TROISIÈME SECTION
AFFAIRE DE ANGELIS ET AUTRES c. ITALIE
(Requête no 68852/01)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
19 octobre 2010
DÉFINITIF
19/01/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire de Angelis et autres c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Guido Raimondi, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 septembre 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 68852/01) dirigée contre la République italienne et dont trois ressortissants de cet État, Mme Graziella de Angelis (« la première requérante »), M. Paolo Giuseppe De Angelis (« le deuxième requérant »), et Mme Leda Izzotti (« la troisième requérante ») ont saisi la Cour le 6 novembre 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La troisième requérante est décédée le 24 mars 2001. Les deux premiers requérants sont ses héritiers
2. Par un arrêt du 21 décembre 2006 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que l'ingérence dans le droit au respect des biens des requérants n'était pas compatible avec le principe de légalité et que, partant, il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 (De Angelis et autres c. Italie, no 68852/01, § 62, 21 décembre 2006).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une satisfaction équitable correspondante à la différence entre la valeur marchande du terrain et la somme qui leur a été reconnue plus intérêts et réévaluation à compter de 1991 par les juridictions internes en application de la loi no 662 de 1996 (à savoir 58 750 230 ITL (30 342 EUR)
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 89, et point 4 du dispositif).
5. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable était venu à échéance sans que les parties n'aboutissent à un tel accord.
6. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations.
EN DROIT
7. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
8. Les requérants demandent une satisfaction équitable correspondante à la différence entre la valeur marchande du terrain et la somme qui leur a été reconnue par les juridictions internes soit 58 750 230 ITL, plus intérêts et réévaluation à compter de 1991 en application de la loi no 662 de 1996.
9. Le Gouvernement soutient que, compte tenu de ce que l'illégalité commise par l'administration ne concerne que la forme, les requérants n'auraient droit qu'à un dédommagement inferieur à la valeur marchande du terrain.
10. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
11. Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'Etat sur les terrains.
12. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il convient aussi de l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
13. En l'espèce, les requérants ont perdu la propriété de leur terrain en 1991. Il ressort de l'expertise ordonnée par les juridictions internes au cours de la procédure nationale, que la valeur du bien à cette date était de 106 556 100 ITL, soit 55 031,6 EUR (paragraphe 13 de l'arrêt au principal).
14. Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder aux requérants conjointement 73 000 EUR pour le préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
15. Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l'expropriation litigieuse. Statuant en équité, la Cour alloue aux requérants conjointement 3 000 EUR de ce chef.
B. Dommage moral
16. Dans les observations présentées à la suite de la communication de la requête au Gouvernement, les requérants demandaient un dédommagement conforme aux critères dégagés par la jurisprudence de la Cour, sans toutefois chiffrer celui-ci. Après l'arrêt sur le fond, les requérants ont demandé 51 645,49 EUR à titre du préjudice moral.
17. Le Gouvernement s'y oppose et fait valoir que les requérants ont manqué à leur obligation de chiffrer leur prétentions, contrairement aux termes de l'article 60 §2 du règlement. Il demande à la Cour de rejeter la partie de la demande relative à la réparation d'un préjudice moral prétendument subi.
18. La Cour note que lors de l'envoi des observations sur le fond les requérants ont demandé à la Cour un dédommagement conforme aux critères dégagés par la jurisprudence de la Cour. Elle estime que les requérants, bien qu'ils n'aient pas détaillé leur prétentions relatives au préjudice moral après la communication de la requête, ont nécessairement subi un tort à cet égard du fait de la dépossession illégale de leurs bien.
19. Statuant en équité, la Cour accorde au titre du préjudice moral 5 000 EUR (cinq mille euros) à la première requérante, 5 000 EUR (cinq mille euros) au deuxième requérant et 5 000 EUR (cinq mille euros) conjointement à la première requérante et au deuxième requérant en tant qu'héritiers de la troisième requérante.
C. Frais et dépens
20. Dans les observations présentées à la suite de la communication de la requête au Gouvernement, les requérants n'ont pas demandé le remboursement des frais de procédure. Après l'arrêt sur le fond, le requérants demandent une somme de 18 000 EUR au titre de remboursement des frais de procédure sans toutefois fournir de documents à l'appui de leur demande
21. Le Gouvernement s'y oppose et fait valoir que les requérants n'ont pas chiffré leurs prétentions.
22. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI).
23. En l'espèce, la Cour relève que les requérants n'ont pas fourni de documents à l'appui de leur demande et rejette cette dernière.
D. Intérêts moratoires
24. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes:
i. conjointement 76 000 EUR (soixante seize mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros) à la première requérante, 5 000 EUR (cinq mille euros) au deuxième requérant et 5 000 EUR (cinq mille euros) conjointement à la première requérante et au deuxième requérant en tant qu'héritiers de la troisième requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 octobre 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président