Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème Chambre, 11 juin 2021, 20NT01476

Synthèse

  • Juridiction : Cour administrative d'appel de Nantes
  • Numéro d'affaire :
    20NT01476
  • Type de recours : Exces de pouvoir
  • Décision précédente :tribunal administratif de Nantes, 6 décembre 2019
  • Lien Légifrance :https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/CETATEXT000043677062
  • Rapporteur : Mme Karima BOUGRINE
  • Rapporteur public :
    M. GIRAUD
  • Président : M. PEREZ
  • Avocat(s) : GRENIER
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Chronologie de l'affaire

Cour administrative d'appel de Nantes
2021-06-11
tribunal administratif de Nantes
2019-12-06

Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Procédure contentieuse antérieure : Mme D... G... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités diplomatiques françaises en République centrafricaine rejetant les demandes de visa de long séjour présentées, au titre de la réunification familiale, pour les jeunes E... L... F... et A... I... qu'elle présente comme ses enfants. Par un jugement n°1800831 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête, enregistrée le 11 mai 2020, Mme G..., agissant en son nom propre et pour le compte des mineurs E... Fortuna F... et A... I..., représentée par Me Grenier, demande à la cour : 1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 décembre 2019 ; 2°) d'annuler la décision contestée ; 3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités ; 4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Elle soutient que : - les refus de visa méconnaissent les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - ils méconnaissent également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - ils sont contraires aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Par une ordonnance du 3 mai 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 mai 2021 à douze heures. Un mémoire présenté par le ministre de l'intérieur a été enregistré le 19 mai 2021 postérieurement à la clôture de l'instruction. Mme G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 juin 2020. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; - le code civil ; - le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; - la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; - le code de justice administrative. Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit

: 1. Mme G..., ressortissante centrafricaine, est bénéficiaire en France de la protection subsidiaire. Des visas de long séjour ont été demandés, au titre de la réunification familiale, pour les jeunes E... M... F... et A... I... qu'elle présente comme ses enfants. Les autorités diplomatiques françaises en République centrafricaine ont rejeté ces demandes au motif que les déclarations des intéressés " conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale ". La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement confirmé ces refus de visa. Mme G... relève appel du jugement du 6 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la commission. Sur les conclusions à fin d'annulation : 2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / Si (...) le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille (...) d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec (...) le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ". 3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". En ce qui concerne le refus de visa opposé au jeune A... : 4. Il ressort du jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 20 juin 2018 par le tribunal de grande instance de Bangui que l'enfant A... J... est né le 5 août 2008 à Bangui de M. H... et de Mme D... G.... Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux. Il ressort des pièces du dossier que, à la date à laquelle cette juridiction a été saisie, le jeune A... disposait d'un acte de naissance ainsi que d'un passeport alors pourtant que le jugement supplétif indique que la demande est motivée par l'absence de déclaration de naissance dans le délai légal. Toutefois, cette circonstance ne permet pas d'établir le caractère frauduleux du jugement supplétif, la requérante indiquant que ce jugement a été sollicité en vue de justifier de l'état civil de son fils devant les autorités françaises, lesquelles avaient écarté les documents d'état civil jusqu'alors produits. Les irrégularités entachant les actes de naissance antérieurement produits ne sont pas davantage de nature à démontrer le caractère frauduleux du jugement supplétif d'acte de naissance du 20 juin 2018. Il s'ensuit que l'identité du jeune A... J... et son lien de filiation avec la requérante sont établis. Dès lors, en confirmant le refus de visa opposé à cet enfant, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées aux points 2 et 3 du présent arrêt. En ce qui concerne le refus de visa opposé à la jeune E... : 5. En premier lieu et d'une part, s'il est versé aux débats le volet n° 2 de l'acte n° 994 de transcription de jugement supplétif d'acte de naissance dont il ressort que l'enfant E... Fortuna F... est née le 23 août 2004, à Bimbo, de M. H... et de Mme D... G..., le jugement supplétif d'acte de naissance n° 1703 du 8 décembre 2016 du tribunal civil de premier degré de Bimbo que cet acte est supposé transcrire n'est pas lui-même, en dépit d'une invitation de la cour, produit à l'instance. Par ailleurs, certaines des mentions manuscrites figurant sur l'acte de naissance n° 2898 dressé le 23 août 2004 présentent un tracé différent. Cette singularité, non expliquée, est de nature à priver cet acte de valeur probante. Dans ces conditions, les documents d'état civil produits ne permettent pas de tenir pour établis l'identité de la jeune E... ni son lien de filiation avec Mme G.... 6. D'autre part, si la requérante a, il est vrai, déclaré de manière constante auprès des autorités françaises avoir une fille prénommée E..., que cette filiation est attestée par le père allégué de l'enfant ainsi que par des tiers et que Mme G... justifie de transferts d'argent vers la République Centrafricaine, ces éléments sont insuffisants pour établir par possession d'état tant l'identité de l'enfant que son lien de filiation avec Mme G.... Il s'ensuit que le refus de visa opposé à cet enfant ne méconnaît pas les dispositions citées aux points 2 et 3 du présent arrêt. 7. En second lieu, le lien de filiation revendiqué n'étant pas établi, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés. 8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme G... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande seulement en tant que cette demande est dirigée contre le refus de visa opposé au jeune A... I.... Sur les conclusions à fin d'injonction : 9. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique seulement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour au jeune A... I.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai de trente jours à compter de la date à laquelle le voyage de l'intéressé vers la France sera compatible avec les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19. Sur les frais liés au litige : 10. M. G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 800 euros à Me Grenier.

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle maintient le refus de visa opposé au jeune A... I... et le jugement du tribunal administratif de Nantes du 6 décembre 2019 en tant qu'il rejette les conclusions de la demande dirigées contre ce refus de visa sont annulés. Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune A... I... un visa de long séjour, dans le délai de trente jours à compter de la date à laquelle le voyage de l'intéressé vers la France sera compatible avec les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19. Article 3 : L'Etat versera à Me Grenier la somme de 800 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G... et au ministre de l'intérieur. Délibéré après l'audience du 25 mai 2021, à laquelle siégeaient : - M. Pérez, président de chambre, - Mme Douet, présidente-assesseure, - Mme Bougrine, première conseillère. Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juin 2021. La rapporteure, K. Bougrine Le président, A. PEREZLa greffière, K. BOURON La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2 N° 20NT01476