COUR D'APPEL D'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT
N
AD/ AT
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/ 00965.
Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LAVAL, décision attaquée en date du 01 Mars 2011, enregistrée sous le no 528
ARRÊT DU 22 Janvier 2013
APPELANTE :
CAISSE D'ALLOCATIONS FAMILIALES DES BOUCHES DU RHONE (C. A. F.)
215 chemin de Gibbes
13348 MARSEILLE CEDEX 20
représentée par Madame Jacqueline Z..., munie d'un pouvoir
INTIMÉE :
Madame Maïda X...
...
53000 LAVAL
représentée par Maître Anne sophie GOUEDO, avocat au barreau de LAVAL
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article
945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Novembre 2012 à 14 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Anne DUFAU, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine LECAPLAIN-MOREL, président
Madame Anne DUFAU, conseiller
Madame Elisabeth PIERRU, vice-présidente placée
Greffier lors des débats : Madame LE GALL, greffier
ARRÊT :
prononcé le 22 Janvier 2013, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article
450 du code de procédure civile.
Signé par Madame LECAPLAIN-MOREL, président, et par Madame LE GALL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCEDURE
Madame Maïda Y... épouse X... est de nationalité bosniaque et elle est arrivée en FRANCE, à Marseille, avec son mari et ses quatre enfants, le 25 février 2005 ; un cinquième enfant est né le 18 septembre 2005. Elle et son mari, après avoir saisi L'OFPRA puis la commission de recours des réfugiés, ont obtenu, le 31 juillet 2006, le statut de réfugiés politiques.
Mme X... a demandé, le 22 août 2006, à la caisse d'allocations familiales (CAF) des Bouches-du-Rhône, le bénéfice des prestations familiales et des aides au logement, ce qui lui a été accordé, à compter du mois d'août 2006.
Le 23 juin 2009, Mme X... qui habitait alors Laval, a demandé auprès de la caisse d'allocations familiales de la Mayenne, à bénéficier des prestations familiales à compter du mois suivant son entrée en France, soit mars 2005, au motif que le statut de réfugié avait une valeur recognitive, et prenait donc effet à la date de son entrée sur le territoire français, le 25 février 2005.
La CAF des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande par courrier du 9 novembre 2009, dans lequel elle a indiqué à Mme X... que sa réclamation avait été réceptionnée par la CAF de Laval le 26 mai 2009 puis enregistrée par ses services le 23 juin 2009, et que selon la législation en vigueur relative aux conditions d'ouverture des droits en faveur des demandeurs ayant obtenu le statut de réfugié, les dits droits étaient revus dans la limite de la prescription biennale, soit deux ans, de date à date décomptée à partir de la date de réclamation.
La caisse a confirmé à Mme X... dans cet écrit que ses droits aux prestations familiales débutaient en août 2006.
Mme X... a saisi le 9 décembre 2009 la Commission de Recours Amiable qui a, le 5 février 2010, rejeté sa demande, au motif que l'action en paiement était prescrite, en application des dispositions de l'article
L 553-1 alinéa 1 du code de la sécurité sociale.
Mme X... a, le 6 avril 2010, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Mayenne d'une contestation à l'encontre de cette décision, qui lui avait été notifiée le 15 mars 2010.
Elle a soutenu que la prescription biennale ne pouvait courir qu'à compter du jour où elle avait pu valablement agir, et que la CAF des Bouches-du-Rhône avait commis un défaut d'information à son égard en ne lui indiquant pas qu'elle pouvait prétendre au versement des allocations familiales à compter de la date d'arrivée en France et non à compter de celle de la délivrance du statut de réfugié ; qu'elle aurait dû percevoir des allocations pour la période allant de février 2005 à juillet 2006, et qu'elle était fondée à en réclamer le montant à titre de dommages-intérêts en application des articles
1382 du code civil et L583-1 code de la sécurité sociale.
Par jugement du 1er mars 2011 le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Mayenne a relevé la prescription de la demande de Mme X... en paiement de prestations familiales afférentes à la période antérieure à juin 2007, mais a retenu la responsabilité de la caisse à l'égard de l'allocataire, par application des dispositions de l'article
L583-1 du code de la sécurité sociale.
Les premiers juges ont statué dans ces termes :
- DECLARE la CAF des Bouches-du-Rhône responsable sur le fondement de l'article
L. 583-1 du code de la sécurité sociale,
et avant dire droit,
- INVITE Mme X... à chiffrer sa demande,
- DIT que les débats se poursuivront à l'audience du 22 mars 2011 à 9 heures,
Cette décision a été notifiée le 15 mars 2011 à Mme X... et le 17 mars 2011 à la CAF des Bouches-du-Rhône, qui en a fait appel par lettre postée le 6 avril 2011.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses écritures déposées au greffe le 19 mars 2012, reprises et soutenues oralement à l'audience, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, la CAF des Bouches-du-Rhône demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de débouter Mme X... de sa demande, à titre subsidiaire, de la condamner à régler les prestations familiales pour la période de mars 2005 à juillet 2006, et pour un montant qui ne saurait être chiffré que par elle.
La CAF des Bouches-du-Rhône soutient qu'aucune faute n'est établie à son encontre à l'égard de Mme X... :
- que la jurisprudence a longtemps divergé sur le caractère recognitif du
statut de réfugié, certaines cours d'appel considérant encore récemment que les
personnes résidant en France au titre d'un récépissé de première demande de titre de séjour ne remplissaient pas les conditions de résidence régulière, et que ce document n'ouvrait pas droit aux prestations familiales. Aussi en 2006, était-il difficile pour elle d'informer un allocataire sur la possibilité de solliciter un rappel des prestations familiales dans la limite de la prescription biennale, cette problématique n'ayant été clarifiée que très récemment par la Cour de Cassation, dans une série d'arrêts rendus le 13 janvier 2011.
- que l'information de ses allocataires se faisant essentiellement de manière orale elle ne peut verser aucune pièce justificative écrite de l'information donnée à l'un d'entre eux ; qu'en outre ses allocataires étaient au nombre de 400 000 en 2006 ce qui empêchait de procéder par réponse écrite,
- que s'il ressort de l'article
2257 du Code civil que la prescription ne court pas contre le créancier qui ne peut pas agir, tant que le fait auquel son droit et son action sont subordonnés n'est pas réalisé, l'allocataire a su, dès le premier versement, soit le 9/ 09/ 2006, que la caisse n'entendait pas lui allouer le versement des prestations familiales antérieurement au mois d'août 2006 ; que le niveau socio-culturel d'une personne n'est pas retenu comme étant constitutif d'une impossibilité d'agir.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées au greffe le 19
novembre 2012, reprises et soutenues oralement à l'audience devant la cour, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer, Mme X... demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris,
- de condamner la CAF des Bouches-du-Rhône à lui verser à titre de dommages intérêts les prestations familiales dues pour ses enfants depuis le 1er mars 2005 jusqu'en juillet 2006, avec intérêts de droit à compter du mois de juillet 2006,
- de condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
Mme X... soutient que la CAF des Bouches-du-Rhône a commis une faute au sens de l'article
1382 du Code civil à son égard en ne lui appliquant pas les dispositions légales qui la rendaient débitrice des allocations familiales à son égard :
¤ alors d'une part qu'elle avait déposé le 22 août 2006 une déclaration de situation pour les prestations familiales et les aides au logement, dans laquelle elle précisait être entrée en France le 25 février 2005, et à laquelle elle avait joint le récépissé d'admission du statut de réfugié du 31 juillet 2006, et alors d'autre part qu'il est constant et non contestable que la décision d'élection d'un étranger au statut de réfugié est récognitive d'un état préexistant à la date d'entrée en France ; que cette position n'est pas nouvelle et figure à l'article 24 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 qui dit que les demandeurs d'asile bénéficient en matière d'allocations familiales des mêmes droits que les nationaux ; que la commission des recours des réfugiés a affirmé dans ses avis que la qualité de réfugié reconnue à l'intéressé est réputée lui appartenir depuis le jour de son arrivée en France ; que le Conseil d'Etat a aussi jugé que la personne réfugiée doit être considérée comme étant entrée régulièrement en France et ayant séjourné régulièrement pendant la période précédent la reconnaissance du statut de réfugié ; que dans ces conditions, à la date de la déclaration de demande de prestations familiales, la CAF ne pouvait ignorer que la reconnaissance du statut de réfugié permettait à Mme X... d'obtenir les mêmes droits à prestations familiales qu'un ressortissant français, à compter de sa date d'entrée en France, soit depuis 2005.
¤ alors d'autre part que l'article L512-1 code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige dispose que toute personne française ou étrangère résidant en France, ayant à sa charge un ou plusieurs enfants résidant en France, bénéficie pour ses enfants des prestations familiales dans les conditions prévues par le présent livre ; et qu'aux termes de l'article L552-1 du même code ses droits se trouvaient ouverts à compter du premier jour du mois civil suivant son entrée en France, soit le 1er mars 2005 ;
Mme X... soutient encore que la CAF des Bouches-du-Rhône a méconnu à son égard l'obligation d'information qui résulte pour elle des dispositions de l'article
L583-1 du code de la sécurité sociale, en ne lui signalant pas qu'elle pouvait prétendre aux allocations familiales depuis son entrée en France ;
Elle soutient enfin qu'en août 2006, soit à la date de sa demande de prestations familiales, la prescription biennale ne pouvait être retenue puisque cette demande a été présentée moins de 2 ans après son entrée en France.
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Les parties ont indiqué à l'audience qu'elles avaient retiré l'affaire du rôle du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Mayenne, dans l'attente de la décision de la cour.
MOTIFS
DE LA
DÉCISION
Sur la prescription :
Aux termes des articles
L 512-2 et
D 512-1 du code de la sécurité sociale
dans leur rédaction applicable aux faits un étranger peut prétendre à la qualité d'allocataire de prestations familiales s'il présente, à l'appui de sa demande, l'un des titres de séjour ou document en cours de validité énumérés par ce dernier texte, soit notamment un récépissé de demande de titre de séjour valant autorisation de séjour d'une durée de trois mois renouvelable portant la mention " reconnu réfugié ".
Mme X... justifie avoir obtenu un tel récépissé le 31 juillet 2006, date à compter de laquelle elle a ainsi été admise au statut de réfugié.
Elle a demandé le 22 août 2006 à bénéficier des prestations familiales et des aides au logement, qui lui ont été versées par la CAF des Bouches-du-Rhône à compter du 29 septembre 2006.
Mme X... a sollicité ensuite, par courrier reçu le 26 mai 2009 par la
CAF de la Mayenne, transmis par cet organisme à la CAF des Bouches-du-Rhône le 23 juin 2009, le paiement des allocations familiales " depuis son arrivée sur le sol français le 25 février 2005 ".
Il est énoncé par les articles
L512-2 et L552-1 du code de la sécurité
sociale que les étrangers titulaires d'un titre exigé d'eux pour résider régulièrement en France bénéficient de plein droit des prestations familiales pour les enfants à leur charge résidant en France et que les prestations servies mensuellement par les organismes débiteurs de prestations familiales sont dues à compter du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel les conditions d'ouverture de droits sont réunies.
Il est acquis que Mme X... a sollicité dès son entrée en France, en février 2005, la qualité de réfugié, qu'elle a ensuite obtenue, et qu'elle avait été autorisée à résider en France avec sa famille de manière provisoire à compter de cette demande, par l'intermédiaire du centre d'accueil des demandeurs d'asile (C. A. D. A) solidarité logement de Marseille.
La décision par laquelle le statut de réfugié est reconnu à une personne étant douée d'un caractère recognitif, il en ressort que Mme X... a rempli la condition de régularité de séjour à compter du jour où elle a formulé celle-ci et qu'elle pouvait bénéficier des prestations familiales rétroactivement, à compter du premier jour du mois suivant celui au cours duquel elle a déposé sa demande de reconnaissance du statut de réfugié politique.
Ce caractère recognitif de l'admission au statut de réfugié politique ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article
L553-1 code de la sécurité sociale qui énonce que " l'action de l'allocataire pour le paiement des prestations se prescrit par deux ans ".
La dite prescription ne peut courir qu'à compter du jour où celui contre lequel on l'invoque pouvait agir valablement et elle a par conséquent pour point de départ le fait générateur de l'ouverture du droit soit la date d'admission au statut, en l'espèce le 31 juillet 2006.
Mme X... n'a cependant réclamé le paiement des allocations familiales " depuis son arrivée sur le sol français le 25 février 2005 ", que par courrier reçu le 26 mai 2009 par la CAF de la Mayenne, transmis par cet organisme à la CAF des Bouches-du-Rhône le 23 juin 2009, soit postérieurement au 31 juillet 2008.
La prescription biennale visée par l'article
L553-1 code de la sécurité sociale est acquise et il convient, dès lors, de déclarer irrecevable comme prescrite la demande en paiement des prestations familiales du 1er mars 2005 au 31 juillet 2006.
Sur la faute reprochée à la CAF des Bouches-du-Rhône et la demande de dommages-intérêts :
Contrairement à ce que soutient l'intimée le rappel judiciaire du caractère
recognitif de la décision d'admission au statut de réfugié n'était pas fait en août 2006 et n'a résulté que d'un arrêt de la cour de cassation du 23 octobre 2008, les caisses d'allocations familiales n'étant pas infondées jusque là, alors qu'elles ne sont pas des spécialistes du droit des étrangers, à s'appuyer sur les dispositions des articles
L512-2 et
D 512-1 du code de la sécurité sociale, pour considérer que la décision d'admission au statut avait un caractère déclaratif et ne verser les prestations familiales aux étrangers admis au statut de réfugié politique qu'à compter de la date d'admission à ce statut.
Aucun défaut d'application de dispositions légales ne peut être reproché à la CAF des Bouches-du-Rhône.
L'article
L583-1 du code de la sécurité sociale fait obligation aux organismes débiteurs des prestations familiales et à leur personnel d'assurer l'information des allocataires sur la nature et l'étendue de leurs droits ; il s'agit là d'une information d'ordre général et il ne peut être reproché à la CAF des Bouches-du-Rhône de s'y être, en 2006, soustraite alors que la question du versement des prestations familiales aux étrangers réfugiés faisait l'objet d'incertitudes jurisprudentielles, et qu'elle disposait de textes y afférents sur lesquels elle fondait sa position.
La preuve d'une faute, notamment d'un manquement de la CAF à son obligation d'information, n'est donc pas rapportée.
Celle d'un préjudice fait tout autant défaut, étant observé que les époux X... ont, à compter de leur demande de reconnaissance du statut de réfugiés politiques, été autorisés à résider provisoirement en France avec leurs enfants et ont été hébergés par le C. A. D. A, lequel verse une allocation sociale globale.
Le jugement est infirmé en ce qu'il a dit la CAF des Bouches-du-Rhône responsable à l'égard de Mme X... d'un défaut d'information et Mme X... est déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les dépens et frais irrépétibles :
Par application des dispositions de l'article
R 144-10 du code de la sécurité sociale, la procédure en matière de sécurité sociale est gratuite et sans frais.
PAR CES MOTIFS
:
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement entrepris, en ce qu'il a déclaré la CAF des Bouches-du-Rhône responsable à l'égard de Mme X... d'un manquement à l'obligation d'information,
Statuant à nouveau,
DEBOUTE Mme X... de sa demande de dommages-intérêts,
Y ajoutant,
DECLARE irrecevable la demande de Mme X... en paiement de prestations familiales pour la période du 1er mars 2005 à juillet 2006 inclus,
RAPPELLE que la procédure en matière de sécurité sociale est gratuite et sans frais.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Sylvie LE GALL Catherine LECAPLAIN-MOREL