TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 09 Juillet 2010
3ème chambre 3ème section N°RG: 08/07292
DEMANDEURS Monsieur Mûnim B
S.A.R.L. BONNELLE- représentée par son gérant Mr Munmin B [...] 69100 VILLEURBANNE représentée par Me Laurent BROT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire L191, et Me Jean S, avocat au barreau de Lyon,
DEFENDERESSES S.A.R.L. ROYAL THERMES [...] 93300 AUBERVILLIERS
S.A.R.L. ALSS-INNOVATION [...] 93300 AUBERVILLIERS
S.A.R.L. HOMTECH [...] 93300 AUBERVILLIERS représentées par Me OLIVIER PAUL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire R052
S.N.C. M6 BOUTIQUE [...] 94613 RUNGIS CEDEX représentée par Me Françoise BELLEMARE, Association BELLEMARE & MORTIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R092
COMPOSITION DU TRIBUNAL Agnès T, Vice-Président, signataire de la décision Anne C. Juge Mélanie BESSAUD, Juge assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier, signataire de la décision
DEBATS A l'audience du 25 Mai 2010 tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé par remise de la décision au greffe Contradictoire en premier ressortM. Mumin B est titulaire, à la suite d'une cession en date du 1 er août 2007, d'un brevet français n° 03 09986 déposé le 18 août 2003 et délivré le 9 décembre 2005 concernant une charlotte à mise en place facile pour la protection et le séchage des cheveux et dont les annuités sont régulièrement acquittées.
La société BONNELLE, dont M. B est le gérant, bénéficie d'une licence d'exploitation dudit brevet, selon acte en date du 1 er avril 2008.
La société BONNELLE a appris que la société ROYAL THERMES offrait à la vente des charlottes, sous la dénomination ALADIN, à mise en place facile pour la protection et le séchage des cheveux qui reproduisent, selon elle, les caractéristiques du brevet précité.
Elle a adressé une mise en demeure le 1 er octobre 2007 au groupe M6 et à la société ROYAL THERMES le 10 décembre 2007 qui a répondu en indiquant que le produit de la demanderesse était une contrefaçon de son propre produit ALADIN commercialisé depuis de nombreuses années.
Par courrier du 3 janvier 2008, la société BONNELLE a demandé à la société ROYAL THERMES la communication de son brevet et la défenderesse a, en réponse, confirmé qu'elle bénéficiait d'une antériorité.
C'est dans ces conditions que la société BONNELLE et M. Mumin B ont fait assigner par acte en date du 16 mai 2008, la société ROYAL THERMES et les sociétés M6 BOUTIQUE, ALSS INNOVATION et HOMETECH, en qualité de distributeurs, devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon du brevet français n° 03 09986 et indemnisation à dire d'expert.
Dans leurs dernières conclusions du 24 septembre 2009, ils demandent au tribunal de : vu l'article
1382 du code civil et suivants vu l'article L 611-10 et suivants du code de la propriété intellectuelle Vu l'article
L 615-1 du code de la propriété intellectuelle vu l'article L 232 du code de procédure civile - prendre acte de leur désistement à l'égard de la société HOMETECH - débouter la défenderesse de sa demande d'annulation du brevet n°03 09986 - la débouter de toutes ses demandes - dire que la société ROYAL THERMES a contrefait le brevet n° 0309986
En conséquence, - ordonner l'interdiction de la commercialisation du produit contrefaisant à la société ROYAL THERMES sous peine d'astreinte de 2.000€ par jour à compter de la présente assignation - désigner tel expert qu'il plaira au tribunal avec pour mission d'évaluer le montant du préjudice subi par les demandeurs - condamner la défenderesse à verser à la société BONNELLE la somme de 20.000 € à titre de provision sur l'indemnisation définitive du préjudice - ordonner l'exécution provisoire- condamner la défenderesse à verser la somme de 4.000 € à chacun des demandeurs au titre de l'article
700 du code de procédure civile - la condamner aux dépens - déclarer le jugement à intervenir opposable à M6 BOUTIQUE, ALSS INNOVATION.
Ils invoquent les revendications 1 à 9 du brevet. Ils soutiennent que le brevet protège un bonnet pouvant se refermer sur lui-même comme un turban et maintenu par un système de fermeture tel un bouton, permettant ainsi le séchage des cheveux, à la manière d'une serviette de bains enroulée sur la tête.
Ils contestent que le produit de la société ROYAL THERMES constitue une antériorité, à défaut de produire une pièce permettant de comparer les produits et donc d'apporter la preuve que le produit ALADIN commercialisé avant le dépôt du brevet comportait tous les éléments revendiqués dans le brevet n° 03 09986 déposé le 18 août 2003.
Ils considèrent que le produit commercialisé par la défenderesse est une copie servile du produit vendu par la société BONNELLE décrit au brevet n° 03 09986, justifiant le versement de dommages et intérêts à évaluer à dire d'expert et des mesures d'interdiction de commercialisation.
Par conclusions du 24 avril 2009, les demandeurs se désistent de leurs demandes à l'encontre de la société HOMETECH qu'ils ont selon eux, assignée par erreur.
Par conclusions récapitulatives en date du 16 mars 2010, les sociétés ROYAL THERMES, ALSS INNOVATION et HOMETECH demandent au tribunal de : vu les dispositions des articles L 611-10, L 611-11 et suivants et
L 613-25 du code de la propriété intellectuelle - débouter les demandeurs de leurs demandes - déclarer nulles pour défaut de nouveauté et d'activité inventive les revendications du brevet n° 03 09986 - condamner les demandeurs au paiement de la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts - condamner les demandeurs au paiement d'une somme sauf à parfaire de 10.000 € au titre de l'article
700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens - ordonner l'exécution provisoire
Elles font valoir que le brevet en cause est nul en raison de l'antériorité que constitue le produit ALADIN que la société ROYAL THERMES commercialise depuis 1998. Elles ajoutent que les demandeurs n'apportent pas la preuve d'un préjudice subi et que la procédure est abusive.
Par conclusions du 10 octobre 2008, la société M6 BOUTIQUE demande au tribunal de : - dire irrecevables et mal fondés M. B et la société BONNELLE en leurs demandes, les en débouter - condamner M. B et la société BONNELLE à lui payer la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article
700 du code de procédure civile - condamner les demandeurs en tous les dépens dont distraction au profit de Maître BELLEMARE avocat sur le fondement de l'article
699 du code de procédure civile.La société M6 BOUTIQUE fait observer qu'aucune demande n'est faite à son encontre, que l'émission de télé-achat au cours de laquelle la charlotte litigieuse aurait été commercialisée n'est pas produite par la société M6 BOUTIQUE, que les demandeurs n'apportent pas la preuve de la commercialisation des produits litigieux par la défenderesse.
La clôture a été ordonnée le 6 avril 2010.
MOTIFS
Sur le désistement des demandes de la société BONNELLE et de M. B à l'encontre de la société HOMETECH
La société BONNELLE et M. B indiquent se désister de leurs demandes à rencontre de la société HOMETECH et demandent au tribunal d'en prendre acte, cependant, il ne s'agit pas d'un désistement d'instance qui aurait nécessité une acceptation de HOMETECH mais d'un simple retrait de leurs demandes à l'encontre de cette dernière.
Sur la portée du brevet français n°03 09986
L'invention concerne une charlotte à mise en place facile pour la protection et le séchage des cheveux.
A la lecture du brevet, on constate que le breveté se propose d'apporter des améliorations aux produits connus, parmi lesquels il cite le brevet GB n° 2 248 391 A qui divulgue une serviette repliée le long d'une de ses diagonales et partiellement cousue sur deux des côtés de la forme ainsi obtenue, dont le plus petit côté.
Il explique que ce dispositif a des désavantages dont celui de ne pas permettre un maintien correct des cheveux dans le pli central du fait de sa forme en pointe. Il précise en outre que pour pouvoir espérer attacher l'extrémité libre de la serviette sur l'extrémité formant bonnet pour la tête, il est nécessaire de replier la serviette de nombreuses fois sur elle-même ce qui est particulièrement fastidieux.
Il propose donc un dispositif simple et économique à fabriquer permettant de maintenir les cheveux longs d'une personne en les regroupant le plus simplement possible à l'intérieur du dispositif celui-ci comprenant des moyens intégrés de fermeture sur lui-même.
L'invention objet du brevet porte sur une charlotte pour la protection des cheveux, de forme allongée, caractérisée en ce qu'elle est formée de deux parois latérales de forme générale parallélépipédique ou trapézoïdale fixées l'une et l'autre le long de l'un de leurs longs côtés et de leurs deux petits côtés de manière à délimiter une première poche disposée à l'extrémité proximale de la charlotte, et une seconde poche disposée à l'extrémité distale de la charlotte et formant réceptacle pour la masse flottante des cheveux. Les deux extrémités de la charlotte sont munies de moyens de fixation complémentaires pouvant être mis en contact pour refermer la charlotte autour de la tête après qu'on y eut placé les cheveux en tournant l'extrémitédistale de 180° autour de l'axe longitudinal de la charlotte puis rabattu cette extrémité distale pour recouvrir l'extrémité proximale.
Le brevet français comporte 9 revendications dont la revendication 1 est ainsi rédigée : Charlotte (1) pour la protection des cheveux, de forme allongée, formée de deux parois latérales de forme générale parallélépipédique, fixées l'une et l'autre le long de l'un de leurs longs côtés (2) et de leurs deux petits côtés (3) de manière à délimiter une première poche (4) disposée à l'extrémité proximale de la charlotte, et une seconde poche (5) disposée à l'extrémité distale de la charlotte et formant réceptacle pour la masse flottante des cheveux (6) et caractérisée en ce que ses deux extrémités sont munies de moyens de fixation complémentaires (9) pouvant être mis en contact pour refermer la charlotte autour de la tête après y avoir placé les cheveux, en tournant l'extrémité distale de 180° autour de l'axe longitudinal de la charlotte puis en rabattant cette extrémité distale pour recouvrir l'extrémité proximale.
Les revendications 2 à 8 sont des revendications dépendantes.
Sur la demande de nullité du brevet
Les défenderesses opposent à la demande en contrefaçon la nullité du brevet invoqué à la fois pour défaut de nouveauté et d'activité inventive, au motif que leur propre produit ALADIN est antérieur au brevet.
Elles soutiennent que la parure ALADIN se compose depuis l'origine: - de la charlotte litigieuse consistant en une serviette-turban destinée à maintenir les cheveux grâce à son ingénieux système d'attache - d'une serviette-paréo ajustable, - de mules en éponge
Elles produisent à l'appui de leurs prétentions, des commandes, des accusés réception de commandes, des factures, des bons de livraison, un catalogue ainsi qu'une cassette vidéo VHS originale et un procès-verbal de constat d'huissier du 4 juin 2009 qui décrit le contenu de la cassette.
Les demandeurs contestent l'existence de l'antériorité au motif que le produit revendiqué par la société ALADIN comme antériorité n'est pas versé au débat et qu'aucune comparaison ne peut être valablement faite.
Force est de constater que les pièces produites par les défenderesses ne permettent ni d'identifier le produit revendiqué ni de lui donner date certaine.
En effet, si la cassette VHS montre l'utilisation par une jeune femme d'un produit, sorte de turban, appartenant à la gamme ALADIN, cette cassette ne comporte aucune date certaine et ne permet pas de relier avec certitude le produit visualisé avec les pièces comptables produites qui font mention d'un produit ALADIN mais ne décrivent pas le produit, aucun pièce ne permet de savoir si le produit visé dans ces documents correspond au produit apparaissant sur la cassette dans toutes ses caractéristiques.Ainsi, à défaut d'établir un lien incontestable entre ces pièces, le produit ALADIN tel que revendiqué à titre d'antériorité n'a pas de date certaine et les demandeurs seront déboutés de leur demande de nullité du brevet fondée sur l'antériorité ALADIN.
A défaut de produire d'autres antériorités, le brevet français n° 03 09986 doit être considéré comme valable.
Sur la contrefaçon alléguée
Les demandeurs prétendent que le produit ALADIN constitue une copie servile de la charlotte décrite dans leur brevet.
Cependant, ils n'ont procédé à aucune saisie-contrefaçon ni constat d'achat et se contentent de produire trois captures d'écran l'une du site ROYAL THERMES et les deux autres du site téléachat M6 boutique.com et ALSS-INNOVATION sur lesquelles il est impossible pour le tribunal de voir précisément le produit litigieux et donc d'apprécier la contrefaçon.
Si certaines des pages comportent un texte, le tribunal constate qu'il décrit le produit en ces termes : sur le site ROYAL THERMES : serviette-turban pour maintenir les cheveux grâce à un ingénieux système d'attache, téléachat M6 boutique.com :1 capuche transformable en turban maintenue par un bouton et ALLS-INNOVATION : serviette-turban pour maintenir des cheveux mouillés ou la chevelure au chaud sur un masque soin
Ce qui en soi est insuffisant pour apprécier la contrefaçon au regard de l'ensemble des revendications, en effet, en décider autrement reviendrait à reconnaître aux demandeurs un monopole sur toutes les serviettes-turban quelque soit leur forme ou leur système d'attache.
En conséquence, la société BONNELLE et M. B seront déboutés de leur demande en contrefaçon de leur brevet français n° 03 09986.
Sur les autres demandes
Les défenderesses demandent la condamnation de M. B et de la société BONNELLE à leur payer une somme de 15.000 euros, à titre de dommages-intérêts et 10.000 € au titre de l'article
700 du code de procédure civile au motif que la procédure serait abusive.
Au vu de la rédaction des conclusions, le tribunal considère qu'en fait la somme de 15.000 € de dommages-intérêts est motivée par la procédure abusive alléguée et la somme de 10.000 € correspond à l'indemnisation pour les frais irrépétibles.Il convient de rappeler que l'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol.
En l'espèce, les sociétés défenderesses seront déboutées de leur demande à ce titre, faute pour elles de rapporter la preuve d'une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part des demandeurs, qui ont pu légitimement se méprendre sur l'étendue de leurs droits, et d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais de défense exposés.
Il y a lieu de condamner M. B et la société BONNELLE, parties perdantes, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du Code de procédure civile.
En outre, ils doivent être condamnés à verser aux sociétés défenderesses ROYAL THERMES, ALSS INNOVATION et HOMETECH, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l'article
700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 10.000 €.
S'agissant de la société M6 BOUTIQUE, dès lors que la contrefaçon n'est pas établie, il n'y a pas lieu de s'interroger sur les motifs justifiant ou non sa mise en cause par les demandeurs.
Dans la mesure où M. B et la société BONNELLE ont été déboutés de leur demande en contrefaçon, ils devront également verser à la société M6 BOUTIQUE qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une somme de 1.500 € au titre de l'article
700 du code de procédure civile.
L'exécution provisoire, inutile en l'espèce, ne sera pas ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort ;
- Déboute les sociétés ROYAL THERMES, ALSS INNOVATION et HOMETECH de leurs demandes de nullité du brevet français n° 03 09986
- Déboute M. Mümin B et la société BONNELLE de leurs demandes en contrefaçon de brevet français n° 03 09986 à l'encontre des soc iétés ROYAL THERMES et ALSS INOVATION;
- Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire;
- Condamne in solidum M. Mümin B et la société BONNELLE à payer aux sociétés défenderesses ROYAL THERMES, ALSS INNOVATION et HOMETECH la somme totale de 10.000 € sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile.- Condamne in solidum M. Mümin B et la société BONNELLE à payer à la société M6 BOUTIQUE la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article
700 du Code de procédure civile.
- Condamne in solidum M. Mümin B et la société BONNELLE à payer les entiers dépens dont distraction au profit de Maître BELLEMARE avocat pour ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, sur le fondement de l'article
699 du code de procédure civile.