Vu la procédure suivante
:
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 11 et 26 septembre
2024, la société par action simplifiée
Spie Citynetworks, représentée par Me Foglia, demande au juge des référés statuant en application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la procédure de dialogue compétitif lancée par la commune de Narbonne en vue de l'attribution du marché global de performance associant la modernisation, la rénovation, l'exploitation, la maintenance et la gestion des installations d'éclairage public et des installations connexes ;
2°) d'enjoindre à la commune de Narbonne, si elle entend poursuivre la procédure, de reprendre celle-ci dans le respect des motifs de l'ordonnance de référé à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Narbonne la somme de 3 500 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- son offre est régulière :
. en premier lieu
, il ressort des extraits de l'offre finale, produits par la commune de Narbonne elle-même, qu'il n'existe aucune contradiction entre le contenu des annexes
n°1 et
n°2 à l'acte d'engagement qui font apparaître les mêmes pourcentages de réduction des consommations annuelles non cumulées et il n'existe pas de contradiction entre le mémoire technique et les annexes à l'acte d'engagement s'agissant de la réduction des consommations annuelles à la fin des travaux, ce dernier étant bien de 40% ;
. en deuxième lieu, la lettre d'invitation à remettre une offre finale, transmise le 5 juillet
2024, était effectivement assortie d'un document de cadrage fixant les exigences devant être prises en compte par les soumissionnaires pour la remise de leur dernière offre, et sollicitant notamment la remise de la V2 de l'annexe
n°2 de l'acte d'engagement, et précisait que les autres annexes au DCE étaient abandonnées, de sorte que la commune ne peut valablement soutenir que l'offre de la requérante méconnaissait une exigence des documents de la consultation, au seul motif qu'elle n'aurait pas utilisé le cadre de réponse fourni aux soumissionnaires devant constituer l'annexe
n°2 à l'acte d'engagement, dès lors que celle-ci était exprimée de manière extrêmement aussi ambiguë ;
. en troisième lieu, l'acheteur ne peut écarter une offre comme étant irrégulière si celle-ci méconnaît une prescription ou une exigence manifestement dépourvue d'utilité pour l'analyse des offres et, en l'espèce, l'utilisation de la V2 de l'annexe
n°2 à l'acte d'engagement était dépourvue de toute utilité pour l'examen des offres au titre du critère G3 dans la mesure où celle-ci était pré-remplie par l'acheteur s'agissant des postes G3NP et G3P ;
. en quatrième lieu, si la commune de Narbonne lui reproche d'avoir remis une offre incomplète, et notamment une annexe
n°2 à l'acte d'engagement ne renseignant pas l'intégralité des prix unitaires du poste G4 pour les tranches fermes et optionnelles, une telle incomplétude est directement liée à l'exigence ambiguë figurant dans la lettre d'invitation à remettre une offre finale et le document de cadrage annexé à celle-ci, et elle est sans incidence sur l'examen des offres dans la mesure où le groupement a remis, conformément à l'article 9.1 du règlement de la consultation, des DPGF distinctes et complètes portant sur tous les travaux de la tranche ferme et des tranches optionnelles ;
. en cinquième lieu, si la commune prétend que l'offre finale du groupement ne respecterait pas les quantitatifs minimums imposés par les documents de la consultation pour la rénovation des réseaux s'agissant des tranches optionnelles, il n'est nullement précisé dans le document de cadrage joint à la lettre d'invitation à remettre une offre finale, comme l'interprète a posteriori la commune de Narbonne, que ces quantitatifs sont exigés pour chaque tranche optionnelle, au contraire, cette précision figure dans la deuxième partie du document intitulée " Précisions relatives aux tranches optionnelles ", laissant ainsi entendre que ces quantitatifs sont exigés au titre des deux tranches cumulées et telle est la présentation, telle qu'elle ressort de son mémoire technique où sont proposées des rénovations portant sur des quantitatifs conformes aux exigences formulées par le document de cadrage ;
. en sixième et dernier lieu, si la commune fait grief à l'offre du groupement de ne comporter aucune proposition de mises en valeur dans l'annexe
n°2 à l'acte d'engagement, d'une part, cette difficulté est en lien avec l'ambiguïté de l'exigence posée par le document de cadrage d'utiliser la V2 de l'annexe
n°2 à l'acte d'engagement et, accessoirement, avec le délai très court laissé aux soumissionnaires pour remettre leur offre finale, d'autre part, ce même document de cadrage exigeait des soumissionnaires qu'ils fassent des propositions de mise en valeur dans le cadre d'un BPU spécifique, ce qu'elle a fait et, par ailleurs, il ressort de l'extrait du document de cadrage précité que les propositions de mises en valeur ne devaient pas être prises en compte dans l'enveloppe financière du G4, alors qu'aucun sous-critère ou élément d'appréciation des offres porté à la connaissance des soumissionnaires n'y est relatif ;
- la commune de Narbonne a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence :
. la commune de Narbonne a retenu trois critères de sélection des offres, représentant 1400 points sur un total de 2400 points, soit 58% de la note globale, portant exclusivement sur les tranches optionnelles dont l'exécution est, par définition, incertaine et subordonnée à la décision d'affermissement de la commune de Narbonne, comme cela ressort de l'article 2.1 du CCAP, de sorte qu'eu égard à leur poids, ces critères sont susceptibles de conduire à ce qu'une offre devienne attributaire du marché grâce à la note obtenue au titre des critères se rapportant aux tranches optionnelles et malgré une note inférieure à celle de son concurrent au titre des critères portant sur la tranche ferme, et donc à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas retenue ;
. la reconstitution de l'analyse des offres était impossible faute de connaître les critères de sélection des offres sur lesquels se seraient reportés les points attribués aux critères irréguliers, alors que le total de ces trois critères représente 1400 points sur une note globale, tous critères confondus, de 2400 points, de sorte que ces manquements l'ont lésée ;
. les éléments d'appréciation du critère G6 " Qualité des prestations liées au développement durable et engagement social " sont irréguliers dès lors, d'une part, qu'ils sont relatifs à la politique générale des entreprises soumissionnaires, sans aucun lien avec les prestations particulières du marché en cause et, d'autre part, l'exigence de présentation de mesures en faveur de l'engagement social et de l'" équilibre durable du territoire " est insuffisamment précise pour permettre aux opérateurs économiques d'apprécier les exigences de la commune de Narbonne ;
. et, elle a été susceptible d'être lésée par le manquement invoqué dans la mesure où elle a obtenu une note de 39 points au titre du sous-critère " engagement social " contre 44 points attribués à Bouygues Energies Services ;
. la commune a modifié les critères d'appréciation durant la procédure, à l'issue du second tour de dialogue, sans aucune alerte ou indication donnée lors des deux tours de dialogue, il ressort en effet du courrier du 10 septembre
2024 que le critère " Qualité des prestations : tranche optionnelle " a été apprécié en tenant compte de deux éléments, différents de ceux prévus à l'article 10.3 du règlement de la consultation comme à l'annexe
n°3 dudit règlement ; de la même manière, c'est également à l'issue des tours de dialogue, qu'il est demandé aux candidats d'intégrer, dans leur offre, au titre du critère G6, une approche de la biodiversité, mais, finalement, les offres seront jugées au titre de cette approche de la biodiversité à la fois au titre du critère G6 mais également au titre du critère G4 ;
. ces manquements l'ont lésée, dès lors que l'attributaire obtient une note de 788,28 sur 800 au titre du critère " Qualité des tranches optionnelles " et la note maximale de 40 points au titre du sous-critère " Classification des voies - SDAL " contre 24 points pour la requérante ;
. il ressort des développements qui précèdent, s'agissant de la régularité de l'offre du groupement, que les motifs relevés à tort comme constituant des non-conformités de son offre lors de l'analyse du critère G1, du critère G4, du critère G6, et la prise en compte les quantitatifs communiqués aux soumissionnaires pour la rénovation des réseaux au titre des tranches optionnelles, sont erronés, de sorte que son offre a été dénaturée ;
. les erreurs commises par la commune de Narbonne lors de l'analyse des critères de sélection des offres G1, G4 et G6 l'ont nécessairement lésée eu égard au faible écart de points, 117,91 points sur 2400 points, dans la mesure où son offre finale a obtenu une note de 85 points sur 140 au titre du critère G1, une note de 105,41 points sur 150 au titre du critère G4 et une note de 71 points sur 90 au titre du critère G6 ;
. aucun intérêt général s'oppose à l'annulation de la procédure de dialogue compétitif.
Par deux mémoires enregistrés les 25 septembre et 3
octobre 2024, la commune de Narbonne, représentée par Me Gras, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 5 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable, la société requérante ne justifie pas de la qualité pour agir, les conclusions nouvelles, présentées le 26 septembre
2024, sont irrecevables ;
- l'offre de la société requérante étant irrégulière à plusieurs égards en raison : de la méconnaissance de la lettre de cadrage en matière d'économie d'énergie dans l'annexe prévue dans la lettre du 5 juillet
2024, de l'incomplétude du bordereau des prix unitaires pour 33 d'entre eux concernant les investissement du poste G4, l'absence des quantitatifs " linéaires des réseaux " pour les deux tranches optionnelles, d'absence d'élément sur la mise en valeur avec chiffrage associé sur l'annexe
n° 2 tableau récapitulatif et engagements V4, les moyens qu'elle présente à l'appui de sa requête et qui ne se rattachent pas à l'irrégularité de l'offre de l'attributaire, doivent tous être écartés comme inopérants ;
- les critères et sous-critères pondérés prévus au règlement de la consultation, qui concernent distinctement les trois tranches, sont dépourvus d'ambiguïté ;
- la méthode de notation qui agrège les trois tranches est régulière, la pondération des deux tranches optionnelles sur la base de 1 400 points pour 1 000 points pour la tranche ferme s'explique, d'une part, par le bref délai d'affermissement de ces deux tranches, lequel ne souffre d'aucune incertitude et dont le financement interviendra le 30 avril 2026, date de la fin des travaux de la tranche ferme, d'autre part, par le fait que les travaux prévus pour les deux tranches optionnelles sont quasiment équivalents à ceux de la tranche ferme ;
- en tout état de cause, la requérante n'établit pas que les manquements dont elle se prévaut, sont susceptibles de l'avoir lésée, notamment si l'on fait abstraction des deux tranches optionnelles, l'écart demeure de 96,05 points ;
- le moyen tiré de l'irrégularité des éléments d'appréciation des trois sous-critères, notés sur 30 points, du critère G6 " Qualité des prestations liées au développement durable et engagement social ", manque en fait, ils sont suffisamment précis et en lien avec l'objet du marché ; en tout état de cause, le manquement allégué n'est pas de nature à léser la requérante ;
- il n'y pas eu de modification du volume des travaux de rénovation du parc LED prévus dans les deux tranches optionnelles, mais une simple modification d'intitulé ;
- il n'y pas eu, non plus, de modification du critère G6 pour y adjoindre la biodiversité, laquelle figurait déjà dans les sous-critères qui renvoient, notamment, à la réduction de la pollution lumineuse ;
- aucune dénaturation n'est établie tant sur l'analyse du critère G1, que du critère G4 ;
- en tout état de cause, la requérante n'établit pas un intérêt lésé à raison des manquements dont elle se prévaut, en majorant sa note au maximum de celle pouvant être obtenue au titre des sous-critères critiqués, l'écart demeure de 86,91 points au profit de l'attributaire ;
- en tout état de cause, il y a lieu de rejeter les conclusions aux fins d'annulation de la procédure de passation, eu égard à l'intérêt général qui préside à la signature du marché compte tenu du financement dont la commune peut bénéficier auprès de la CDC en application de la convention du 22 décembre 2023, si la signature intervient avant le 1er décembre
2024.
Par un mémoire enregistré le 3
octobre 2024, la société Bouygues Energies et Services, représentée par Me Pignon et Me Desjardins, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 2 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- à titre principal, l'offre de la société
Spie CityNetworks est irrégulière et aurait dû être rejetée par la commune de Narbonne, pour quatre motifs, dès lors qu'elle n'indique dans son acte d'engagement aucune sous-traitance au titre des tranches optionnelles, alors même que le critère minimal de 10% s'apprécie nécessairement au regard du montant global du marché, les chiffres traduisant l'engagement d'économies d'énergie au titre de son offre sont incohérents et contradictoires et les tableaux remis en offre finale ne correspondent pas aux cadres imposés, le cadre imposé pour présenter les bordereaux de prix unitaires n'a pas été utilisé et les quantités minimales imposées pour la rénovation des réseaux n'ont pas été respectées ; de sorte que les moyens invoqués, qui ne tendent pas à démontrer l'irrégularité de l'offre de la société Bouygues Energies et Services, sont tous inopérants ;
- à titre subsidiaire, les moyens de la requérante ne sont pas fondés :
. pour apprécier les offres et déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur doit tenir compte de l'ensemble des tranches, notamment, en utilisant une pondération adaptée pour les tranches optionnelles lorsque leur probabilité de réalisation est réelle comme en l'espèce, et les critères et des sous-critères portant sur les tranches optionnelles du marché, qui correspondent à ceux de la tranche ferme dès lors que les prestations attendues sont similaires, sont réguliers, car ils ne sont pas discriminatoires et sont liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figurent le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux ; en outre la requérante n'établit pas qu'elle serait susceptible d'être lésée puisque, quand bien même les critères relatifs aux tranches conditionnelles venaient à être neutralisés, la société Bouygues Energies et Services obtiendrait malgré tout une note plus élevée ;
. les éléments d'appréciation du critère G6 " Qualité des prestations liées au développement durable et engagement social " sont réguliers car ils sont suffisamment précis et liés à l'objet du marché comme l'exige l'article
L. 2152-7 du code de la commande publique ; en tout état de cause, la requérante, qui a obtenu 71 points sur ce critère contre 84 pour elle-même, n'établit pas la lésion de ses intérêts eu égard à l'écart séparant la notation globale des deux offres, ce critère étant noté sur 90 points, sur un total de 2 400 points ;
. les critères relatifs à la tranche conditionnelle n'ont pas fait l'objet d'une modification au cours du dialogue, il s'agit toujours de la " qualité des prestations sur les investissements (SDAL, économie d'énergie, ) " et de la " qualité des prestations de fonctionnement (G0,G1,G2) " seul l'intitulé des deux tranches a changé, ce dont les candidats ont été informés en mai
2024, sans conséquence pour leur périmètre, il s'agit toujours, en effet, de couvrir, en deux tranches, le remplacement de 50% du parc à Led restant après la tranche ferme ;
. enfin, la requérante n'établit pas la dénaturation de son offre au titre des critères G1, G4 et G6, c'est à tort qu'elle soutient que les contradictions et incohérences de son offre n'aurait pas dû dévaloriser son offre, notamment que, bien qu'elle n'ait pas rempli les cadres techniques et financiers imposés par la commune de Narbonne dans le cadre du dialogue compétitif, celle-ci aurait dû obtenir ces informations dans le mémoire technique déposé ou que l'évaluation du montant des prestations sous-traitées à des PME et artisans ne devait pas tenir compte de la tranche optionnelle.
La société
Spie CityNetworks a produit, le 26 septembre
2024 pour le Tribunal, à titre confidentiel, sous le bénéfice des dispositions de l'article R. 412-2-1 du code justice administrative, les informations contenues dans l'annexe 1 à l'acte d'engagement, le mémoire technique, le BPU poste G4A, ainsi que dans les DPGF, du groupement
Spie CityNetWorks/Citéos.
La commune de Narbonne a produit, le 3
octobre 2024 pour le Tribunal, à titre confidentiel, sous le bénéfice des dispositions de l'article R. 412-2-1 du code justice administrative, les pièces
n° 23 à 26 annoncées en pièces annexe au mémoire enregistré le 3
octobre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique,
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Eric Souteyrand, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 4
octobre 2024 :
- le rapport de M. Souteyrand ;
- les observations de Me Foglia, représentant la société
Spie CityNetWorks, qui ajoute à ses écritures que la méthode de notation est irrégulière, s'agissant, d'une part, du sous-critère " partage des gains en cas de bonus " du critère G1 pour lequel elle a obtenu une note de
7 points, inférieure à la note de 10 points de l'attributaire, alors qu'elle a pourtant proposé d'allouer à la commune 100% des économies réalisées contre 50% seulement pour l'attributaire, d'autre part, du sous-critère " nombre de tournées " du critère G2 pour lequel elle obtient, comme l'attributaire, la note de
7, alors qu'elle a prévu un nombre beaucoup plus important de tournées ; en revanche, elle renonce au moyen tiré de la modification des critères d'appréciation des deux tranches optionnelles et à celui tiré de la demande à l'issue du dialogue d'intégration nouvelle d'une approche de la " biodiversité " ;
- de Me Gras pour la commune de Narbonne ;
- et Me Desjardins pour la société Bouygues Energies et Services.
Avant l'ouverture de l'audience, le président a demandé à la commune de Narbonne de communiquer à la requérante les pièces (tableaux)
n° 23 et 26 annoncées dans son mémoire enregistré le 3
octobre 2024 et produites sous le seul bénéfice du Tribunal le même jour en application des dispositions de l'article R. 412-2-1 du code justice administrative mais qui ne relèvent pas du champ d'application de l'article R. 611-30 dudit code.
L'instruction a été close à l'issue de l'audience.
Une note en délibéré a été enregistrée le
7 octobre 2024 pour la société
Spie CityNetWorks, représentée représentée par Me Foglia.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence en date du 29 décembre 2023, la commune de Narbonne a lancé une procédure de dialogue compétitif en vue de l'attribution d'un marché public global de performance portant sur la modernisation, la rénovation, l'exploitation, la maintenance et la gestion des installations d'éclairage public et des installations connexes. Ce marché fait l'objet d'un découpage en trois tranches, une tranche ferme portant sur des travaux de rénovation/amélioration de 50% du patrimoine et deux tranches optionnelles portant chacune sur des travaux de rénovation de 25% du parc en LED. Deux candidats, la société Bouygues Energies et Services et le groupement
Spie CityNetworks / Citeos, ayant pour mandataire
Spie CityNetworks, ont été invités à participer au dialogue. Le groupement, dont l'offre, classée deuxième avec un total de 2 148,13 points sur 2 400, contre 2 266,04 pour celle de la société Bouygues Energies et Services, a été écartée le 3 septembre
2024, demande, dans le dernier de ses écritures, l'annulation de la procédure de dialogue compétitif lancée en vue de l'attribution du Marché.
Sur les conclusions en annulation de la procédure :
2. Aux termes de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article
L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ". Et, aux termes de l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles
L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".
3. En premier lieu, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en méconnaissant ou en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.
4. Tout d'abord, la société requérante se prévaut de ce que c'est à tort que la commune de Narbonne lui reproche, d'une part, qu'il n'existe une contradiction entre le contenu des annexes
n°1 et
n°2 à l'acte d'engagement qui font pourtant apparaître les mêmes pourcentages de réduction des consommations annuelles non cumulées et une contradiction entre le mémoire technique et les annexes à l'acte d'engagement s'agissant de la réduction des consommations annuelles à la fin des travaux, ce dernier étant bien de 40%, d'autre part, d'avoir remis une offre incomplète, notamment une annexe
n°2 à l'acte d'engagement, ne renseignant pas l'intégralité des prix unitaires du poste G4 pour les tranches fermes et optionnelles, ce qui est sans incidence sur l'examen des offres dans la mesure où le groupement a remis, conformément à l'article 9.1 du règlement de la consultation, des DPGF distinctes et complètes portant sur tous les travaux de la tranche ferme et des tranches optionnelle, en outre, de n'avoir pas respecté les quantitatifs minimums imposés par les documents de la consultation pour la rénovation des réseaux s'agissant des tranches optionnelles, dont il n'est pas précisé dans le document de cadrage joint à la lettre d'invitation à remettre une offre finale, qu'ils sont exigés pour chaque tranche optionnelle, et, enfin, de faire grief à l'offre du groupement de ne comporter aucune proposition de mises en valeur dans l'annexe
n°2 à l'acte d'engagement, alors qu'il ressort de l'extrait du document de cadrage précité que les propositions de mises en valeur ne devaient pas être prises en compte dans l'enveloppe financière du G4, alors qu'aucun sous-critère ou élément d'appréciation des offres porté à la connaissance des soumissionnaires n'y est relatif. Toutefois, il résulte de l'instruction que ces griefs n'ont pas conduit la commune de Narbonne à écarter comme irrégulière l'offre du groupement et que celle-ci a été notée, au titre de chacun des sous-critère correspondant, sans que les notes ainsi attribuées révèlent une dénaturation de cette offre.
5. Ensuite, si la société requérante est fondée à se prévaloir de la circonstance d'une part, d'une appréciation erronée de son offre, au titre, d'une part, du sous-critère " partage des gains en cas de bonus " du critère G1 pour lequel elle a obtenu une note de 7 points, inférieure à la note de 10 points sur 10 de l'attributaire, alors qu'elle a pourtant proposé d'allouer à la commune 100% des économies réalisées contre 50% seulement pour l'attributaire, d'autre part, du sous-critère " nombre de tournées " du critère G2 pour lequel elle obtient, comme l'attributaire, la note de
7 sur 10, alors qu'elle a prévu un nombre beaucoup plus important de tournées, traduit, eu égard au explications qui lui ont été transmises par la commune de Narbonne le 27 septembre
2024, ces deux erreurs ne révèlent pas une dénaturation de son offre. Et, en tout état de cause, ces deux erreurs n'ont pas été susceptibles de léser son intérêt eu égard à l'écart de 117,91 points séparant les deux offres sur 2400 points.
6. En second lieu, l'article
L. 2152-7 du code de la commande publique dispose : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution (). Le lien avec l'objet du marché ou ses conditions d'exécution s'apprécie conformément aux articles
L. 2112-2 à L. 2112-4. ". L'article
L. 2152-8 dudit code prévoit que : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. ". Et, l'article
R. 2152-7 du même code dispose : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : () 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, l'accessibilité, l'apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l'environnement, de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture, d'insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal ; b) Les délais d'exécution, les conditions de livraison, le service après-vente et l'assistance technique, la sécurité des approvisionnements, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles ; c) L'organisation, les qualifications et l'expérience du personnel assigné à l'exécution du marché lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d'exécution du marché. D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution. () ".
7. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors également porter sur les conditions de mise en œuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en œuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné. En outre, si l'acheteur peut, pour sélectionner l'offre économiquement la plus avantageuse, mettre en oeuvre des critères comprenant des aspects sociaux, c'est à la condition, notamment, qu'ils soient liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, et non à la politique générale de l'entreprise en matière sociale, appréciée au regard de l'ensemble de son activité et indistinctement applicable à l'ensemble des marchés de l'acheteur, indépendamment de l'objet ou des conditions d'exécution propres au marché en cause.
8. Tout d'abord, il résulte de l'instruction qu'en ce qui concerne le critère " G6-Qualité des prestations liées au développement durable et engagement social ", le sous-critère
" Développement durable " est analysé au regard des modalités de limitation de la pollution lumineuse, de gestion des déchets, de réduction et maîtrise des nuisances (nuisances sonores, pollutions accidentelles, gênes aux usagers de l'espace public, respect des sites, nuisances lumineuses, etc) et des modalités concernant la diminution des émissions de gaz à effet de serre (déplacement de l'entreprise, réduire les impacts sur l'environnement, etc..). Quant au sous-critère " engagement social ", il est apprécié selon les modalités concernant l'engagement social (équilibre durable du territoire, dispositions sociales en faveur de l'insertion professionnelle, de la formation, de l'économie sociale et solidaire, engagements en matière d'emploi, de formation sur le long terme : contrats en alternance, de professionnalisation, d'apprentissage, etc..), l'engagement à confier directement ou indirectement à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans, part qui ne peut être inférieure à 10 % du montant prévisionnel du marché, les actions concrètes et mesurables de la qualité de vie au travail, la sécurité et la protection de la santé des travailleurs sur le chantier, et le respect de la " légalité " homme-femme. Ainsi, mis à part, la référence à l'égalité homme-femme, la société requérante ne peut utilement soutenir que ces sous-critères sont définis de façon insuffisamment précise et sans lien avec le marché.
9. Ensuite, il résulte de l'instruction que la commune de Narbonne a décidé de noter ensemble les deux tranches optionnelles et la tranche ferme, soit trois tranches, eu égard notamment à la circonstance que les travaux prévus pour les deux tranches optionnelles seraient quasiment équivalents à ceux de la tranche ferme dont l'achèvement doit intervenir en avril 2026 et que son intention d'affermissement des deux tranches optionnelles ne souffre d'aucune incertitude, le décalage étant seulement motivé par le souhait d'éviter de mobiliser de façon anticipée des financements pour des prestations dont la réalisation n'interviendrait que postérieurement à la signature du présent marché. Toutefois, il convient de relever que sur un total de 2 400 points, la tranche ferme attribuée pour un montant de 10 875 866 euros TTC est notée sur 1 000 points pour 1 400 points au total pour les deux tranches optionnelles dont le montant cumulé n'est que de
7 286 926 euros TTC, de sorte qu'à la tranche ferme, qui représente plus des 5/9ème du montant total du marché, ne correspond que 5/12ème du total des points attribués. Par suite, et alors que l'affermissement de l'une ou l'autre des deux tranches optionnelles est subordonné, en application de l'article 2.1 du CCAP, à l'intervention d'une décision de la commune de Narbonne dans le délai de trois ans suivant la signature du marché, sans aucune contrepartie dans le cas contraire, cette pondération est de nature à créer une situation dans laquelle la meilleure offre sur la tranche ferme soit écartée, et qu'en conséquence, en l'absence d'affermissement des tranches optionnelles, l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas retenue. En retenant cette pondération manifestement inadaptée la commune de Narbonne a donc méconnu les dispositions de l'article
L. 2152-7 précité du code de la commande publique et donc ses obligations de mise en concurrence.
10. En revanche, il résulte de l'instruction que si l'offre du groupement n'est inférieure que de 21,86 points à celle de l'attributaire, s'agissant des deux tranches optionnelles (1 292,72 / 1 314,58), l'écart demeure de 96,05 points sur la seule tranche ferme au profit de l'attributaire (885, 41 / 951,46). Et il demeure suffisamment important pour empêcher toute inversion du classement des deux offres, même si l'on attribue la note maximale de 10 points pour chacun des deux sous-critères visés au point 5 supra contre une note de 0 point à l'attributaire pour ces mêmes sous-critères. De sorte qu'il en résulte que le manquement en cause est insusceptible d'avoir lésé l'intérêt de du groupement.
11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Narbonne et sur les moyens tirés de l'inopérance des moyens, les conclusions de la requête de la société
Spie CityNetWorks en annulation de la procédure de dialogue compétitif, lancée par la commune de Narbonne en vue de l'attribution du marché global de performance associant la modernisation, la rénovation, l'exploitation, la maintenance et la gestion des installations d'éclairage public et des installations connexes doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Narbonne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société
Spie CityNetWorks au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Et, dans les circonstances de l'espèce, notamment eu égard à la communication tardive des pièces sollicitées, à bon droit, par la société
Spie CityNetWorks, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de cette dernière une somme à verser à la commune de Narbonne, ni à la société Bouygues Energies et Services, au titre des mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société
Spie CityNetWorks est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Narbonne et de la société Bouygues Energies et Services en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société
Spie CityNetWorks, à la commune de Narbonne et à la société Bouygues Energies et Services.
Fait à
Montpellier, le 4
octobre 2024,
Le juge des référés,
E. Souteyrand
La greffière
M. ALa République mande et ordonne au préfet de l'Aude en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Montpellier, le
7 octobre 2024.
La greffière,
M. A