LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 22 octobre 2020
Cassation
sans renvoi
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1125 F-D
Pourvoi n° K 18-19.769
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 22 OCTOBRE 2020
La société Les Rapides du littoral, société anonyme, dont le siège est [...] ), a formé le pourvoi n° K 18-19.769 contre l'arrêt rendu le 17 mai 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (17e chambre), dans le litige l'opposant à M. G... P..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Maunand, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Les Rapides du littoral, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. P..., et l'avis de M. Girard, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 septembre 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Maunand, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 mai 2018), M. P... été embauché en qualité de conducteur-receveur par la société Rapides Côte d'Azur. Il est passé au service de la société de droit monégasque Les Rapides du littoral, les deux sociétés appartenant au même groupe.
2. Revendiquant l'application du droit français et de la convention collective des réseaux des transports urbains de voyageurs, M. P... a saisi un conseil des prud'hommes à fin de voir condamner l'employeur à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaire et d'indemnités.
3. Par jugement du 4 décembre 2017, le conseil des prud'hommes, statuant sur l'exception d‘incompétence soulevée par la société Les Rapides du littoral, s'est déclaré incompétent pour connaître du litige au profit du tribunal du travail de la Principauté de Monaco.
4. M. P... a interjeté appel.
5. Par arrêt du 4 décembre 2017, la cour d'appel a rejeté la demande de caducité de la déclaration d'appel formée par la société Les Rapides du littoral, infirmé le jugement et statuant à nouveau, a dit la juridiction prud'homale compétente pour connaître du litige et a renvoyé l'examen de l'affaire au fond.
Examen des moyens
Sur le second moyen ci après annexé
6. Après avis donné aux parties en application de l'article
1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. La société Les Rapides du littoral fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer caduque la déclaration d'appel alors « qu'en cas d'appel d'un jugement statuant exclusivement sur la compétence, l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir, dans le délai d'appel, le premier président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire ; qu'en retenant que la sanction de la caducité de l'appel n'était encourue qu'en cas de non-respect de la formalité de saisine du premier président ou si le délai pour y procéder n'a pas été respectée puisque l'erreur consistant à demander une fixation prioritaire au lieu d'une autorisation d'assignation à jour fixe ne portait que sur les modalités de mise en oeuvre de la procédure d'appel et était sans incidence sur la régularité de sa saisine, quand, peu important que le premier président ait délivré une autorisation d'assigner à jour fixe sur la requête de l'appelant tendant à une fixation prioritaire de l'appel, la déclaration d'appel était caduque faute de saisine du premier président, s'agissant d'une procédure avec représentation obligatoire, en vue d'être autorisé à assigner à jour fixe, la cour d'appel a violé les articles
84 et
917 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles
83,
84 et
85 et
918 du code de procédure civile :
8. Il résulte des trois premiers de ces textes que, nonobstant toute disposition contraire, l'appel dirigé contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige relève, lorsque les parties sont tenues de constituer un avocat, de la procédure à jour fixe et qu'en ce cas l'appelant doit saisir, dans le délai d'appel et à peine de caducité de la déclaration d'appel, le premier président de la cour d'appel en vue d'être autorisé à assigner l'intimé à jour fixe. Selon le dernier de ces textes, la requête à fin d‘autorisation à jour fixe doit contenir les conclusions au fond et viser les pièces justificatives.
9. Pour rejeter la demande de la société Les Rapides du littoral, l'arrêt retient qu'il est certain, compte tenu des termes de l'article
84 du code de procédure civile que la sanction de la caducité de l'appel est encourue si la formalité de la saisine du premier président n'a pas été respectée ou si le délai pour y procéder a été méconnu, s'agissant de conditions posées pour l'exercice même du droit d'appel. Elle relève qu'en l'espèce, M. P... a respecté ces obligations, que si elle a demandé la fixation prioritaire au lieu d'une autorisation d'assignation à jour fixe, cette erreur de pure forme qui ne porte que sur les modalités de mise en oeuvre de la procédure d'appel, est sans incidence sur la régularité de la saisine de la cour et ne peut donner lieu à caducité de l'appel.
10. En statuant ainsi, alors que M. P... n'avait pas saisi le premier président d'une requête à fin d'être autorisée à assigner à jour fixe mais d'une requête en fixation prioritaire non soumise aux exigences relatives à la communication des conclusions et au visa des pièces justificatives, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article
1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles
L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et
627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. Il résulte de ce qui a été dit aux paragraphes 8 et 10 que la déclaration d'appel formée par M. P... est caduque.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉCLARE caduque la déclaration d'appel de M. P....
Condamne M. P... aux dépens en ce compris ceux exposés devant les juridictions du fond ;
En application de l'article
700 du code de procédure civile, rejette les demandes présentées tant devant la cour d'appel, que devant la Cour de cassation ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux octobre deux mille vingt et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles
452 et
456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Les Rapides du Littoral
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de la société Les Rapides du Littoral tendant à voir déclarer caduque la déclaration d'appel ;
AUX MOTIFS QUE sur la demande tendant à la caducité de la déclaration d'appel : en application des articles 83 et suivants du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n°2017-891 du 6 mai 2017, lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, comme c'est le cas en l'espèce, sa décision peut faire l'objet d'un appel ; aux termes de l'article 84, l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir, dans le délai d'appel, le premier président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire ; selon l'article 85, outre les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933, la déclaration d'appel précise qu'elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d'irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration ; nonobstant toute disposition contraire, l'appel est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe si les règles applicables à l'appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé d'appel imposent la constitution d'avocat, ou, dans le cas contraire, comme il est dit à l'article 948 ; en l'espèce, ayant interjeté appel le 13 décembre 2017 du jugement du 4 décembre 2017, M. P... a sollicité, par requête adressée au premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 14 décembre 2017, de fixer prioritairement l'appel, sur le fondement de l'article
84 du code de procédure civile ; selon ordonnance du 19 décembre 2017, le délégué du premier président a autorisé M. P... à assigner la société RLM à jour fixe et non pas à bénéficier d'une fixation prioritaire, cette dernière procédure n'étant applicable qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire ; s'il est vrai que la requête de M. P... ne visait qu'à la fixation prioritaire de l'appel alors qu'elle est opposée à la société LRM dans le cadre d'une procédure avec représentation obligatoire qui ne pouvait donner lieu qu'à assignation à jour fixe, la société LRM n'est pas fondée à soutenir que la déclaration d'appel serait caduque pour ce motif ; il est certain, compte tenu des termes de l'article
84 du code de procédure civile que la sanction de la caducité de l'appel est encourue si la formalité de la saisine du premier président n'a pas été respectée ou si le délai pour y procéder a été méconnu, s'agissant de conditions posées pour l'exercice même du droit d'appel ; or, en l'espèce, M. P... a respecté ces obligations ; si elle a demandé la fixation prioritaire au lieu d'une autorisation d'assignation à jour fixe, cette erreur de pure forme qui ne porte que sur les modalités de mise en oeuvre de la procédure d'appel, est sans incidence sur la régularité de la saisine de la cour et ne peut donner lieu à caducité de l'appel ; la demande à ce titre de la société LRM sera rejetée ;
ALORS QUE, en cas d'appel d'un jugement statuant exclusivement sur la compétence, l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir, dans le délai d'appel, le premier président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire ; qu'en retenant que la sanction de la caducité de l'appel n'était encourue qu'en cas de non-respect de la formalité de saisine du premier président ou si le délai pour y procéder n'a pas été respectée puisque l'erreur consistant à demander une fixation prioritaire au lieu d'une autorisation d'assignation à jour fixe ne portait que sur les modalités de mise en oeuvre de la procédure d'appel et était sans incidence sur la régularité de sa saisine, quand, peu important que le premier président ait délivré une autorisation d'assigner à jour fixe sur la requête de l'appelant tendant à une fixation prioritaire de l'appel, la déclaration d'appel était caduque faute de saisine du premier président, s'agissant d'une procédure avec représentation obligatoire, en vue d'être autorisé à assigner à jour fixe, la cour d'appel a violé les articles
84 et
917 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit la juridiction prud'homale compétente pour connaître du litige ;
AUX MOTIFS QUE sur la compétence pour soutenir que le conseil de prud'hommes de Nice est compétent pour connaître du litige, M. P... se réfère : - aux dispositions de du Règlement CE du 22 décembre 2000 précisant que l'employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un Etat membre peut être attrait devant les juridictions de l'Etat membre dans lequel le salarié a son domicile, selon les règles de compétences en vigueur au sein de cet Etat membre, - à l'article
R 1412-1 du code du travail aux termes duquel le conseil de prud'hommes territorialement compétent pour connaître des litiges entre l'employeur et le salarié est soit celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est accompli le travail, soit, lorsque le travail est accompli à domicile ou en dehors de toute entreprise ou établissement, celui dans le ressort duquel est situé le domicile du salarié ; M. P... fait valoir sans être contesté sur ces points qu'il exerce ses fonctions de conducteur receveur en dehors de tout établissement ou entreprise, que ses fonctions impliquent des prises et des fins de poste aux dépôts de bus situés [...] et qu'en outre, il est domicilié dans le ressort du conseil de prud'hommes de Nice ; pour soutenir que les juridictions françaises seraient incompétentes pour connaître du litige au profit du tribunal du travail de Monaco, l'employeur fait valoir que le contrat de travail de M. P... est soumis à la loi monégasque et il développe un certain nombre d'éléments pour appuyer ses prétentions selon lesquelles la loi monégasque serait applicable au litige ; la société LRM ne saurait se prévaloir des dispositions de l'article
L 1411-1 du code du travail pour soutenir que la compétence des juridictions françaises serait limitée aux seuls contrats gouvernés par le code du travail français ; si ce texte dispose que le conseil de prud'hommes règle les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs et les salariés qu'ils emploient, ces dispositions ne visent qu'à limiter la compétence du conseil de prud'hommes aux litiges nés entre les employeurs et les salariés à l'occasion de leur relation de travail et elles ne sauraient avoir pour effet de faire échec à la règle de compétence territoriale posée par l'article
R 1412-1 du code du travail ; que la loi applicable au litige soit ou non la loi monégasque, la cour est saisie de l'appel dirigé contre le jugement du 4 décembre 2017 qui s'est prononcé sur la compétence territoriale de la juridiction en estimant que seul le tribunal du travail de la Principauté de Monaco était compétent pour connaître de l'affaire ; s'agissant d'une difficulté relative à la compétence territoriale de la juridiction, la question doit être examinée à la lumière des dispositions de l'article
R 1412-1 du code du travail ; dès lors qu'il n'est pas contesté que M. P... a son domicile dans le ressort du conseil de prud'hommes de Nice et qu'il travaille en dehors de tout établissement ou entreprise, il apparaît, sans qu'il y ait lieu de rechercher la loi applicable au litige, que le salarié est en droit de se prévaloir de l'article
R 1412-1 du code du travail pour revendiquer la compétence de la juridiction française ; le jugement doit donc être infirmé en ce qu'il a accueilli l'exception d'incompétence et déclaré le conseil de prud'hommes de Nice incompétent pour connaître du litige au profit du Tribunal du Travail de Monaco ;
ALORS QUE, tout jugement doit être motivé à peine de nullité et que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en retenant la compétence de la juridiction prud'homale française pour connaître du litige, sans répondre aux conclusions opérantes de l'employeur faisant valoir que le contrat de travail le liant à M. P... prévoyait une clause attributive de juridiction donnant compétence au Tribunal du travail de la Principauté de Monaco pour connaître de tout litige relatif à l'interprétation, l'exécution ou la rupture du contrat, la cour d'appel a violé l'article
455 du code de procédure civile.
Le greffier de chambre
Le greffier de chambre