Cour d'appel de Paris, 12 octobre 2012, 2011/19924

Synthèse

  • Juridiction : Cour d'appel de Paris
  • Numéro de pourvoi :
    2011/19924
  • Domaine de propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
  • Parties : COMPTOIR DU LABEL SARL / G & Y FASHION SARL
  • Décision précédente :Tribunal de grande instance de Paris, 18 octobre 2011
  • Président : Monsieur Eugène LACHACINSKI
  • Avocat(s) : Maître Charlotte GALICHET plaidant pour le Cabinet CCK, Maître Ingrid Z plaidant pour le Cabinet HOFFMAN
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Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Paris
2012-10-12
Tribunal de grande instance de Paris
2011-10-18

Texte intégral

COUR D'APPEL DE PARIS ARRET DU 12 OCTOBRE 2012 Pôle 5 - Chambre 2 (n° 234, 7 pages) Numéro d'inscription au répertoire général : 11/19924. Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Octobre 2011 Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 1ère Section - RG n° 10/12129. APPELANTE : SARL COMPTOIR DU LABEL prise en la personne de son gérant, ayant son siège social [...] 75002 PARIS, représentée par Maître Jean-Loup PEYTAVI, avocat au barreau de PARIS, toque : B1106, assistée de Maître Charlotte GALICHET plaidant pour le Cabinet CCK Avocats Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : C1864, INTIMÉE : SARL G & Y FASHION prise en la personne de son gérant, ayant son siège social [...] 75011 PARIS, représentée par Maître Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945, assistée de Maître Ingrid Z plaidant pour le Cabinet HOFFMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C610. COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 5 septembre 2012, en audience publique, devant Madame Sylvie NEROT, Conseillère chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Eugène LACHACINSKI, président, Monsieur Dominique COUJARD, président de chambre, Madame Sylvie NEROT, conseillère. Greffier lors des débats : Monsieur T L NGUYEN.

ARRET

: Contradictoire, - prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile. - signé par Monsieur Eugène LACHACINSKI, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé. La société Comptoir du Label, créée en 2006 et qui a pour activité la création et la vente de vêtements de prêt-à-porter, revendique des droits d'auteur sur un modèle de robe référencé 'Bal' en se prévalant de sa création le 12 décembre 2007 et de sa commercialisation depuis le mois de mars 2008, en différents coloris et auprès de divers détaillants, sous les marques 'Kadra' ou 'Gold'n' ou encore avec insertion de la griffe du client dès la fabrication (selon le procédé du private label). Ayant découvert que la société G&Y Fashion, dont l'activité porte sur la fabrication et la vente de vêtements, commercialisait un modèle de robe selon elle quasi identique au modèle référencé 'bal', la société Comptoir du Label a fait dresser un constat d'achat le 12 juillet 2010, puis, dûment autorisée, a fait diligenter des opérations de saisie-contrefaçon, le 27 juillet 2010, avant de l'assigner, par acte du 12 août 2010, devant la juridiction de fond en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale. Par jugement contradictoire rendu le 18 octobre 2011, le tribunal de grande instance de Paris a, disant n'y avoir lieu à exécution provisoire, déclaré la société Comptoir du Label irrecevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur sur la robe 'bal' et débouté la requérante de sa demande en concurrence déloyale en la condamnant à verser à la société G&Y Fashion la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens. Par dernières conclusions signifiées le 05 juillet 2012, la société à responsabilité limitée Comptoir du Label, appelante, demande en substance à la cour, au visa des Livres I et III du code de la propriété intellectuelle et des articles 1382 et 1383 du code civil, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et : - de dire que le modèle référencé 'bal' est original et protégeable par les dispositions des Livres I et III visés en ce qu'il porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et que la société G&Y Fashion a commis des actes de contrefaçon en faisant fabriquer et en commercialisant un vêtement reproduisant les caractéristiques essentielles de son modèle référencé 'bal' outre des actes de concurrence déloyale et parasitaire, - en conséquence, de condamner la société G&Y Fashion à lui verser les sommes de : * 43.280,60 euros au titre de son manque à gagner et du bénéfice indûment réalisé, * 90.000 euros du fait de l'atteinte portée à ses propres investissements, * 50.000 euros au titre de l'avilissement du modèle référencé 'bal', * 50.000 euros au titre de son préjudice moral et de l'atteinte à son image de marque, * 200.000 euros au titre du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire, * 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens comprenant les frais de constat et de saisie-contrefaçon, - d'ordonner les mesures d'interdiction, ceci sous astreinte, de destruction et de publication d'usage. Par dernières conclusions signifiées le 22 mars 2012, la société à responsabilité limitée G&Y Fashion demande en substance à la cour de confirmer le jugement entrepris, de déclarer la société Comptoir du Label irrecevable à agir en contrefaçon, de dire que la robe 'bal' ne saurait bénéficier de la moindre protection au titre du droit d'auteur et qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon ou de concurrence déloyale ; de débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes, de la condamner à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter tous les dépens.

SUR CE

, Sur la recevabilité à agir de la société Comptoir du Label : Considérant que l'appelante poursuit l'infirmation du jugement en faisant grief au tribunal d'avoir considéré qu'elle n'a pas créée le modèle référencé 'bal', que ce modèle ne saurait bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur et d'avoir, en conséquence, rejeté sa demande au titre de la contrefaçon ; Qu'elle entend démontrer, au moyen des pièces qu'elle produit et dont la pertinence est, selon elle, à tort contestée par l'intimée, que ce vêtement a été créé le 12 décembre 2007 par son gérant, Monsieur Nordine C, et qu'en outre, elle l'a divulgué sans équivoque depuis mars 2008 sous les marques 'Gold'n' et 'Kadra' déposées par ce dernier et dont l'usage lui a été concédé; qu'elle entend, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article L 113-1 du code de la propriété intellectuelle ; Que l'intimée ne prétend pas, quant à elle, être titulaire de droits d'auteur sur cette robe mais conteste que l'appelante puisse l'être en laissant entendre que cette dernière s'est bornée à s'approvisionner auprès d'un fournisseur chinois ; qu'elle met, de plus, en avant l'absence de correspondance entre les caractéristiques du modèle 'bal' revendiqué et celles du produit commercialisé en mars 2008, ainsi que l'a retenu le tribunal ; Considérant, ceci rappelé, que pour établir que ce modèle a été créé par Monsieur C, la société Comptoir du Label verse aux débats une fiche technique comportant la date du 12 décembre 2007 (pièce 18) et les attestations de Monsieur C du 16 décembre 2010 puis du 29 janvier 2012 (pièces 15) ainsi que d'une salariée, Madame Z, datée du 16 décembre 2010 (pièce 16) ; Qu'aucune de ces pièces n'est cependant susceptible de rapporter la preuve des conditions dans lesquelles cette création serait intervenue ; Qu'en effet, les attestations émanant du gérant de la société appelante et d'une salariée constituent des documents internes ; qu'elles se limitaient, dans un premier temps, à des affirmations de portée générale et n'ont été complétées que tardivement par le gérant, évoquant le processus créatif de ce vêtement ; que le seul document de travail produit consiste en une fiche technique manuscrite, qui n'a pas date certaine, supporte uniquement la référence imprécise 'marque Kadra - comptoir du Label' et se révèle sommaire puisqu'elle ne comporte que quelques croquis annotés et diverses mesures ; que cette pièce n'est étayée par aucun document extrinsèque, tels des éléments explicitant la mention 'marque' ajoutée manuscritement ou des correspondances échangées avec le fabricant chinois désigné attestant d'instructions ou du suivi de la fabrication ; qu'au surplus, la cession dont l'appelante se prévaut n'est attestée que de manière incidente par Monsieur C dans sa première attestation ; Que n'est donc pas rapportée à suffisance la preuve de la création de ce modèle par Monsieur C ; Considérant que la société appelante se fonde, par ailleurs, sur les dispositions de l'article L 113-1 du code de la propriété intellectuelle pour voir juger qu'elle est présumée titulaire des droits d'auteur sur cette 'œuvre à l'égard de la société intimée poursuivie en contrefaçon ; Que cet article instaure, certes, une présomption légale mais au profit du seul auteur, personne physique, dont le nom est porté à la connaissance du public lors de la divulgation de l''uvre ; qu'il s'agit d'une présomption simple dont une personne morale ne peut revendiquer le bénéfice puisqu'elle n'a pas la qualité d'auteur ; Qu'en revanche, la présomption de titularité des droits bénéficie à la personne morale qui, en l'absence de revendication de l'auteur, commercialise sans équivoque, sous son nom, une œuvre de l'esprit ; que cette exploitation fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, qu'elle est titulaire sur cette 'œuvre, qu'elle soit collective ou non, du droit de propriété incorporelle ; Que pour bénéficier de cette présomption simple, il appartient à cette personne morale d'identifier précisément l'œuvre qu'elle revendique et de justifier de la date à laquelle elle a commencé à en assurer la commercialisation ; qu'il lui incombe également d'établir que les caractéristiques de l''uvre qu'elle revendique sont identiques à celles dont elle rapporte la preuve de la commercialisation sous son nom ; Que la société Le Comptoir du Label identifie comme suit les caractéristiques du modèle référencé 'bal' dont elle revendique la protection (pages 9 et 10/21 de ses dernières conclusions) en précisant que leur combinaison permet de le porter d'au moins cinq manières différentes : - un pan supérieur d'environ 14 centimètres dont l'avant est tendu tandis que le dos est 'élastiqué' à l'aide de surpiqûres smocks, - tissu composé de plusieurs pans légèrement froncés à partir de la bande supérieure dans le dos, évasé vers le bas, - deux longues bandes de tissus parallèles partant du côté droit de la partie supérieure de la robe, pouvant servir de nœud, - un jupon de même matière que la robe cousu au niveau de la taille, - deux rangées de fines lanières (au nombre total de 16) à chaque pan disposés sous la jupe à intervalles réguliers, - plusieurs pans de tissu permettant d'y insérer des liens qui peuvent être attachés à des hauteurs différentes et permettent de surélever la robe comme un rideau de scène pour lui donner un effet plus ou moins bouffant ; Que pour justifier de la commercialisation sans équivoque du modèle tel que revendiqué, elle verse aux débats : - 17 factures de commercialisation dont la plus ancienne date du 23 mars 2008 accompagnées d'attestation de clients et de photographies (pièces 21-1 à 21-17), - un article du magazine 'Elle' daté du 10 juillet 2009 présentant un modèle 'bal' vendu par la société 'Plein Soleil Royan' ainsi qu'une attestation de l'exploitante individuelle de cette société (pièces 23, 24 et 34), - une attestation d'un fabricant chinois (JDF Garment Co Ltd) affirmant avoir fabriqué la robe référencée 'bal' à partir de la fiche technique et de l'échantillon reçu à la fin du mois de janvier 2007 pour une première livraison le 16 mars 2008 (pièces 19 et 20), - une attestation de son expert-comptable précisant qu'il n'existe qu'un modèle unique correspondant à la référence 'bal' commercialisé à raison de 22.689 exemplaires en 2008/2009 (pièce 22) ; Qu'il convient de relever, d'emblée, que la coupure de presse produite atteste d'une divulgation du modèle de robe figuré dans le magazine non point sous le nom de la société appelante mais sous celui de l'entreprise exerçant sous le nom commercial 'Plein Soleil Royan' ; Qu'il est vrai que le représentant légal de la société chinoise JDF Garment indique, dans un document qui ne répond pas aux exigences formelles de l'article 202 du code de procédure civile, que cette société est le 'sous-traitant' de la société appelante, qu'elle a fabriqué le modèle 'bal' à partir d'un échantillon-prototype et qu'il joint une facture, datée du 16 mars 2008, portant sur 1649 unités comptabilisées sous l'unique référence 'robe bal' ; Que force est toutefois de relever que le simple témoignage produit est daté du 17 novembre 2011, que cette facture n'est pas certifiée, qu'il n'est pas justifié de son acquittement, que, comme énoncé précédemment, aucune pièce ne vient attester de l'échange intervenant ordinairement entre un auteur et son façonnier et qu'il n'est, de plus, ni démontré ni même affirmé que leurs relations se seraient poursuivies alors que l'expert comptable évoque une commercialisation de ce modèle 'bal' dans un volume de plus de dix fois supérieur à celui qui est quantifié dans cette facture ; Que, par ailleurs, les factures produites laissent apparaître, ainsi que le souligne l'intimée, différents référencements [ bal (robe bal), bal 2 (robe bal), bal 3 (robe bal laque), bal 4 (robe bal imprimée), V001 bal (robe bal)...] ; qu'il y a lieu d'observer qu'en dépit de la diversité de ces références, ces factures sont toutes accompagnées d'attestations de distributeurs qui visent une même photographie de robe ; que si l'on peut comprendre qu'un même modèle de robe ait un référencement différent lorsqu'il est commercialisé dans un tissu imprimé ou avec un aspect laqué, rien ne permet de discerner les différences entre les modèles correspondant aux référencements 'bal', 'bal 2" et 'V001 bal' qui renvoient tous, sur ces factures, à une 'robe bal' et, par conséquent, de considérer que ces factures permettent d'attester de l'identité des modèles ainsi commercialisés et du modèle de robe revendiqué, dans les caractéristiques précitées ; Qu'il suit, dans ces conditions, que la société appelante ne peut prétendre au bénéfice de la présomption de titularité des droits d'auteur, que ses prétentions au titre d'une contrefaçon du modèle de robe 'bal' doivent, partant, être rejetée et que le jugement mérite sur ce point confirmation ; Sur la concurrence déloyale et les agissements parasitaires : Considérant que la société appelante fait d'abord valoir que le tribunal a rejeté sa demande à ce titre au seul motif qu'elle était présentée à titre principal et non subsidiaire alors, selon elle, qu'aucun texte n'exige qu'une demande à ce titre soit formée à titre subsidiaire ; Qu'elle reproche à la société intimée d'avoir cherché à créer la confusion dans l'esprit de la clientèle en commercialisant des robes constituant des copies quasi- serviles du modèle référencé 'bal', d'en avoir, qui plus est, décliné les coloris comme elle le fait en créant de la sorte un effet de gamme et enfin de s'être placée dans le sillage du succès commercial du modèle 'bal' en profitant de ses investissements ; Considérant, ceci exposé, qu'en l'absence de droits privatifs sur le modèle de robe 'bal' qu'elle exploite, la société Le Comptoir du Label ne peut rechercher dans l'action en concurrence déloyale une protection de repli en se prévalant de griefs invoqués au soutien de son action en contrefaçon ; Que quand bien même le modèle de robe commercialisé par la société intimée constituerait une reproduction servile du modèle de robe 'bal', cette seule constatation serait insuffisante pour caractériser un acte de concurrence déloyale dès lors que la commercialisation d'un même produit ne ressort que de l'exercice de la liberté du commerce ; Que la déclinaison d'un modèle selon divers coloris, non explicitée, ne caractérise pas davantage un acte de concurrence déloyale ; Qu'enfin, il ne pas suffit de prétendre procéder à des investissements et d'affirmer, sans éléments venant le démontrer, que la société intimée s'est délibérément placée dans le sillage du succès commercial remporté par le sac référencé 'bal' pour voir juger qu'un concurrent en a abusivement tiré profit ; Qu'il en résulte que le jugement doit, par motifs substitués, être confirmé ; Sur les autres demandes : Considérant que l'équité conduit à condamner la société Le Comptoir du Label à verser à la société G&Y Fashion la somme complémentaire de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; Que la société appelante qui succombe sera déboutée de ce dernier chef de prétentions et condamnée en tous les dépens ;

PAR CES MOTIFS

, Confirme le jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant ; Déboute la société à responsabilité limitée Le Comptoir du Label de ses prétentions ; Condamne la société à responsabilité limitée Le Comptoir du Label à verser à la société G &Y Fashion la somme complémentaire de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.