Vu la procédure suivante
:
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 23 janvier et le
6 février 2024, M. B A, représenté par Me Bennouna, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'arrêté du 20 novembre 2023 par lequel le président du Grand Paris Sud Est Avenir a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire des fonctions d'une durée de deux ans ;
2°) d'ordonner à l'administration de le réintégrer, dans le délai de deux semaines à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition tenant à l'urgence est remplie en raison de la nature même de la décision prise à son encontre, qui a pour conséquence de le priver de toute rémunération pendant deux ans, alors que les délais prolongés de jugement au fond pourraient épuiser les effets de la décision en litige avant la solution au fond ;
- la jurisprudence considère qu'un agent public privé de sa rémunération n'est pas tenu de fournir des détails sur sa situation financière pour justifier de l'urgence de sa demande ;
- l'arrêté contesté est entaché d'un défaut d'étude sérieuse de sa situation ;
- il n'est pas suffisamment motivé, dès lors que les faits qui le fondent sont décrits de manière vague et stéréotypée, sans qualification de la faute professionnelle qui lui est imputée ;
- elle méconnaît l'obligation de loyauté et d'impartialité et repose sur un possible conflit d'intérêt, alors que la réalisation de l'enquête administrative a été confiée au cabinet d'avocats chargé de représenter les intérêts de l'établissement public devant les juridictions ;
- les faits qui fondent la décision en litige ne sont pas matériellement établis, alors que M. C, auteur du signalement à l'origine de l'enquête, a fait l'objet de nombreux rapports et signalements, et que les comportements qui lui sont reprochés par ce dernier ne sont pas étayés par les témoignages recueillis, indirects, alors qu'il produit les témoignages contraires de plusieurs agents présentés comme ses victimes ;
- le rapport de l'enquête administrative reconnaît l'absence de certitude, alors que les déclarations des agents auditionnés ne sont ni précises ni concordantes ;
- le manque de fiabilité des conclusions de ce rapport ne concorde pas avec son parcours professionnel, alors que ce rapport relève par ailleurs les dérives du comportement de plusieurs agents ;
- les deux sanctions disciplinaires précédentes auxquelles se réfère la défense renvoient à des altercations avec deux personnes qui ont témoigné ensuite de la qualité de son travail.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 février 2024, l'établissement public territorial Grand Paris Sud Est Avenir, représenté par Me Magnaval, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- M. A n'apporte aucun élément de nature à démontrer l'atteinte grave à sa situation financière portée par la décision qu'il conteste ;
- le délai d'audiencement de l'affaire au fond ne permet pas de caractériser l'urgence alors que, dans l'hypothèse d'une annulation contentieuse, le requérant serait réintégré de façon rétroactive et sa carrière reconstituée ;
- l'arrêté litigieux ne comporte aucune irrégularité tenant à l'absence de prise en compte des arguments présentés par M. A au cours de la procédure, alors que le rapport final fait bien mention des témoignages qu'il a produits et que le requérant a pu faire valoir ses observations devant le conseil de discipline ;
- aucune obligation légale ou réglementaire n'impose la mention dans la décision en litige des preuves matérielles et des témoignages recueillis, alors que l'arrêté mentionne avec précision les faits et les manquements professionnels reprochés à M. A ;
- il ressort de la jurisprudence que le principe d'impartialité ne saurait être évoqué à l'encontre de l'enquête administrative interne et des témoignages dès lors qu'ils sont antérieurs à la phase de poursuite disciplinaire ;
- le fait que le cabinet Seban et Associés l'ait représenté dans de précédents dossiers ne permet pas de remettre en cause l'impartialité des autrices du rapport d'enquête, alors que le vademecum de l'avocat chargé d'une enquête interne précise qu'il peut s'agir d'un avocat habituel du client, à condition de ne pas représenter ensuite ce dernier dans le cadre d'une procédure dirigée contre une personne ayant été auditionnée ;
- les faits reprochés à M. A sont matériellement établis par des témoignages concordants, précis, circonstanciés, non contradictoires et objectifs, confirmant l'usage d'une manière de parler inappropriée ainsi qu'une attitude autoritaire et irrespectueuse envers ses agents ;
- l'enquête a également permis de relever le recours à des menaces, des intimidations et des pratiques punitives, envers l'auteur du signalement mais également d'autres agents ;
- la plupart des témoignages favorables dont M. A se prévaut émanent de personnes n'ayant pas travaillé avec lui et n'ont pas été portés à sa connaissance au cours de la procédure ;
- les compétences techniques et professionnelles du requérant ne sont pas remises en cause par la sanction en litige ;
- les faits retenus à l'encontre de M. A sont constitutifs de manquements graves à son obligation de dignité, de neutralité, d'exemplarité et de réserve, alors qu'il ne doit pas commettre d'actes ayant pour effet une dégradation des conditions de travail de nature à altérer la santé physique ou mentale des agents placés sous son autorité ;
- au regard de la nature et de la gravité de ces faits et du passé disciplinaire de
M. A, la sanction prononcée n'est pas disproportionnée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné Mme Letort, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référés, en application de l'article
L. 511-2 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue le 7 février 2024 à 10h00 en présence de Mme Aubret, greffière d'audience, ont été entendus :
- Mme Letort, qui a lu son rapport ;
- les observations de Me Bennouna, représentant M. A, absent, qui soutient en outre que l'urgence est constituée du seul fait qu'il se trouve privé de toute rémunération, que le juge administratif fait preuve d'une grande prudence dans l'appréciation des faits fondant une sanction discipline alors qu'ils ne sont ici pas établis, que l'enquête interne repose sur
26 entretiens quand 40 agents sont placés sous son autorité et que ses deux supérieurs hiérarchiques ainsi que son adjoint témoignent en sa faveur, que les propos des témoins recueillis sont très nuancés et ne permettent pas de regarder les conclusions du rapport d'enquête comme affirmatives, qu'il démontre les nombreuses difficultés rencontrées avec
M. C, ainsi que le caractère inexact de plusieurs faits retenus contre lui et que d'importantes nuances doivent être apportées dans l'appréciation des sanctions disciplinaires prononcées antérieurement à son encontre ;
- et les observations de Me Magnaval, représentant le Grand Paris Sud Est Avenir, qui fait valoir en outre que l'importance de cette affaire a justifié l'externalisation de l'enquête afin de garantir son objectivité, que le cabinet Seban et Associés effectue de nombreuses enquêtes administratives et dispose d'une cellule dédiée, dont la méthodologie est décrite par le rapport, que ce dernier écarte clairement les éléments restés vagues ou non confirmés, ce qui lui permet d'arriver à des conclusions précises et circonstanciées, retenues à l'unanimité par le conseil de discipline et qui permettent de conclure à la pratique d'un management brutal et d'une pression insoutenable mise sur ses équipes dont la révélation a constitué une véritable surprise, en contradiction avec l'appréciation des supérieurs hiérarchiques de M. A, que le requérant s'inscrit dans le déni, et que les antécédents disciplinaires du requérant sont évoqués uniquement au stade du choix de la sanction prononcée.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit
:
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative :
1. Aux termes de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. M. A, titulaire du grade d'agent de maîtrise, exerce depuis le 1er janvier 2016 les fonctions de chef du district d'Alfortville au sein du service de la propreté urbaine de l'établissement public territorial Grand Paris Sud Est Avenir. A la suite de la présentation d'un signalement par l'un de ses agents, une enquête administrative a été diligentée à partir de décembre 2022, et le 13 juillet 2023, M. A a été suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, à partir du 24 juillet. Le 18 octobre 2023, le conseil de discipline a émis un avis favorable à la sanction envisagée par le Grand Paris Sud Est Avenir, et par un arrêté du
20 novembre 2023, le directeur général de cet établissement public a prononcé à son encontre une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire des fonctions d'une durée de deux ans, à compter du 24 novembre suivant. M. A demande la suspension des effets de cet arrêté.
3. Aux termes de l'article
L. 121-1 du code général de la fonction publique : " L'agent public exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité ". Selon l'article
L. 530-1 de ce code : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ". Enfin, l'article
L. 533-1 du même code dispose que : " Les sanctions disciplinaires pouvant être infligées aux fonctionnaires sont réparties en quatre groupes : () 3° Troisième groupe : () b) l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans ".
4. Il résulte de l'instruction que l'arrêté en litige, qui expose avec précision les comportements retenus à l'encontre de M. A, a été prononcé au vu du rapport d'enquête du 27 juin 2023 rédigé par le cabinet Seban et Associés ainsi que de l'avis rendu le 18 octobre 2023 par le conseil de discipline. Alors que le requérant ne saurait utilement soutenir que la méconnaissance du principe d'impartialité par le cabinet d'avocats en charge de l'enquête interne affecterait la régularité de la procédure disciplinaire engagée à son encontre, dès lors qu'elle ne constitue pas une phase de cette procédure, il ressort de ses termes nuancés que les faits finalement retenus sont décrits de façon précise et établis par les témoignages, soit directs soit concordants, de M. C, à l'origine du signalement, ainsi que d'un ensemble d'agents placés sous l'autorité de M. A, exactitude matérielle retenue à l'unanimité des membres du conseil de discipline. Dans de telles circonstances, la production de témoignages contraires, dont certains ont été soumis au conseil de discipline, ne permet pas de contredire utilement les affirmations des agents ayant témoigné lors de l'enquête, dès lors qu'il ne ressort pas de l'instruction que ces personnes, dont la nature exacte des fonctions n'est pas toujours identifiée, auraient été placées sous l'autorité hiérarchique de M. A. Il s'ensuit qu'en l'état de l'instruction, aucun des moyens soulevés par la requête n'est de nature à faire naître un doute quant à la légalité de l'arrêté contesté.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'urgence, que la requête présentée par M. A doit être rejetée.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête présentée par M. A est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A et au président du Grand Paris Sud Est Avenir.
Copie en sera adressée à la préfète du Val-de-Marne.
La juge des référés, La greffière,
Signé : C. Letort Signé : S. Aubret
La République mande et ordonne à la préfète du Val-de-Marne en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,