Vu la procédure suivante
:
Par une requête, et des mémoires, enregistrés les 14 et 25 avril 2023 et le 2 mai 2023, la société par actions simplifiées Saur, représentée par Me Ayache, demande au juge des référés :
1°) d'ordonner à la métropole européenne de Lille (MEL) de communiquer les motifs l'ayant conduite à retenir l'offre de la société Veolia ;
2°) à titre principal, d'annuler la procédure lancée par la métropole européenne de Lille de passation de la concession de service public pour la gestion de la distribution d'eau potable et de l'eau brute sur son territoire et, à titre subsidiaire, d'annuler la même procédure à compter de l'examen des offres ;
3°) de mettre à la charge de la métropole européenne de Lille la somme de 5 000 euros au titre de l'article
L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- La métropole européenne de Lille n'a pas informé les candidats évincés des motifs ayant conduit au choix de l'attributaire pressenti ; elle y était tenue conformément aux dispositions de l'article
R.3125-1 du code de la commande publique ; si les articles
R.3126-1 et le c) du 1° de l'article
L.1212-3 du code de la commande publique offre un régime dérogatoire à l'obligation d'information, elle est d'interprétation stricte et ne peut porter que sur les seuls contrats d'exploitation d'un réseaux d'eau potable et non sur les contrats prévoyant la construction d'ouvrages de transports et de distribution d'eau ; en présence de critères faisant intervenir une appréciation qualitative des offres par un pouvoir adjudicateur, l'absence de communication des motifs ayant conduit à l'attribution des notes porte atteinte aux droits des candidats évincés ; la métropole européenne de Lille s'est contentée, dans son courrier du 17 avril 2023, d'indiquer les points significatifs, les points forts et les points faibles de son offre ainsi que ses notes tout en se contentant de ne fournir que les notes obtenues par l'attributaire ; la métropole européenne de Lille a ainsi méconnu les dispositions de l'article
R.3125-1 du code de la commande publique ;
- L'article 5 du règlement de consultation définit les cinq critères de sélection des offres et leur pondération, exprimée en pourcentage ; au regard du tableau communiqué dans son courrier du 17 avril 2023, il apparaît que la MEL a apprécié la valeur intrinsèque des offres de la société Véolia et la sienne en leur attribuant une note sur la même échelle que la pondération puis s'est contentée d'additionner l'ensemble des notes obtenues par chacun des candidats pour chaque critère sans jamais procéder à la pondération de ces notes ; en appliquant la pondération telle que prévue par le règlement de consultation, l'offre de la société Saur constitue l'offre économiquement la plus avantageuse au regard des critères de jugement ; en omettant de respecter la pondération avant d'établir le classement des offres, la MEL a manqué à son obligation de publicité et de mise en concurrence ;
- Lors du conseil métropolitain, le président de la MEL a indiqué que la concession avait été pensée dans le but majeur et quasi-unique d'économiser de l'eau sur le territoire métropolitain ; le vice-président en charge des questions sur l'eau de la MEL a présenté les points forts du contrat négocié avec la société Véolia ; il ressort de sa présentation que le point le plus significatif, voire décisif, est l'objectif d'économie d'eau sur lequel s'est engagée la société Véolia ; le vice-président en charge de l'eau de la MEL a également insisté sur l'existence de pénalités financières déplafonnées sanctionnant le non-respect de l'engagement de l'attributaire ; le choix de l'offre de Véolia s'est donc fait de manière décisive sur les éléments suivants : le volume de 65 millions de mètres cubes d'eau d'économie tout au long du contrat qui a été fixé de manière unilatérale par la société Véolia et l'existence d'un malus et de pénalités financières déplafonnées prévus par le contrat de concession en cas de non atteinte des objectifs d'économie d'eau ; aucun des cinq critères du règlement de consultation ni aucun mémos préparatoires des candidats ne faisait référence à la nécessité pour les candidats de s'engager sur un objectif ferme et chiffré d'économie d'eau le plus haut possible ; les mémos auxquels renvoient les critères font systématiquement référence aux méthodes et moyens qui seraient mis en œuvre par les candidats en matière d'économie d'eau et ne mentionnent jamais un quelconque objectif chiffré ; l'article 84 du projet de concession n'avait d'ailleurs fixé aucun objectif chiffré d'économie d'eau à atteindre ; les critères 2 et 3 n'ont pas vocation à valoriser un objectif chiffré d'économie d'eau supérieur à celui défini par la MEL ; aucun de ces éléments ne figure au nombre des critères de sélection annoncés ; le fait d'apprécier une offre au regard d'un objectif chiffré dès lors qu'il repose sur les seules déclarations et objectifs des soumissionnaires n'est pas de nature à permettre la sélection de la meilleure offre au regard de l'avantage économique global pour l'autorité concédante ; un engagement sur les pénalités ne peut davantage constituer un critère de sélection des offres ; elles ne sont pas liées à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution c'est-à-dire propre à identifier la meilleure modalité d'exécution du marché ; la procédure de passation vise à déterminer le candidat le plus à même d'accomplir le marché et non celui qui s'acquitterait des pénalités les plus élevées en cas de non-exécution du marché ; les pénalités peuvent d'ailleurs toujours être modérées ;
- Le principe d'égalité a été méconnu durant la phase de négociation ; lors des négociations, la MEL lui a demandé de revoir à la baisse ses ambitions de réduction de la consommation d'eau alors qu'il s'agit d'un critère décisif de son choix final ; la MEL a ainsi fait preuve de déloyauté en l'incitant à baisser ses objectifs de réduction de consommation d'eau.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2023, la métropole européenne de Lille, représentée par Me Sagalovitsch, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Saur la somme de 5 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- Les demandes de communication de documents sont dépourvues d'objet ; la lettre du 17 avril 2023 informe dûment la société Saur du rejet de son offre du nom de l'attributaire et des raisons des motifs ayant conduit à sa sélection ;
- La demande de suspension de la signature du contrat a également pour objet de suspendre la signature du contrat de concession de telle sorte que la demande de la société Saur tendant à ce qu'il soit fait injonction à la MEL de suspendre le contrat est également devenue sans objet ;
- Les élus membres du conseil communautaire de la MEL ont été suffisamment informés avant de se prononcer sur l'attribution du contrat ; en outre ce moyen est sans incidence sur la régularité de la procédure de passation ;
- Elle a communiqué dans lettre du 17 avril 2023 les motifs de rejet de son offre et du choix de l'attributaire ; la communication des seules notes obtenues par l'attributaire est à cet égard suffisante ;
- La société Saur ne justifie pas en quoi le fait d'avoir rempli une attestation dans laquelle elle mentionnait qu'elle reconnaît disposer des informations suffisantes pour candidater est susceptible de l'avoir lésée ;
- La MEL a respecté la pondération des critères annoncée dans le règlement de consultation ; la MEL n'avait pas à noter tous les critères sur la même échelle puis à appliquer à chaque note le coefficient correspondant à la pondération du critère concerné ; le coefficient multiplicateur peut être directement intégré à la valeur de calcul ;
- S'agissant des allégations tenant à l'application quasi-exclusive de critères de sélection des offres fondés sur les objectifs chiffrés de réduction d'eau et des pénalités, la société Saur ne se fonde que sur le discours du président de la MEL et de son vice-président en charge de l'eau ; les offres des soumissionnaires ont été analysées au vu des seuls critères figurant dans le règlement de consultation qui sont demeurés inchangés tout au long de la procédure ; le critère n°2 ne porte que sur les travaux et aménagements sur le réseau afin d'améliorer sa performance ; le critère n°3 vise, quant à lui, les économies d'eau ; l'article 5.3 du règlement de consultation précise que le critère n°3 est apprécié au regard des mémos du chapitre 3 ; le chapitre 3 est composé des mémos 33 à 36 ; le mémo 34 évoque les actions pour inciter et provoquer des économies d'eau et les résultants attendus ; il ressort du rapport de l'exécutif que les engagements relatifs au volume d'eau économisé ont nécessairement été pris en compte au titre de ce critère n°3 ; il s'agit d'un élément d'appréciation de l'offre des candidats mais il ne s'agit pas du critère principal ; en toute hypothèse, l'appréciation qui a été portée par la MEL sur cet aspect de l'offre de la Saur n'a pas eu pour effet de la pénaliser, puisqu'il ressort de lettre qui lui a été envoyée le 17 avril 2023 que son engagement de réduction des volumes d'eau d'achat en gros a été considéré comme un point fort de son offre sur le critère n°3 ; aux termes de la méthode de notation du critère n°3, si la société Saur s'était vue reconnaître un point fort significatif, elle n'aurait pas obtenu 13.3 points mais 14 points sur ce critère quand la société Veolia a obtenu 20 points ; par ailleurs les pénalités n'ont pas servi d'élément d'appréciation des offres ; l'article 84 du projet de contrat a été modifié durant la phase de négociation et précisait que les candidats pouvaient proposer des valeurs inférieures à celles proposées par le pouvoir adjudicateur pour déclencher le système de malus ; le contrat prévoit des pénalités définies à l'article 104 qui n'ont pas été modifiées par les candidats et qui ne prévoient aucun plafonnement en cas de non-respect des objectifs du contrat ;
- Le principe d'égalité n'a pas été méconnu durant la phase de négociation dès lors que la MEL s'est bornée à inviter la société Saur à sécuriser son offre au besoin en baissant ses objectifs d'économie d'eau mais elle n'y était pas tenue ; la MEL a également refusé un nouvel article 89.1 au projet de contrat de concession au motif qu'il prévoyait un système de bonus pour le concessionnaire si les économies d'eau étaient supérieures au cours d'une année à ce qui était prévu dans le compte d'exploitation ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2023, la société Veolia, représentée par Me Frêche et Me Dourlens, conclut :
1°) au rejet de la requête de la société Saur ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de la société Saur la somme de 4 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- L'objet principal du contrat est le fait de fournir un service et non de réaliser des travaux ; il convient donc d'appliquer la procédure applicable aux délégations de service public de distribution d'eau potable prévue à l'article
R.3126-1 du code de la commande publique qui prévoit un régime simplifié de passation ; l'autorité concédante est dispensée de communiquer aux candidats évincés une décision de rejet telle qu'elle est prévue à l'article
R.3125-1 du code de la commande publique et de respecter un délai de " standstill " prévu à l'article
R.3125-2 du code de la commande publique ; la MEL n'a pas appliqué de procédure dite formalisée en l'espèce ; le règlement de consultation n'indique pas que la MEL aurait entendu se soumettre totalement à la procédure formalisée ;
- Aucun des moyens soulevés par la société Saur n'est susceptible de justifier l'annulation de la procédure passation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Lassaux, premier conseiller, pour statuer
sur le
s demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 2 mai à 14 heures :
- le rapport de M. Lassaux, juge des référés,
- les observations de Me Ayache représentant la société Saur qui conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que la requête ;
- les observations de Me Lebaude, représentant la métropole européenne de Lille et de Me Dourlens, représentant la société Veolia qui reprennent le contenu de leurs écritures en défense ;
La clôture de l'instruction a été différée au 4 mai 2023 à 9 heures.
Par deux mémoires, enregistrés le 3 mai 2023 à 11h21 et 15h43, la société Saur, représentée par Me Ayache, conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que la requête.
Par deux mémoires, enregistrés le 3 mai 2023 à 11h58 et 15h56, la métropole européenne de Lille, représentée par Me Sagalovitsch, reprend le contenu de ses écritures en défense ; elle produit également un extrait du rapport de l'exécutif relatif à l'analyse du critère n°3 dans lequel les informations relatives au secret des affaires ont été occultées, l'annexe AC 2 du projet de contrat de concession ainsi que le détail de la méthode de calcul du critère n°3.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mai 2023 à 12h03 la société Veolia, représentée par Me Frêche et Me Dourlens, reprend le contenu de ses écritures en défense.
La métropole européenne de Lille a produit des pièces qu'elle a entendu soustraire au contradictoire sur le fondement des articles
R. 611-30 du code de justice administrative et R.412-1-1.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence, publié le 29 octobre 2021 au bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) et au journal officiel de l'Union européenne (JOUE), la métropole européenne de Lille a lancé une consultation en vue de la passation d'un contrat de concession pour une durée de 10 ans ayant pour objet la gestion du service public de distribution d'eau potable sur son territoire. Apprenant que son offre n'avait pas été retenue, la société Saur demande l'annulation de la procédure de passation de ce contrat de concession.
Sur la communication de pièces couvertes par le secret des affaires :
2. Aux termes de l'article
L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ". Aux termes de l'article
L. 611-1 du même code : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article
L. 5 du présent code sont adaptées à celles de la protection du secret des affaires répondant aux conditions prévues au chapitre Ier du titre V du livre Ier du code de commerce. / Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article R. 611-30 du même code : " Lorsqu'une partie produit une pièce ou une information dont elle refuse la transmission aux autres parties en invoquant la protection du secret des affaires, la procédure prévue par l'article R. 412-2-1 est applicable ". Enfin, aux termes de l'article R. 412-2-1 du même code, auquel il est ainsi renvoyé : " Lorsque la loi prévoit que la juridiction statue sans soumettre certaines pièces ou informations au débat contradictoire ou lorsque le refus de communication de ces pièces ou informations est l'objet du litige, la partie qui produit de telles pièces ou informations mentionne, dans un mémoire distinct, les motifs fondant le refus de transmission aux autres parties, en joignant, le cas échéant, une version non confidentielle desdites pièces après occultation des éléments soustraits au contradictoire. Le mémoire distinct et, le cas échéant, la version non confidentielle desdites pièces, sont communiqués aux autres parties. / Les pièces ou informations soustraites au contradictoire ne sont pas transmises au moyen des applications informatiques mentionnées aux articles R. 414-1 et R. 414-2 mais sont communiquées au greffe de la juridiction sous une double enveloppe, l'enveloppe intérieure portant le numéro de l'affaire ainsi que la mention : " pièces soustraites au contradictoire-Article
R. 412-2-1 du code de justice administrative ". / Si la juridiction estime que ces pièces ou informations ne se rattachent pas à la catégorie de celles qui peuvent être soustraites au contradictoire, elle les renvoie à la partie qui les a produites et veille à la destruction de toute copie qui en aurait été faite. Elle peut, si elle estime que ces pièces ou informations sont utiles à la solution du litige, inviter la partie concernée à les verser dans la procédure contradictoire, le cas échéant au moyen des applications informatiques mentionnées aux articles R. 414-1 et R. 414-2. Si la partie ne donne pas suite à cette invitation, la juridiction décide des conséquences à tirer de ce refus et statue sans tenir compte des éléments non soumis au contradictoire. / Lorsque des pièces ou informations mentionnées au premier alinéa sont jointes au dossier papier, celui-ci porte de manière visible une mention signalant la présence de pièces soustraites au contradictoire. Ces pièces sont jointes au dossier sous une enveloppe portant la mention : " pièces soustraites au contradictoire-Article
R. 412-2-1 du code de justice administrative ". / Lorsqu'un dossier comportant des pièces ou informations soustraites au contradictoire est transmis à une autre juridiction, la présence de telles pièces ou informations est mentionnée de manière visible sur le bordereau de transmission ". Ces dispositions ont pour objet de concilier, d'une part, le principe fondamental du contradictoire, qui est un principe directeur de la procédure contentieuse administrative dont le respect n'est pas remis en cause mais donne simplement lieu à aménagement procédural et, d'autre part, le secret des affaires, au sens de l'article
L. 151-1 du code de commerce, dont une partie peut souhaiter se prévaloir pour apprécier dans quelle mesure elle doit envisager de soumettre au débat contradictoire certains éléments d'information, en étant le cas échéant éclairée avant qu'une de ses productions puisse être communiquée aux autres parties.
3. Par des mémoires complémentaires, la métropole européenne de Lille a notamment soumis au contradictoire un extrait du rapport de l'exécutif relatif à l'analyse du critère n°3 dans lequel les informations relatives au secret des affaires ont été occultées ainsi que le détail de la méthode de calcul de ce même critère. Les informations communiquées par un mémoire distinct dans le cadre de la procédure définie par l'article
R.611-30 du code de justice administrative n'ont, en l'espèce, pas été communiquées ni prises en compte dans le cadre de la présente instance, faute d'être apparues indispensables à la solution du litige.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative :
4. L'article
L. 551-1 du code de justice administrative dispose que : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation (). Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Le I de l'article
L. 551-2 de ce code précise que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. " Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements.
5. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge du référé précontractuel de se prononcer sur les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence incombant à l'acheteur, invoqués à l'occasion de la passation d'un contrat. En vertu de ces mêmes dispositions, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements de l'acheteur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.
En ce qui concerne la méconnaissance des articles
R. 3125-1 et
R.3125-3 du code de la commande publique
6. Aux termes de l'article
R. 3125-1 du code de la commande publique, figurant à la section 1 du chapitre V du titre II du Livre Ier de la troisième partie relative aux concessions : " L'autorité concédante notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre. / Cette notification précise les motifs de ce rejet et, pour les soumissionnaires, le nom du ou des attributaires ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de l'offre. Elle comporte l'indication de la durée du délai de suspension que l'autorité concédante s'impose, eu égard notamment au mode de transmission retenu ". Aux termes de l'article
R. 3125-3 du même code : " L'autorité concédante communique aux soumissionnaires ayant présenté une offre qui n'a pas été éliminée en application de l'article L. 3124-2 les caractéristiques et les avantages relatifs de l'offre retenue, dans les quinze jours de la réception d'une demande à cette fin ".
7. Il résulte de ces dispositions que l'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations, mentionnées aux articles du code de la commande publique précités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.
8. La société Saur, informée du rejet de son offre et du nom de l'attributaire a demandé à la métropole européenne de Lille la communication du rapport d'analyse des offres par un courriel du 11 janvier 2023. La métropole européenne de Lille a, par une lettre du 17 avril 2023, indiqué de manière détaillée les avantages et les faiblesses de son offre pour chacun des cinq critères d'analyse des offres, fourni un tableau comparatif des notes obtenues par l'attributaire et par la société requérante pour chacun desdits critères, ainsi que le classement des soumissionnaires au regard de l'ensemble des critères. Ainsi, la société requérante a été mise à même de contester utilement devant le juge des référés précontractuels le rejet de son offre. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles
R. 3125-1 et
R.3125-3 du code de la commande publique doit, en tout état de cause, être écarté. Les conclusions de la société Saur tendant à ce qu'il soit enjoint à la métropole européenne de Lille de lui communiquer les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue, les motifs de rejet de son offre et le rapport d'analyse des offres ne peuvent, par conséquent, qu'être rejetées.
En ce qui concerne le non-respect de la pondération des critères telle que prévue par le règlement de consultation :
9. L'autorité concédante définit librement la méthode d'évaluation des offres au regard de chacun des critères d'attribution qu'elle a définis et rendus publics. Elle peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison. Une méthode d'évaluation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d'attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités d'évaluation des critères d'attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation ou leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l'ensemble des critères, à ce que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que l'autorité concédante, qui n'y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d'évaluation.
10. Le règlement de consultation prévoit à son article 5 que les offres sont appréciées au regard de cinq critères intitulés " Tarification et économie de service ", " Travaux liés à l'économie d'eau et gestion technique du service dont système d'information ", " Développement durable, recherche et innovation ", " Qualité des services rendus aux usagers " et " Gouvernance, organisation et RH ", pondérés à hauteur respectivement de 35 %, 25 %, 20%, 10 % et 10 %. La métropole européenne de Lille a décidé pour évaluer les offres au regard des différents critères d'intégrer le coefficient multiplicateur correspondant à la pondération retenue dans le règlement de consultation directement à la valeur de calcul accordant ainsi une note pour chaque critère sur la même échelle que la pondération correspondante. Cette méthode de notation choisie par la métropole européenne de Lille permet d'obtenir des résultats strictement identiques à une méthode de notation appliquant le coefficient multiplicateur correspondant à la pondération après avoir préalablement noté chaque critère sur une même échelle de points. En revanche, la méthode de notation préconisée par la société Saur équivaut à appliquer la pondération prévue pour chaque critère non pas aux notes obtenues par les soumissionnaires qui découlent nécessairement d'un ratio entre les points effectivement accordés et le nombre maximal de points qu'il est possible de se voir accorder mais aux seuls points obtenus pour chacun des critères notés sur des échelles différentes. Cette méthode de notation qui serait, selon la société Saur, la seule qui respecterait les pondérations prévues au règlement de la consultation sur un plan mathématique conduit au contraire à ce que notamment le critère n°1 pondéré à 35 % pèse deux fois plus lourd sur la note globale que le critère n°2 dont la pondération prévue est pourtant de 25 %. Par suite, la société Saur n'est pas fondée à soutenir que la métropole européenne de Lille n'aurait pas, dans le cadre de l'analyse des offres, respecter les règles de pondération des critères qu'elle s'était préalablement fixée.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'appréciation du critère n°3 au regard des engagements d'économies d'eau et des pénalités financières :
11. La société Saur soutient que la métropole européenne de Lille a apprécié le critère n°3 " développement durable, recherche et innovation " au regard des engagements chiffrés d'économie d'eau et des pénalités financières qui n'ont pas été présentés comme des sous-critères prépondérants et qui ne sont pas de nature à permettre la sélection de la meilleure offre. Toutefois, il résulte de l'instruction que les pénalités sont définies à l'article 104 du projet de contrat de concession, document joint au règlement de consultation, et ne prévoient pas de mécanismes de plafonnement. Il n'est, par ailleurs, pas contesté que cet article 104 du projet de concession n'a pas été modifié par les soumissionnaires durant la consultation. Il résulte en outre de l'extrait du rapport de l'exécutif sur l'analyse des offres au regard du critère n°3, soumis au contradictoire, que les offres de la société requérante et de l'attributaire n'ont pas été évaluées au regard des pénalités financières.
12. Il est constant que les objectifs chiffrés d'économie d'eau ont servi d'élément d'appréciation dans la notation du critère n°3, dès lors qu'une des composantes de ce critère portait sur l'engagement de réduction des volumes d'eau en gros achetés par le concessionnaire comme le prévoit l'article 4.6.2 du règlement de consultation qui définit " le mémo 34 " du chapitre 3 intitulé " développement durable, recherche et innovation " du mémoire d'offre que devait remettre les candidats comme la présentation de la stratégie et de la panoplie d'actions pour inciter et provoquer des économies d'eau par les abonnés et les usagers, des méthodes et moyens de mobilisations des usagers, des engagements et des résultats attendus. Il résulte de l'extrait du rapport d'analyse relatif à ce critère n°3, de la lettre de rejet adressée à la société requérante et du détail de la méthode de notation de ce critère que les objectifs chiffrés afférents à la réduction des volumes d'eau achetés en gros n'ont été qu'un élément d'appréciation de l'offre parmi d'autres tels que notamment la méthode ou les actions proposées en vue de parvenir à atteindre ces objectifs. Au regard de la méthode de notation de ce critère n°3 communiquée par le pouvoir adjudicateur, la société requérante qui s'est vue attribuer un point fort au titre de son engagement de réduction des achats d'eau en gros ne pouvait espérer, en cas d'attribution d'un point fort significatif qui représente la meilleure appréciation qu'il était possible de se voir accorder sur cet élément de la notation, obtenir que la note de 14/20 en lieu et place de la note de 13,3/20 qui lui a été attribuée. Par ailleurs, il est loisible à l'autorité concédante de prendre en compte les engagements formulés par les candidats pour réduire la consommation d'eau, alors même qu'ils seraient évalués pour partie par référence aux résultats annoncés dans les offres en matière d'économie d'eau, dont ils sont un élément d'appréciation, et qui visent à apprécier la cohérence et la crédibilité des offres sur le plan des efforts envisagés à ce titre, n'est pas dépourvu de tout lien avec ce critère intitulé " Développement durable, recherche et innovation ". En outre comme il a été rappelé précédemment, l'incidence de cet élément d'appréciation n'est pas prépondérante dans l'appréciation globale de ce critère. Par suite, il ne peut être soutenu que la métropole européenne de Lille a eu recours à un sous-critère de sélection des offres occulte devant être pondéré ou hiérarchisé ni que la méthode de notation ainsi appliquée serait dépourvue de lien avec le critère en cause ou de nature à priver de portée ledit critère ou à neutraliser sa pondération conduisant alors à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée. En tout état de cause, comme il vient d'être dit, en application de la méthode de notation du critère n°3, dans l'hypothèse où elle se verrait attribuer un point fort significatif en raison de ses objectifs chiffrés de réduction d'achat d'eau en gros et en n'attribuant, dans le même temps, qu'un simple point fort à la société attributaire qui avait bénéficié d'un point fort significatif à ce titre, la société requérante obtiendrait une note sur ce critère n°3 de 14/20 et une note globale de 78,71/100 quand la défenderesse se verrait encore attribuer la note de 19,3/20 sur ce même critère et une note globale de 83,08/100. La société Saur ne peut ainsi prétendre avoir été lésée par l'usage d'un tel élément d'appréciation des offres au regard du critère n°3. Par suite, ce moyen doit être écarté.
En ce qui concerne le manquement relatif à l'impartialité de la métropole européenne de Lille à l'égard de la société Saur :
13. La société Saur soutient que la métropole européenne de Lille l'a incitée durant la phase des négociations à réduire ses objectifs d'économie d'eau figurant dans son offre initiale et a refusé la proposition de modification du projet de contrat de concession portant sur la mise en place de pénalités spécifiques. Toutefois outre le fait que, comme il a été rappelé au point 11, les pénalités financières ne constituent pas un élément d'appréciation des offres, la métropole européenne de Lille n'a pas refusé la modification du projet de concession portant la mise en place de pénalités financières spécifiques en cas de non atteinte de son objectif d'économies d'eau comme le soutient la requérante mais a simplement écarté sa proposition tenant à la mise en place d'un système s'apparentant à une clause de type " bonus-malus " qui prévoyait une amélioration de la rémunération du concessionnaire dans le cas où les économies d'eau réalisées au cours d'une année seraient supérieures à ce qui était prévu dans le compte d'exploitation. Les autres candidats notamment n'ont, de leur côté, pas proposé de telles clauses et n'ont pas modifié l'article 104 du projet de concession définissant les pénalités financières. La métropole européenne de Lille n'a pas méconnu le principe d'égalité entre les concurrents en agissant de la sorte. Par ailleurs et à supposer même que cette demande de la métropole européenne de Lille adressée à la société requérante, au cours de la phase de négociation, ait pu inciter celle-ci à ne pas maintenir un objectif élevé de réduction des volumes d'achat d'eau en gros créant alors une rupture d'égalité entre les candidats, ce comportement du pouvoir adjudicateur n'est pas susceptible de l'avoir lésée, dès lors, comme il a été dit au point 12, qu'en application de la méthode de notation du critère n°3, dans l'hypothèse où elle se verrait attribuer un point fort significatif sur cet élément et en n'attribuant, dans le même temps, qu'un simple point fort à la société attributaire qui avait bénéficié d'un point fort significatif à ce titre, la société requérante obtiendrait une note sur ce critère n°3 de 14/20 et une note globale de 78,71/100 quand la défenderesse se verrait encore attribuer la note de 19,3/20 sur ce même critère et une note globale de 83,08/100. Par suite, ce moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité entre les candidats et du manque d'impartialité de la métropole européenne de Lille doit également être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la demande de suspension de la signature du contrat, que les conclusions présentées par la société Saur sur le fondement de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Aux termes de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Saur une somme de 1 500 euros à verser, d'une part, à la société Veolia et, d'autre part, à la métropole européenne de Lille, au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme réclamée par la société Saur soit mise à la charge de la société Veolia, qui n'est pas la partie perdante à l'instance.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société Saur est rejetée.
Article 2 : La société Saur versera une somme de 1 500 euros tant à la société Véolia qu'à la métropole européenne de Lille en application des dispositions de l'article
L.761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la métropole européenne de Lille et la société Véolia est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Saur, à la métropole européenne de Lille, à la société Véolia
Lille, le 9 mai 2023.
Le juge des référés,
signé
P. LASSAUX
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N°2303420