Tribunal de grande instance de Paris, 24 novembre 2016, 2015/17039

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
  • Numéro de pourvoi :
    2015/17039
  • Domaine de propriété intellectuelle : MARQUE
  • Marques : BRUCE FIELD
  • Classification pour les marques : CL18 ; CL25
  • Numéros d'enregistrement : 1228230
  • Parties : EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT SAS ; UNION DISTRIBUTION SAS ; OLIVIER ZANNI SCP (Olivier, en qualité de liquidateur judiciaire de la COMPAGNIE THÉOPOLITAINE DE CONFECTION) ; COMPAGNIE THÉOPOLITAINE DE CONFECTION SARL (liquidation judiciaire)

Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Paris
2018-11-20
Tribunal de grande instance de Paris
2016-11-24

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 24 novembre 2016 3ème chambre 1ère section N° RG : 15/17039 Assignation du 20 novembre 2015 DEMANDERESSES S.A.S. EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT [...] 75002 PARIS S.A.S. UNION DISTRIBUTION 21 rue rambuteau 75003 PARIS représentées par Me Maxence AUDEGOND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0170 DÉFENDEURS Monsieur Olivier Z de la SCP OLIVIER ZANNI, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION représenté par Me Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #Cl357 S.A.R.L. COMPAGNE T (liquidation judiciaire) Zone Industrielle 36320 VILLEDIEU SUR INDRE défaillant COMPOSITION DU TRIBUNAL Marie-Christine C, Vice-Présidente Julien R. Juge Aurélie JIMENEZ, Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier DEBATS À l'audience du 18 octobre 2016 tenue en audience publique JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Réputé Contradictoire en premier ressort -EXPOSE DU LITIGE La SAS EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT (ci-après la société SEBH) est présidée par Monsieur Richard L et a pour activité principale la création, la fabrication et la vente de tous articles, vêtements pour hommes, femmes et enfants, distribués dans des magasins à Paris et en province. La SAS UNION DISTRIBUTION, qui exerce une activité de holding et qui est également présidée par Monsieur Richard L, est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur la marque verbale française « BRUCE F » déposée le 22 février 1983 et enregistrée sous le numéro 1 228 230 pour désigner les produits suivants des classes 18 et 25 : « Cuir et imitations du cuir, articles en ces matières non compris dans d'autres classes, peaux, malles et valises, parapluies, parasols et cannes, fouets, harnais et sellerie, vêtements, y compris les [b]ottes, les souliers et les pantoufles ». Par contrat du 7 janvier 1992 inscrit sur les registres de l'INPI le 23 novembre 1998, la SAS UNION DISTRIBUTION a consenti à la société SEBH une licence exclusive sur la marque « BRUCE FIELD » n° 1 228 230. La SARL COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION (ci-après la société CTC) a pour activité principale la confection de vêtements. Elle fabriquait jusqu'à sa cessation d'activité des chemises porteuses de la marque « BRUCE FIELD » en vertu d'une convention non écrite conclue aux débuts des années 1990. Expliquant avoir été destinataire le 26 octobre 2015 d'un courrier anonyme d'une personne se présentant comme un ancien salarié de la société CTC selon lequel celle-ci utilisait du tissu appartenant à la société SEBH pour fabriquer des chemises griffées « BRUCE F » et les vendre dans son magasin d'usine, cette dernière a : fait dresser le 29 octobre 2015 un procès-verbal de constat d'achat dans le magasin d'usine de la société CTC, situé à la même adresse que son siège social dans la zone industrielle de Villedieu-sur-Indre (36320) ; par ordonnance rendue sur requête par le délégataire du président du tribunal de grande instance de Paris le 4 novembre 2015 été autorisée, avec la SAS UNION DISTRIBUTION, à faire pratiquer une saisie-contrefaçon dans l'usine et dans le magasin de la société CTC. Les opérations de saisie-contrefaçon se déroulaient le 10 novembre 2015. C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier du 20 novembre 2015, la société SEBH et la SAS UNION DISTRIBUTION ont assigné la société CTC devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale. Par jugement du 9 décembre 2015, le tribunal de commerce de Châteauroux a prononcé la liquidation judiciaire de la société CTC et désigné la SCP Olivier Zanni en qualité de liquidateur qui intervenait volontaire à l'instance. Par ordonnance du 12 octobre 2016, le juge commissaire sursoyait à statuer sur l'action en revendication de la société SEBH sur les stocks de chemise de la société CTC dans l'attente de la décision du tribunal de grande instance de Paris. Dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 17 octobre 2016 auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample exposé de leurs moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société SEBH et la SAS UNION DISTRIBUTION demandent au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et au visa des articles L 713-2, L 713-3 et L 716-1 du code de la propriété intellectuelle, 1382 et 1315 du code civil : de déclarer recevables et bien fondées les demandes des sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION ; Y FAISANT DROIT : de dire et juger que la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION a volontairement volé et détourné du tissu et des griffes « BRUCE F » appartenant à la société SEBH ; de dire et juger que les actes commis par la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION constituent une contrefaçon de la marque au préjudice des sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION ; de dire et juger que les agissements de la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION à l'encontre des demandeurs constituent des actes de concurrence déloyale à l'encontre des sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION ; d'interdire à la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION de faire usage de la marque BRUCE FIELD, sous quelque forme et de quelque titre et nature que ce soit, et ce, sous astreinte définitive et non comminatoire de 10 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir ; de voir ordonner, si par extraordinaire l'action en revendication était rejetée par le tribunal de Commerce de CHATEAUROUX, la destruction aux frais de la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION de l'ensemble des produits contrefaits sous astreinte définitive et non comminatoire de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ; de dire et juger que le tribunal restera compétent pour connaître de la liquidation éventuelle des astreintes qu'il aura ordonnées ; de condamner la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION à payer à la société SEBH en réparation des préjudices causés tant du fait de la contrefaçon que des actes de concurrence déloyale, une indemnité de 740.085 euros à titre provisionnel, sauf à parfaire ou compléter ; de condamner la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION à verser à la société UNION DISTRIBUTION en réparation des préjudices causés tant du fait de la contrefaçon que des actes de concurrence déloyale, une indemnité de 70.000 euros à titre provisionnel, sauf à parfaire ou compléter ; d'enjoindre à la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION, sous astreinte de 1.500 euros à compter de la signification de la présente décision et par jour de retard à produire les éléments comptables, juridiques, administratifs et financiers relatifs à cette vente ; de voir ordonner aux frais de la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION, à titre de complément de dommages-intérêts, l'insertion en entier du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues au choix de la demanderesse ; de condamner la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION à payer à SEBH et à UNION DISTRIBUTION la somme de 8.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; de condamner la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION aux dépens de l'instance, « en ce compris les frais d'expertise ». En réplique, dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 10 octobre 2016 auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société CTC prise en la personne de son liquidateur judiciaire demande au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et au visa de l'article L 442-6-1 du code de commerce, de : DONNER ACTE A LA SCP OLIVIER ZANNI de sa reprise d'instance en lieu et place de la société CTC ; DÉBOUTER les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION de l'ensemble de leurs demandes ; et, à titre reconventionnel : DIRE et JUGER que la société SEBH a rompu abusivement la relation commerciale établie avec la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION ; ce faisant : CONDAMNER la société SEBH à verser à la SCP Olivier Zanni ès- qualité la somme de 2.704.000 euros correspondant au préavis de rupture du contrat ; DIRE et JUGER que la société SEBH a entraîné, par sa faute, la liquidation judiciaire de la société COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION ; ce faisant * DE CONDAMNER la société SEBH à verser à la SCP Olivier Zanni ès-qualité la somme de 261.610,99 euros correspondant, sauf à parfaire, au coût de la liquidation judiciaire ; en tout état de cause : CONDAMNER les sociétés SEBH et UNION DISTRIBUTION à verser à la SCP Olivier Zanni ès-qualité la somme de 8.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; LES CONDAMNER aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par Me Charrière-Bournazel conformément à l'article 699 du code de procédure civile. L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 octobre 2016 Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le présent jugement, rendu en premier ressort, sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIFS

DU JUGEMENT En application de l'article L 641-9 du code de commerce, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée, les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine étant exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur. Par ailleurs, en vertu des dispositions des articles L 641-3 et L 622-7 du code de commerce, le jugement ouvrant la procédure de liquidation judiciaire emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes, ainsi que toute créance née après le jugement d'ouverture, non mentionnée au I de l'article L 622-17, tout acte ou tout paiement passé en violation des dispositions du présent article étant annulé à la demande de tout intéressé ou du ministère public. Enfin, conformément aux articles L 622-21, L 622-22 et L 641-3 du code de commerce, sous réserve des dispositions de l'article L 625-3 applicable aux seules instances prud'homales, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance, le débiteur, partie à l'instance, informant le créancier poursuivant de l'ouverture de la procédure dans les dix jours de celle-ci. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant. L'instance poursuivie ne pourra éventuellement tendre qu'à la constatation des créances et à la fixation de leur montant au passif de la société CTC, les demandes de condamnation au paiement de dommages et intérêts présentées par la société SEBH et la SAS UNION DISTRIBUTION à son encontre étant requalifiées en ce sens en application de l'article 12 du code de procédure civile. 1°) Sur la contrefaçon de la marque française « BRUCE F » n° 1 228 230

Moyens des parties

Au soutien de leurs demandes, la SAS UNION DISTRIBUTION et la société SEBH, qui contestent avoir eu connaissance de la vente de produits « BRUCE FIELD » dans le magasin d'usine et la valeur probatoire des attestations produites en défense, exposent que la société CTC ne justifie pas de l'existence de l'autorisation tacite et non datée qu'elle invoque et qui ne présentait pour elles aucun intérêt en l'absence de la moindre contrepartie financière ou d'avantage commercial quelconque. Elles en déduisent que l'utilisation du tissu fourni pour fabriquer et vendre pour son compte des chemises porteuses de la marque « BRUCE FIELD » caractérisent, outre les délits pénaux de vol et d'abus de confiance, des actes de contrefaçon à leur préjudice. En réplique, la société CTC expose que Monsieur Richard L a verbalement autorisé la confection et la vente de produits « BRUCE FIELD » dans son magasin d'usine dont il connaissait l'existence depuis son inauguration en 1996. Elle en déduit l'inexistence des actes de contrefaçon qui lui sont imputés. Appréciation du tribunal Conformément à l'article L 716-1 du code de la propriété intellectuelle, l'atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon, qui peut être prouvée par tout moyen en vertu de l'article L 716-7 du même code, engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues aux articles L 713-2, L 713-3 et L 713-4 du même code. Toutefois, en application de l'article L 714-1 du code de la propriété intellectuelle, les droits attachés à une marque sont transmissibles en totalité ou en partie, indépendamment de l'entreprise qui les exploite ou les fait exploiter. La cession, même partielle, ne peut comporter de limitation territoriale. Les droits attachés à une marque peuvent faire l'objet en tout ou partie d'une concession de licence d'exploitation exclusive ou non exclusive ainsi que d'une mise en gage. La concession non exclusive peut résulter d'un règlement d'usage. Les droits conférés par la demande d'enregistrement de marque ou par la marque peuvent être invoqués à l'encontre d'un licencié qui enfreint l'une des limites de sa licence en ce qui concerne sa durée, la forme couverte par l'enregistrement sous laquelle la marque peut être utilisée, la nature des produits ou des services pour lesquels la licence est octroyée, le territoire sur lequel la marque peut être apposée ou la qualité des produits fabriqués ou des services fournis par le licencié. Le transfert de propriété, ou la mise en gage, est constaté par écrit, à peine de nullité. Et, en vertu de l'article L 714-7 du code de la propriété intellectuelle, toute transmission ou modification des droits attachés à une marque doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au Registre national des marques. Toutefois, avant son inscription, un acte est opposable aux tiers qui ont acquis des droits après la date de cet acte mais qui avaient connaissance de celui-ci lors de l'acquisition de ces droits. Le licencié, partie à un contrat de licence non inscrit sur le Registre national ou international des marques, est également recevable à intervenir dans l'instance en contrefaçon engagée par le propriétaire de la marque afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre. Ainsi, un contrat de licence de marque se définit comme le contrat consensuel et synallagmatique par lequel le titulaire des droits de propriété intellectuelle sur une marque enregistrée ou sur une demande d'enregistrement consent à un tiers l'autorisation d'exploiter le signe déposé à titre de marque pour tout ou partie des produits et services visés à l'enregistrement, mais non les produits différents ou similaires. Dans ce cadre, l'article L 714-1 du code de la propriété intellectuelle ne visant l'exigence d'un écrit requis ad validitatem que pour le transfert de propriété ou la mise en gage, un contrat de licence de marque, qui n'est pas nécessairement onéreux, peut être oral. Par ailleurs, les conditions d'opposabilité aux tiers d'un contrat de licence sont étrangères au débat qui ne porte que sur l'existence de ce dernier et ne concerne que les relations entre des parties potentielles. Enfin, les sociétés SEBH et CTC étant des sociétés commerciales, la preuve des actes juridiques éventuellement conclus entre elles est libre conformément aux articles 1341 du code civil et L 110-3 du code de commerce, la charge de la preuve d'un acte juridique incombant à celui qui l'invoque conformément à l'article 9 du code de procédure civile. Il est constant que, malgré l'absence de convention écrite, la société CTC a fabriqué pendant 20 ans pour le compte de la société SEBH des chemises porteuses de la marque « BRUCE FIELD » enregistrée en 1983 et régulièrement renouvelée depuis. Pour démontrer l'existence d'une licence tacite et gratuite concédée sur la marque verbale « BRUCE FIELD » n° 1 228 230, la société CTC produit des attestations de salariés. Celles-ci ne sont privées de force probante et de pertinence probatoire ni par la qualité de leurs auteurs, qui induit au contraire une proximité particulière à l'endroit des faits qu'ils rapportent et dont la crédibilité n'est pas anéantie par le seul prononcé de la liquidation judiciaire de l'entreprise les employant, ni par l'omission des mentions qui ne sont pas prévues à peine de nullité par l'article 202 du code civil, chaque attestation étant expressément rédigée en vue de sa production en justice et étant accompagnée d'une pièce justificative de l'identité de son auteur. Ainsi, Madame B, vendeuse dans la « boutique Bruce F » depuis son ouverture en 1996, explique qu'étaient commercialisés dans cette dernière divers articles « BRUCE F » dont des chemises et que Monsieur Richard L « était forcément au courant [de cette activité] vu qu'il [était] venu à de nombreuses reprises dans l'établissement », ce que confirment Madame L, embauchée en 1994, et Madame M, ancienne comptable de la défenderesse, qui atteste en outre de la présence de Monsieur Richard L lors de « l'inauguration de la partie stockage et boutique ». Madame G, salariée depuis 1990, évoque pour sa part la venue de Monsieur Richard L en mars 2015 avec des caméramans pour une journée entière dans les locaux de l'usine. Alors qu'il est constant qu'ils jouxtaient ceux du magasin d'usine situés à la même adresse, la vente aux particuliers était clairement annoncée sur les murs du site ainsi que l'établissent les photographies insérées dans le constat d'achat du 29 octobre 2015 et la pièce 15 de la défenderesse, le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 10 novembre 2015 révélant que l'usine était directement accessible par l'arrière du lieu de vente accolé à l'espace de stockage (pages 6 et 23). Les demanderesses admettent d'ailleurs au sens de l'article 1356 du code civil que Monsieur Richard L connaissait l'existence du magasin d'usine et ne nient que la conscience de ce dernier de la vente de produits porteurs de la marque « BRUCE FIELD » en raison de leur dissimulation par les salariés lors de ses différents passages (page 13 de leurs écritures). Outre le fait que Madame G conteste cette manœuvre qui n'est évoquée que dans le courrier anonyme produit en pièce 9 qui ne peut par nature constituer à lui seul la preuve d'un fait quelconque, un magasin d'usine a par nature vocation à écouler les excédents produits directement du fabricant au consommateur et à vendre à prix réduits des produits porteurs de la marque du commanditaire. Personne ne contestant que la société SEBH était l'unique client professionnel de la société CTC, l'argument des demanderesses apparaît peu crédible. Il l'est d'autant moins que le reportage diffusé sur le site biptv.tv en 2013, Madame S, gérante de la société CTC, précisant à l'intervieweur exploiter l'usine ouverte en 1990 depuis 23 ans (11 minutes 18), dévoile des images des chemises griffées « BRUCE F » dans des rayons identiques à ceux visibles sur le procès-verbal de saisie-contrefaçon (12 minutes 37 à 43 puis 12 minutes 56 à 13 minutes 06) et précise que la vente sur place des produits « BRUCE F », qui représente 5 à 10 % du chiffre d'affaires, s'opère dans un magasin d'usine « assez connu dans le coin » et « ouvert tous les jours aux horaires de l'entreprise » (14 minutes 20 à 38). Et, la société CTC verse au débat en pièce 23 10 factures émises par la société SEBH en 1996 puis entre 2011 et 2014 portant sur des vêtements (chemises, pulls, cravates, pantalons, boxers, caleçons, chaussettes, polos, écharpes...) qui sont nécessairement griffés « BRUCE F », rien ne justifiant sinon cette facturation que la société SEBH n'explique pas alors pourtant qu'il est constant que la société CTC ne fabriquait que des chemises et que le procès-verbal de saisie- contrefaçon révèle l'existence de pochettes « BRUCE F » destinées à la vente de cravates dont la reproduction illicite n'est pas alléguée. L'ensemble de ces éléments précis et concordants suffit, en l'absence de la moindre preuve contraire, à établir au sens de l'article 1353 du code civil que Monsieur Richard L, et partant la société SEBH comme la SAS UNION DISTRIBUTION dont il est le président, connaissait depuis l'inauguration du magasin d'usine la vente de produits « BRUCE FIELD » qui comprenaient très majoritairement les chemises fabriquées sur place mais également d'autres vêtements régulièrement facturés par la société SEBH à la société CTC. Cette tolérance consciente et prolongée traduit l'expression d'un consentement univoque par lequel la société SEBH autorisait, avec l'acceptation certaine de la SAS UNION DISTRIBUTION conformément à l'article 2 du contrat de licence du 7 janvier 1992, l'absence éventuelle d'écrit à ce titre étant indifférente puisque l'hypothétique violation de cette convention ne concerne que leurs rapports respectifs et n'affecte pas par principe la validité du contrat litigieux, la société CTC à exploiter le signe « BRUCE FIELD » enregistré antérieurement à titre de marque sous le n° 1 228 230 pour les vêtements de la classe 25. Contrairement à ce que soutient la société SEBH, le caractère gratuit de la licence de marque, qui n'affecte pas sa validité, peut constituer, ainsi que le souligne la société CTC, la contrepartie de l'exclusivité et de la dépendance économique totale acceptées par cette dernière ainsi que par le bénéfice d'image tiré par la société SEBH d'une production en France. Lors des opérations de saisie-contrefaçon, l'huissier n'a constaté que la vente de vêtements. Aucune violation du contrat de licence tacite n'est ainsi démontrée. Autorisée à commercialiser des produits « BRUCE FIELD », la société CTC n'a commis ni acte de contrefaçon ni détournement de tissu, l'utilisation de ce dernier étant conforme à la destination contractuellement définie par les parties. En conséquence, les demandes de la société SEBH au titre de la contrefaçon et de la SAS UNION DISTRIBUTION au titre de son préjudice propre causé par les actes de contrefaçon seront intégralement rejetées. 2°) Sur la concurrence déloyale et parasitaire En vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce. L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée. Le parasitisme, qui s'apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d'un savoir- faire ou d'un travail intellectuel d'autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel. Le seul fait distinct de la contrefaçon opposé par la société SEBH et la SAS UNION DISTRIBUTION au titre de la concurrence déloyale résidant dans la commercialisation des produits « BRUCE FIELD » à moindre prix, ce qui constitue le propre d'un magasin d'usine, leurs demandes seront rejetées, l'autorisation consentie excluant toute faute ou déloyauté imputable à la société CTC. 3°) Sur la rupture brutale des relations commerciales Moyens des parties Au soutien de sa demande reconventionnelle, la société CTC expose qu'elle fabriquait pour le compte de la société SEBH des chemises depuis 1992 et qu'elle se trouvait à son endroit en situation de dépendance économique puisqu'elle était, à sa demande, son unique client. Elle en déduit que la société SEBH, qui ne peut lui imputer aucune faute, aurait dû respecter un préavis de 4 ans. Elle ajoute que cette rupture brutale lui cause un préjudice résidant d'une part dans le manque à gagner sur cette période calculé sur la base du chiffre d'affaires et subsidiairement sur celui de la marge brute moyenne de 92.43% et d'autre part dans les conséquences sociales de la liquidation judiciaire dont elle est directement responsable. En réplique, la société SEBH expose que les faits de contrefaçon et de détournement de tissu, qui fondent la rupture et causent la liquidation judiciaire, excluent le respect d'un préavis quelconque. Elle ajoute que la société CTC a refusé systématiquement et sans raison de nouveaux partenaires commerciaux. Appréciation du tribunal En vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. Et, conformément aux dispositions de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Au sens de ce texte, si tout agent économique est libre de changer de partenaire commercial, la rupture d'une relation établie, qui n'a pas à être motivée, est brutale dès lors qu'elle n'est pas accompagnée d'un préavis conforme aux accords interprofessionnels s'il en existe ou d'une durée raisonnable au regard de celle des relations commerciales qui ne se réduisent pas aux relations contractuelles. A défaut de démonstration d'une faute grave exclusive du respect d'un préavis quelconque, l'auteur de la rupture engage sa responsabilité délictuelle. Il incombe ainsi à la société CTC au sens de l'article 9 du code de procédure civile, de démontrer le caractère établi des relations commerciales entretenues avec la société SEBI I puis le caractère brutal de leur rupture. Il est constant que la relation commerciale entre les parties a duré plus de 20 ans sans interruption et que la société SEBH était l'unique client de la société CTC, la vente aux particuliers n'excédant par ailleurs pas 10 % du chiffre d'affaires de cette dernière. Il est ainsi certain que la relation commerciale était établie et que la seconde était en situation de dépendance économique totale à l'égard de la première. Il est en outre désormais établi que la société SEBH a rompu sans préavis les relations en fin d'année 2015, aucune date précise ne pouvant être déterminée faute de production d'un courrier de rupture et d'indications supplémentaires fournies par les parties, sans aucune raison valable démontrée, les fautes aujourd'hui imputées à la société CTC étant inexistantes, les courriers versés aux débats n'évoquant aucun manquement susceptible d'annoncer la cessation prochaine des relations et les arguments des parties tirés du coût du remplacement de la société CTC par la société SEBH, qui relèvent éventuellement de la détermination sans portée juridique des mobiles profonds de celte dernière, étant sans pertinence pour apprécier le caractère brutal et fautif de la rupture et ne méritant pas d'être examinés. Au regard de la durée des relations et de leur exclusivité, le préavis raisonnablement requis en l'absence d'accords interprofessionnels ou d'usage démontré, qui correspond au temps nécessaire à la victime de la rupture pour rechercher un partenaire lui permettant de maintenir son activité, sera fixé à 18 mois. La société CTC subit ainsi d'abord un préjudice résidant dans la perte, non du chiffre d'affaires qui comprend le coût de revient des produits qui n'a pas été supporté, mais de la marge brute afférente aux commandes qu'elle aurait reçues si ce préavis avait été respecté. La base de 1 000 chemises par semaine retenues par la société CTC est cohérente au regard du courrier du 1er juin 2015 de la société SEBH qui retient ce nombre et qui correspond à la dernière réduction imposée par cette dernière. Le taux de marge brute de 92,43 % retenu par la société CTC n'est pas contesté et est effectivement conforme à la moyenne qui se dégage de l'analyse des comptes annuels arrêtés au 31 décembre 2014 (pièce 25 en défense), aucune réduction tirée du chiffre d'affaires né de la vente aux particuliers n'étant nécessaire puisque celle-ci était autorisée. En conséquence, ce premier poste de préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme de 937 240,20 euros que la société SEBH sera condamnée à lui payer. Et, la société CTC ne recevant ses commandes que de la société SEBH, la rupture brutale et sans fondement des relations commerciales est la cause directe de la cessation de son activité et de son impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, conditions du prononcé de sa liquidation judiciaire le 9 décembre 2015 par le tribunal de commerce de Châteauroux. Or, la cessation d'activité imposée au 11 décembre 2015 par cette juridiction et par la brutalité de la rupture fautive est certainement et directement à l'origine des licenciements des salariés de la société CTC. Le coût de ces derniers n'étant pas contesté en sa mesure par la société SEBH, celle-ci sera condamnée à payer à la société CTC la somme complémentaire de 261 610.99 euros, portant le total de l'indemnisation due à 1 198 851,10 euros. Par ailleurs, si la société SEBH évoque l'existence d'offres de rachat refusées sans raison légitime par la société CTC sans pour autant en tirer de conséquences juridiques, cette dernière produit en pièce 9 une offre de rachat, non datée mais émise en février 2015 selon la défenderesse, conditionnée au « maintien du client principal, à savoir SEBH-Bruce F » attesté par une lettre de Monsieur Richard L confirmant son accord pour poursuivre son partenariat avec l'acquéreur (article 7). Or, un tel document n'étant pas produit, la cause de l'échec de cette opération est imputable exclusivement à la société SEBH. Rien ne justifie en conséquence une réduction quelconque de l'indemnisation allouée à la société CTC. 4°) Sur les demandes accessoires Succombant au litige, la société SEBH et la SAS UNION DISTRIBUTION, dont les demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées, seront condamnées à payer à la société CTC la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile. Au regard de la solution du litige et de la situation juridique de la défenderesse, l'exécution provisoire n'est pas nécessaire et ne sera pas ordonnée conformément à l'article 515 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, rendu en premier ressort et mis à la disposition par le greffe le jour du délibéré, Dit que la SAS EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT a, avec l'acceptation certaine de la SAS UNION DISTRIBUTION, tacitement autorisé la SARL COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION à exploiter le signe « BRUCE FIELD » enregistré à titre de marque sous le n° 1 228 230 pour les vêtements de la classe 25 : Rejette en conséquence l'intégralité des demandes de la SAS UNION DISTRIBUTION et de la SAS EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT ; Dit que la SAS EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT en rompant brutalement les relations commerciales établies avec la SARL COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION, a commis une faute causant directement un préjudice à cette dernière : Condamne en conséquence la SAS EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT à payera la SARL COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION prise en la personne de la SCP Olivier Zanni en sa qualité de liquidateur judiciaire la somme d'UN MILLION CENT QUATRE VINGT DIX MILLE HUIT CENT CINQUANTE ET UN euros ET DIX CENTIMES (1 198 851,10 €) en réparation du préjudice causé par sa faute ; Rejette les demandes de la SAS UNION DISTRIBUTION et de la SAS EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT au titre des frais irrépétibles : Condamne in solidum la SAS UNION DISTRIBUTION et la SAS EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT à payer à la SARL COMPAGNIE THEOPOLITAINE DE CONFECTION prise en la personne de la SCP Olivier Zanni en sa qualité de liquidateur judiciaire la somme de HUIT MILLE euros (8 000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne in solidum la SAS UNION DISTRIBUTION et la SAS EXPLOITATION BOUTIQUES HABILLEMENT à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront directement recouvrés par Maître C conformément à l'article 699 du code de procédure civile ; Dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du jugement.