CEDH, Cour (Quatrième Section), AFFAIRE RUBACHA c. POLOGNE, 12 juin 2007, 5608/04

Synthèse

  • Juridiction : CEDH
  • Numéro de pourvoi :
    5608/04
  • Dispositif : Violation de l'art. 5-3
  • Importance : Faible
  • État défendeur : Pologne
  • Nature : Arrêt
  • Identifiant européen :
    ECLI:CE:ECHR:2007:0612JUD000560804
  • Lien HUDOC :https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-80992
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Résumé

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Texte intégral

QUATRIÈME SECTION AFFAIRE RUBACHA c. POLOGNE (Requête no 5608/04) ARRÊT STRASBOURG 12 juin 2007 DÉFINITIF 12/09/2007 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. En l'affaire Rubacha c. Pologne, La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de : Sir Nicolas Bratza, président, MM. J. Casadevall, S. Pavlovschi, L. Garlicki, Mme L. Mijović, M. J. Šikuta, Mme P. Hirvelä, juges, et de M. T.L. Early, greffier de section, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 mai 2007, Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 5608/04) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Zbigniew Rubacha (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 janvier 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Jakub Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères. 3. Le 14 septembre 2006, le Président de la quatrième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l'article 29 § 3, il a été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l'affaire. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE 4. Le requérant est né en 1956 et réside à Komańcza. 5. Le 23 septembre 2003, le requérant, soupçonné d'avoir commis une fraude en complicité avec d'autres personnes, fut arrêté par la police. 6. Le 25 septembre 2003, le tribunal de district de Varsovie ordonna la mise en détention provisoire de l'intéressé pour une période de trois mois dans l'intérêt de la bonne administration de la justice et au motif que les preuves rassemblées permettaient de le soupçonner d'être l'auteur du fait incriminé passible d'une peine importante de prison (8 ans au minimum). Le 6 novembre 2003, le tribunal régional confirma la décision du tribunal de district. 7. Le 19 décembre 2003, le tribunal de district prolongea la détention jusqu'au 22 février 2004 au motif qu'il était nécessaire de recueillir des preuves supplémentaires et de procéder à des expertises. Les juges invoquèrent la gravité de l'acte ainsi que le caractère compliqué de l'enquête, concernant plusieurs personnes. 8. Le 27 janvier 2004, le procureur déposa un acte d'accusation auprès du tribunal régional, maintenant tous les chefs d'accusation présentés au moment de l'arrestation de l'intéressé et l'enquête fut clôturée. 9. Le 3 février 2004, le tribunal de district de Lublin prolongea de nouveau la détention du requérant, estimant que les motifs invoqués précédemment étaient toujours pertinents, décision confirmée en appel le 23 février 2004 par le tribunal régional. Il en fut de même le 5 août 2004, le tribunal ayant estimé que le requérant pouvait influencer les témoins et empêcher le bon déroulement de l'instruction. Le 19 août 2004, le tribunal régional confirma la décision précédente. 10. En 2005, le tribunal prolongea la détention les 4 février, 5 mai et 3 août 2005 estimant qu'une fois remis en liberté, le requérant et ses complices pourraient empêcher le bon déroulement de la procédure et soulignant qu'il y avait un risque réel de le voir tenter de se dérober à la justice. 11. Le 14 septembre 2005, la cour d'appel de Lublin prolongea sa détention pour la période de trois mois au motif qu'il était nécessaire d'auditionner un témoin important. 12. Le 15 décembre 2005, le tribunal de district de Lublin condamna le requérant à une peine de prison de cinq ans, décision confirmée en appel le 23 juin 2006 par le tribunal régional. Le requérant ne se pourvut pas en cassation.

EN DROIT



I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

13. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et invoque l'article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé : « Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, (...) a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. (...). » A. Sur la recevabilité 14. Le Gouvernement soulève une exception préliminaire relative au non-épuisement des voies de recours internes, faisant valoir que le requérant n'a pas usé de tous les recours disponibles en droit national pour remédier à la durée excessive de la détention provisoire. Il soutient qu'il aurait été loisible au requérant de former un pourvoi en cassation à l'encontre de la décision de condamnation en deuxième instance rendue le 23 juin 2006 et ensuite d'introduire une demande d'indemnisation pour une détention injustifiée. 15. Le requérant ne se prononce pas sur cette question. 16. La Cour constate que l'action en indemnisation pour une détention injustifiée ne constitue pas une voie de recours adéquate pour remédier au grief soulevé sous l'angle de l'article 5 § 3. Par ailleurs, le requérant a interjeté appel de la décision du tribunal de district du 25 septembre 2003 sur sa mise en détention provisoire et des décisions du 3 février et 5 août 2004 prolongeant la détention de l'intéressé. 17. La Cour constate que le grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable. Sur le fond 1 La période à prendre en considération 18. La Cour constate que la durée de la détention provisoire du requérant s'étend du 23 septembre 2003 au 15 décembre 2005, soit environ 2 années et 3 mois. 2. Le caractère raisonnable de la durée de la détention provisoire 19. Le Gouvernement estime que la détention se justifiait par des raisons suffisantes et pertinentes et souligne qu'elle était soumise à un contrôle régulier de la part des tribunaux fournissant des explications détaillées. Il soulève la gravité de fait incriminé et soutient que les raisons plausibles de soupçonner le requérant qu'il avait commis l'infraction reprochée persistaient tout au long de la procédure. Selon le Gouvernement, on pouvait raisonnablement croire qu'une fois remis en liberté l'intéressé tenterait de se soustraire à la justice et d'entraver le bon déroulement de la procédure, notamment en influençant les témoignages à recueillir. 20. La Cour rappelle qu'il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d'un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l'existence d'une véritable exigence d'intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d'innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et d'en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d'élargissement. C'est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits établis indiqués par l'intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s'il y a eu ou non violation de l'article 5 § 3 de la Convention. 21. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d'un certain temps elle ne suffit plus; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir notamment l'arrêt Letellier c. France du 26 juin 1991, série A no 207, p. 18, § 35). 22. La Cour observe qu'en l'espèce les autorités ont justifié la prolongation de la détention par la sévérité de la peine encourue, par la complexité de l'affaire ainsi que par le risque d'entrave au bon fonctionnement de justice. 23. La Cour considère que ces motifs pouvaient initialement suffire à légitimer la détention. Toutefois, au fil du temps, ils sont inévitablement devenus moins pertinents et seules des raisons vraiment impérieuses pourraient persuader la Cour que la longue privation de liberté (deux années et trois mois) se justifiait au regard de l'article 5 § 3. 24. La Cour ne décèle aucune raison de la sorte en l'espèce et constate que les juridictions nationales ont rejeté les demandes de libération du requérant et ont prolongé la détention essentiellement pour les mêmes motifs que ceux cités précédemment. La Cour observe de surcroît que tout au long de la procédure, les juges ont motivé leurs décisions par le caractère complexe de l'affaire, soulignant surtout la sévérité de la peine encourue du fait de la nature des infractions reprochées à l'intéressé. 25. La Cour observe qu'en l'espèce le requérant était accusé de fraude en complicité avec d'autres personnes. Il est vrai que l'infraction reprochée entraîne en soi une peine sévère, toutefois celle-ci ne saurait constituer un crime violent. De surcroît, malgré le fait que le requérant avait commis l'infraction en complicité avec d'autres personnes, il n'existe aucune indication relative à son éventuelle appartenance à un groupe organisé. Par ailleurs, il ne paraît pas que l'affaire présentait des difficultés procédurales et logistiques inhérentes aux affaires ayant trait à la délinquance organisée et qui les rendent plus complexes (voir, notamment l'arrêt Malik c. Pologne du 4 avril 2006, no 57477/00, § 49). 26. La Cour rappelle à cet égard qu'à la lumière de sa jurisprudence établie, l'existence d'un fort soupçon de participation à des infractions graves et la perspective d'une lourde sentence ne sauraient à elles seules justifier une longue détention provisoire (voir, notamment, les arrêts Wemhoff c. Allemagne du 27 juin 1968, série A no 7, p. 22, § 14 ; Matznetter c. Autriche du 10 novembre 1969, série A no 10, p. 29, § 11 ; Letellier c. France précité, § 43 ; Scott c. Espagne du 30 novembre 1996, CEDH 1996 - VI, p. 2304, § 78). 27. Aussi la Cour conclut-elle que les raisons invoquées par les tribunaux dans leurs décisions n'étaient pas suffisantes pour justifier le maintien en détention du requérant pendant la période en question. 28. Il y a donc eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

29. Le requérant clame son innocence, estime que toute la procédure a été conduite de manière inéquitable et invoque l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) » 30. La Cour constate que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours à sa disposition en droit polonais, au sens de l'article 35 § 1 de la Convention puisqu'il n'a pas formé un pourvoi en cassation de la décision du tribunal régional datant du 23 juin 2006. Il convient donc de déclarer le grief irrecevable. III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION 31. Aux termes de l'article 41 de la Convention, « Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. » A. Dommage 32. Le requérant réclame 4 290 000 PLN (1 135 000 EUR) pour le préjudice moral qu'il aurait subi. 33. Le Gouvernement estime cette somme excessive. 34. La Cour n'aperçoit aucun lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et rejette cette demande. En revanche, elle estime qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 1 000 EUR au titre du préjudice moral. B. Frais et dépens 35. Le requérant ne sollicite aucune somme pour ces frais et dépens. C. Intérêts moratoires 36. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS

, LA COUR, À L'UNANIMITÉ, 1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 5 § 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ; 2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 § 3 de la Convention ; 3. Dit a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 1 000 EUR (mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ; cette somme est à convertir en zlotys polonais au taux applicable à la date du règlement ; b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ; 4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus. Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juin 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement. T.L. Early Nicolas Bratza Greffier Président

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