ARRET
N°03
Société [5]
C/
Organisme CARSAT NORMANDIE
COUR D'APPEL D'AMIENS
TARIFICATION
ARRET DU 06 JANVIER 2023
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N° RG 22/01270 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IMF2
DECISION
DE LA CARSAT NORMANDIE EN DATE DU 05 février 2019
PARTIES EN CAUSE :
DEMANDEUR
Société [5], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Bassin [D] [P]
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée et plaidant par Me ZING Jiqing, avocat au barreau de PARIS, substituant Nathalie DUPUY-LOUP de la SELARL ALERION SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
ET :
DÉFENDEUR
Organisme CARSAT NORMANDIE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représenté et plaidant par Madame [M] [J], dûment mandaté
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 Novembre 2022, devant Mme Jocelyne RUBANTEL, Président assisté de Christophe GIFFARD et Jean-François D'HAUSSY, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la Première Présidente de la Cour d'appel d'Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.
Mme Jocelyne RUBANTEL a avisé les parties que l'arrêt sera prononcé le 06 Janvier 2023 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du Code de procédure civile.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Blanche THARAUD
PRONONCÉ :
Le 06 Janvier 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Jocelyne RUBANTEL, Président et Mme Myriam EL JAGHNOUNI, Greffier.
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DECISION
M. [W], salarié de la société [5], (ci-après la société [5]) du 1er décembre 1975 au 31 mai 2011 en qualité d'agent technique d'exploitation a, le 28 mai 2018, déclaré une maladie professionnelle au titre de « plaques pleurales calcifiées », pathologie inscrite au tableau n°30B des maladies professionnelles, sur la base d'un certificat médical initial du 25 mai 2018.
Par lettre du 13 novembre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie (ci-après la CPAM) a pris en charge cette maladie au titre de la législation professionnelle. La date administrative de la maladie a été fixée au 25 mai 2018.
Par courrier en date du 11 janvier 2019, cette prise en charge a fait l'objet d'un recours devant la commission de recours amiable de la CPAM.
Par courrier en date du 23 avril 2018, suite au rejet de son recours amiable, la société demanderesse a, le 13 mai 2019, saisi le pôle social du tribunal de grande instance du Havre. Ce recours a été enregistré sous le numéro RG 19/00152.
Les incidences financières de la maladie professionnelle de M. [W] ont été inscrites au compte employeur 2018 de la société [5].
Par courrier du 5 avril 2019, la société [5] a sollicité, auprès de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie (ci-après la CARSAT ou la caisse), l'inscription au compte spécial des conséquences financières de la maladie professionnelle déclarée le 28 mai 2018 par M. [W].
Par courrier en date du 19 avril 2019, la CARSAT a rejeté la demande de la société [5].
Par acte d'huissier de justice délivré le 14 juin 2019, la société [5] a fait assigner la CARSAT Normandie d'avoir à comparaître devant la cour d'appel d'Amiens à l'audience du 5 juillet 2019. Cette affaire a été enregistrée sous le numéro RG 19/05076.
Lors de l'audience du 5 juillet, l'affaire a été renvoyée à l'audience des plaidoiries du 8 novembre 2019.
Lors de l'audience du 8 novembre 2019, les parties ont sollicité le retrait du rôle de l'affaire.
Par ordonnance en date du 8 juillet 2019, l'affaire a été retirée du rôle.
Par courrier électronique en date du 8 novembre 2021, la société [5] a sollicité la réinscription de l'affaire au rôle.
Les parties ont alors été convoquées par le greffe à l'audience du 4 novembre 2022.
Par conclusions visées par le greffe le 8 novembre 2021, soutenues oralement à l'audience, la société [5], prie la cour de :
- surseoir à statuer sur son recours à l'encontre de la décision de la CARSAT du 19 avril 2019, tendant à imputer les dépenses afférentes à la maladie de plaques pleurales déclarée par M. [W] le 28 mai 2018, à son compte employeur et ce dans l'attente d'une décision définitive du juge judiciaire sur le recours engagé par la [5], tendant à l'annulation de la prise en charge de la maladie déclarée par M. [W] le 28 mai 2018 au titre de la législation professionnelle, sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 467-1 du code de la sécurité sociale ;
- annuler la décision de la CARSAT, notifiée le 19 avril 2019, tendant à imputer les dépenses afférentes à la maladie de plaques pleurales déclarée par M. [W] le 28 mai 2018, sur son compte employeur ;
- juger que les dépenses afférentes à la maladie de plaques pleurales déclarée par M. [W] le 28 mai 2018, doivent être imputées au compte spécial au titre de l'article
D 242-6-5 du code de la sécurité sociale.
Au soutien de ses demandes, la société [5] fait valoir que le tribunal de grande instance du Havre a fixé l'affaire à une première audience de mise en état du 16 mai 2022. Partant, la CARSAT reconnaissant que le jugement à intervenir est susceptible d'influer sur le calcul du taux de cotisation AT/MP, il est demandé à la cour de surseoir à statuer.
En outre, la société demanderesse souligne que la pathologie « plaques pleurales » n'a été inscrite au tableau n°30 des maladies professionnelles que par le décret n°85-630 du 19 juin 1985. Aussi, la CARSAT n'a pas pris en compte l'exposition de M. [W] au risque de sa maladie chez tous les autres employeurs de ce dernier antérieurement à 1985, ayant pourtant pour plusieurs d'entre eux été publiquement reconnus comme ayant exposé leurs salariés à l'amiante. De plus, le médecin ayant établi le certificat médical initial de M. [W], a expressément mentionné la société [4] comme employeur ayant exposé ce dernier au risque de sa maladie et non la [5].
Enfin, la société demanderesse ajoute que la CARSAT ne démontre pas qu'elle a effectivement exposé M. [W] au risque de sa maladie. Partant, la société demanderesse souligne que la CARSAT a simplement relevé qu'elle était le dernier employeur de M. [W], qu'elle a employé ce dernier de 1975 à 2011, sans jamais apporter au débat aucun élément de preuve permettant de démontrer l'exposition de M. [W] au risque de sa maladie.
A ce titre, la [5] souligne l'absence d'éléments objectifs permettant d'établir une éventuelle exposition au risque de la maladie de M. [W]. Elle souligne notamment qu'elle n'utilise pas dans le cadre de son activité de produits amiantés. Aussi, aucun risque d'exposition à l'amiante n'a été signalé ou répertorié parmi les substances dangereuses subsistant sur les sites. De plus, comme le souligne l'attestation d'exposition, M. [W] n'a occupé aucun poste dont les missions y afférant l'auraient exposé à cette substance. Enfin au regard des mesures de sécurité mise en place par la [5], la maladie n'a pas pu être contracté en son sein.
Aux termes de ses conclusions visées par le greffe le 27 octobre 2022, oralement développées à l'audience, la CARSAT de Normandie demande à la cour de :
- juger que la société [5] ne rapporte pas la preuve de l'absence d'exposition de M. [W] au risque de sa maladie au sein de son établissement,
- juger que la société [5] ne rapporte pas la preuve de l'exposition de M. [W] au risque de sa maladie par les précédents employeurs,
En conséquence,
- juger que les conditions d'application de l'article 2-2° et 2-4° de l'arrêté du 16 octobre 1995 ne sont pas remplies,
- juger bien fondée sa décision de maintenir au compte employeur de la société [5], les incidences financières de la maladie professionnelle de M. [W] déclarée le 25 mai 2018,
- rejeter le recours de la société [5].
La CARSAT s'oppose à la demande de sursis à statuer, rappelant qu'elle est tenue de prendre en compte les décisions communiquées par les caisses primaires d'assurance maladie, et que par conséquent, elle procèdera si nécessaire au recalcul du taux de cotisation si la décision de prise en charge de la maladie était déclarée inopposable à l'employeur.
Au soutien de ses demandes, la CARSAT fait rappelle les dispositions de l'article 2-2° de l'arrêté du 16 octobre 1995, et le fait que deux conditions cumulatives sont requises, soit le fait que la première constatation médicale doit être postérieure à la date d'entrée en vigueur du tableau dont relève la maladie professionnelle, et le fait que la victime n'ait été exposée au risque de la maladie qu'antérieurement à la date d'entrée en vigueur de ce tableau.
En l'espèce, le salarié a travaillé pour la société [5] du 1er décembre 1975 au 31 mai 2011, date de son rapport à la retraite, et à compter du 1er juin 2008, M. [W] était en pré-retraite, de telle sorte qu'il incombe à l'employeur de prouver l'absence d'exposition au sein de son établissement de 1975 à 2011, ce que ne fait pas la demanderesse. Elle affirme en effet que les fonctions de son salarié ne l'exposaient pas au risque alors même que celui-ci démontait des cloisons calorifugées à l'amiante, que la note de service produite date de 2006, et que l'attestation d'exposition produite n'est signée ni de l'employeur ni du médecin du travail.
Par ailleurs, la demande d'inscription au compte spécial au titre de l'article 2-4° n'est pas fondée alors que la société [5] soutient que certains des précédents employeurs de M. [W] sont inscrits sur la liste ACATAA, mais cette inscription n'induit pas nécessairement qu'un salarié ait été effectivement exposé au risque de la maladie.
Conformément aux dispositions de l'article
455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs demandes et des moyens qui les fondent.
Motifs
Sur la demande de sursis à statuer
L'intérêt d'une bonne administration de la justice ne commande pas de surseoir à statuer sur les demandes d'inscription au compte spécial formées par la société [5], dès lors que si elle obtenait du pôle social une décision d'inopposabilité, celle-ci s'imposerait à la CARSAT, nonobstant la présente décision.
Sur la demande d'inscription au compte spécial au titre de l'article 2-2° de l'arrêté du 16 octobre 1995
L'article
D.242-6-7 du code de la sécurité sociale dispose que les maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget ne sont pas imputées au compte de l'employeur mais inscrites à un compte spécial.
Au regard des dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995, dans son 2ème alinéa, "sont inscrites au compte spécial, ['], les dépenses afférentes à des maladies professionnelles constatées ou contractées dans les conditions suivantes :
2°La maladie professionnelle a fait l'objet d'une première constatation médicale postérieurement à la date d'entrée en vigueur du tableau la concernant, mais la victime n'a été exposée qu'antérieurement à la date d'entrée en vigueur dudit tableau ".
En l'espèce, la pathologie dont est atteint M. [W], soit des plaques pleurales, a été inscrite dans le tableau n° 30 des maladies professionnelles par le décret n° 85-630 du 19 juin 1985.
La date de première constatation de la maladie a été fixée au 13 février 2018 et le salarié a cessé de travailler pour la société [5] du 1er décembre 1975 au 31 mai 2011.
La société [5] affirme que la maladie n'a pu être contractée à son service au regard des mesures prises par elle.
Elle soutient qu'elle n'utilisait pas de produits amiantés, que ses installations ne contenaient pas d'amiante, et en veut pour preuve le fait qu'elle n'ait pas été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.
Il ressort cependant des éléments produits que M. [W] a notamment occupé des fonctions de chaudronnier, de chargeur, d'opérateur au service de la société [5].
En tant que chargeur, il devait assurer le branchement de flexibles permettant de transférer le carburant transporté par les bateaux dans les cuves du terminal, ce qui imposait de manipuler les joints de ces flexibles, joints composés d'amiante.
Il y a lieu de relever que M. [W] a commencé à travailler à compter de décembre 1975 pour la société [5], à une époque où l'amiante était très largement employée dans l'industrie navale et que les opérations étaient effectuées pour des bâtiments issus de différents pays, comme en a attesté le directeur des ressources humaines de la société.
La société [5] se prévaut encore d'une note datée du 23 août 2006 listant les produits chimiques présents dans l'entreprise, après relevé effectué par un membre de l'association interprofessionnelle pour la santé au travail.
Il ne peut être déduit aucun élément quant à la non-exposition de M. [W] à l'amiante, alors que ce relevé a été effectué en juillet 2006, et n'apporte donc aucun élément sur la période de décembre 1975 à juillet 2006, et concernait exclusivement les produits chimiques et non tous les polluants possibles.
Enfin, la société [5] entend justifier de l'absence d'exposition de son salarié par la production d'une attestation d'exposition, non datée, non signée (pièce 5) qui mentionne une exposition aux hydrocarbures et non à l'amiante, mais qui, comme le relève à juste titre la CARSAT a manifestement été établie après 2010 puisque l'imprimé porte la mention « selon la loi du 9 novembre 2010 et le décret du 30 janvier 2012 », alors que le salarié avait cessé son activité depuis le 1er juin 2008.
Le document est donc établi a posteriori, et au vu d'une situation totalement différente, étant rappelé que M. [W] avait commencé à travailler au service de la société [5] à compter de 1975, soit une période où l'amiante était encore autorisée et largement utilisée.
Dès lors, au vu de ces éléments, cette attestation d'exposition ne constitue pas une preuve de la non-exposition à l'amiante.
Il convient en conséquence de rejeter la demande d'inscription de la maladie au compte spécial sur le fondement de l'article 2 alinéa 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995.
Sur la demande d'inscription au compte spécial sur le fondement de l'article 2-4° de l'arrêté du 16 octobre 1995.
Aux termes des articles
D.242-6-5 et
D.242-6-7 du Code de la sécurité sociale fixant les règles de tarification des risques des accidents du travail et maladies professionnelles, il est prévu que les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par un arrêté ministériel ne sont pas comprises dans la valeur du risque ou ne sont pas imputées au compte employeur mais inscrites à un compte spécial.
L'article 2, paragraphe 4, de l'arrêté du 16 octobre 1995 dispose que « sont inscrites au compte spécial conformément aux dispositions de l'article D.246-6-5, les dépenses afférentes à des maladies professionnelles constatées ou contractées dans les conditions suivantes : (...)
4°) La victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie ».
La maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, sauf à cet employeur à rapporter la preuve contraire.
Il ressort donc des articles ci-dessus cités deux conditions cumulatives pour que soit possible l'inscription au compte spécial :
- Le salarié doit avoir été exposé au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes,
- Il est impossible de déterminer l'entreprise au sein de laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie
Dans le cas d'une demande d'inscription au compte spécial, la charge de la preuve de la réunion de ces deux conditions incombe à l'employeur.
En l'espèce, la société [5] fonde sa demande sur le fait que M. [W] a affirmé dans sa déclaration de maladie professionnelle avoir été exposé au risque de la maladie chez de précédents employeurs.
Les seules indications de la déclaration de maladie professionnelle sont insuffisantes à établir l'exposition, à raison de son caractère purement déclaratif, étant rappelé qu'elle est établie dans un contexte où un salarié souhaite obtenir la prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle.
La société soutient encore que son ancien salarié avait travaillé au service de plusieurs sociétés inscrites sur la liste ACATAA et/ou qui ont fait l'objet de condamnations pour avoir exposé leurs salariés à l'amiante.
Le seul fait qu'un salarié ait travaillé au service d'une entreprise dont il est établi qu'elle a utilisé de l'amiante ne suffit pas à démontrer que l'exposition au risque a eu lieu chez cet employeur puisque ce seul constat ne permet pas d'établir les conditions concrètes de travail au sein des entreprises concernées.
Un salarié peut avoir travaillé dans une telle entreprise, mais sans avoir été exposé à l'amiante, à raison de son poste, et de l'ensemble de ses conditions de travail, mais aussi selon la période de travail au service de cet employeur.
Enfin, le fait que le médecin traitant du salarié, en renseignant la déclaration de maladie professionnelle ait mentionné que M. [W] avait été exposé chez plusieurs employeurs, dont la société [4], ne constitue pas une preuve de la réalité de l'exposition, cette affirmation étant fondée sur les dires de l'assuré.
La société [5] ne démontre donc pas que M. [W] a été exposé au risque de sa maladie chez ses précédents employeurs, et dès lors, sa demande doit être rejetée.
Dépens
Conformément aux dispositions de l'article
696 du code de procédure civile, la société [5] est condamnée aux entiers dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt rendu par mise à disposition au greffe, contradictoire, en premier et dernier ressort,
Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer,
Déboute la société [5] de l'ensemble de ses demandes,
La condamne aux entiers dépens de l'instance.
Le Greffier, Le Président,