l'amiante subissent en outre, en raison de la diminution de leur espérance de vie et du risque de développer une maladie grave, risque dont ils sont particulièrement conscients, une modification dans leurs conditions d'existence ; que ces salariés ne peuvent en effet envisager sereinement leur avenir et peuvent être amenés à modifier, en raison de ce risque, les orientations de leur vie quotidienne et leurs projets de vie ; qu'ils en subissent donc un préjudice distinct du préjudice d'anxiété, et distinct de la diminution de leurs ressources en raison de leur adhésion au dispositif ACAATA dont ils bénéficient par ailleurs ; qu'il y a lieu d'indemniser ce préjudice en allouant à chacun des salariés concernés des dommages et intérêts d'un montant de 3.000 ¿ » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE hormis le dispositif exceptionnel mis en place, pour les personnes exposées à l'amiante, par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, le risque de préjudice n'est pas, en soi, indemnisable dans le cadre du droit commun ; qu'ayant énoncé que les salariés demandeurs ne sont pas actuellement malades, la Cour d'AGEN qui se borne à retenir que les salariés sont soumis à un « risque » de développer une maladie de l'amiante et à un « risque de développer une maladie grave » susceptible de modifier les « conditions d'existence » pour justifier la condamnation de l'employeur sur la base de l'article 1147 du Code civil viole ce texte par fausse application ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'il résulte de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 éclairé par les travaux parlementaires, que l'objet même de l'allocation ACAATA est de couvrir exceptionnellement et de façon forfaitaire l'aléa de voir apparaître une pathologie de l'amiante et de permettre aux salariés, non malades mais simplement exposés au risque, de partir en retraite de façon anticipée pour tenir compte de la « réduction des espérances de vie » ; qu'ayant relevé que des demandeurs étaient déjà bénéficiaires de cette prestation de Sécurité Sociale, la cour d'appel ne pouvait sans méconnaître ce dispositif assurantiel et réaliser un cumul d'indemnisations en violation du texte susvisé et de l'article 1147 du Code civil justifier les sommes allouées aux salariés demandeurs, non actuellement malades, par l'éventualité de voir se développer une maladie de l'amiante et la perte corrélative des « espérances » de vie, ce qui correspond exactement à l'aléa faisant déjà l'objet de la prestation exceptionnelle de Sécurité Sociale susvisée ;

ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE même en droit commun, il appartient à celui qui entend obtenir une réparation au titre d'un préjudice personnel d'en démontrer la réalité et l'étendue, de sorte qu'en dispensant chaque salarié demandeur d'apporter la preuve de son état personnel d'anxiété ainsi que de l'ampleur de son trouble, en se contentant d'affirmer - en l'absence de la moindre constatation - qu'ils se trouveraient tous dans la même situation quant au risque, quant à l'anxiété et quant aux troubles dans les conditions d'existence, la cour d'appel a méconnu, ensemble les articles 1315 et 1147 du Code civil, ainsi que le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;

ALORS, DE SURCROIT, QUE l'employeur avait expressément rappelé la nécessité de procéder, pour chaque demande, à un « examen particulier » (arrêt p.5 al.9) ; qu'en passant outre à ces conclusions pour affirmer au contraire que tous les salariés étaient anxieux et subissaient la même atteinte à leur condition d'existence, la cour d'appel qui alloue collectivement des indemnités identiques à l'ensemble des salariés demandeurs a rendu un arrêt de règlement en violation de l'article 5 du Code civil ;

ALORS, ENFIN ET DE FACON INFINIMENT SUBSIDIAIRE, QUE le risque de voir se développer « à plus ou moins brève échéance une pathologie invalidante et mortelle » et le fait de se trouver dans une « situation d'inquiétude permanente » face à ce risque au titre desquels la cour d'appel alloue, sous couvert d'un « préjudice d'anxiété » une indemnité de 5.000 ¿ (p.7 al.5) ne sauraient constituer des préjudices distincts de la conscience de « la diminution des espérances de vie » et de la possibilité « d'anticiper sereinement l'avenir » au titre desquels la cour d'appel alloue, sous couvert « d'une modification dans les conditions d'existence », une autre indemnité de 3.000 ¿ (p.17 al.1 et 2) ; qu'en organisant un tel cumul d'indemnisation sans caractériser la spécificité des dommages prétendument subis, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ainsi que le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit.