CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,
PRÉSENTÉES LE 1ER MARS 1973 (
1
)
Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
Le requérant dans le procès au cours duquel nous sommes amené aujourd'hui à présenter nos conclusions est entré au service de l'Assemblée commune de la Communauté européenne du charbon et de l'acier en tant que conseiller adjoint auxiliaire, sur la base d'un contrat signé le 28 mai 1957. Ledit contrat s'appliquait à l'origine à la période allant du 16 mai 1957 au 30 juin 1957. Par la suite, il a été prolongé à plusieurs reprises, mais chaque fois en faisant référence au fait qu'il était régi par les «conditions d'engagement des auxiliaires».
Après qu'elle fut devenue l'Assemblée unique des trois Communautés européennes, à laquelle on a donné le nom de Parlement européen, cette institution a engagé M. Angelini le 26 juin 1958, puis a passé à nouveau avec lui un autre contrat le 6 octobre 1958, sur le modèle bien connu des «contrats de Bruxelles». Le contrat prévoyait une possibilité de résiliation pour les deux parties avec préavis d'un mois. Il a subi plusieurs modifications relativement au traitement de sorte qu'en dernier lieu, sauf erreur de notre part, le requérant percevait à dater du 1er avril 1961 un traitement correspondant au classement dans le grade A 4/4 du barème des traitements figurant dans le statut du personnel.
Par décision du 13 décembre 1962, avec effet au 1er janvier 1962, M. Angelini a été titularisé en vertu du titre IX (dispositions transitoires et finales) du statut des fonctionnaires de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique, en tant que chef de division au grade A 3/2. A cette occasion, M. Angelini a déclaré le 2 janvier 1963, conformément à l'article 104 du statut des fonctionnaires CEE et Euratom, qu'il renonçait aux avantages nés de son contrat antérieur. Dans la carrière qui lui avait été assignée, M. Angelini a toujours progressé, conformément à l'article 44 du statut, obtenant enfin, avec effet au 1er octobre 1971, le 7e échelon du grade A 3.
Ayant atteint l'âge de 65 ans le 2 janvier 1972, il a été mis à la retraite avec effet à dater de ce jour. Cette mesure est intervenue par décision du président du Parlement européen du 6 janvier 1972, dans laquelle il était précisé, par référence aux dispositions du statut des fonctionnaires (dans la version du règlement no 259/ 68), que la pension serait versée à dater du 1er février 1972. Cette décision a été communiquée à M. Angelini avec une lettre d'accompagnement le 28 janvier 1972. Le montant des sommes à percevoir devait lui être communiqué le 8 février 1972.
Auparavant déjà, c'est-à-dire le 10 janvier 1968, M. Angelini avait été informé que la date déterminante pour le calcul de son ancienneté, qui serait prise en considération pour la liquidation de sa pension, serait fixée, conformément à l'article 48 de l'annexe VIII au statut du personnel, au 16 mai 1957.
De plus, il y a lieu également d'attirer l'attention sur le fait que M. Angelini s'était adressé au sujet de sa future pension au président du Parlement européen par une lettre que celui-ci a reçue le 4 janvier 1972. Il y faisait valoir que son engagement du 26 juin 1958 n'avait pu créer qu'un rapport de travail sous le régime CECA; à son avis, il aurait été impossible de modifier ultérieurement ce rapport juridique. En outre, il faisait valoir que le passage du grade A 4 au grade A 3 n'aurait pas dû pouvoir entraîner une perte d'échelon.
Le président du Parlement européen a répondu à cette lettre par une note du 7 mars 1972. Il attirait l'attention de M. Angelini sur le fait que la réglementation spéciale applicable aux auxiliaires et qui s'était tout d'abord appliquée à M. Angelini était sans rapport avec le statut du personnel CECA. Il estimait qu'il en était de même pour la réglementation no 351 applicable aux agents engagés par contrat par les organes de la Communauté autres que la Haute Autorité, c'est-à-dire la réglementation dont s'inspirait également la lettre d'engagement de M. Angelini du 26 juin 1958. A son avis, le fait qu'il y ait eu une caisse de prévoyance spéciale pour la pension de retraite et un fonds indépendant du fonds prévu pour le personnel relevant du statut CECA était notamment important à cet égard. Dans ces conditions et parce que M. Angelini s'était vu accorder, avec effet au 1er janvier 1962, les avantages du statut du personnel CEE et Euratom, la seule déduction possible était que sa pension devait être calculée d'après les dispositions du statut CEE. — Il estimait de même, qu'il n'y avait pas lieu de mettre en cause le passage effectué, en application de l'article 46 du statut du personnel, du grade A 4 au grade A 3. D'ailleurs, il était impossible à son avis de revenir sur ce point, car M. Angelini ne s'était pas élevé contre cette mesure dans les délais utiles. — La demande introduite le 4 janvier 1972 devait donc être rejetée.
Comme M. Angelini n'entendait pas se satisfaire de cette situation, il a introduit le 12 juin 1972 un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes. Les conclusions du recours sont les suivantes. Il demande à ce qu'il plaise à la Cour :
—
|
annuler la décision du Président du Parlement européen qui rejette la demande du 4 janvier 1972 ;
|
—
|
faire droit aux demandes formulées dans la lettre du 4 janvier 1972.
|
Voyons maintenant ce qu'il y a lieu de penser de ces prétentions.
I — A propos de la recevabilité
Au premier plan des points litigieux se trouvent les questions de recevabilité, car le Parlement, qui est la partie défenderesse, est d'avis que la requête a été introduite après l'expiration du délai et qu'en outre, sa recevabilité se heurte à la déclaration faite par le requérant le 2 janvier 1963.
1. En ce qui concerne d'abord le respect du délai imparti pour introduire le recours
Pour le Parlement, l'élément décisif est que le requérant avait déjà fait valoir sa prétention, selon laquelle la liquidation de sa pension devait intervenir en fonction des dispositions du statut CECA et compte tenu d'un échelon supérieur dans le grade A 3, dans une demande introduite le 4 janvier 1972 auprès du Parlement. A l'expiration d'un délai de 2 mois à partir de cette date, conformément à l'article 91 du statut du personnel, il y a eu décision implicite de rejet, contre laquelle il aurait fallu introduire un recours dans un délai supplémentaire de 2 mois, c'est-à-dire au plus tard le 4 mai 1972. Par contre, le délai de recours — à savoir un délai de 3 mois — ne pouvait pas être calculé à partir de la notification de la décision expresse du président du Parlement le 7 mars 1972, car cette communication ne constitue, d'après la jurisprudence de la Cour, qu'un acte confirmatif qui n'entre pas en ligne de compte pour les délais de recours. — D'ailleurs, toujours selon le Parlement, le recours ne serait pas davantage recevable si la notification de la décision du 6 janvier 1972 et la notification de la décision relative à la liquidation de la pension étaient considérées comme décisives. Même par rapport à ces actes, le recours n'a pas été introduit devant la Cour de justice avant l'expiration du délai de trois mois.
Laissez-nous vous dire tout de suite que nous nous rangerons en fait à cette façon de voir.
Certes, il est vrai, comme l'affirme le requérant, que sa lettre du 4 janvier 1972 ne peut pas être considéré comme une réclamation au sens du statut du personnel, puisqu'il n'y avait pas encore à ce moment de décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination qui aurait pu donner lieu à une réclamation. Mais il n'en est pas moins vrai qu'il est nécessaire de qualifier cette lettre de demande au sens des articles 90 et 91 du statut du personnel. En effet, M. Angelini s'était déjà adressé en vain, sur la base des mêmes prétentions, au directeur général de l'administration du Parlement européen au cours de l'année 1971. Il connaissait donc la position de l'administration du Parlement, et lors de sa mise à la retraite il a cherché à nouveau et avec insistance à attirer l'attention de l'autorité investie du pouvoir de nomination sur cet ensemble de problèmes déjà examinés, pour obtenir une décision sur ce point. En outre, il affirmait expressément à la fin de sa lettre qu'en cas de décision défavorable, il se verrait dans l'obligation de s'adresser à d'autres instances (ce qui ne pouvait viser qu'un recours devant la Cour de justice des Communautés européennes).
Cela étant, nous avons en effet le choix entre plusieurs solutions toutes défavorables au requérant.
En premier lieu, on peut considérer comme décisif le fait qu'après la lettre du 4 janvier 1972, une décision expresse ait été prise le 6 janvier 1972 et que le montant de la pension de retraite ait été communiqué sur cette base. Le requérant pouvait déduire de ces actes (qui ne se réfèrent qu'aux dispositions CEE, et ne laissent apparaître aucune rectification dans le classement) que sa demande n'avait pas été prise en considération, et •qu'ils constituaient pour ainsi dire un rejet implicite de sa demande. A dater de leur notification, il y avait donc lieu de respecter un délai de recours de trois mois. Mais si les notifications respectives ont eu lieu, comme on le prétend, le 28 janvier et le 8 février 1972, il ne fait aucun doute que l'introduction du recours le 12 juin 1972 n'a pas eu lieu en temps utile, et cela, même si contrairement à la thèse soutenue par le Parlement, on tient compte du domicile italien du requérant qui donne droit à un délai de distance supplémentaire de dix jours.
Si toutefois nous faisons abstraction des deux actes précédemment cités, parce que, conformément à ce qu'a remarqué le requérant lors de la procédure orale, il n'existait pas de certitude complète quant à la réalité à la date de la notification, il est cependant impossible ne négliger les éléments suivants. En application de l'article 91 du statut du personnel, il faut admettre qu'il y a eu décision implicite de rejet à l'expiration du délai de deux mois à dater de l'introduction de la demande par le requérant, c'est-à-dire le 4 mars 1972. Cette décision pouvait être attaquée dans un délai de deux mois, c'est-à-dire compte tenu du délai de distance supplémentaire ci-dessus évoqué, au plus tard le 14 mai 1972. Par contre, la décision explicite de rejet du 7 mars 1972 n'entre pas en considération du point de vue de l'introduction du recours. Elle doit être considérée d'après la jurisprudence la plus récente et qui est très claire sur ce point (affaire 24-69, Recueil, 1970, p. 152; 33-70, Recueil 1971, p. 609) comme un acte purement confirmatif, dont il n'y a pas lieu de tenir compte et qui, selon une juste conception, ne pouvait donc servir de point de départ à un délai de recours de trois mois.
Par conséquent, si nous prenons comme point de départ la demande introduite par le requérant le 4 janvier 1972 auprès de l'autorité investie du pouvoir de nomination, la seule conclusion possible est que le recours a été introduit après expiration des délais et que pour ce motif, il doit être rejeté comme étant irrecevable.
2. Acquiescement
D'après le Parlement, il existe également un autre motif pour lequel le recours est irrecevable, à savoir l'acquiescement du requérant.
A notre avis, il est également difficile de rejeter cette thèse. L'élément décisif à cet égard est que lors de la titularisation conformément aux dispositions CEE, le 2 janvier 1963, en vertu de l'article 104 du statut du personnel, le requérant a déclaré renoncer aux avantages juridiques découlant de son précédent contrat de travail. Cette déclaration est parfaitement claire. En particulier, il n'existe aucun élément qui permette d'affirmer qu'elle n'a pas été librement consentie et qu'elle est par conséquent nulle; en effet au cours des années qui ont suivi, le requérant n'a fait aucune objection ou soulevé aucune réclamation à cet égard.
Or, il s'ensuit en fait que le requérant n'est plus en droit de demander à être traité en fonction du statut du personnel CECA, et que, sous cet angle également, son recours n'est pas recevable.
3.
|
Enfin, en ce qui concerne le classement dans le grade A 3, déterminant pour la liquidation de la pension, nous pouvons encore relever qu'il se base sur le classement qui a été attribué au requérant lors de sa titularisation, par décision du 13 décembre 1962. A cette époque, le requérant ne s'est pas élevé contre cette décision, pas plus qu'il ne s'est adressé à la Cour de justice, après qu'est intervenu l'arrêt dans l'affaire 70-63, c'est-à-dire après la décision dont il aimerait voir appliquer les principes également à son cas. La seule déduction possible est que la décision du 13 décembre 1962 qui est à l'origine du classement du requérant, est passée en force de chose jugée (de même que les décisions qui ont été examinées dans le cadre des affaires 43-64, Recueil, 1965, p. 499; 50-64, Recueil, 1965, p. 1015 et 47-65, Recueil 1965, p. 1251). Or, non seulement cela exclut — bien entendu — toute demande de modification rétroactive du classement; mais cela interdit également de considérer que ladite décision, relative au classement du requérant, est illicite et nulle en ce qui concerne la liquidation de la pension.
Pour ces motifs également, une partie des demandes formulées dans le recours doit être considérée comme irrecevable.
|
II — Sur le fond
Etant donné la conclusion parfaitement claire à laquelle aboutit, à notre avis, l'examen de la recevabilité, il serait superflu de s'étendre sur le fond. A titre subsidiaire, nous dirons cependant quelques mots à ce sujet.
1.
|
En ce qui concerne en premier lieu la prétention du requérant qui demande que sa pension de retraite soit calculée en fonction du statut du personnel de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, l'élément décisif est que le requérant n'a jamais été fonctionnaire de la CECA, au sens du statut du personnel. A son entrée au service de l'assemblée commune de la CECA, sa situation était uniquement celle d'un auxiliaire, définie par contrat et à laquelle s'appliquait une réglementation spéciale, indépendante du statut du personnel. A dater de juin 1958, il a été engagé sur la base d'un contrat dit de Bruxelles. Or, s'il est vrai que dans une certaine mesure la réglementation applicable à ce contrat (règlement APE 351) se référait au statut du personnel en vigueur, il n'y avait cependant pas lieu d'appliquer purement et simplement ce dernier, qui en particulier n'avait aucune portée du point de vue de la liquidation de la pension, car, ainsi que nous l'avons vu, pour les agents contractuels, celle-ci était réglementée par un règlement spécial (règlement APE 1658 du 8 avril 1959) qui prévoyait un fonds spécial.
Il s'ensuit que c'est à juste titre que le requérant a été titularisé en application de l'article 102 du statut du personnel CEE et Euratom, et non en vertu de l'annexe X au statut du personnel CECA, qui se réfère expressément à l'article 93 de ce statut et indique ainsi clairement que seuls étaient visés les anciens fonctionnaires CECA. Il s'ensuit encore qu'il est impossible de mettre en cause la liquidation de la pension de retraite du requérant effectuée en application du statut du personnel CEE et Euratom.
|
2.
|
En ce qui concerne en second lieu la prétention du requérant selon laquelle, lors de sa titularisation, il aurait dû être classé à l'échelon du grade A 3 qui en raison de son contrat d'engagement (lequel se référait au statut du personnel alors en vigueur) lui a été attribué dans le grade A 4, vous avez déjà eu l'occasion d'affirmer, Messieurs, (affaire 70-63) qu'une telle solution ne pouvait s'appliquer qu'aux fonctionnaires qui avaient bénéficié précédemment du régime CECA car ils étaient les seuls à être soumis, en ce qui concerne leur classement, à une réglementation précise. Par contre, pour les agents sous contrat, dont le classement ne respectait pas de façon aussi stricte une telle réglementation, il n'était pas question de reprendre automatiquement l'échelon précédent lors du classement à un grade supérieur. Il fallait plutôt déterminer l'échelon au regard de l'article 46 du statut du personnel (c'est-à-dire de la disposition applicable aux règles de promotion). Ce point a, lui aussi, été bien établi par la jurisprudence (affaire 15-64, Recueil, 1966, p. 663).
Compte tenu de tout ce qui vient d'être exposé, le requérant ne peut donc critiquer le fait que lors de sa titularisation, il a été classé en vertu de l'article 46. Il s'avère par là même que le Parlement, défendeur à l'instance, a procédé de façon correcte en déterminant le droit à la pension de retraite du requérant à partir de ce classement, ainsi qu'en tenant compte de l'avancement tous les 2 ans dans la carrière.
Par conséquent, il ne serait en aucun cas possible de faire droit au recours, à supposer qu'il soit recevable.
|
III — Après tout ce qui précède, nos conclusions seront les suivantes :
Le recours introduit par M. Angelini est irrecevable dans toutes ses conclusions, et doit donc être rejeté pour ce motif. Dans ce cas, les dépens devront être liquidés sur la base de l'article 70 du règlement de procédure, chaque partie devant supporter ses propres dépens.
(
1
) Traduit de l'allemand.