CJUE, 2 octobre 1974, 27-74

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Texte intégral

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL, PRÉSENTÉES LE 2 OCTOBRE 1974 ( 1 ) Monsieur le Président, Messieurs les Juges, A l'automne 1968, la république fédérale d'Allemagne a enregistré un important excédent de sa balance des paiements. Il était imputable, comme il nous a été expliqué au cours de l'instance, à l'évolution divergente des prix constantée d'une part en république fédérale d'Allemagne et d'autre part dans ses principaux pays acheteurs, ce qui a eu pour conséquence une balance commerciale fortement excédentaire. Mais d'importants mouvements spéculatifs de capitaux suscités par l'attente d'une réévaluation du DM et d'une dévaluation du franc français ont également joué un rôle. Il était donc tentant dans ces conditions de songer à appliquer la loi du 8 juin 1967 sur la promotion de la stabilité et de la croissance de l'économie, dont le paragraphe 4 stipule : «En cas de perturbation de l'équilibre économique global provoquée par les conditions du commerce extérieur et s'il n'est pas possible d'y remédier au moyen de mesures économiques internes, ou cela seulement en compromettant les objectifs visés au paragraphe 1, le gouvernement fédéral est tenu de recourir à toutes les possibilités qu'offre la coordination internationale. Si cela ne suffit pas, il aura recours aux moyens de politique économique dont il dispose pour préserver l'équilibre du commerce extérieur». C'est ainsi qu'a été adoptée le 29 novembre 1968 une loi, entrée en vigueur le 1er décembre 1968, relative aux mesures visant la protection en matière de commerce extérieur, conformément à l'article 4 de la loi sur la promotion de la stabilité et de la croissance de l'économie. Pour faciliter les importations, elle stipule en son article 1 que tous ceux à la charge desquels est née, entre le 20 novembre 1968 et le 31 mars 1970, une dette au titre de la taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation, se voient octroyer une ristourne à l'importation sous la forme d'une réduction d'impôt. En ce qui concerne les exportations, qui retiennent avant tout notre attention, le paragraphe 2 dispose que les exportations de biens, effectuées par les entreprises entre le 29 novembre 1968 et le 31 mars 1970, sont assujetties à une taxe spéciale sur le chiffre d'affaires. Celle-ci s'élevait en général à 4 % de l'assiette (c'est-à-dire en pratique à 4 % de la contre-valeur) et pour certaines marchandises à 2 %, mais les produits relevant des organisations communes de marché en étaient totalement exemptés. La perception de cet impôt impliquait pour les entreprises intéressées l'obligation de fournir, dans les 10 jours de l'expiration de chaque mois civil (qui constituait «la période de référence» pour la déclaration fiscale préalable), une déclaration préalable des opérations en cause, et de procéder à la liquidation de l'impôt dû au titre de cette période. Comme le disposait également la loi, la dette d'impôt naissait à l'expiration de la période de référence au cours de laquelle l'opération était effectuée. Avant même l'expiration de la durée de validité initialement prévue, le gouvernement fédéral a décidé par décret que, avec effet au 11 octobre 1969, les taux de ristourne et les taux d'imposition seraient réduits à 0 %. Après avoir décidé, le 28 octobre 1969, de réévaluer le DM de 9,3 %, le gouvernement fédéral a abrogé, par un décret du 28 octobre 1969, les paragraphes 1 et 2 de la loi de protection. Par note verbale du 25 novembre 1968 de la représentation permanente de la république fédérale d'Allemagne, la Commission des Communautés européennes a été informée du contenu du projet de loi du 22 novembre 1968. Après un premier examen, la Commission a estimé ne pas pouvoir relever à l'époque une violation du droit communautaire. Il importe en outre de savoir qu'il a été question de la mesure envisagée par la république fédérale d'Allemagne lors de la rencontre des ministres et gouverneurs des banques centrales des 10 pays participant aux accords généraux sur le crédit (parmi lesquels figuraient tous les pays membres de l'époque, à l'exception du Luxembourg) organisée à Bonn du 20 au 22 novembre 1968. L'intention du gouvernement fédéral a été approuvée également à cette occasion. La loi de protection que nous avons décrite intéressait entre autres la société DEMAG, la demanderesse au principal. Cette société, qui fabrique et commercialise des installations de constructions mécaniques, avait procédé à des exportations pendant la durée de validité de la loi de protection. Elle a dû en conséquence effectuer des paiements anticipés au titre de la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires pour les mois de décembre 1968 et de janvier à septembre 1969. Toutefois, dans la mesure où les exportations à destination des pays membres de la CEE étaient assujetties à cette taxe, la société Demag estime qu'une telle imposition est illicite au regard des dispositions du traité CEE. Elle s'est donc opposée aux avis d'imposition et, n'ayant pas abouti par cette voie, elle a saisi le «Finanzgericht» de Düsseldorf. La société Demag est avant tout d'avis que la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires constitue une taxe d'effet équivalant aux droits de douane et qu'en conséquence, dans la mesure où il s'agit d'exportations à destination des États membres de la CEE, elle est illicite en vertu des dispositions de l'article 12 du traité CEE qui sont prééminentes et directement applicables. Le «Finanzamt», défendeur, estime au contraire, en invoquant une opinion du «Bundesfinanzhof», qu'on ne saurait parler de taxe d'effet équivalent mais qu'au contraire la taxe litigieuse relève du système national de la taxe sur le chiffre d'affaires et que, dans cette optique, elle est inattaquable au regard des dispositions fiscales du traité CEE. Doutant du bien-fondé de cette dernière opinion, le «Finanzgericht», faisant droit à une suggestion de la demanderesse, a sursis à statuer par ordonnance du 8 mars 1974 et a demandé à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, de statuer à titre préjudiciel sur les deux questions suivantes : «1. L'interdiction d'introduire des taxes d'effet équivalant à des droits de douane, figurant à l'article 12 du traité CEE, vise-t-elle l'introduction d'une taxe a) qui assujettit les exportations industrielles et commerciales vers d'autres États membres de la Communauté à une charge financière de 4 ou 2 %, b) que le législateur national a baptisé "taxe spéciale sur le chiffre d'affaires", c) qui se rattache aux concepts inhérents au régime de la législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, d) dont le but est d'assujettir les produits d'exportation nationaux à une charge exceptionelle, qui n'existe nulle part ailleurs sous cette forme dans la CEE, de façon à leur porter atteinte dans leur capacité concurrentielle par rapport aux produits des autres États membres, et e) qui a pour conséquence d'assujettir dorénavant la marchandise exportée à une imposition à la fois dans le pays d'origine et dans le pays de destination ? 2. L'éventuelle violation de l'article 12 du traité CEE que réaliserait une telle taxe, peut-elle se justifier par le fait que son introduction devait permettre d'éviter une réévaluation monétaire? Peut-on déduire du pouvoir de modifier les taux de change que l'article 107 du traité CEE réserve aux États membres, qu'ils sont également autorisés à introduire des taxes d'effet équivalant à des droits de douane compensant une réévaluation? Dans quelles conditions l'introduction d'une telle taxe pourrait-elle se justifier en tant que mesure de sauvegarde au sens de l'article 109, paragraphe 1, du traité CEE? En l'absence des conditions visées à l'article 109, paragraphe 1, du traité CEE, l'introduction d'une taxe d'effet équivalant à des droits de douane suppléant à une réévaluation peut-elle se justifier au motif que la Communauté a pour mission, en application de l'article 2 du traité CEE, de promouvoir la stabilité et, partant, également le maintien de la valeur relative de la monnaie et, en application de l'article 3 g du traité CEE, de parer aux déséquilibres dans les balances des paiements des États membres ?» Il y a lieu d'examiner ces questions en prenant en considération les observations présentées au cours de l'instance par la demanderesse au principal, par le gouvernement de la république fédérale d'Allemagne et par la Commission des Communautés européennes. En posant la première question qui tend à expliciter la notion de «taxe d'effet équivalant à des droits de douane» au sens de l'article 12 du traité CEE, la juridiction nationale présente une description de la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires qui a été introduite en 1968 pour les exportations. Ce que nous avons entendu au cours de l'instance nous amène tout d'abord à nous demander si cette description est suffisante. En effet, il semble à tout le moins utile de souligner quelques caractéristiques supplémentaires, comme l'a du reste fait l'avis juridique du professeur Zuleeg qui a été versé au dossier. Nous ne devrions donc pas perdre de vue, ce qui a déjà été en partie effleuré au cours de l'exposé des faits, que la loi de protection assujettissant les exportations à une taxe spéciale sur le chiffre d'affaires est intervenue à des fins de politique monétaire et conjoncturelle, c'est-à-dire dans le but de prévenir un déséquilibre de la balance des paiements et de freiner la hausse des prix sur le territoire national. En conséquence, la loi avait pour objet une mesure ambivalente; elle s'appliquait aux exportations au même titre qu'aux importations et, à ce titre, aussi bien l'assiette que les taux des ristournes et des prélèvements étaient identiques. Il est d'autre part important que la loi ait principalement visé les importations et les exportations effectuées par des entreprises ainsi que dans une certaine mesure les prestations de service, tandis que les produits relevant d'une organisation commune de marché étaient exclus de son champ d'application. Il faut donc également relever que la taxe sur les exportations était agencée comme une taxe spéciale sur le chiffre d'affaires et qu'elle se rattachait aux concepts inhérents au régime de la législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires. Elle frappait donc des entreprises au sens de la législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires; le fait générateur de la dette due au titre de cette taxe était constitué par les ventes au sens de la législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, ou, à titre subsidiaire, par une livraison à l'étranger, le produit devant alors être destiné à une affectation industrielle ou parvenir à l'étranger pour y être amélioré par une autre entreprise. Enfin, la procédure de recouvrement de l'impôt litigieux était soumise aux dispositions relevant de la législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires; elle était liée à la procédure applicable au recouvrement de la taxe sur le chiffre d'affaires de droit commun, de même que les ristournes à l'importation étaient avant tout octroyées dans le cadre de la législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires. Pour la juridiction nationale, il importe avant tout, comme nous l'avons déjà dit, que soit clarifiée la notion de «taxe d'effet équivalant à des droits de douane». Mais d'après ce qui est ressorti des objectifs poursuivis par la loi de protection et après avoir entendu le raisonnement développé par quelques-unes des parties à l'instance préjudicielle, nous pouvons nous demander si telle est bien la manière la plus judicieuse d'aborder les problèmes dont est saisie la juridiction nationale, c'est-à-dire la question générale de savoir si la loi de protection est compatible avec le droit communautaire. On peut en effet concevoir, et c'est à cette conclusion qu'aboutit en tout cas l'argumentation développée par le gouvernement fédéral, que la loi de protection considérée comme mesure de politique monétaire et conjoncturelle doit être avant tout appréciée au regard des dispositions du traité applicables en cette matière. On peut également concevoir qu'un examen de ces dispositions amène à conclure que les États membres disposent à cet égard d'une marge de manœvre leur permettant de ne pas observer les dispositions générales du traité à l'inclusion de celles concernant la perception des droits de douane et des taxes d'effet équivalent, de sorte qu'il devient inutile d'apprécier les mesures litigieuses sur la base des dispositions du traité relatives au régime douanier. Comme il est en outre constant en jurisprudence que dans une instance préjudicielle la Cour de justice n'est pas liée par l'ordre que le juge national a choisi pour poser ses questions mais qu'elle peut au contraire prendre en considération, dans l'intérêt d'un règlement exhaustif et approprié des instances préjudicielles, toutes les dispositions impliquées par les faits dont elle aura eu connaissance, on peut parfaitement envisager un examen liminaire des dispositions du traité relatives à la politique monétaire et conjoncturelle, afin de déterminer comment il convient d'apprécier la loi de protection au regard de ces dispositions. A cet égard, la règle de droit pertinente est avant tout l'article 107 du traité, c'est-à-dire la disposition aux termes de laquelle chaque État membre traite sa politique de taux de change comme un problème d'intérêt commun et dont le paragraphe 2 stipule que le pouvoir de modifier les taux de change appartient aux États membres, à condition d'observer certains critères. Il semble en effet que l'on doive apprécier de telles mesures exclusivement en fonction de l'article 107 et qu'en tout état de cause les mesures relevant du domaine des taux de change ne sauraient faire l'objet d'une appréciation sur la base de dispositions non comprises dans les articles 103 à 109, ce qui implique que l'interdiction posée par l'article 12 ne joue pas, même si les éléments constitutifs de la notion de taxe d'effet équivalant à un droit de douane sont réunis. C'est ce que le professeur Zuleeg a montré dans son avis juridique, selon nous de façon convaincante, en se référant à la jurisprudence relative aux effets déployés sur le marché commun agricole par les mesures prises en matière de taux de change. Nous pouvons à cet égard renvoyer aux arrêts rendus dans les affaires 9-73, «Schlüter contre Hauptzollamt Lörrach», (Vol. 1973, p. 1161), 10-73 «Rewe Zentral contre Hauptzollamt Kehl», (Vol. 1973, p. 1194, 1195), ainsi qu'aux affaires jointes 9 et 11-71, «Compagnie d'approvisionnement, de transport et de crédit, S.A. et Grands Moulins de Paris, S.A. contre Commission», (Vol. 1972, p. 407). Eu égard à ce raisonnement, le gouvernement fédéral a estimé que, si une telle analyse était exacte en cas de réévaluation d'une monnaie ou de libération des taux de change ou de création d'un double marché des changes, il devrait en être de même des mesures qui doivent être considérées comme suppléant à une réévaluation. Or c'est ainsi que l'on pourrait considérer la loi de protection, car en constituant pour une partie des échanges de marchandises et des prestations de services au-delà du territoire national une mesure ambivalente (puisqu'elle agissait à la fois sur les exportations et sur les importations), cette loi déployait les mêmes effets qu'une réévaluation partielle, et il était évident pour les initiés qu'elle n'avait été adoptée sous la forme choisie qu'à la seule fin d'éviter les effets d'une réévaluation générale sur le marché agricole et de ne pas récompenser les mouvements spéculatifs alors sensibles qui misaient sur la réévaluation. Il est en effet difficile de nier que cette thèse est séduisante. Mais nous doutons en définitive pouvoir l'accepter d'emblée. Nous ne pensons pas ce faisant aux différents critères qu'il y a lieu de retenir aux termes de l'article 107: le respect de l'intérêt commun, la prise en considération des objectifs de l'article 104 et l'obligation d'éviter les altérations graves de la concurrence. On pourrait en effet concevoir à cet égard, mais ce n'est maintenant qu'une allusion, qu'aucune objection ne saurait être relevée, d'une part parce que les autres États membres ainsi que la Commission avaient manifestement approuvé la mesure de la république fédérale d'Allemagne et, d'autre part, parce que la mesure était visiblement destinée à produire des effets dans le sens des objectifs visés à l'article 104 (maintien d'un haut degré d'emploi, stabilisation du niveau des prix, établissement de l'équilibre de la balance des paiements et garantie de la confiance dans la monnaie), et parce qu'enfin elle était axée sur la restauration de conditions de concurrence exclusives de toute distorsion. En réalité, une interprétation extensive de l'article 107 soulève des objections fondamentales en ce qui concerne les mesures que l'on peut envisager au vu de ses dispositions. Ces objections découlent de la nécessité d'interpréter restrictivement les dispositions du traité qui permettent l'adoption de mesures nationales ayant une incidence négative sur les structures de la Communauté et notamment sur les organisations communes de marché dans le secteur agricole. Cette nécessité exclut l'éventualité d'une autorisation implicite de pratiquer des brèches dans les dispositions impératives du traité, d'autant moins que les articles 108 et 109 du traité CEE contiennent des clauses de sauvegarde spéciales applicables aux mesures de politique monétaire et aux mesures relatives au commerce extérieur. Ces objections résultent d'autre part de la constatation faite par la demanderesse au principal, selon laquelle une interprétation extensive de l'article 107 permettrait difficilement de conjurer le risque de manipulations abusives. Il ne faut pas non plus oublier que le traité attache une importance essentielle à la coordination pour les mesures relevant de la politique monétaire et conjoncturelle. Enfin, on peut renvoyer, et ce n'est là certes pas un argument négligeable dans le présent contexte, à la jurisprudence de la Cour de justice, c'est-à-dire à l'arrêt rendu le 10 décembre 1969 dans les affaires 6-69 et 11-69 (Commission des Communautés européennes contre République française, Vol. 1969, p. 523), dans lequel il est dit ce qui suit : «Les articles 108, paragraphe 3, et 109, paragraphe 3, confèrent aux institutions communautaires des pouvoirs d'autorisation ou d'intervention qui seraient sans objet s'il était loisible aux États membres, sous prétexte que leur action relève de la seule politique monétaire, de déroger unilatéralement, et en dehors du contrôle de ces institutions, aux obligations dérivant pour eux des dispositions du traité … l'exercice des compétences retenues ne saurait donc permettre de prendre unilatéralement des mesures qu'interdit le traité». Ces constatations peuvent être pertinentes également lorsqu'il s'agit d'apprécier la présente affaire. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons nous résoudre à vous suggérer d'apprécier la loi de protection en fonction du seul article 107 et à l'exclusion des dispositions générales du traité. Nous préférons au contraire poursuivre l'examen de l'espèce en tenant également compte des dispositions générales du traité. Cela nous amène logiquement à la première question de la juridiction nationale, c'est-à-dire à la définition des taxes d'effet équivalant aux droits de douane ou mieux, puisque c'est là que réside en définitive le fond du problème, à la définition des taxes d'effet équivalant au sens de l'article 12, par rapport aux mesures fiscales au sens des articles 95 et suivants. A cet égard, point n'est besoin de développements particuliers en ce qui concerne la notion de «taxe d'effet équivalant aux droits de douane». Il existe pour cela une abondante jurisprudence qui a défini une série de critères. Toutes les parties à l'instance s'y sont référées et nous pouvons maintenant faire de même. Selon l'expert du gouvernement fédéral, il faut constater, en ce qui concerne la présente affaire, que la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires ne présente pas toutes les caractéristiques des taxes d'effet équivalent que la jurisprudence a dégagées, et qu'on ne saurait pour cette raison appliquer l'article 12 du traité CEE. C'est ainsi qu'aucune entrave aux échanges de marchandises ne s'est produite, car, en même temps, sans qu'il soit possible de les dissocier de la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires et parce qu'elles étaient destinées par le législateur à constituer un tout, les importations en république fédérale d'Allemagne ont été facilitées. Il n'est pas possible non plus de parler d'une altération de la concurrence puisqu'au contraire on est parvenu à corriger les conditions de la concurrence, comme le montre le fait que les prix en république fédérale d'Allemagne ont connu une autre évolution que dans les pays voisins. Nous désirons toutefois laisser ouverte la question de savoir si l'on peut souscrire à ce raisonnement. Il nous parait en effet plus judicieux d'aborder le fond du problème qui retient présentement notre attention, en d'autres termes d'examiner si la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires ne constituerait pas en réalité une mesure fiscale qui devrait être appréciée en fonction des seuls articles 95 et suivants du traité et des dispositions du droit communautaire secondaire adoptées en application de ces articles, et non pas en fonction de l'article 12. Dans sa jurisprudence relative aux taxes à l'importation, la Cour de justice a montré la voie à suivre à cet égard (Cf. affaires 57-65 «Firma Alfons Lütticke GmbH contre Hauptzollamt Saarlouis», Vol. 1966, p. 303; 25-67 «Firma Milch-Fett- und Eierkontor GmbH contre Hauptzollamt Saarbrücken», Vol. 1968, p. 324). Or, il doit en être de même des taxes à l'exportation que l'article 96 du traité réglemente de façon spéciale. Aux termes de la jurisprudence limitée, comme nous l'avons dit, aux taxes à l'importation, une taxe doit être considérée comme une mesure fiscale lorsqu'elle est perçue dans le cadre d'une législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, lorsqu'elle relève d'un système général d'imposition frappant indifféremment les produits nationaux et importés. Quelques arrêts ajoutent en outre que de telles taxes ne visent aucun ofjectif de protection et qu'elles sont principalement d'ordre fiscal (Cf. affaires 7-67, «Firma Milchwerke H. Wöhrmann und Sohn KG contre Hauptzollamt Bad Reichenhall», Vol. 1968, p. 272; 20-67 «Firma Kunstmühle Tivoli contre Hauptzollamt Würzburg», Vol. 1968, p. 302-303; l'affaire 25-67 «Firma Milch-, Fett- und Eierkontor GmbH contre Hauptzollamt Saarbrücken», Vol. 1968, p. 324, ne contenant aucune référence au caractère fiscal de ces taxes). Si nous appliquons ces critères à la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires introduite par la loi de protection, nous pouvons relever que, de même que les ristournes dont bénéficiaient les importations étaient liées à la taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation, la taxe spéciale se rattachait, au regard de sa perception, à la taxe sur le chiffre d'affaires de droit commun, et il était fait usage de la procédure en vigueur pour cette dernière. Certes, cela seul ne saurait suffire à qualifier la taxe litigieuse, puisque la jurisprudence a expressément souligné qu'il n'y a pas lieu de retenir le mode de perception d'une taxe pour l'apprécier au regard du traité (Cf. affaires jointes 2 - 3-69 «Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders contre S.A. Ch. Brachfeld & Sons et Chougol Diamond Co.», Vol. 1969, p. 222) et que l'application de notions résultant du droit fiscal des États membres ne constitue pas une règle décisive (Cf. affaires jointes 52 et 55-65, Vol. 1966, p. 243). Toutefois, ont peut également citer d'autres critères non négligeables. C'est ainsi que nous avons vu que la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires relevait du système inhérent à la législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires dans la mesure où elle ne frappait que les entreprises, c'est-à-dire les exportations industrielles et commerciales, et où deux hypothèses de fait retenues par la loi impliquaient nécessairement l'existence de ventes dont l'assiette relève du droit fiscal, ce qui est étranger à la législation douanière. Une de ces hypothèses se rapporte d'autre part aux prestations de service, dont on ne pourrait de toute façon pas concevoir qu'elles puissent être soumises à l'emprise des dispositions douanières du traité. S'il est en outre incontestable qu'une autre hypothèse retenait essentiellement la livraison de produits au-delà de la frontière, il convient de ne pas oublier qu'il ne s'agissait là que d'une hypothèse subsidiaire et qu'elle présentait de plus des conditions étrangères à la législation douanière - l'imposition exclusive des entreprises et la prise en considération de l'objectif visé par le mouvement des marchandises. Il ne faut pas oublier non plus que le franchissement de la frontière considéré comme critère de rattachement n'est pas non plus inconnu en matière de législation relative à la taxe sur le chiffre d'affaires, même au regard des directives pertinentes du Conseil. Si ces circonstances fournissent d'ores et déjà d'importants indices en faveur d'une qualification de la taxe sur la base des articles 95 et suivants, nous conduisant ainsi à penser que la taxe faisait partie intégrante du système fiscal national, il y a encore lieu de retenir comme essentielle la constatation selon laquelle, au point de vue matériel, il n'y avait rien d'autre qu'une réduction de la taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation, en ce qui concerne les importations, et une suppression partielle de l'exemption d'impôt, en ce qui concerne les exportations, c'est-à-dire des opérations purement fiscales. Pour les exportations dont l'imposition restait constamment en deçà du niveau de l'imposition frappant les produits nationaux, le système ainsi choisi semble avoir été mis sur pied pour cette seule raison qu'une autre possibilité concevable, la réduction de la déduction des taxes en amont, aurait provoqué des difficultés considérables et une inégalité dans le régime appliqué aux entreprises. Il est par ailleurs incontestable - cela est également apparu au cours de l'instance - qu'une insertion parfaite dans le système de la taxe sur la valeur ajoutée ne saurait être alléguée, puisque la taxe perçue en amont n'était pas déduite et que l'imposition ultérieure dans le pays de destination s'effectuait en cascade. De même, il est manifeste qu'il ne s'agissait pas d'une taxe «de nature essentiellement fiscale», mais fondamentalement d'une mesure de politique monétaire et conjoncturelle, même si l'aspect fiscal revêtait une certaine importance sous l'angle du financement de la ristourne accordée à l'importation. En définitive, ces éléments ne paraissent toutefois pas déterminants. Cela vaut certainement pour la dernière caractéristique citée, qui ne revêt pas une importance particulière au motif, précisément qu'il est très fréquent de nos jours de chercher à atteindre par des mesures de caractère incontestablement fiscal toutes sortes d'objectifs de politique économique. Mais cela est vrai aussi pour les autres considérations évoquées, qui ont incité la demanderesse au principal à considérer la taxe sur le chiffre d'affaires comme un «corps étranger» dans le système de la taxe sur le chiffre d'affaires. Pour apprécier ce genre de cas limites, qui présentent souvent des caractéristiques inhérentes à plusieurs domaines juridiques, il faut en effet tenir compte de la qualification suggérée par les traits dominants de la réglementation litigieuse et s'en tenir aux dispositions fondamentales de celle-ci. Lorsque - comme dans la présente espèce - cet examen permet d'aboutir à une conclusion précise et d'exclure corrélativement l'hypothèse d'une insertion, purement formelle dans le système fiscal, il faut considérer sans aucune hésitation la mesure comme une mesure fiscale au sens du traité et se référer dès lors, pour l'apprécier juridiquement, aux seules dispositions qui régissent cette matière, à l'exclusion des dispositions douanières. En ce qui concerne les dispositions du traité, cela signifie que la seule règle écrite au regard de laquelle il faut apprécier la compatibilité avec le traité, de la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires est l'article 96. En réalité, cette disposition ne vise pas exclusivement - comme le soutient la demanderesse - les problèmes de subvention à l'exportation; elle doit au contraire être considérée comme une disposition fiscale, puisqu'elle prévoit dans quelle mesure les taxes perçues peuvent être remboursées en cas d'exportation. A cet égard, l'article 96 ne fixe qu'une limite supérieure. Les États membres peuvent donc rester en deçà de cette limite, avec cette conséquence que l'article 96 ne fait pas obstacle à une imposition partielle des exportations. A cela s'ajoute que le traité même ne prévoit pas, en matière fiscale, le principe du pays de destination et n'interdit donc pas de taxer des exportations dans le pays d'origine, à l'instar de ce qui se pratique apparemment également pour de nombreux impôts de consommation. Il ne saurait dès lors faire aucun doute que la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires instituée par la loi de protection ne violait pas les dispositions du traité. En outre, elle n'était pas incompatible non plus avec certaines dispositions du droit communautaire secondaire. Sous ce rapport, on a évoqué au cours de l'instance les deux directives du 11 avril 1967 en matière de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, p. 1301 et suiv.). La première enjoint aux États membres de remplacer le système de taxes sur le chiffre d'affaires par un système de taxe sur la valeur ajoutée et de mettre le système de taxe sur la valeur ajoutée en vigueur au plus tard le 1er janvier 1970. La seconde contient des dispositions relatives à la structure et aux modalités d'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Elle prévoit en son article 10 - ce qui nous intéresse plus spécialement en l'espèce - que sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de produits expédiés ou transportés en dehors du territoire sur lequel l'État intéressé applique la taxe sur la valeur ajoutée. Une violation de cette disposition ne saurait être retenue au motif que les obligations imposées aux États membres par le texte initial de ces directives, y compris par conséquent la détaxation des exportations, ne devaient entrer en vigueur que le 1er janvier 1970. Or, à cette date, la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires n'était plus appliquée. De plus, contrairement au point de vue de la demanderesse, on ne peut pas prétendre non plus que le fait même pour un État membre d'avoir introduit la taxe sur le chiffre d'affaires avant le terme fixé - en république fédérale d'Allemagne, elle a été introduite, comme vous le savez, le 1er janvier 1968 - lui interdisait de modifier temporairement le régime fiscal de telle façon que la taxe sur la valeur ajoutée serait assortie de certains éléments structurels de l'ancienne taxe sur le chiffre d'affaires. Un tel effet prohibitif n'existait pas, en effet, comme le montre clairement la jurisprudence (Cf. affaire 9-70, «Grad contre Finanzamt Traunstein», arrêt du 6 octobre 1970, Recueil de la jurisprudence, Vol. 1970, p. 825), qui a souligné explicitement que tant que l'échéance fixée pour l'introduction de la taxe sur la valeur ajoutée n'était pas atteinte, les États membres étaient restés libres de taxer le chiffre d'affaires comme ils l'entendaient. Il nous paraît donc établi que la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires prévue par la loi de protection ne constituait pas une taxe d'effet équivalant à un droit de douane et qu'une appréciation de cette taxe au regard des dispositions fiscales du traité et du droit communautaire secondaire ne révèle aucun élément permettant d'affirmer qu'elle était incompatible avec le traité. En fait, il ne serait pas nécessaire d'examiner les autres questions, puisque la juridiction de renvoi ne les a posées que pour le cas où l'article 12 aurait été violé. Par souci d'être complets et pour autant que ceci n'ait pas encore été fait, nous nous proposons néanmoins de prendre également position en quelques mots sur les problèmes que soulève la seconde question, c'est-à-dire d'examiner quelles autres dispositions du traité permettraient de justifier la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires instituée par la loi de protection, à supposer qu'elle doive être qualifiée de taxe analogue à un droit de douane. Examinons tout d'abord, si vous le voulez bien, en suivant l'ordre adopté par la demanderesse au cours de la procédure orale, les dispositions évoquées en dernier lieu dans l'ordonnance de renvoi, à savoir les articles 2 et 3 g, du traité. A leur sujet, on peut dire en bref ce qui suit; toutes les parties à l'instance sont d'ailleurs d'accord sur ce point. Les dispositions susvisées assignent à la Communauté un certain nombre d'objectifs et décrivent ses activités. S'il est vrai qu'on ne saurait leur accorder assez d'importance lorsqu'il s'agit d'interpréter le traité, il est tout aussi incontestable qu'elles ne contiennent ni des normes de compétence ni des clauses de sauvegarde, moins encore des règles de cette nature dont les États membres pourraient se prévaloir. Le programme général qu'elles prévoient, qui comporte d'ailleurs des objectifs disparates et antinomiques pour lesquels la solution doit être dégagée de dispositions concrètes du traité énonçant des normes de compétence, ne permet donc manifestement pas de justifier des mesures nationales incompatibles avec certaines dispositions du traité. Il faut en outre tenir compte - spécialement en raison de sa connexité avec les prescriptions relatives à la politique monétaire - d'une disposition qui n'a pas été citée dans l'ordonnance de renvoi, mais qui a été évoquée au cours de l'instance: il s'agit de l'article 108, et particulièrement de son paragraphe 3. L'article 108, paragraphe 1, dispose qu'en cas de difficultés ou de menace grave de difficultés dans la balance des paiements d'un État membre, susceptibles de compromettre le fonctionnement du Marché commun ou la réalisation progressive de la politique commerciale commune, cet État membre peut prendre des mesures conformément à l'article 104. Il est question à cet égard de recommandations de la Commission et, au paragraphe 2, de l'octroi d'un concours mutuel par le Conseil. Le paragraphe 3, enfin, est libellé comme suit : «Si le concours mutuel recommandé par la Commission n'a pas été accordé par le Conseil ou si le concours mutuel accordé et les mesures prises sont insuffisants, la Commission autorise l'État en difficulté à prendre les mesures de sauvegarde dont elle définit les conditions et modalités.» Conformément à la jurisprudence, cette dernière disposition doit être entendue en ce sens qu'un État ne peut prendre des mesures qui violent d'autres dispositions impératives du traité que s'il y a été autorisé par la Commission. A supposer que la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires instituée par la loi de protection doive être considérée comme une taxe analogue à un droit de douane et abstraction faite d'autres problèmes que soulève l'article 108 (comme celui de l'aptitude des mesures prises à réaliser les objectifs visés, aptitude que la demanderesse met fortement en doute), il faudrait donc examiner si les mesures prévues par la loi de protection étaient couvertes par une autorisation de la Commission. Le gouvernement fédéral allègue à cet égard qu'il a informé la Commission en temps utile - et notamment par la note verbale que nous avons déjà évoquée, ainsi qu'à l'occasion de la réunion du Groupe des Dix à laquelle la Commission était représentée par deux de ses membres - et que la Commission, après avoir examiné les mesures, a donné son approbation, comme le montrerait une déclaration publiée au Bulletin no 1 de 1969, p. 39. Il estime en outre qu'une autorisation de la Commission ne requiert pas un acte formel, qu'elle peut également être accordée tacitement, comme le révélerait notamment l'arrêt rendu dans les affaires 73-63 et 74-63 (arrêt du 18 février 1964, NV Internationale Crediet- en Handelsvereniging «Rotterdam» et Coöperative Suikerfabriek en Raffinaderij GA «Puttershoek» contre ministre de l'agriculture et de la pêche à La Haye, Recueil de la jurisprudence, vol. 1964, p. 1). Toutefois, sur ce point non plus - comme en ce qui concerne l'interprétation de l'article 107 - nous ne pouvons pas nous rallier au point de vue du gouvernement fédéral. Une autorisation au sens de l'article 108, paragraphe 3, constitue manifestement une décision au sens de l'article 189 du traité, qui énumère exhaustivement les genres d'actes juridiques que la Commission peut adopter pour l'accomplissement de ses missions communautaires. Si on se réfère à ce texte, il n'est guère concevable qu'un tel acte puisse être adopté tacitement, d'autant que l'article 189 précise que la décision est obligatoire pour les destinataires qu'elle désigne. De même, il importe de noter que l'article 108, paragraphe 3, dispose que la Commission définit les conditions et modalités des mesures de sauvegarde, ce qui ne semble guère réalisable tacitement. Enfin, on ne peut pas perdre de vue que dans les affaires 73-63 et 74-63, il existait effectivement un acte formel de la Commission et qu'il s'agissait simplement de déterminer, par voie interprétative et en tenant compte de tous les éléments, quelle était sa signification et s'il s'adressait également «tacitement» à d'autres États membres. Nous pensons que l'article 108, paragrapte 3 - à supposer que la mesure allemande ait dû être autorisée par la Commission - ne permet pas de la justifier, d'autant que la Commission - comme cela apparaît maintenant - ne l'a apparemment pas appréciée au regard de l'article 108, mais au regard des articles 95 et suivants. Il faut examiner enfin l'article 109 du traité CEE. Il prévoit qu'en cas de crise soudaine dans la balance des paiements et si une décision au sens de l'article 108, paragraphe 2, c'est-à-dire relative au concours mutuel, n'intervient pas immédiatement, l'État membre intéressé peut prendre unilatéralement des mesures conservatoires. Celles-ci doivent, est-il précisé «apporter le minimum de perturbations dans le fonctionnement du Marché commun et ne pas excéder la portée directement indispensable pour remédier aux difficultés soudaines qui se sont manifestées». La Commission et les autres États membres doivent être informés de ces mesures au plus tard au moment où elles entrent en vigueur. Le Conseil peut ensuite décider que ces mesures de sauvegarde doivent être modifiées, suspendues ou supprimées. Toutes les parties admettent que cette disposition permet de passer unilatéralement outre à certaines dispositions du traité, y compris par conséquent de méconnaître temporairement les prescriptions relatives aux droits de douane et aux taxes d'effet équivalent. On pourrait donc songer à l'invoquer pour justifier la loi de protection, si cela s'avérait nécessaire. Le point de savoir si elle le permet dépend assurément de diverses circonstances qui - cela a été souligné à bon droit - exigent un examen approfondi de la question. C'est ainsi qu'il importe de déterminer si on peut considérer qu'il y a crise dans la balance des paiements, situation plus grave que les difficultés visées à l'article 108, lorsque la balance des paiements est excédentaire. Cette question comporte sans doute une réponse affirmative, car des afflux successifs de devises peuvent, eux aussi, mettre en péril les objectifs énoncés à l'article 2 et rendre inévitables des mesures de sauvegarde de la part d'autres États membres, affectant le fonctionnement du Marché commun. Il faut de plus qu'il s'agisse d'une crise soudaine, et non pas, par conséquent, de l'aboutissement d'une évolution d'une certaine durée. Cette situation pourrait être invoquée lorsque des difficultés apparaissent de manière si inattendue, à la suite d'une vague internationale de spéculation par exemple, que le temps disponible ne permet pas d'engager une procédure au titre de l'article 108. Le concours mutuel entre également en ligne de compte. Toutefois, comme il interviendra surtout en cas de déficit de la balance des paiements, mais pratiquement jamais lorsque la balance des paiements est excédentaire, on peut estimer que, dans cette dernière hypothèse, la procédure prévue à cet égard est superfétatoire. La licéité des mesures de sauvegarde suppose en outre qu'elles apportent le minimum de perturbations dans le fonctionnement du Marché commun et qu'elles n'excèdent pas la portée strictement indispensable pour remédier aux difficultés qui se sont manifestées. Sous ce rapport, le fait que la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires n'a été perçue que sur les exportations industrielles et commerciales, à l'exclusion toutefois des produits soumis à une organisation de marchés, peut avoir de l'importance dans la présente espèce. Il faut enfin que la Commission et les autres États membres aient été informés au plus tard au moment de l'entrée en vigueur desdites mesures. La jurisprudence a déjà précisé à ce sujet que cette information doit comporter la référence explicite à l'article 109 (Cf. affaires 6-69 et 11-69, Commission contre République française, arrêt du 10 décembre 1969, Recueil de la jurisprudence, Vol. 1969, p. 523). Ces impératifs pourraient faire douter de la légalité des mesures prises. On peut en effet admettre que la Commission a été avisée en temps utile et que l'information donnée aux autres États membres à l'occasion de la réunion du Groupe des Dix suffisait, en ce qui concerne le grand-duché de Luxembourg, qui n'y était pas représenté, en raison de l'Union économique belgo-luxembourgeoise. Il est par contre incontestable que la référence expresse à l'article 109 faisait défaut. Mais si on estime suffisant - ce que nous inclinons à croire, parce que nous ne voyons pas l'utilité de multiplier à l'envi les formalités - le fait que tous les participants (la Commission et les autres États membres) ont été informés clairement de la situation et des mesures envisagées, qu'ils avaient donc la possibilité d'en déduire les conclusions qui s'imposaient conformément à l'arrêt rendu dans les affaires 6-69 et 11-69, le dernier aspect envisagé ne nous inspire pas non plus des doutes sérieux. Ces considérations, dont la brièveté s'explique par l'absence d'ambiguïté à laquelle aboutit l'examen au regard des articles 95 et suivants, mettent un terme à l'exposé de ce qui devait être dit à propos de la seconde question posée par la juridiction de renvoi. Il ne nous paraît pas nécessaire de formuler d'autres observations. Nous n'aborderons pas, notamment, le problème soulevé par la demanderesse au cours de la procédure orale, celui de la violation de certains droits fondamentaux communautaires du fait de l'application de la taxe spéciale sur le chiffre d'affaires à des contrats dits antérieurs. La juridiction de renvoi n'a pas posé de question à ce sujet, ce qui n'est d'ailleurs pas dû à un oubli, mais s'explique manifestement par la circonstance qu'il n'était pas nécessaire de le faire, puisque la Cour constitutionnelle fédérale allemande avait examiné cette question de manière approfondie, sans que d'autres éléments puissent encore y être ajoutés sous l'angle du droit communautaire. En résumé, nous vous proposons dès lors de répondre au «Finanzgericht» de la manière suivante : 1. Une taxe qui assujettit les exportations industrielles vers d'autres États membres de la Communauté à une charge financière qui a pour effet de supprimer partiellement l'exonération d'impositions intérieures, et qui est de ce fait étroitement imbriquée avec la législation nationale en matière de taxes sur le chiffre d'affaires, ne constitue pas une taxe d'effet équivalant à un droit de douane au sens de l'article 12 du traité CEE. L'établissement de taxes de cette nature ne viole pas les dispositions fiscales du traité CEE et l'introduction de la taxe sur la valeur ajoutée dans un État membre avant la date d'entrée en vigueur obligatoire du système de la taxe sur la valeur ajoutée prévue par les directives du Conseil du 11 avril 1967 n'y fait pas obstacle non plus. 2. Les pouvoirs de modifier les taux de change, réservés aux États membres par l'article 107 du traité CEE, n'autorisent pas ceux-ci à établir des taxes d'effet équivalant à des droits de douane suppléant à une réévaluation. 3. L'autorisation de la Commission de prendre des mesures de sauvegarde au titre de l'article 108, paragraphe 3, suppose un acte explicite. 4. Une crise soudaine dans la balance des paiements au sens de l'article 109 peut également être due à un excédent de la balance des paiements, apparaissant de manière si inattendue que le temps disponible ne permet pas d'engager une procédure au titre de l'article 108. Dans ces circonstances, un État membre peut prendre les mesures de sauvegarde nécessaires, qui dérogent à des dispositions générales du traité relatives aux droits de douane, lorsque le Conseil n'a pas accordé immédiatement le concours monétaire ou lorsque celui-ci ne saurait être envisagé. La légalité des mesures de sauvegarde suppose que la Commission et les autres États membres ont été clairement informés, au plus tard lors de leur entrée en vigueur. 5. Les articles 2 et 3, g, du traité CEE ne comportent aucune clause de sauvegarde ni norme de compétence au profit des États membres, qui permettrait d'enfreindre les dispositions générales du traité. ( 1 ) Traduit de l'allemand.