TROISIÈME SECTION
AFFAIRE EMANUELE CALANDRA ET AUTRES c. ITALIE
(Requête no 71310/01)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
19 octobre 2010
DÉFINITIF
19/01/2011
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Emanuele Calandra et autres c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Boštjan M. Zupančič,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Guido Raimondi, juges,
de Santiago Quesada, greffier de section
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 septembre 2010,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 71310/01) dirigée contre la République italienne et dont quatre ressortissants de cet État, M. Francesco Emanuele Calandra, M. Nicola Emanuele, Mme Rossella Emanuele et Mme Wanda Bocca (« les requérants »), ont saisi la Cour le 20 novembre 2000 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 26 octobre 2006 (« l'arrêt au principal »), la Cour a jugé que l'ingérence dans le droit au respect des biens des requérants n'était pas compatible avec le principe de légalité et que, partant, il y avait eu violation de l'article 1 du Protocole no 1 Emanuele Calandra et autres c. Italie, no 71310/01, § 62, 26 octobre 2006).
3. En s'appuyant sur l'article 41 de la Convention, les requérants réclamaient une satisfaction équitable de 217 654,57 EUR à titre de préjudice matériel, ainsi que le versement d'une indemnité de 115 397,13 EUR pour non-jouissance du terrain. Les requérants sollicitaient en outre une indemnité pour dommage moral et le remboursement des frais encourus dans la procédure à Strasbourg.
4. La question de l'application de l'article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l'a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 73, et point 5 du dispositif).
5. Le délai fixé pour permettre aux parties de parvenir à un accord amiable était venu à échéance sans que les parties n'aboutissent à un tel accord. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations.
6. Le 8 mars 2007, le président de la chambre a décidé de demander aux parties de nommer chacune un expert chargé d'évaluer le préjudice matériel et de déposer un rapport d'expertise avant le 16 juillet 2007.
7. Lesdits rapports d'expertise ont été déposés dans le délai imparti.
EN DROIT
8. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
9. Se basant sur l'expertise demandée par la Cour, les requérants sollicitent d'abord le versement d'une indemnité de 345 507,45 EUR correspondante à la valeur actuelle du bien et à la valeur du bâtiment sis sur leur terrain.
10. Le Gouvernement s'y oppose et fait valoir que la démolition du bâtiment sis sur le terrain des requérants, effectuée en 1979, n'était pas liée en tant que telle aux travaux de construction de la place, ayant été ordonnée en raison de la dangerosité de l'immeuble en conséquence des dommages provoqués par un tremblement de terre et une alluvion.
11. La Cour rappelle qu'un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).
12. Elle rappelle que dans l'affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d'indemnisation dans les affaires d'expropriation indirecte. En particulier, la Grande Chambre a décidé d'écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l'arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l'Etat sur les terrains.
13. Selon les nouveaux critères fixés par la Grande Chambre, l'indemnisation doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu'établie par l'expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l'on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l'inflation. Il convient aussi de l'assortir d'intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s'est écoulé depuis la dépossession des terrains. Ces intérêts doivent correspondre à l'intérêt légal simple appliqué au capital progressivement réévalué.
14. En l'espèce, les requérants ont perdu la propriété de leur terrain en 1985. Il ressort de l'expertise ordonnée par les juridictions internes au cours de la procédure nationale que la valeur du bien à cette date était de 57 000 000 ITL (29 438 EUR) (paragraphe 19 de l'arrêt au principal).
15. Compte tenu de ces éléments et statuant en équité, la Cour estime raisonnable d'accorder aux requérants conjointement 49 000 EUR pour le préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
16. Reste à évaluer la perte de chances subie à la suite de l'expropriation litigieuse. Statuant en équité, la Cour alloue aux requérants conjointement 11 000 EUR de ce chef.
B. Dommage moral
17. Les requérants sollicitent le versement de la somme de 110 000 EUR au titre de préjudice moral.
18. Le Gouvernement s'y oppose et considère cette somme excessive.
19. La Cour estime que le sentiment d'impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leurs biens a causé aux requérants un préjudice moral important, qu'il y a lieu de réparer de manière adéquate.
20. Statuant en équité, la Cour accorde à chaque requérant la somme de 2 500 EUR au titre du préjudice moral.
C. Frais et dépens
21. Les requérants demandent la somme de 42 519,74 EUR à titre de remboursement des frais encourus devant la Cour.
22. Le Gouvernement considère cette somme excessive.
23. La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002 ; Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 105, CEDH 2003-VIII).
24. La Cour ne doute pas de la nécessité d'engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu'il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d'allouer un montant de 20 000 EUR pour l'ensemble des frais exposés.
D. Intérêts moratoires
25. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS
, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser aux requérants dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes:
i. conjointement 60 000 EUR (soixante mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage matériel ;
ii. 2 500 EUR (deux mille cinq cent euros) à chaque requérant plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
iii. conjointement 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt aux requérants, pour frais et dépens ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 octobre 2010, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Santiago Quesada Josep Casadevall
Greffier Président