LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 mars 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 159 F-D
Pourvoi n° M 20-12.947
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 MARS 2022
M. [V] [E], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 20-12.947 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2019 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la Société financière Antilles Guyane (Sofiag), société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], nouvellement dénommée Soredom, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [E], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la Société financière Antilles Guyanne, nouvellement dénommée Soredom, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 9 septembre 2019), par un acte du 29 juin 1985, la société Soderag, aux droits de laquelle est venue la Société financière Antilles Guyane (la Sofiag), dont la nouvelle dénomination est Soredom, a consenti à la société Computer Guadeloupe un prêt garanti par le cautionnement de M. [M], auquel s'est substitué, le 20 août 1987, M. [E]. Après avoir prononcé la déchéance du terme du prêt, la Sofiag a assigné M. [E] en paiement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
2. En application de l'article
1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
3. M. [E] fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la Sofiag la somme de 5 000 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile, alors « que le juge doit se prononcer seulement sur ce qui lui est demandé ; qu'en l'espèce, aux termes de ses conclusions notifiées le 19 septembre 2018, la Sofiag sollicitait devant la cour d'appel la condamnation de M. [E] à lui payer une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile ; qu'en condamnant M. [E] à lui verser une somme de 5 000 euros à ce titre, la cour d'appel, qui a statué ultra petita, a violé les articles
4 et
5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. La Sofiag conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le prononcé sur des choses non demandées ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation, mais une irrégularité qui ne peut être réparée que selon la procédure prévue aux articles
463 et
464 du code de procédure civile.
5. Cependant, le décret n° 2014-1338 du 6 novembre 2014 ayant supprimé, à l'article
616 du code de procédure civile la référence à l'article
464 du même code, le prononcé sur des choses non demandées constitue un cas d'ouverture à cassation.
6. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles
4 et
5 du code de procédure civile :
7. Aux termes du premier de ces textes, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Aux termes du second, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.
8. L'arrêt condamne M. [E] à verser à la Sofiag la somme de 5 000 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile.
9. En statuant ainsi, alors que la Sofiag avait demandé l'allocation d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article
1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles
L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et
627 du code de procédure civile.
11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
12. En application de l'article
700 du code de procédure civile, il y a lieu de condamner M. [E] à verser à la Sofiag la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés lors de l'instance d'appel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [E] à verser à la Société financière Antilles Guyane (Sofiag), nouvellement dénommée Soredom, la somme de 5 000 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Statuant à nouveau ;
Condamne M. [E] à verser à la Société financière Antilles Guyane (Sofiag), nouvellement dénommée Soredom, en application de l'article
700 du code de procédure civile, la somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés lors de l'instance d'appel ;
Condamne la Société financière Antilles Guyane (Sofiag), nouvellement dénommée Soredom, aux dépens ;
En application de l'article
700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées dans le cadre du pourvoi ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. [E].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné M. [E], en sa qualité de caution solidaire de la société Computer Guadeloupe, à payer à la Société Financière Antilles Guyane (Sofiag) la somme de 128 812 €
AUX MOTIFS QUE sur la contestation relative à l'intérêt à agir de la Sofiag,
Qu'il résulte de l'article
954 du code de procédure civile que la partie qui demande la confirmation du jugement entrepris est réputée s'en approprier les motifs ;
Que pour déclarer irrecevables les demandes présentées par la Sofiag à l'encontre de M. [E], le tribunal a relevé dans les motifs de sa décision que la Soderag avait valablement cédé à la société Sodega son portefeuille de créances les 1er et 2 décembre 1998, et que M. [E] ne pouvait sérieusement soutenir l'absence d'identification de la créance détenue contre la société Computer Guadeloupe parmi les créances cédées, mais qu'en l'absence de justification de la signification de la cession de créance à la société Computer Guadeloupe et à la caution, celle-ci ne pouvait lui être opposable ;
Que la transmission de la créance à la Sofiag, société absorbante de la société Soderag n'était pas alors opposable à M. [E] ;
Que toutefois, la Sofiag soutient avec raison que la signification d'une cession de créance exigée par l'article
1690 du code civil au débiteur et à la caution peut intervenir par voie de conclusions, lors d'une procédure judiciaire, dès lors qu'elles contiennent comme en l'espèce, les éléments nécessaires à une exacte information relative au transfert de la créance ;
Que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
Que sur la validité contestée de l'acte de cautionnement et de la portée de l'engagement de caution,
Que M. [E] conclut au visa de l'article
1116 du code civil à la nullité de l'acte de cautionnement, souscrit pour vice de consentement, en faisant valoir que les autres garanties énumérées dans l'acte de prêt du 26 septembre 2015 sic (en réalité 1985) étaient en réalité inexistantes, telles que : un fonds de garantie, un nantissement de bail commercial et un cautionnement de la société Eco Barth ;
Qu'il résulte toutefois des clauses générales du contrat de prêt consenti à la société Computer Guadeloupe, que le fonds de garantie inter emprunts entre les bénéficiaires des prêts dispensés par la Soderag et auquel M. [E] fait référence, ne constitue pas une sûreté prise en garantie du remboursement du prêt mais un mode de financement des prêts dispensés par la Soderag, constitué par le prélèvement d'une quote-part sur le montant emprunté, remboursable en fin de prêt ;
Que dès lors que M. [E] prétend que son consentement à se porter caution a été vicié par le dol, il lui incombe de rapporter la preuve de manoeuvres ou de caractériser une abstention fautive même non appuyée d'actes extérieurs l'ayant déterminé à s'engager ;
Que la simple allégation d'une appréciation erronée sur la solvabilité du fonds de garantie mais considérée comme étant suffisante lors de la souscription de l'acte de cautionnement pour laisser la caution espérer ne pas devoir faire face à ses obligations ne peut être retenue pour un dol ;
Que par ailleurs, M. [E] ne peut valablement reprocher au créancier de n'avoir pas inscrit le nantissement sur le bail commercial prévu au contrat de prêt en laissant ainsi dépérir une sûreté, dès lors qu'en sa qualité de gérant de la société Computer Guadeloupe, il a obtenu du juge commissaire à la procédure collective de la société la résiliation amiable du bail en contrepartie de l'abandon de loyers impayés ;
Qu'enfin, la cour constate sans avoir à suivre M. [E] dans les méandres de ses explications, que la Sofiag justifie du montant de la créance réclamée dont le principal a fait l'objet d'une déclaration de créance le 22 août 1994, dans la procédure collective de la société Computer Guadeloupe, créance admise pour un montant de 247 119F incluant le capital restant dû au titre du prêt d'un montant de 153275F ; que cette créance a été majorée des intérêts au taux contractuel de 13,19% pour s'établir selon le décompte du 17 janvier 2013 à la somme totale de 129 812 € ;
Que la Sofiag justifie avoir adressé à la caution les courriers annuels d'information de la caution malgré les allégations contraires de M. [E] les estimant illisibles pour certaines, incomplètes comme étant sans en tête pour d'autres ou encore sans preuve de leur distribution ;
Que de l'ensemble des constatations qui viennent d'être effectuées, la cour estime devoir ajouter aux dispositions tendant à réformer le jugement critiqué, la condamnation de M. [E] en sa qualité de caution solidaire de la société Computer Guadeloupe, à payer à la Sofiag la somme de 129 812 €, en principal et intérêts ;
1) ALORS QUE dans ses conclusions, M. [E] a fait valoir qu'aux termes de l'article 19-2 de la loi du 24 janvier 1984 alors applicable, une banque devait jouir d'un agrément à défaut de quoi, elle ne pouvait accomplir les opérations relevant de son activité et qu'en l'espèce, la Sofiag ne justifiait pas de la qualité pour agir, faute de tenir ses droits d'une suite d'opérations régulières ; qu'ainsi, la Sofiag prétend venir aux droits de la Sodega par l'effet d'une fusion absorption entre la société Antilles Guyane Participation et la Sodega, elle-même venant aux droits de la Soderag par un acte de cession globale de créances du 2 décembre 1998 mais qu'à cette date, la Soderag ne disposait plus d'un agrément, retiré en juin 1998 avec effet immédiat ; que M. [E] déduisait de cet acte accompli par un établissement ne pouvant plus effectuer des opérations de banque que la Sofiag n'avait pas qualité à agir contre lui, la Soderag n'ayant pu transférer quelque créance que ce soit, à défaut d'agrément ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen expressément développé dans les conclusions de M. [E], la cour d'appel qui a néanmoins retenu que la Sofiag avait qualité à agir pour obtenir le paiement d'une créance qui n'avait pas pu lui être régulièrement cédée a, en statuant ainsi, méconnu les exigences de l'article
455 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE dans ses conclusions, M. [E] a fait valoir que, si la signification d'une cession de créance pouvait s'opérer par conclusions lors de l'instance en paiement, celles-ci devaient comporter les éléments nécessaires à une information exacte quant à la créance et à son transfert, celle-ci devant être individualisée et identifiée, spécialement dans le cas où la créance avait été cédée par une cession globale de créances ; qu'en se bornant à affirmer que les conclusions de la Sofiag contiennent les éléments nécessaires à une exacte information relative au transfert de la créance, la cour d'appel n'a pas, faute d'avoir précisé quels éléments relatifs à la créance d'une part et à son transfert, d'autre part, étaient mentionnés, permis le contrôle du caractère suffisant à l'identification de la créance et aux modalités de son transfert de ces éléments ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article
455 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE dans ses conclusions, M. [E] a fait valoir qu'en cas de fusion-absorption, la caution n'est tenue envers la société absorbante, dans le cas où la dette est née avant la fusion, qu'à la condition de s'engager envers celle-ci ; qu'en l'espèce, M. [E] ne s'était pas engagé envers la Sofiag, que la société Sodega, société absorbée, ne disposait pas d'une créance envers lui, celle que la Soderag, société cédée détenait n'ayant pas été valablement transportée avant la fusion absorption, et enfin, que la cession de créance, non signifiée à la caution, ne l'avait pas davantage été valablement au débiteur cédé, la société Computer Guadeloupe ; qu'il se déduisait de ces moyens que la Sofiag ne justifiait pas détenir une créance, dont elle pouvait valablement demander le paiement, faute de respect lors des transferts successifs de la créance du formalisme légal et faute d'engagement pris envers elle par la caution ; qu'en se bornant à affirmer que la signification d'une cession de créance peut s'opérer par voie de conclusions, pour dire que la Sofiag avait qualité pour agir en paiement contre la caution, M. [E], la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article
455 du code de procédure civile ;
4) ALORS QUE l'engagement de la caution est nul dans le cas où il est donné par erreur, celle-ci étant provoquée par le créancier qui la trompe quant aux garanties qui assureront le paiement de la créance garantie ; qu'en l'espèce, M. [E] s'est substitué à M [M] dans le cautionnement qu'il avait consenti, en la considération erronée des garanties entourant le contrat initial, soit le nantissement du bail commercial, le soutien du fonds de garantie, destiné à se substituer au débiteur défaillant, et la caution de la société Eco Barth ; que toutefois, la société créancière n'a pas inscrit le nantissement du bail commercial, le fonds de garantie, alimenté par le prélèvement de 5% sur le montant de l'emprunt, a disparu, et la société Eco Barth ne s'est pas engagée ; qu'en conséquence, l'erreur provoquée par de fausses assurances quant à la réalité et à l'étendue de l'engagement donné et du risque de mobilisation du cautionnement obtenu, a entaché celui-ci de nullité pour tromperie déterminante du consentement ; qu'en refusant d'annuler le cautionnement donné par M. [E], la cour d'appel a violé les articles 1137 ensemble l'article
1139 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. [E] à verser à la Société Financière Antilles Guyane (Sofiag) la somme de 5.000 € en application de l'article
700 du code de procédure civile,
AUX MOTIFS QUE M. [V] [E] est en outre condamné à verser à la SAS Société Financière Antilles Guyane (Sofiag), la somme de 5.000 euros en application de l'article
700 du code de procédure civile ;
ALORS QUE le juge doit se prononcer seulement sur ce qui lui est demandé ; qu'en l'espèce, aux termes de ses conclusions notifiées le 19 septembre 2018, la Sofiag sollicitait devant la cour d'appel la condamnation de M. [E] à lui payer une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile ; qu'en condamnant M. [E] à lui verser une somme de 5.000 euros à ce titre, la cour d'appel, qui a statué ultra petita, a violé les articles
4 et
5 du code de procédure civile.