Tribunal de grande instance de Paris, 15 avril 2016, 2015/14698

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
  • Numéro de pourvoi :
    2015/14698
  • Domaine de propriété intellectuelle : MARQUE
  • Marques : Che
  • Classification pour les marques : CL34
  • Numéros d'enregistrement : 8927808
  • Parties : MANUFACTURE DE TABACS HEINTZ VAN LANWICK (Luxembourg) / K (Igor, Croatie) ; R (Zdravsko, Croatie)

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 15 avril 2016 3ème chambre 2ème section N° RG : 15/14698 Assignation du 13 octobre 2015 DEMANDERESSE Société MANUFACTURE DE TABACS HEINTZ VAN LANDEWICK [...] 1741 LUXEMBOURG (LUXEMBOURG) représentée par Me Marc SABATIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1840 DÉFENDEURS Monsieur Igor K non comparant Monsieur Zdravko R non comparant COMPOSITION DU TRIBUNAL François A 1er Vice-Président Adjoint Françoise B, Vice-Président Julien S, Vice-Président assistés de Jeanine R, faisant l'onction de Greffier DEBATS À l'audience du 10 mars 2016 tenue en audience publique JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Réputé Contradictoire en premier ressort FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES La société de droit luxembourgeois MANUFACTURE DE TABACS HEINTZ VAN LANDEWICK (ci-après société MANUFACTURE DE TABACS) est titulaire de la marque communautaire ri° 8 927 808, déposée le 4 mars 2010 et désignant au sein de la classe 34 les produits suivants : «cigarettes, tabac fin». Le 20 juillet 2015, les agents de la Douane de Laon, à l'occasion d'un contrôle routier d'un camion immatriculé en Croatie avec à son bord Messieurs Igor K et Zdravko R, ont découvert 31 palettes de 926 cartons à l'intérieur desquels se trouvaient 46 300 cartouches de cigarettes reproduisant à l'identique la marque de la société MANUFACTURE DE TABACS, la marchandise étant estimée à 2.315.000 euros. Par un jugement du 22 juillet 2015, le tribunal de grande instance de Laon a déclaré Messieurs Igor K et Zdravko R coupables de détention et transport de marchandises fortement taxées et ordonné la confiscation des objets saisis. Par acte d'huissier en date du 13 octobre 2015 transmis pour signification au Ministère de la justice Croate, autorité compétente au sens de l'article 684 du code de procédure civile laquelle a renvoyé les accusés de réception datés des 19 octobre 2015 ainsi que celui signé par Monsieur Zdravko R le 20 octobre 2015, la société MANUFACTURE DE TABACS a assigné Messieurs Igor K et Zdravko R devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de marque par reproduction et concurrence déloyale. Dans son assignation, la société MANUFACTURE DE TABACS, au visa des articles L. 713-3. L 716-1, L. 716-7-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et des articles 1382 et suivants du code civil, demande en ces termes au Tribunal de : Recevoir la demanderesse en l'ensemble de ses demandes, les dire recevables et bien fondées et y faisant droit : Déclarer recevables et bien fondées l'action de la demanderesse sur le fondement de ta contrefaçon de la marque : Dire et juger que les défendeurs se sont rendus coupables d'actes de contrefaçon par reproduction de la marque, au préjudice de la demanderesse ; Condamner solidairement les défendeurs à verser à la demanderesse la somme de 2 300 000 euros en réparation des actes de contrefaçon sauf à parfaire, notamment sous réserve des informations complémentaires comptables qui pourraient être obtenues en cours de procédure: Dire et juger que les défendeurs se sont rendus coupables d'actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la demanderesse : Condamner solidairement les défendeurs à verser à la demanderesse la somme de 500 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire, sauf à parfaire, notamment sous réserve des informations complémentaires comptables qui pourraient être obtenues en cours de procédure : Faire interdiction totale et immédiate aux défendeurs, de marquer, de fabriquer, d'importer, d'exporter, d'offrir à la vente, d'exposer et de commercialiser, directement, ou indirectement, en France, des produits marqués, sous quelque forme, et de quelque manière que ce soit, et ce sous astreinte définitive de 1 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir, le Tribunal de céans se réservant le droit de procéder directement à la liquidation de l'astreinte : Ordonner que les produits contrefaisants, marqués, fabriqués, importés, exportés et commercialisés par les défendeurs soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits et détruits, aux frais solidaires des défendeurs et ce par et devant huissier de justice, dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, et ce sous astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, le Tribunal de céans se réservant le droit de procéder directement à la liquidation de l'astreinte : Ordonner aux défendeurs de produire tous documents, informations sur la production, la fabrication, la distribution des produits litigieux. Ordonner la publication du jugement à intervenir, en intégralité ou par extraits, au choix des demanderesses, dans 10 (dix) journaux ou publications professionnelles, aux frais solidaires des défendeurs, sans que le coût de chaque publication professionnelle ne puisse excéder 10 000 euros HT ; Condamner solidairement les défendeurs à payer à la demandesse la somme de 10 000 00 euros au litre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les frais de signification et de traduction : Condamner solidairement les défendeurs aux entiers dépens, conformément à l'article 699 du code de procédure civile, qui pourront être recouvrés par Maître Marc Sabatier : Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans garantie y compris pour les condamnations prononcées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Messieurs Igor K et Zdravko R n'ont pas constitué avocat. L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 février 2016. En application de l'article 474 du code de procédure civile, le présent jugement sera réputé contradictoire.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l'article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne faisant droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée. Sur la contrefaçon de marque par reproduction La société MANUFACTURE DE TABACS fait valoir que les produits litigieux qui sont identiques à ceux pour lesquels sa marque est enregistrée, à savoir des cigarettes, reproduisent sa marque communautaire à l'identique, et que donc la contrefaçon par reproduction est constituée. Sur ce. L'article 9 §1 a) du Règlement (CE) n° 207/2009 du 26 février 2009 dispose que le titulaire de la marque communautaire est habilité à interdire à tout tiers, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée. Conformément aux dispositions de l'article 9 §2 a) de ce règlement communautaire, il peut être notamment interdit de mettre des produits sous le signe dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou de les importer. L'article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle précise que constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues à l'article 9 du règlement communautaire précité. Un signe est considéré comme identique à la marque s'il reproduit, sans modification ni ajout tous les éléments constituant la marque ou si, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu'elles peuvent passer inaperçues aux yeux du consommateur moyen. En l'espèce, la marque semi-figurative communautaire litigieuse consistant dans le visage de "Che G portant un béret" et le signe "Che" écrit en écriture cursive imitant une signature, est reprise à l'identique sur les paquets de cigarettes détenus par Messieurs Igor K et Zdravko R et saisis par les douaniers de Laon le 20 juillet 2015 sur l'autoroute A26. Les produits à savoir des paquets de cigarettes sont également identiques à ceux pour lesquels la marque est déposée. La contrefaçon par reproduction est ainsi caractérisée. Sur la concurrence déloyale et parasitaire La société MANUFACTURE DE TABACS expose que les défendeurs, de manière fautive, ont profité indûment et sans bourse délier de la notoriété de sa marque, ainsi que de ses efforts intellectuels et financiers afin d'obtenir des gains substantiels par la revente desdites marchandises contrefaisantes. Par ailleurs, leurs agissements qui créent un risque de confusion entravent ses activités économiques et l'empêchent d'exploiter paisiblement sa marque. Sur ce. Il sera rappelé que la concurrence déloyale, tout comme le parasitisme, trouve son fondement dans l'article 1382 du code civil, qui dispose que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. " Il est également établi que le principe est celui de la liberté du commerce, et que ne sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale que des comportements fautifs tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui tirent profit sans bourse délier d'une valeur économique d'autrui lui procurant un avantage concurrentiel injustifié, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. Par ailleurs l'action en concurrence déloyale ou en parasitisme doit reposer sur des agissements distincts de ceux qui ont été retenus pour établir la contrefaçon. En l'espèce, l'importation et la détention pour leur compte. Messieurs Igor K et Zdravko R n'ayant pas indiqué de nom d'un destinataire, d'une quantité massive de cigarettes de contrebande, copies serviles de celles commercialisées par la demanderesse et destinées au marché français et européen, créant un risque de confusion sur l'origine du produit, caractérisent des faits de concurrence déloyale. Sur la réparation des préjudices La demanderesse, faisant valoir que 46.300 cartouches de cigarettes sont concernées dont la valeur est estimée à 2.315.000 euros, et que les actes de contrefaçon contribuent à la dépréciation de sa marque sollicite en réparation de ses préjudices économique et moral dus à la contrefaçon la somme de 2.300.000 €. En outre au titre de la concurrence déloyale et parasitaire elle sollicite le versement de la somme de 500.000 euros en réparation du préjudice subi. Sur ce. En vertu de l'article L 716-14 du code de la propriété intellectuelle : "Pour fixer les dommages et intérêts, lu juridiction prend en considération distinctement : 1 ° les conséquences économiques négatives de la contrefaçon dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée. 2° le préjudice moral causé à cette dernière 3° et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon. Toutefois, la juridiction peut, à titre cl 'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation cl 'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ". En vertu de l'article L. 717-2 du code de la propriété intellectuelle, les dispositions L. 716-8 à L. 716-15 du code de la propriété intellectuelle sont applicables aux atteintes portées au droit du propriétaire d'une marque communautaire. En l'espèce, les quantités de produits contrefaisants sont importantes à savoir 46.300 cartouches de cigarettes. Si la demanderesse évalue à 2.300.000 euros le montant de son préjudice, il ressort de ses écritures que ce montant correspond à l'évaluation du chiffre d'affaires lié à la commercialisation d'une telle quantité de produit contrefaisant, et non à sa marge, de telle sorte qu'il ne peut être retenu en son entier pour évaluer son manque à gagner ou la perte subie. Au vu de ces éléments, et compte tenu de l'importance des quantités en cause, sans qu'il soit nécessaire de faire droit à la demande d'ordonner aux défendeurs de produire des documents relatifs à la distribution des produits litigieux, le montant des dommages et intérêts en réparation de la contrefaçon sera fixé à la somme de 250.000 euros. En revanche s'agissant du préjudice résultant de la concurrence déloyale, force est de constater que la demanderesse ne produit aucun élément pour justifier d'un préjudice distinct de celui déjà réparé au titre de la contrefaçon. Sa demande à ce titre sera donc rejetée. Il sera fait droit en outre aux mesures d'interdiction sous astreinte et de destruction dans les conditions précisées au dispositif de la présente décision. La mesure de publication, s'agissant d'une indemnisation complémentaire, n'est pas nécessaire, le préjudice ayant été suffisamment réparé. Sur les autres demandes Il y a lieu de condamner in solidum Messieurs Igor K et Zdravko R, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Il convient en outre de les condamner in solidum à verser à la société MANUFACTURE DE TABAC, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 5.000 euros. Les circonstances de l'espèce justifient le prononcé de l'exécution provisoire, qui est en outre compatible avec la nature du litige.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffé, par jugement réputé contradictoire et rendu en premier ressort. - DIT qu'en important et détenant des cartouches de cigarettes. Messieurs Igor K et Zdravko R se sont rendus coupables d'acte de contrefaçon de la marque communautaire n° 8 927 808 déposée le 4 mars 2010 dont la société MANUFACTURE DE TABACS HEINTZ VAN LANDEWICK est titulaire ; - DIT que ces actes constituent des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société MANUFACTURE DE TABACS HEINTZ VAN LANDEWICK ; En conséquence. - FAIT INTERDICTION à Messieurs Igor K et Zdravko R de poursuivre de tels agissements, et ce sous astreinte de 150 euros par infraction constatée à l'expiration du délai d'un mois suivant la signification du présent jugement pendant un délai de quatre mois : - DIT que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes ; - ORDONNE que les produits contrefaisants soient détruits aux frais de Messieurs Igor K et Zdravko R ; - CONDAMNE in solidum Messieurs Igor K et Zdravko R à payer à la société MANUFACTURE DE TABACS HEINTZ VAN LANDEWICK la somme de 250.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon; - CONDAMNE in solidum Messieurs Igor K et Zdravko R à payer à la société MANUFACTURE DE TABACS HEINTZ VAN LANDEWICK la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; - DEBOUTE la société MANUFACTURE DE TABACS HEINTZ VAN LANDEWICK du surplus de ses demandes ; - CONDAMNE in solidum Messieurs Igor K et Zdravko R aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ; - ORDONNE l'exécution provisoire.