CJUE, 5 juillet 1994, C-278/93

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Texte intégral

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. MARCO DARMON présentées le 5 juillet 1994 (1) Affaire C-278/93 Edith Freers et Hannelore Speckmann contre Deutsche Bundespost (demande de décision préjudicielle formée par ordonnance de l'Arbeitsgericht Bremen) «Discrimination indirecte à l'encontre des travailleurs féminins - Indemnisation de la participation à des stages de formation dispensant aux membres des comités du personnel les connaissances nécessaires à l'exercice de leurs fonctions» Monsieur le Président,Messieurs les Juges, 1. On aurait pu penser que votre arrêt du 4 juin 1992, Bötel (2) , avait réglé la délicate question de la compatibilité du régime indemnitaire des membres des comités d'entreprise en Allemagne avec l'article 119 du traité CEE et la directive 75/117/CEE du Conseil du 10 février 1975 (3) . 2. La vive controverse suscitée par cet arrêt en Allemagne est à l'origine de deux nouveaux renvois préjudiciels (4) . Nous avons à examiner ici le premier, émanant de l'Arbeitsgericht Bremen. 3. Il est clair que c'est un véritable réexamen, et s'agissant du gouvernement allemand, un revirement de votre jurisprudence, que l'on attend de vous. 4. Aux termes de l'article 46 de la loi applicable à la représentation du personnel fédéral du 15 mars 1974 (Bundespersonalvertre-tungsgesetz, ci-après BPersVG) (5) : - Les membres du comité du personnel (Personalrat) remplissent leurs fonctions à titre bénévole (paragraphe 1). - Le temps de travail que consacrent les membres du comité du personnel au bon exercice de leur mission n'entraîne de diminution ni de salaire ni de rémunération. Si des membres du comité du personnel sont mis à contribution pour l'accomplissement des tâches qui leur incombent pour une durée supérieure à leur horaire de travail normal, ils bénéficient d'une mise en disponibilité rémunérée pour le nombre d'heures correspondant (paragraphe 2). - Les membres du comité du personnel entièrement libérés de leurs obligations professionnelles perçoivent une indemnité mensuelle de représentation (paragraphe 5). - Les membres du comité du personnel sont libérés de leurs obligations professionnelles, avec maintien de leur rémunération, pour participer à des stages de perfectionnement et de formation qui dispensent des connaissances nécessaires à l'exercice de leurs fonctions au comité du personnel (paragraphe 6). 5. La loi sur l'organisation des entreprises du 15 janvier 1972 (Betriebsverfassungsgesetz, ci-après BetrVG) (6) contient des dispositions similaires applicables aux comités d'entreprise (Betriebsrat) (7) . 6. Dans votre arrêt Bötel, rendu à propos du BetrVG, vous avez jugé que 1)l'indemnité versée aux représentants des travailleurs constitue une rémunération au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75/117; 2)les membres des comités d'entreprise employés à temps partiel sont défavorisés par rapport à ceux travaillant à temps plein au regard de l'indemnisation des stages de formation. Compte tenu du nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes parmi les membres des comités d'entreprise travaillant à temps partiel, il en résulte, ... en matière de rémunération, une discrimination indirecte des travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins, contraire à l'article 119 du traité et à la directive 75/117 (8) ; 3)cette différence de traitement ... ne saurait être considérée comme justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe, à moins que l'État membre en cause n'établisse le contraire devant la juridiction nationale (9) . 7. Les présentes questions préjudicielles ont pour toile de fond les faits suivants. 8. Employées de la Deutsche Bundespost, M mes Freers et Speckmann, requérantes au principal, sont membres du comité du personnel au bureau de poste de Bremerhaven. Si la convention collective qui leur est applicable prévoit que la durée hebdomadaire du travailleur à temps plein est de 38,5 heures, elles sont toutes deux employées à temps partiel (18 heures de travail hebdomadaire) (10) . 9. Courant février 1992, elles suivent un séminaire de formation intitulé Introduction à la loi applicable en matière de représentation du personnel. 10. Pendant la durée de ce séminaire, elles perçoivent leur salaire habituel calculé sur la base d'une activité à temps partiel, sans compensation pour les heures dépassant la durée normale de leur travail. 11. Pour demander le bénéfice d'une mise en disponibilité rémunérée (Bezahlte Freistellung) pour cette durée supplémentaire, elles ne se fondent pas sur leur droit national qui ne pourrait pas leur donner satisfaction (11) . 12. Constatant que les membres des comités du personnel employés à temps partiel sont majoritairement des femmes, elles font valoir, en s'appuyant sur votre arrêt Bötel, que la réglementation allemande est contraire à l'article 119 du traité et la directive 75/117. 13. Le juge de renvoi connaît cet arrêt. Il s'interroge cependant sur sa compatibilité avec des principes qui sont essentiels en droit allemand (12) et exprime certains doutes que l'arrêt ne dissiperait pas: 14. En premier lieu, l'activité comme membre du comité du personnel est bénévole. 15. La loi prévoit même que les représentants du personnel sont, dans certains cas, libérés de leurs obligations professionnelles (article 46, paragraphes 3 et 4, BPersVG et article 38, BetrVG). Non rémunérés à ce titre, il leur est alloué en guise de compensation une somme égale à la rémunération qu'ils auraient perçue s'ils avaient normalement travaillé. Il en résulte donc d'inévitables différences de rémunération, étrangères à l'activité de représentant du personnel et liées à la durée hebdomadaire du travail telle qu'elle est prévue par le contrat de travail individuel. 16. Qualifier la compensation de rémunération ne reviendrait-il pas à considérer l'activité de représentant du personnel comme une activité rémunérée , ce à quoi le législateur allemand s'est toujours opposé au motif que le bénévolat permettrait de garantir l'indépendance des représentants du personnel? 17. De plus, le membre d'un comité du personnel représente fondamentalement les intérêts des salariés et, à titre principal, n'exerce pas de fonction ou n'assume pas de service dans l'intérêt de l'employeur que celui-ci devrait rémunérer. 18. En second lieu, le juge a quo se demande si ces principes de bénévolat et de compensation du salaire ne constituent pas des motifs de différenciation objectifs, étrangers à toute discrimination à l'égard des femmes. 19. Il relève, en troisième lieu, que, si l'employeur devait accorder au travailleur à temps partiel une indemnisation égale à celle accordée au travailleur à temps plein, cette dernière ne dépendrait plus de la durée normale de travail mais du temps passé en stage. Ce fait, ajouté à l'obligation qui lui incombe de continuer à verser la rémunération au titre des heures supplémentaires pour les salariés qui en auraient habituellement presté dans la semaine considérée, aboutirait à un cumul de charges financières dépourvues de toute contrepartie et dépassant le plafond que constitue la durée contractuelle du travail. Le critère objectif de compensation de perte de salaire ne permet-il pas justement d'éviter pareil cumul? 20. D'où les trois questions préjudicielles suivantes: 1)La compensation accordée à un travailleur masculin ou féminin, en raison de sa participation à une représentation du personnel instituée par la loi, constitue-t-elle une rémunération au sens des dispositions de droit européen relatives à l'égalité de salaire entre homme et femme (article 119 du traité CEE, directive 75/117/CEE du 10 février 1975)? 2)Si la question 1 appelle une réponse affirmative: le fait que les dispositions du droit national ne prévoient pas de rémunérer la participation à la représentation du personnel mais d'appliquer le principe de la compensation de la perte de salaire (Lohnausfallprinzip) constitue-t-il un motif objectif de discrimination qui n'a rien à voir avec la discrimination des femmes? 3)S'il est répondu à la question 2 par la négative: le fait que ces travailleurs employés à temps partiel continuent certes à n'être rémunérés que sur la base de leur activité à temps partiel lorsqu'ils participent à un séminaire qui dure une journée complète, mais que par ailleurs l'employeur continue de payer des heures supplémentaires aux salariés qui en effectuent habituellement, même lorsque la durée du séminaire concorde avec une journée normale de travail, constitue-t-il un tel motif de discrimination? Sur la première question 21. Nous nous sommes déjà expliqué sur la notion de rémunération dans nos conclusions sur l'affaire Bötel (13) . 22. Dans votre arrêt du 4 juin 1992, vous avez répondu affirmativement à la question de savoir ... si l'indemnisation, sous forme de congés payés ou de rémunération d'heures supplémentaires, de stages de formation dispensant des connaissances nécessaires à l'activité de comités d'entreprise relève de la notion de rémunération au sens de l'article 119 du traité et de la directive 75/117 (14) , en vous fondant sur quatre éléments: (i)Votre définition traditionnelle de la notion de rémunération: ... la notion de rémunération au sens de l'article 119 du traité comprend tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu'ils soient consentis, fût-ce indirectement, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier, que ce soit en vertu d'un contrat de travail, de dispositions législatives ou à titre volontaire (15) . (ii)L'existence d'un rapport de travail salarié: L'indemnisation est versée en vertu de dispositions législatives et en raison de l'existence de rapports de travail salariés, même si elle ne résulte pas du rapport d'emploi (16) . (iii)L'exercice de l'activité dans l'intérêt général de l'entreprise: ... les membres de comités d'entreprises ... sont chargés de veiller aux intérêts du personnel, favorisant ainsi l'existence de rapports de travail harmonieux au sein et dans l'intérêt général de l'entreprise (17) . (iv)L'objet de l'indemnisation: ... l'indemnisation ... a pour objet d'assurer une source de revenus aux membres des comités d'entreprise même si, pendant la durée des stages de formation, ils n'exercent aucune activité prévue par leur contrat de travail (18) . 23. Sur cette notion de rémunération, le débat est, ici, élargi à deux égards. 24. En premier lieu, on ne se borne pas à vous demander si l'indemnisation des stages de formation s'analyse en une rémunération au sens du droit communautaire (19) mais, plus généralement, si la compensation accordée à un travailleur ... en raison de sa participation à une représentation du personnel instituée par la loi constitue ... une rémunération.... 25. En second lieu, des arguments et éléments nouveaux vous sont présentés qui pourraient vous conduire à reconsidérer le caractère de rémunération conféré à cette indemnisation. 26. Examinons ces deux aspects. 27. Vous êtes donc invités à examiner non seulement le régime d'indemnisation des stages de formation mais également celui des tâches normales des représentants du personnel, telle la participation aux séances du comité. 28. En principe, l'activité des représentants du personnel doit avoir lieu pendant les heures de travail. 29. Pendant le temps nécessaire à l'accomplissement de sa mission, le représentant perçoit le revenu qu'il aurait touché s'il avait travaillé, y compris les heures supplémentaires s'il était prévu qu'il en fasse: il n'y a donc ni gain ni perte de salaire. 30. Toutefois, aux termes de l'article 46, paragraphe 2, deuxième phrase, du BPersVG (et de l'article 37, paragraphe 3, BetrVG), lorsque les activités de représentation se déroulent en dehors du temps de travail individuel, les représentants du personnel bénéficient d'une mise en disponibilité rémunérée pour le surcroît d'heures correspondant. 31. Le BetrVG précise que ces heures consacrées au comité d'entreprise en sus de leur horaire de travail ne sont rémunérées que si elles se justifient par des motifs liés à l'entreprise (20) . Pour le BPersVG, elles doivent être utilisées à l'accomplissement des tâches qui leur incombent (21) en cette qualité. 32. Ainsi, si la fonction de membre de comité du personnel a pu être qualifiée de bénévole, elle n'en donne pas moins lieu à plusieurs formes d'indemnisation: - dans le cadre de l'horaire hebdomadaire normal: par le maintien du salaire; - en sus de cet horaire: par une mise en disponibilité indemnisée, dès lors qu'il s'agit de l'accomplissement des tâches qui incombent à l'intéressé. L'indemnisation est, ici, fonction non seulement de la durée contractuelle du travail mais également du temps passé par le représentant du personnel à exercer sa mission. 33. L'assistance aux stages de formation et de perfectionnement relève d'un régime distinct. 34. Le législateur allemand prévoit que pour participer à ces stages les membres du comité du personnel sont libérés de leurs obligations professionnelles, avec maintien de leur rémunération (articles 46, paragraphe 6, BPersVG et 37, paragraphe 6, BetrVG). 35. Ces dispositions sont interprétées par le Bundesarbeitsgericht et le Bundesverwaltungsgericht (22) comme n'ouvrant pas aux membres des comités d'entreprise ou du personnel droit à une indemnisation supérieure au montant de la rémunération qu'ils auraient normalement perçue s'ils avaient travaillé, quelle que soit la durée du stage en question. 36. La différence doit être bien identifiée; en dehors du temps de travail personnel: 1)les heures passées en séance du comité du personnel ou à des activités propres à celui-ci font l'objet d'une indemnisation en sus de la compensation de la perte du salaire qui aurait été perçu si l'intéressé avait travaillé (article 46, paragraphe 2, BPersVG); 2)les heures passées en stage de formation en vue d'acquérir les connaissances nécessaires à l'exercice des fonctions au sein du comité du personnel ne font l'objet d' aucune indemnisation autre que la compensation de la perte du salaire correspondant à la durée hebdomadaire de travail (article 46, paragraphe 6, BPersVG). 37. Ainsi, un même stage de formation d'une durée de 38,5 heures par semaine donne lieu à une indemnisation toujours égale au salaire qu'aurait perçu le représentant du personnel s'il avait travaillé, donc d'un montant inégal selon que l'intéressé est un travailleur à temps plein ou à temps partiel. 38. Pour dénier, ici, toute place à la notion de rémunération, le gouvernement allemand fait principalement valoir que, ... en application du principe de la compensation de la perte de salaire, l'activité des membres du comité du personnel n'est pas indemnisée en tant que telle, mais que seule est compensée la perte de revenu de chaque représentant du personnel subie du fait de la prestation de travail non effectuée (23) . 39. Chacun d'eux ne recevrait qu'une garantie pécuniaire (24) qui ne serait fonction que de son temps de travail habituel mais indépendante de son activité propre de représentant du personnel, laquelle ne serait pas rémunérée en tant que telle: c'est le principe de garantie de perte du salaire (Lohnausfallprinzip). 40. Deux observations à cet égard. 41. En premier lieu, nous avons déjà relevé que cette indemnisation n'est pas étrangère à l'exercice de ses fonctions par le représentant du personnel puisqu'elle peut également dépendre de leur durée (25) . 42. En second lieu, certes, cette compensation n'est pas la contrepartie d'une prestation de travail directement effectuée pour le compte de l'employeur . Mais le droit communautaire n'exige pas une telle prestation pour qualifier un revenu de rémunération au sens de l'article 119. Cette dernière notion, nous l'avons vu, inclut, plus généralement, tout avantage obtenu à l'occasion du lien d'emploi . 43. Vous l'avez rappelé dans l'arrêt Bötel:... les notions et qualifications juridiques établies par le droit national ne sauraient affecter l'interprétation ou la force obligatoire du droit communautaire, ni, par conséquent, la portée du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins... (26) . 44. Vous avez ainsi admis que le salaire maintenu en cas de maladie devait être qualifié de rémunération (27) . Les sommes sont alors versées sans contrepartie directe au bénéfice de l'employeur puisque, par hypothèse, le salarié ne travaille pas. La compensation pour perte de salaire de l'article 46, paragraphe 2, du BPersVG, présente avec l'emploi un lien beaucoup plus fort puisqu'elle a pour cause la contribution du salarié au fonctionnement d'une institution de l'entreprise . La participation à des stages de formation, si ceux-ci sont nécessaires à l'exercice de leurs fonctions par les représentants du personnel, présente également - même s'il est médiat - un lien avec l'emploi. Comme nous l'avions souligné dans nos conclusions sous l'affaire Bötel, à propos de l'indemnisation des heures de formation, ... il s'agit bien de sommes payées par l'employeur en raison du lien d'emploi... (28) . 45. A plus forte raison, l'indemnisation du salarié qui accomplit directement sa mission de représentant du personnel doit-elle également être qualifiée de rémunération. 46. Ajoutons que la compensation pour perte de salaire, soit à l'occasion de la participation à un stage de formation, soit à celle de l'accomplissement, par le représentant du personnel, de sa mission proprement dite, présente certaines caractéristiques communes. 47. Elle est payée par l'employeur et est exactement égale au montant du salaire qui aurait été perçu si le représentant avait normalement travaillé (29) . Au surplus, tant au plan fiscal qu'au plan social, elle est assimilée à un salaire (30) . Sur la deuxième question 48. On l'a vu, pour l'accomplissement de sa tâche de représentant du personnel proprement dite, le travailleur à temps partiel n'est pas discriminé: les heures qui dépassent la durée hebdomadaire fixée par son contrat de travail sont indemnisées (31) . 49. En revanche, lorsqu'il participe à des stages de formation dont la durée dépasse celle de son propre contrat de travail, il est discriminé dans la mesure où il ne percevra, à titre de compensation, que le montant du salaire perdu tandis que, à stage de même durée, le travailleur à temps plein pourra bénéficier d'une indemnisation supérieure puisque celle-ci pourra être égale à sa rémunération. 50. C'est ce que vous avez constaté dans l'arrêt Bötel:Il apparaît que les deux catégories de membres de comités d'entreprise consacrent le même nombre d'heures à la participation aux stages en question. Toutefois, dès que la durée des stages organisés pendant l'horaire de travail à temps plein en vigueur dans l'entreprise excède l'horaire individuel de travail des membres employés à temps partiel, ces derniers reçoivent de l'employeur une indemnisation inférieure à celle des membres employés à temps plein et font, par conséquent, l'objet d'une différence de traitement (32) . 51. Cette différence est-elle objectivement justifiée? 52. En règle générale, vous considérez qu'il revient au juge national d'apprécier si une disposition qui s'applique indépendamment du sexe du travailleur, mais qui, dans les faits, frappe davantage les femmes que les hommes, est justifiée par des raisons objectives et étrangères à toute discrimination fondée sur le sexe (33) . C'est ce que vous avez fait dans l'arrêt Bötel (34) . Dans d'autres décisions, vous avez exclu que les justifications avancées par les intervenants à la procédure préjudicielle puissent constituer des raisons objectives et étrangères à toute discrimination fondée sur le sexe (35) . 53. Ici, la question vous est expressément posée: l'application du principe de compensation de perte du salaire constitue-t-elle un motif objectif de discrimination? 54. La Commission l'a souligné dans ses observations (36) : le principe du bénévolat permet de garantir l'indépendance interne des représentants des travailleurs qui ne doivent ni tirer avantage de leurs fonctions ni être pénalisés. Dans son ordonnance de renvoi du 20 octobre 1993 qui donne lieu à l'affaire C-457/93, le Bundesarbeitsgericht souligne que,Dans l'intérêt d'un travail objectif du comité d'entreprise, le législateur allemand a placé l'indépendance de ce comité d'entreprise au-dessus de l'incitation économique à occuper ces fonctions (37) . 55. Le principe de la compensation de la perte de salaire est censé garantir cette indépendance. 56. En cas de stage de formation, le droit allemand applique strictement ce principe, quelle que soit la durée effective du stage. 57. Il en résulte que, par exemple, les requérantes au principal suivent le stage de 38,5 heures sans indemnisation, au moins partiellement, puisqu'elles n'ont reçu, à titre de compensation, que leur salaire normal calculé sur la base d'une activité à temps partiel. Peut-on en dire autant du travailleur à temps plein qui, lui, a bénéficié d'une indemnisation correspondant à 38,5 heures? 58. A aucun moment, pour une telle durée, le stage n'est effectué sans indemnité par le travailleur à temps plein. Il l'est, par contre, par le travailleur à temps partiel pour la durée du stage qui excède celle de son travail hebdomadaire. Dans un jugement du 30 janvier 1990, le Landesarbeitsgericht Berlin (38) l'exprimait ainsi: Um ein Freizeitopfer außerhalb der individuellen Arbeitszeit geht es auch bei der Schulung teilzeitbeschäftigter Betriebsratmitglieder (39) . 59. A l'audience, le représentant du gouvernement allemand a fait valoir que la fonction de membre du comité du personnel supposait un engagement personnel et un sacrifice du temps de loisir. Un tel argument, pour être convaincant, impliquerait que ce sacrifice soit supporté dans la même mesure par tous les salariés (40) . 60. Tel n'est pas le cas et le système en cause a, de toute évidence, un effet dissuasif sur le travailleur à temps partiel - donc majoritairement sur les femmes - dès lors qu'il perçoit un salaire correspondant à la durée hebdomadaire prévue par son contrat de travail, durée inférieure à celle du temps réellement passé en stage. 61. Ainsi le travailleur à temps partiel sera incité à ne pas participer aux stages nécessaires à l'exercice des fonctions de représentant, donc à renoncer à cette fonction, et ce, d'autant plus que sa durée de travail hebdomadaire sera faible. 62. L'application du principe de compensation de perte du salaire entraîne des différenciations dans l'indemnisation des salariés, qui sera directement fonction de leur durée de travail respective. 63. Est-il légitime, pour un même stage, de moins bien indemniser le représentant du personnel travaillant à temps partiel que celui qui travaille à temps plein? Son engagement dans la défense des intérêts des salariés est-il moindre? Sa formation ne doit-elle pas être aussi sérieuse et efficace que celle suivie par le travailleur à temps plein (41) ? En outre, ne faut-il pas qu'il puisse communiquer son expérience des problèmes spécifiques posés par le travail à temps partiel? 64. Nous avons déjà souligné les effets pervers d'un tel système qui pourraient inciter les travailleurs à temps partiel à refuser de telles fonctions et raréfier les candidatures parmi cette catégorie de salariés. 65. Vous l'avez dit avec force dans l'arrêt Bötel:... une telle situation est de nature à dissuader la catégorie des travailleurs à temps partiel, où la proportion de femmes est incontestablement prépondérante, d'exercer les fonctions de membre d'un comité d'entreprise ou d'acquérir les connaissances nécessaires à l'exercice de ces fonctions, rendant ainsi plus difficile la représentation de cette catégorie de travailleurs par des membres de comités d'entreprises qualifiés (42) . 66. Censé garantir l'indépendance des représentants du personnel, ce principe de compensation de perte du salaire n'en aboutit pas moins à pénaliser le travailleur à temps partiel désireux de se préparer utilement à l'exercice de cette fonction, étant au surplus observé que la durée de cette préparation est sans lien avec la qualité de travailleur à temps plein ou à temps partiel. 67. En vertu de votre jurisprudence constante, une disposition législative qui frappe un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs féminins que de travailleurs masculins ne constitue pas une violation de l'article 119... si l'État membre est en mesure d'établir que les moyens choisis répondant à un but nécessaire de sa politique sociale, sont aptes à atteindre l'objectif poursuivi par celle-ci et sont nécessaires à cet effet... (43) . 68. Le principe de compensation de perte de salaire a pour objectif le respect d'un principe de base du droit social de République fédérale d'Allemagne: l'indépendance des représentants du personnel vis-à-vis de leur employeur. 69. Ceux-ci partagent, quant à leurs revenus, la même situation que les salariés qu'ils représentent. Il n'y a aucune incitation financière pour exercer les fonctions de représentant du personnel. 70. L'employeur n'a pas d'autres obligations financières que le paiement du salaire normal. 71. Nous l'avons vu, s'agissant des travailleurs à temps partiel, l'application stricte de ce principe en matière de formation est de nature à mettre en péril leur qualification en tant que représentants du personnel (certains d'entre eux renonçant à suivre complètement une formation qui obligerait à sacrifier sans indemnisation leur temps de loisir) et à compromettre leur représentation (les travailleurs à temps partiel pourraient être incités à renoncer au stage, donc à se porter candidats). Or, la représentativité et la compétence des représentants du personnel ne sont pas moins importantes que leur indépendance. Il s'agit-là de conditions indivisibles pour l'exercice de telles fonctions. 72. La mise en oeuvre rigoureuse du principe de compensation, telle qu'elle résulte de l'article 46, paragraphe 6, du BPersVG, apparaît d'autant moins justifiée que la réglementation allemande connaît déjà, à l'article 46, paragraphe 2, deuxième phrase, du même texte, des aménagements à ce principe. 73. Enfin, elle n'apparaît pas nécessaire pour assurer le respect du principe d'indépendance: des moyens plus respectueux du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes sont envisageables. Nous pensons notamment à un étalement dans le temps des stages de formation afin de les adapter aux horaires des travailleurs à temps partiel. 74. Ce contrôle de proportionnalité le démontre: le principe de compensation de perte de salaire ne saurait être qualifié de raison objective et étrangère à toute discrimination fondée sur le sexe. Sur la troisième question 75. Victimes d'une discrimination prohibée par l'article 119 du traité, les travailleurs à temps partiel sont en droit d'obtenir une indemnisation pour l'assistance aux stages de formation égale à celle des travailleurs à temps plein. 76. Par application du droit allemand, l'employeur devra, en outre, verser au travailleur à temps plein la rémunération au titre des heures supplémentaires s'il était prévu que ce salarié devait en accomplir au cours de la semaine considérée. 77. Le surcroît de charges financières qui en résulterait pour l'employeur est-il de nature à constituer un motif objectif de discrimination (44) ? 78. La conjugaison des exigences du droit communautaire et du droit national ne conduit-elle pas à une accumulation de charges? Ne serait-il pas préférable de s'en tenir à un principe simple et objectif: éviter la perte de salaire? 79. A propos des États membres, vous avez déjà jugé qu'... admettre que des considérations d'ordre budgétaire puissent justifier une différence de traitement entre hommes et femmes qui, à défaut, constituerait une discrimination indirecte fondée sur le sexe, interdite par l'article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, impliquerait que l'application et la portée d'une règle aussi fondamentale du droit communautaire que celle de l'égalité entre hommes et femmes puissent varier, dans le temps et dans l'espace, selon l'état des finances publiques des États membres (45) . 80. Dans la même logique, il nous semble que, pour autant qu'il puisse être d'une importance significative, le risque de charges financières excessives imposées aux employeurs ne saurait justifier le maintien d'un système d'indemnisation discriminatoire (46) . 81. En conséquence, nous vous invitons à dire pour droit: 1)La compensation payée par l'employeur aux membres du comité du personnel, que ce soit à l'occasion de l'accomplissement de leur mission proprement dite ou à celle de la participation à des stages de formation, constitue une rémunération au sens de l'article 119, deuxième alinéa, du traité CEE et de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins. 2)Les mêmes dispositions s'opposent à ce qu'une législation nationale applicable à un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes limite, à concurrence de leur horaire individuel de travail, l'indemnisation devant être versée par leur employeur aux membres de comités du personnel employés à temps partiel, au titre de leur participation à des stages de formation dispensant des connaissances nécessaires à l'activité de ces comités, alors que les membres desdits comités travaillant à temps plein sont indemnisés, au titre de leur participation à ces mêmes stages, à concurrence de leur horaire de travail. Ni le principe de la compensation de perte de salaire ni le risque de charge financière supplémentaire pesant sur l'employeur ne sauraient constituer des raisons objectives et étrangères à toute discrimination fondée sur le sexe. 1 - Langue originale: le français. 2 - C-360/90, Rec. p. I-3589. 3 - Directive concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19). 4 - Dans l'affaire C-457/93, Kuratorium für Dialyse und Nierentransplantation/Lewark, en cours de procédure, la question préjudicielle posée par le Bundesarbeitsgericht, porte sur le même sujet. 5 - BGBl, I, p. 693, dans la version du 16 janvier 1991, BGBl, I, p. 47. 6 - BGBl, I, p. 13, dans la version du 23 décembre 1988, BGBl, I, p. 1 et 902. 7 - C'est sur ce texte que portait l'affaire Bötel. 8 - Point 20. 9 - Point 26. 10 - Ordonnance de renvoi, point 1 des motifs. 11 - Ibidem, p. 5 de la traduction française. 12 - Ibidem, p. 7. 13 - Points 4 à 7. 14 - Point 11. 15 - Point 12. Voir également les arrêts du 9 février 1982, Garland/British Rail Engineering (12/81, Rec. p. 359, point 5), et du 17 mai 1990, Barber (C-262/88, Rec. p. I-1889, point 12). Votre jurisprudence est constante quant à la définition de la notion de rémunération. Des prestations versées après la cessation de la relation d'emploi peuvent avoir le caractère d'une rémunération au sens de l'article 119: voir l'arrêt du 17 février 1993, Commission/Belgique (C-173/91, Rec. p. I-673, point 13). 16 - Point 14. 17 - Ibidem. 18 - Point 15. 19 - Voir le point 11 de l'arrêt Bötel. 20 - Article 37, paragraphe 3, BetrVG. 21 - Article 46, paragraphe 2, BPersVG. 22 - Jurisprudence citée à la p. 5 de la traduction française de l'ordonnance de renvoi. 23 - Observations du gouvernement allemand, point 7. Voir, également en ce sens, Schiefer, B.: Gegenstand der im Falle der Schulungsteilnahme gezahlten Vergütung ist also nicht die Schulungsteilnahme, sondern die versäumte Arbeitsleistung..., in Die Rechtsprechung des EuGH zur Vergütung teilzeitbeschäftigter Betriebsratsmitglieder bei ganztägiger Schulungsteilnahme, DB , 1993, p. 1822, 1823. 24 - Ordonnance de renvoi, II, 1. 25 - Voir l'article 46, paragraphe 2, deuxième phrase, BPersVG et supra, points 30 et surtout 32. 26 - Point 23. 27 - Arrêt du 13 juillet 1989, Rinner-Kühn (171/88, Rec. p. 2743, point 7). 28 - Point 6. 29 - Sous réserve de l'application de l'article 46, paragraphe 2, deuxième phrase, BPersVG. 30 - Réponse écrite du gouvernement allemand aux questions de la Cour du 13 avril 1994, p. 1. 31 - Article 46, paragraphe 2, deuxième phrase, BPersVG. 32 - Point 17. 33 - Voir nos conclusions dans l'affaire Bötel, point 18. 34 - Point 26. 35 - Voir nos conclusions dans l'affaire Bötel, point 19. Voir, en dernier lieu, l'arrêt du 24 février 1994, Roks e.a. (C-343/92, non encore publié au Recueil, points 31 et suiv.). 36 - Point 36. 37 - p. 15 de la traduction française. 38 - . DB , 1991, p. 50. 39 - Traduction libre: Les membres du comité d'entreprise travaillant à temps partiel qui suivent une formation supportent un sacrifice de leur temps de loisir pour la durée de la formation qui dépasse leur temps de travail individuel. 40 - Il n'est pas sans intérêt, à cet égard, de relever que, selon le juge de renvoi, Il n'y a aucun homme employé à temps partiel dans un comité du personnel du ressort de la direction générale de Brême (motifs de l'ordonnance de renvoi, I, 1, troisième alinéa). 41 - Voir, sur ce point, nos conclusions sous l'arrêt Bötel, point 24. 42 - Point 25. 43 - Arrêt Rinner-Kühn, précité note 26, point 14. Voir, également, les arrêts du 19 novembre 1992, Molenbroek (C-226/91, Rec. p. I-5943, point 13), et Roks e.a., précité note 34, point 34. 44 - Voir l'ordonnance de renvoi, p. 12 de la traduction française. 45 - Point 36 de l'arrêt Roks e.a., précité note 34, souligné par nous. 46 - Sur l'incidence, en termes de masse salariale, d'une stricte application du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes, il résulte de l'ordonnance du juge de renvoi qu'elle concernerait, dans la direction régionale de Brême, moins de 30 personnes sur un effectif global de plus de 14 000 salariés, c'est-à-dire une proportion à peine supérieure à 0,2 % de cet effectif.