CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 55787/09
Mo P. contre la France
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 30 avril 2013 en une chambre composée de :
Mark Villiger, président,
Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 19 octobre 2009,
Vu la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l'article 39 du règlement de la Cour,
Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l'article 41 du règlement de la Cour.
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Le requérant, Mo. P., est un ressortissant sri lankais, né en 1979 et résidant à Bobigny. Le président de la chambre a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).
2. Il est représenté devant la Cour par Me V. Koszczanski, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
A. Les circonstances de l'espèce
3. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.
1. Quant aux faits survenus au Sri Lanka
4. Le requérant, d'origine tamoule, vient d'Ariyalai, dans le district de Jaffna, à l'extrême nord du pays.
5. Il explique que sa famille, comme le reste de la communauté tamoule, devait soutenir la cause tamoule en donnant de l'argent ou des marchandises. Le père du requérant, qui était électricien, fut arrêté par l'armée sri lankaise en 1992. Le requérant, qui n'avait que treize ans, vit son père être violemment agressé lors de son arrestation. Deux jours plus tard, le corps de son père portant des nombreuses blessures fut rendu à sa mère avec un acte de décès indiquant « fortes fièvres » comme cause du décès.
6. En octobre 1995, lors d'une opération militaire contre les Tigres tamouls, le requérant et sa famille furent contraints de fuir Ariyalai pour se réfugier dans une ville à plusieurs kilomètres.
7. En juillet 1996, le requérant et sa mère obtinrent une autorisation pour retourner dans leur village, mais leur maison avait été complètement détruite, comme celles d'autres familles suspectées d'activisme pro-LTTE (Tigres de libération de l'Eelam tamoul). Ils se réfugièrent chez la sœur de sa mère.
8. Le 31 décembre 1999, alors que le requérant avait vingt ans, il fut contrôlé par l'armée sri lankaise avec d'autres étudiants. Accusé d'appartenir aux LTTE, il fut placé dans un camp. Il fut libéré deux jours plus tard grâce à l'aide du directeur de son école qui avait été alerté par sa mère.
9. En janvier 2000, alors que la santé de sa mère se dégradait, le requérant obtint du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) un laissez-passer pour emmener celle-ci à l'hôpital de Colombo. Le 4 janvier 2000, accompagnés du CICR, le requérant et sa mère partirent avec un groupe de personnes ayant besoin de soins médicaux. Le lendemain, ils arrivèrent à Trincomalee et furent installés provisoirement au foyer de Bambalapitiya. Le 6 janvier à l'aube, la police et l'armée cinghalaise encerclèrent le groupe et arrêtèrent deux cent cinquante Tamouls pour les amener à la prison de Bambalapitiya. Le requérant et vingt autres jeunes restèrent plusieurs jours en prison. Ils furent amenés dans une pièce obscure où ils auraient été torturés.
10. Le 10 janvier, le requérant reçut la visite d'un délégué du CICR. Il affirme avoir été libéré, le 12 janvier, grâce à l'intervention de l'organisation humanitaire. Le requérant produit une attestation du CICR datée du 19 janvier 2000, estampillée du tampon de l'organisation, certifiant de la visite du requérant par un délégué de l'organisation le 10 janvier et de sa libération de « Bambalapitiya Police Station » le 12 janvier, selon ses dires (« according to himself »).
11. De retour à Ariyalai chez sa tante, le requérant décida de quitter le Sri Lanka, ce qu'il fit le 1er février 2001. Le requérant arriva en France en décembre 2002, après avoir transité par plusieurs pays.
12. Depuis son départ, sa mère, qui vivait chez sa tante, fut constamment harcelée et interrogée par les autorités à son propos.
13. Le 15 novembre 2004, un cousin du requérant aurait été arrêté par la police et serait toujours porté disparu à ce jour.
14. Le 20 avril 2005, le requérant aurait fait l'objet d'un mandat d'arrêt établi par le tribunal de grande instance de Colombo, comportant le motif suivant : « accusé d'avoir fourni son aide aux Tigres de la Libération ». Une lettre de l'un de ses avocats, datée du 26 janvier 2005, évoque un mandat d'arrêt du 20 octobre 2004, sur la base duquel le beau-frère du requérant aurait été arrêté le 15 novembre 2004. Une lettre d'un autre de ses avocats, en date du 21 juin 2005, mentionne le mandat d'arrêt du 20 octobre 2004 qui aurait été renouvelé le 20 avril 2005.
15. Le 10 décembre 2007, une convocation adressée au requérant par le commissariat de police de Jaffna « en vue d'une enquête » fut envoyée à l'adresse de sa tante, dont le mari était sans cesse interrogé sur le sort de son neveu. Le 20 décembre 2007, l'oncle du requérant fut arrêté et maltraité par les policiers. Libéré huit jours plus tard, il dut être hospitalisé une semaine pour soigner ses blessures. La Commission des droits de l'homme du Sri Lanka lui délivra une attestation datée du 20 janvier 2008, faisant état de son arrestation par la police le 20 décembre 2007 et des tortures endurées durant sa détention.
16. Le 11 août 2008, le cousin du requérant, ayant un nom très semblable à ce dernier, fut arrêté à Omanthai. Il fut relâché après cinq jours, mais décéda des suites des blessures subies lors de son interrogatoire. Le requérant présente un certificat médical de l'Hôpital chirurgical d'Asiri à Colombo attestant qu'un homme de vingt-neuf ans ayant quasiment le même nom que le sien fut admis le 16 août 2008 et qu'il décéda des suites de ses blessures le 17 août 2008.
2. Quant aux faits survenus en France
17. Le requérant serait arrivé en France en décembre 2002.
18. Le 23 juin 2003, le requérant présenta une première demande d'asile auprès de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Cette demande fut rejetée le 30 novembre 2004 au motif que les déclarations écrites et orales du requérant n'étaient « étayées d'aucun élément crédible et déterminant permettant de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées ». Ce rejet fut postérieurement confirmé par la Commission des recours des réfugiés (CRR) le 1er juin 2005.
19. Le 26 juillet 2005, le requérant présenta une demande de réexamen de son dossier auprès de l'OFPRA, invoquant l'existence d'un mandat d'arrêt émis à son encontre et l'arrestation de deux de ses cousins le 25 mai 2005. Toutefois, son récit fut considéré comme peu crédible et les documents produits à l'appui de ses allégations (dont le mandat d'arrêt) dépourvus de toute valeur probante. Sa demande fut rejetée le 29 juillet 2005.
20. Le 17 février 2006, ce rejet fut confirmé par la CRR aux motifs suivants :
« Qu'en particulier, l'intéressé n'a jamais fait état de son engagement au sein du SOLT (organisation étudiante de libération des tigres) dans le cadre de sa demande initiale, ce qui jette un doute sérieux sur la réalité de l'ensemble de ses déclarations ; qu'en outre le mandat d'arrêt en date du 20 mars 2005 ne présente pas de garantie d'authenticité suffisante ; que l'attestation de l'avocat de l'intéressé, en date du 21 juin 2005, rédigée en des termes qui ne permettent pas de la regarder comme étant un témoignage spontané, n'est pas suffisante à cet égard ; (...) »
21. Le 5 juillet 2007, le requérant fit une nouvelle demande d'admission au bénéfice de l'asile. Cette demande fut rejetée le 9 juillet 2007, décision confirmée par la CRR le 8 octobre 2007.
22. Le 1er avril 2008, le requérant présenta une quatrième demande d'asile à l'appui de laquelle il fournit l'attestation de la Commission des droits de l'homme du Sri Lanka du 20 janvier 2008. Le 4 avril 2008, l'OFPRA considéra que ni ce document ni les déclarations du requérant n'offraient de garanties d'authenticité et rejeta sa demande.
23. Le 16 septembre 2008, le requérant introduisit sa dernière demande de réexamen, à la suite de l'arrestation de son cousin, le 11 août 2008. Sa demande fut rejetée le 25 septembre 2008 sur le même fondement que les demandes précédentes. Le requérant allègue qu'il ne fut pas convoqué pour le traitement de sa demande. Le 23 octobre 2008, le requérant saisit la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).
24. Le 18 novembre 2008, le requérant fit l'objet d'un arrêté portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français délivré par le préfet de Seine-et-Marne. Par un jugement du 10 mars 2009, le tribunal administratif de Melun rejeta le recours du requérant formé contre cet arrêté, au motif que le requérant n'apportait aucun élément probant à l'appui de ses allégations sur les risques encourus au Sri Lanka.
25. Depuis le 31 décembre 2008, le requérant habite à Bobigny avec une ressortissante française d'origine sri lankaise, avec laquelle il s'est marié le 9 septembre 2009.
26. Le 13 octobre 2009, le requérant se vit notifier un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Le même jour, le préfet des Pyrénées-Atlantiques décida de son placement en rétention au motif que le requérant n'offrait pas d'alternative à ce placement en l'absence de passeport original et compte tenu des délais nécessaires à l'obtention d'un laissez-passer consulaire. Le requérant attaqua cet arrêté devant le tribunal administratif de Pau, arguant qu'il portait une atteinte excessive à son droit à mener une vie familiale normale, étant conjoint de Française et que le préfet l'exposait à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention en fixant le Sri Lanka comme pays de destination. Par un jugement du 17 octobre 2009, la juridiction administrative rejeta la requête aux motifs que le mariage du requérant était trop récent pour que l'on puisse considérer que le préfet ait commis une erreur d'appréciation de l'intensité et de l'ancienneté des relations familiales et, qu'en outre, la mesure n'empêchait nullement le requérant de solliciter dans son pays d'origine un visa de long séjour comme conjoint de Française. Quant à la désignation du Sri Lanka comme pays de destination, le tribunal estima que le requérant ne donnait aucun élément concret permettant de penser qu'en cas de retour dans son pays d'origine, il encourrait des traitements contraires à l'article 3, et que les pièces produites n'étaient pas suffisantes pour justifier les risques qu'il alléguait.
27. Le 19 octobre 2009, le requérant saisit la Cour et formula une demande de mesure provisoire sur le fondement de l'article 39 de son règlement. Le 21 octobre 2009, la Cour indiqua au Gouvernement, en application de l'article 39 de son règlement, qu'il était souhaitable de ne pas renvoyer le requérant vers le Sri Lanka pour la durée de la procédure devant la Cour.
28. Par une décision du 12 mai 2010, la CNDA confirma la décision de l'OFPRA du 25 septembre 2008. Elle considéra le recours recevable en raison d'un fait nouveau, le décès du cousin du requérant, mais n'accueillit pas celui-ci au motif que les certificats produits n'étaient pas probants et que les documents relatifs à son mariage étaient sans incidence sur sa demande.
B. Informations pertinentes relatives à la situation au Sri Lanka
29. Des informations détaillées sur la situation au Sri Lanka avant la cessation des hostilités en mai 2009 figurent dans l'arrêt NA. c. Royaume-Uni (no 25904/07, §§ 53-83, 17 juillet 2008). Des informations actualisées sur la situation au Sri Lanka depuis la cessation des hostilités en mai 2009 figurent dans l'arrêt T.N. c. Danemark (no 20594/08, §§ 36-66, 20 janvier 2011) et E.G. c. Royaume-Uni (no 41178/08, §§ 17-46, 31 mai 2011).
30. Concernant le traitement à l'aéroport de Colombo des requérants d'asile déboutés, la Cour renvoie aux paragraphes 33 à 39 de l'affaire E.G. c. Royaume-Uni précitée. La Cour note qu'il ressort du rapport annuel sur les droits de l'homme au Sri Lanka publié le 8 avril 2011 par le Département d'Etat américain et du Country of Origin Information Report établi le 4 juillet 2011 par le UK Home Office, que la procédure encadrant les contrôles des Tamouls retournant au Sri Lanka paraît ne pas avoir changé depuis la publication des précédents rapports.
31. La Cour observe enfin, concernant les mandats d'arrêts, que dans une lettre datée du 14 septembre 2010, la British High Commission à Colombo signala qu'il est généralement difficile, pour une personne défenderesse dans un procès pénal, d'obtenir une copie du mandat d'arrêt qui serait émis contre elle. Quand un mandat d'arrêt est délivré, une copie est conservée dans le dossier et l'original est confié aux services de police. Il n'existe pas de procédure permettant à un accusé ou son représentant de demander une copie du mandat. Cependant, vu le niveau de corruption rapporté par diverses sources internationales fiables, il se peut qu'une personne qui possède de bons contacts dans la police puisse soudoyer un agent afin d'obtenir un tel document. Il est à noter que les faux documents s'obtiennent très facilement à travers le pays (voir COI Report du 4 juillet 2011, UK Home Office, § 10.13).
GRIEFS
32. Invoquant l'article 3 de la Convention, le requérant allègue qu'un renvoi vers le Sri Lanka l'exposerait à des traitements contraires à cette disposition.
33. Le requérant se plaint également de ce que ce renvoi constituerait une atteinte à sa vie privée et familiale garantie par l'article 8 de la Convention compte tenu de ce que seule sa tante réside encore au Sri Lanka, qu'il habite en France depuis 2002 et qu'il est marié à une ressortissante française.
EN DROIT
34. Le requérant allègue un risque d'être exposé à des mauvais traitements en cas de retour au Sri Lanka. Il invoque l'article 3 de la Convention qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
a) Thèses des parties
35. Le Gouvernement fait valoir que la demande d'asile et les quatre demandes de réexamen présentées par le requérant ont été rejetées par les autorités et juridictions compétentes après un examen attentif des craintes énoncées par celui-ci. Le Gouvernement souligne que l'OFPRA, la CRR et la CNDA se sont livrées à une appréciation d'autant plus attentive de ses demandes qu'à l'époque considérée, il était notoirement connu que ces instances octroyaient quasi systématiquement la protection subsidiaire aux ressortissants sri lankais originaires de la région de Jaffna. En outre, le Gouvernement rappelle que les instances compétentes ont considéré que les attestations et documents présentés par l'intéressé n'offraient pas les garanties suffisantes d'authenticité et que les déclarations du requérant étaient sommaires et peu circonstanciées. En tout état de cause, le Gouvernement souligne que l'administration préfectorale ainsi que les tribunaux administratifs, qui se sont également livrés à un examen précis de la situation du requérant, n'ont relevé aucun élément concret permettant de penser que le requérant serait exposé à un risque de mauvais traitements en cas de renvoi vers le Sri Lanka.
36. Concernant la situation au Sri Lanka, le Gouvernement rappelle que, si la Cour a admis que les jeunes Tamouls regagnant leur pays pouvaient être confrontés à des risques de mauvais traitements, elle a aussi souligné qu'il devait exister des éléments de fait, propres aux personnes qui allèguent courir un tel risque, permettant de prévoir qu'elles seraient personnellement traitées de manière incompatible avec l'article 3 de la Convention. Le Gouvernement renvoie aussi à l'arrêt NA. c. Royaume-Uni du 17 juillet 2008, dans lequel la Cour a jugé que la protection offerte par l'article 3 ne serait pas rendue illusoire si l'on demandait aux Tamouls contestant leur renvoi au Sri Lanka de démontrer d'autres caractéristiques spéciales qui les exposeraient à un risque réel de mauvais traitements.
37. A cet égard, le Gouvernement estime que le requérant n'a pas démontré l'existence d'éléments spécifiques à sa situation personnelle. Il soutient qu'il revient au requérant d'exposer à la Cour les raisons pour lesquelles les autorités sri lankaises auraient attendu quatre ans après son départ pour émettre un mandat d'arrêt à son encontre, alors même que ces mêmes autorités auraient dû savoir, si tant est que le requérant était aussi important pour les autorités qu'il le prétend, qu'il avait quitté le pays. Le Gouvernement s'étonne également que le requérant n'ait pas mentionné son engagement au sein des LTTE lors de sa première demande d'asile devant l'OFPRA, puis devant la CRR. Le Gouvernement relève que ce n'est qu'après le rejet de sa demande d'asile initiale que le requérant invoqua ce fait dans une deuxième demande. Or, il paraît invraisemblable, selon le Gouvernement, que le requérant, interrogé par l'OFPRA sur les raisons de ses persécutions, ait pu oublier cet élément qui serait une des causes principales des risques qu'il prétend encourir en cas de retour.
38. De surcroît, le Gouvernement constate que le contexte au Sri Lanka a évolué depuis l'arrêt NA. précité et que, si le Sri Lanka n'est pas devenu un Etat totalement pacifié, la victoire militaire contre la rébellion tamoule en mai 2009 a mis fin au conflit. Le Gouvernement relève que les organisations internationales présentes sur le terrain font part d'une normalisation progressive de la situation au Sri Lanka et de la disparition des risques spécifiques encourus par les personnes d'origine tamoule. Ainsi, le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR) observe que de nombreux Tamouls qui avaient quitté leur pays d'origine cherchent désormais à y retourner en raison de l'amélioration de la situation au Sri Lanka. Le Gouvernement en conclut que, sauf situation très exceptionnelle, le renvoi dans leur pays de Sri Lankais d'origine tamoule ne les expose pas à des risques de traitements contraires à l'article 3. En l'espèce, il n'apparaît pas, selon le Gouvernement, que le requérant se trouve dans une situation exceptionnelle. D'ailleurs, les violences dont le requérant fait état contre sa famille auraient cessé depuis août 2008, ce qui semble confirmer cette analyse de la situation au Sri Lanka.
39. Enfin, le Gouvernement considère, à l'instar des autorités compétentes en matière d'asile, que le mandat d'arrêt produit par le requérant ne présente pas de garanties suffisantes d'authenticité.
40. Compte tenu de ce qui précède, le Gouvernement estime qu'il n'existe pas de motifs sérieux de croire à l'existence de risques réels de traitements contraires à l'article 3 en cas de retour du requérant au Sri Lanka.
41. Le requérant allègue que les requérants d'asile déboutés présentent un intérêt pour les autorités sri lankaises dans le cadre de la « traque des Tigres » et qu'ils sont exposés, en cas de retour, à des risques très sérieux de tortures ou de mauvais traitements au sens de l'article 3 de la Convention. A cet égard, le requérant précise que les Tamouls « qui se trouvent dans le collimateur des autorités sri-lankaises » sont systématiquement soumis à la torture et à d'autres mauvais traitements.
42. En réponse au Gouvernement qui s'étonne du délai entre son départ et l'émission du mandat d'arrêt, le requérant rétorque qu'il ne saurait être tenu pour responsable de la date d'émission du mandat d'arrêt. Il relève que le Gouvernement limite ses observations à la date d'émission du mandat d'arrêt sans contester son authenticité sur la base d'éléments matériels. Il en conclut que le fait qu'il soit toujours recherché n'est pas remis en cause.
43. Quant à l'argument du Gouvernement selon lequel il n'aurait fait part aux autorités compétentes en matière d'asile de son engagement au sein des LTTE qu'après le rejet de sa demande d'asile initiale, le requérant affirme qu'il apparaissait, dès sa première demande d'asile, comme issu d'une famille engagée politiquement, au vu notamment de l'assassinat de son père. En outre, la réalité de son engagement politique devait être déduite de ce qu'il fut contraint de fuir sa ville d'origine, avec le reste de sa famille, en 1995.
44. Sur les risques personnellement encourus au Sri Lanka, le requérant rappelle qu'il fut arrêté par l'armée sri lankaise, le 6 janvier 2000, puis détenu en raison de son ethnie (tamoule) et de son origine géographique (nord du pays). Il relève, à cet égard, que le Gouvernement ne remet pas en cause l'authenticité du document du CICR attestant de sa détention et de sa libération, mais uniquement sa force probante. Le requérant s'étonne de cette position compte tenu du fait que l'OFPRA peut entrer en contact avec le CICR en cas de doute.
45. Le requérant soutient que cette arrestation, qui est incontestablement établie, constitue un antécédent judiciaire qui permettra son identification à l'aéroport de Colombo. Il ressort en effet de l'arrêt NA. c. Royaume-Uni (précité) que les autorités sri lankaises disposent de moyens technologiques permettant d'identifier à l'aéroport de Colombo les demandeurs d'asile déboutés. En outre, le requérant allègue qu'il réunit plusieurs des facteurs de risque rappelés par la Cour dans son arrêt E.G. c. Royaume-Uni du 31 mai 2011 (§§ 73-77), à savoir l'origine tamoule, une demande d'asile formée à l'étranger, l'appartenance au mouvement LTTE et une arrestation en raison de cette implication. Le requérant rappelle, à cet égard, l'assassinat de son père en 1992, son arrestation en 2000, sa libération grâce à l'intervention du CICR et l'émission d'un mandat d'arrêt à son encontre.
46. Le requérant renvoie, enfin, aux positions et rapports du HCR, de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) et d'Amnesty International qui mettent en exergue la situation dramatique des déplacés tamouls dans le contexte de l'après-guerre au Sri Lanka. Ces rapports dénoncent, selon le requérant, la poursuite de la politique d'incarcération par les autorités sri lankaises de toute personne soupçonnée d'avoir des liens avec les LTTE.
47. Au vu de ces éléments, le requérant demande à la Cour de conclure à une violation de l'article 3 de la Convention.
b) Appréciation de la Cour
48. Dans l'affaire T.N. c. Danemark (§§ 86-94) précitée, la Cour a exposé les principes généraux applicables à l'évaluation des risques auxquels sont exposés à ce jour les Tamouls en cas de retour au Sri Lanka, de même qu'elle a réaffirmé sa conclusion aux termes de l'arrêt NA. c. Royaume-Uni (précité, § 133) selon laquelle il n'existe pas un risque généralisé de traitements contraires à l'article 3 pour les Tamouls renvoyés au Sri Lanka (T.N. c. Danemark, précité, § 93). La protection offerte par l'article 3 entre uniquement en jeu lorsqu'un requérant est en mesure d'établir qu'il existe des motifs sérieux de croire qu'il présenterait un intérêt tel pour les autorités sri lankaises qu'il serait susceptible d'être détenu et interrogé par ces autorités à son retour (ibid.). En conséquence, l'appréciation du risque pour le requérant doit se faire sur une base individuelle, en tenant compte des facteurs pertinents énoncés dans l'arrêt NA. c. Royaume-Uni (précité, §§ 129-130) et repris par l'arrêt T.N. c. Danemark (précité, § 94).
49. En outre, la Cour rappelle que, dans son arrêt E.G. c. Royaume-Uni (précité, §§ 79-80), elle a estimé que le seul fait d'être un demandeur d'asile débouté à l'étranger ne suffisait pas, en tant que tel, pour être exposé à des risques de mauvais traitements et de détention arbitraire de la part des autorités sri lankaises à son arrivée à l'aéroport. Il faut en plus, selon la Cour et les informations recueillies par elle, que l'individu présente un intérêt particulier pour les autorités, par exemple qu'il soit recherché pour avoir commis un crime ou qu'il soit une personnalité influente des LTTE.
50. S'agissant du règlement de la preuve pour les demandeurs d'asile, la Cour a observé dans la décision F.N. et autres c. Suède (no 28774/09, § 67, 18 décembre 2012) qu'« eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d'asile, il convient dans de nombreux cas de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l'on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents soumis à l'appui de celles-ci. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d'asile, celui-ci est tenu de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (voir, notamment, N. c. Suède, no 23505/09, § 53, 20 juillet 2010, et Collins et Akaziebie c. Suède (déc.), no 23944/05, 8 mars 2007). C'est en principe au requérant de produire des éléments propres à démontrer qu'il existe des motifs sérieux de croire que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3. Lorsque de tels éléments sont produits, il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels à leur sujet. (NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 111, 17 juillet 2008). »
51. En l'espèce, la Cour relève, sans remettre en cause la réalité des persécutions subies par le passé, que le requérant est parti du Sri Lanka il y a plus de dix ans, qu'il ne fait part d'aucune persécution de sa famille depuis la fin du conflit en mai 2009 et qu'il ne prouve pas en quoi il serait encore d'intérêt pour les autorités sri lankaises.
52. A cet égard, le document du CICR atteste uniquement du fait que le requérant fut détenu une fois, avec d'autres personnes d'origine tamoule, en 2000. Cette attestation ne constitue pas la preuve que le requérant présenterait toujours de l'intérêt pour les autorités sri lankaises. De manière similaire, dans l'arrêt E.G. c. Royaume-Uni (précité, § 80), la Cour a considéré que la détention du requérant à une seule occasion (contrairement à NA. c. Royaume-Uni, où le requérant avait été arrêté à six reprises, voir l'arrêt éponyme précité), dix ans plus tôt, ne constituait pas, à elle seule, un facteur suffisant de risque pour le requérant en cas de retour.
53. La Cour note les réserves émises par le Gouvernement sur l'authenticité du mandat d'arrêt produit par le requérant. Elle observe que, si les instances compétentes en matière d'asile se sont limitées à mettre en doute cette authenticité sans indiquer les motifs fondant leur suspicion, le Gouvernement soutient qu'il est fortement improbable qu'un mandat d'arrêt soit délivré quatre années après le départ du requérant. La Cour estime qu'en se bornant à affirmer qu'il n'est pas responsable de la date d'émission de ce mandat d'arrêt, le requérant ne fournit pas une explication suffisante pour écarter l'objection pertinente du Gouvernement. Celle-ci est renforcée par les sources internationales (voir sources internationales) dont il résulte qu'il est malaisé, voire impossible, pour une personne visée par un mandat d'arrêt d'en obtenir la copie et que les faux documents sont facilement accessibles au Sri Lanka. La Cour ne saurait donc accorder force probante au document présenté par le requérant.
54. En conclusion, la Cour n'est pas convaincue de ce que le requérant présenterait, en tant que demandeur d'asile débouté, un intérêt particulier pour les autorités sri lankaises. Elle estime qu'il n'existe donc pas de motifs sérieux de croire qu'il serait exposé à des risques de traitements contraires à l'article 3 en cas de renvoi au Sri Lanka. Partant, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. L'application de l'article 39 du règlement prend ainsi fin.
55. Le requérant se plaint de ce que son expulsion constituerait une ingérence disproportionnée dans son droit à une vie privée et familiale, notamment du fait qu'il est marié avec une ressortissante française. Il invoque l'article 8, dont les extraits pertinents se lisent comme suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
56. Le Gouvernement, invité à présenter ses observations avant le 3 septembre 2012 sur ce grief, soutient que si le requérant s'est marié avec une personne de nationalité française le 9 septembre 2009, il n'a fourni depuis cette date, aucun justificatif attestant de la communauté de vie effective entre les deux époux et aucune adresse d'hébergement et ce malgré la demande de pièces complémentaires qui lui a été remise en main propre.
57. Le requérant, auquel les observations du Gouvernement ont été transmises, a été invité à présenter ses observations en réponse avant le 17 octobre 2012, délai qui a été prorogé jusqu'au 28 novembre 2012. Malgré l'octroi de ce délai complémentaire, aucune précision n'a été apportée par le requérant concernant l'effectivité de sa vie familiale.
58. Devant le silence persistant du requérant, la Cour ne peut que juger que ce grief est insuffisamment étayé. Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu'il doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs
, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête irrecevable.
Stephen Phillips Mark Villiger
Greffier adjoint Président