Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRET
DU 11 JANVIER 2012
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/08144
Sur renvoi après cassation du 26 février 2008 d'un arrêt rendu le 30 juin 2006 par la Cour d'Appel de PARIS (4ème Ch. B) RG : 05-01554 sur appel d'un jugement rendu le 05 octobre 2004 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS ( 3 ème Ch. 3ème section) RG : 02-06782
DEMANDEURS A LA SAISINE
SAS NORMALU
agissant poursuites et diligences de son représentant légal
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Monsieur [K] [T]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentés par la SCP MOREAU, avoués à la Cour
assistés de Maître Geoffroy GAULTIER, avocat au barreau de Paris toque : R 17
DÉFENDERESSE A LA SAISINE
SAS NEWMAT
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par la SCP FISSELIER CHILOUX BOULAY, avoués à la Cour
assistée de Me Yves BIZOLLON, avocat au barreau de PARIS, toque : R255
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Novembre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Didier PIMOULLE, Président
Mme Brigitte CHOKRON, Conseiller
Madame Anne-Marie GABER, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : M. Gilles DUPONT
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Didier PIMOULLE, président et par Madame ARRIGONI, greffier
* * *
Vu le jugement rendu le 5 octobre 2004 par lequel le tribunal de grande instance de Paris, statuant sur l'action en contrefaçon de brevet engagée par la société NEWMAT à l'encontre de la société NORMALU et [K] [T], a, pour l'essentiel :
- rejeté la demande en annulation des revendications 1 à 6 du brevet FR 98-15151 appartenant à la société NEWMAT,
- retenu à la charge de la société NORMALU et de [K] [T] des actes de contrefaçon des revendications 1 à 6 du brevet FR 98-15151 ainsi que des actes distincts de concurrence déloyale,
- prononcé des mesures d'interdiction et de publication,
- avant-dire-droit sur l'indemnisation des préjudices, alloué à la société NEWMAT une indemnité provisionnelle de 15 000 euros et ordonné une expertise confiée à M. [Y] [C] ;
Vu l'arrêt en date du 30 juin 2006 aux termes duquel la cour d'appel de Paris, 4ème chambre B, saisie de l'appel relevé par la société NORMALU et [K] [T], a confirmé le jugement en ce qu'il a retenu des actes de concurrence déloyale à la charge de la société NORMALU et [K] [T], a condamné ces derniers à verser de ce chef à la société NEWMAT, sans qu'il y ait lieu à mesure d'expertise, une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts mais, réformant le jugement pour le surplus, et statuant à nouveau des chefs infirmés, a déclaré nulles pour défaut d'activité inventive les revendications 1 à 6 du brevet FR 98 6 15151;
Vu l'arrêt rendu le 26 février 2008, par lequel la Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Paris mais seulement en ce qu'il a déclaré nulles pour défaut d'activité inventive les revendications 1 à 6 du brevet FR 98- 15151et rejeté en conséquence l'action fondée sur la contrefaçon de ces revendications, a remis, sur ce point, les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées, pour être fait droit, devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Vu l'arrêt de ce siège en date du 19 mai 2010, confirmant en ses dispositions soumises à la cour le jugement déféré et considérant, sur le préjudice de contrefaçon de la société NEWMAT, qu'il serait de bonne justice d'ordonner, par préférence à une mesure d'expertise qui allongera inéluctablement les délais de procédure et en alourdira conséquemment le coût, une réouverture des débats afin de recueillir l'accord des parties sur la désignation d'un médiateur judiciaire;
Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 31 août 2010 désignant M. [Z] [F] en qualité de médiateur judiciaire avec mission d'effectuer une mesure de médiation qui prendra fin le 1er décembre 2010;
Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 3 janvier 2011, prorogeant jusqu'au 1er avril 2011 le délai imparti au médiateur judiciaire pour l'accomplissement de sa mission ;
Vu le courrier en date du 22 mars 2011 du représentant de la société NEWMAT annonçant l'échec de la médiation et les conclusions aux fins de reprise de l'instance signifiées le 24 mars 2011 pour le compte de la société NORMALU et [K] [T] ;
Vu les ultimes écritures respectivement signifiées le 22 septembre 2011 par la société NORMALU et [K] [T], demandeurs à la saisine, et le 17 octobre 2011 par la société NEWMAT, défenderesse à la saisine, ;
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 25 octobre 2011
;
SUR CE,
LA COUR,
Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure aux décisions et écritures des parties précédemment visées ;
Qu'il suffit de rappeler que la société NEWMAT fabrique et commercialise des plafonds tendus, produits généralement constitués d'une nappe en matériau synthétique munie à sa périphérie d'un dispositif d'accrochage venant s'ancrer dans des lisses, de conceptions variées, disposées sur tout le périmètre de la pièce en partie supérieure des murs ; qu'ayant constaté l'offre en vente par la société NORMALU, sous la marque 'BARRISOL', de lisses à corniches référencées B 312 et B 313 reproduisant, selon elle, les caractéristiques du brevet FR 98 15151 dont elle est titulaire, déposé le 27 novembre 1998 sous le titre 'pièce profilée pour l'accrochage d'un plafond tendu', elle a fait procéder à des saisies-contrefaçon, dûment autorisées par ordonnances présidentielles, le 27 mars 2002 au siège social de la société NORMALU à [Localité 3] et le 2 avril 2002 dans les locaux de l'entreprise de [K] [T], installateur de ces produits à [Localité 4], puis a introduit devant le tribunal de grande instance de Paris une instance en contrefaçon des revendications 1 à 6 du brevet et en concurrence déloyale ;
Considérant que le litige en concurrence déloyale a été définitivement tranché par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2006 fixant à 10.000 euros le préjudice subi de ce chef par la société NEWMAT ; qu'en effet, l'arrêt précité, cassé et annulé par l'arrêt de la Cour de cassation en date du 26 février 2008, mais seulement en ce qu'il a déclaré nulles, pour défaut d'activité inventive, les revendications 1 à 6 du brevet FR 98-15151, et rejeté en conséquence l'action fondée sur la contrefaçon de ces revendications, n'a pas été atteint par la cassation en ce qu'il a statué sur la demande formée au fondement de concurrence déloyale ;
Considérant que la présente juridiction de renvoi ayant, aux termes de l'arrêt en date du 19 mai 2010, rejeté par confirmation du jugement entrepris, la demande en nullité pour défaut d'activité inventive des revendications 1à 6 du brevet FR 98 15151 de la société NEWMAT, déclaré en conséquence ces revendications valables et retenu à la charge de la société NORMALU et [K] [T] des actes de contrefaçon par reproduction des revendications 1 à 6 opposées, reste en litige, dès lors que les parties ne sont pas parvenues, au terme de la mesure de médiation organisée à cet effet, à trouver un accord sur ce point, la liquidation du préjudice de contrefaçon de la société NEWMAT ;
Considérant, en premier lieu, que les parties sont d'accord pour fixer le préjudice sur la période écoulée entre juin 2000, date de la publication du brevet opposé FR 98 15151, et octobre 2004, date du jugement du tribunal de grande instance de Paris, confirmé par arrêt de la cour de céans du 19 mai 2010 en ce qu'il a retenu à la charge de la société NORMALU et [K] [T] des actes de contrefaçon du brevet ;
Considérant, en deuxième lieu, que la société NORMALU, soutenant que la société NEWMAT ne démontrerait pas avoir commercialisé avant 2003 les lisses brevetées dont les photographies seraient absentes de ses catalogues, en conclut que la réparation du préjudice de contrefaçon doit être calculée, pour les années 2000, 2001, 2002, sur la base d'une redevance indemnitaire égale à 5% du chiffre d'affaires généré par la masse contrefaisante ;
Mais considérant, force étant de relever que la société NORMALU a attendu le mois de juin 2011 pour mettre en doute l'exploitation du brevet par la société NEWMAT pour la période antérieure à 2003, qu'il y a lieu de retenir comme justifiant d'une telle exploitation l'attestation et le tableau récapitulatif des ventes établis en date du 9 novembre 2005 par le commissaire aux comptes de la société NEWMAT et corroborés par les tarifs de la société NEWMAT pour les années 2000, 2001 et 2002 d'où il résulte que cette dernière a commercialisé pour la période en cause les lisses brevetées, pourvues d'une lèvre longitudinale réalisée par coextrusion dans un matériau synthétique élastiquement déformable permettant d'épouser parfaitement les défauts d'aspects du mur et désignées sous la dénomination 'lisses corniches à bavette' ;
Que la demande de la société NORMALU tendant à voir calculer le préjudice de la société NEWMAT, pour la période antérieure à 2003, sur la base d'une redevance indemnitaire est en conséquence mal fondée;
Considérant, en troisième lieu, que la société NORMALU conteste la prétention de la société NEWMAT à voir prendre en compte, dans les ventes manquées, le plafond tendu comme formant avec la lisse brevetée un 'tout commercial' indivisible ;
Or considérant que le plafond tendu présente avec la lisse, constituant le dispositif d'ancrage de la toile, un lien de complémentarité nécessaire dès lors que le plafond tendu ne peut être fixé sans la lisse et que la lisse n'a pour seule utilité que de permettre l'installation du plafond tendu ;
Considérant que la société NORMALU est par ailleurs mal fondée à prétendre que seule la toile, et non la lisse, serait déterminante dans le choix du consommateur pour un plafond tendu ;
Qu'il doit être à cet égard souligné que la lisse à lèvre souple permet d'épouser parfaitement les irrégularités du mur et de remédier aux défauts d'aspect du plafond tendu observés au droit de la paroi réceptrice lorsque celle-ci est irrégulière ; que la lisse, objet du brevet, suscite ainsi des ventes de plafonds tendus qui n'auraient pas été réalisées si les inconvénients rencontrés dans l'art antérieur n'avaient pas été corrigés par l'invention qu'elle met en oeuvre;
Considérant qu'il résulte enfin de la réalité commerciale effective que la lisse est fournie par le poseur de plafond tendu ;
Que la société NORMALU ne saurait démentir, en conséquence de l'ensemble de ces éléments, que la lisse et la toile forment un ' tout commercial' en sorte que, le manque à gagner résultant pour la société NEWMAT de la contrefaçon doit être apprécié en tenant compte non seulement des ventes de lisses contrefaisantes mais aussi des ventes des toiles correspondantes ;
Considérant, ceci étant posé, que les parties s'accordent pour retenir que la société NORMALU a vendu sur la période de 2000 à 2004 :
14.370 mètres linéaires de lisses contrefaisantes référencées B312
6.669 mètres linéaires de lisses contrefaisantes référencées B313
soit un total de 21.040 mètres linéaires de lisses contrefaisantes ;
Considérant qu'il ressort des éléments de la procédure que, sur cette même période, la lisse, objet du brevet, a été achetée par la société NEWMAT à son fabricant au prix moyen de 0,84 euros par mètre linéaire pour être vendue ensuite au prix moyen de 3,72 euros au mètre linéaire ;
Considérant que la société NORMALU est mal fondée à voir déduire du calcul de la marge des coûts de perforation liés au montage du plafond tendu, entrant en ligne de compte dans les frais de pose indépendamment du prix de vente de la lisse ; qu'elle n'est pas davantage fondée à se prévaloir des rabais qu'effectuerait la société NEWMAT sur ses prix catalogues, dont elle ne démontre pas au demeurant, en produisant 3 factures émises par la société NEWMAT en mars 2008, qu'ils seraient systématiques ;
Considérant que la marge brute de la société NEWMAT est en conséquence de 2,88 euros par mètre linéaire de lisse, soit la différence entre le prix d'achat du mètre linéaire de lisse au fabricant : 0,84 euros et le prix de vente moyen du mètre linéaire de lisse : 3,72 euros ;
Considérant que la marge perdue par la société NEWMAT à raison de la vente des lisses contrefaisantes doit dès lors être fixée à 2,88 euros X 21.040 mètres linéaires, soit 60.595,12 euros pour la période considérée ;
Considérant que la marge perdue de la société NEWMAT doit être également calculée au regard des ventes manquées de toiles dont il a été précédemment relevé qu'elles sont vendues en même temps que les lisses contrefaisantes, les deux produits constituant les éléments indissociables d'un plafond tendu ;
Considérant que la société NORMALU ne dément pas le ratio observé par la société NEWMAT de 0,954 mètre carré de toile vendu par mètre linéaire de lisse vendu ; que l'application de ce ratio aux 21.040 mètres linéaires de lisses contrefaisantes vendues par la société NORMALU pour la période 2000 à 2004 permet de vérifier que la société NORMALU a vendu pour la même période 20.072,16 mètres carrés de toiles ;
Considérant que la marge brute par mètre carré de toile est calculée au regard des pièces comptables communiquées par la société NEWMAT par la différence entre le prix d'achat moyen de la toile au fabricant, soit 2,5 euros le mètre carré, et le prix de vente moyen par la société NEWMAT d'une toile standard ne nécessitant aucun retraitement particulier, soit 17,36 euros le mètre carré, ce qui permet de retenir une marge brute de 14, 86 euros par mètre carré de toile, chiffre qui n'est pas sérieusement contesté par la société NORMALU qui ne fait pas connaître sa propre marge brute ;
Que le gain manqué par la société NEWMAT sur les ventes de toiles s'élève en conséquence à 20.072,16 X 14,86 sur la période de 2000 à 2004, soit 298.272,29 euros ;
Considérant que la société NEWMAT demande à raison que soit retenu un taux de report des ventes de 100% , force étant de relever que la société NORMALU ne rapporte pas la preuve de l'offre sur le marché, par d'autres fournisseurs, pour la période considérée, d'une lisse mettant en oeuvre une technologie équivalente et substituable à l'invention protégée et parvenant ainsi à épouser parfaitement les irrégularités du mur et à corriger les défauts d'aspect inesthétiques du plafond tendu au droit de la surface réceptrice ;
Considérant qu'il suit de l'ensemble des développements qui précèdent que le gain manqué de la société NEWMAT au cours de la période 2000 à 2004 est de 60.595,12 euros pour les lisses + 298.272,29 euros pour les toiles, soit un total de 358.867,41 euros ;
Considérant que force est de relever par ailleurs que la société NORMALU, prenant acte des éléments d'information recueillis au terme de la saisie-contrefaçon effectuée dans ses locaux le 21 juillet 2011 à la requête de la société NEWMAT, ne conteste pas qu'elle poursuivait à cette date, au mépris de la mesure d'interdiction prononcée par les premiers juges avec le bénéfice de l'exécution provisoire, la commercialisation des lisses contrefaisantes, référencées B 312 et B 313 ; qu'elle chiffre dans ses propres écritures à 5.321, le nombre de mètres linéaires de lisses contrefaisantes vendues entre novembre 2004 et juillet 2011;
Considérant qu'une telle circonstance, ajoutée à l'atteinte portée à la société NEWMAT à raison du pillage d'une invention pour laquelle ont été consentis des efforts financiers et humains, justifie que soit allouée à la société NEWMAT une indemnité de 30.000 euros au titre du préjudice moral ;
Considérant que l'équité commande de fixer à 100.000 euros l'indemnité qui sera versée à la société NEWMAT au titre des frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS
:
Condamne in solidum la société NORMALU et [K] [T] à payer à la société NEWMAT, en réparation du préjudice de contrefaçon :
-en réparation du préjudice commercial la somme de : 358.867,41 euros ,
-en réparation du préjudice moral la somme de : 30.000 euros,
Condamne in solidum la société NORMALU et [K] [T] aux dépens de la procédure qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du Code de procédure civile et à verser à la société NEWMAT une indemnité de 100.000 euros au titre des frais irrépétibles .
LE GREFFIER LE PRESIDENT