Vu la procédure suivante
:
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 avril 2021, 26 janvier et 7 février 2023, M. A C et Mme B C, représentés par Me Donias, demandent au tribunal :
1°) de condamner la commune de Plouër-sur-Rance à leur verser une somme de 56 203,10 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait du classement erroné de leur terrain en zone constructible et de la délivrance d'un certificat d'urbanisme positif illégal ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Plouër-sur-Rance une somme de 2 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le mémoire de la commune est irrecevable, faute pour le maire de Plouër-sur-Rance de justifier d'une habilitation à représenter la commune en justice ;
- ils ont acquis le 23 décembre 2003 une parcelle d'une superficie de 1 686 mètres carrés sise Clos des Herviais à Plouër-sur-Rance, cadastrée section D n° 1624 ; cette acquisition s'est faite sous la foi d'une note de renseignements d'urbanisme mentionnant le classement de cette parcelle en zone Uh constructible dans le plan local d'urbanisme alors applicable ;
- toutefois, il apparaît que la parcelle est inconstructible au vu des règles posées par l'article
L. 121-8 du code de l'urbanisme ;
- en procédant à un classement erroné et en délivrant une note de renseignements erronée, la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- ils sollicitent réparation selon les indications suivantes : 50 203,10 euros au titre du préjudice matériel, et 3 000 euros chacun au titre du préjudice moral qu'ils subissent du fait de l'inconstructibilité de cette parcelle.
Par des mémoires enregistrés les 18 janvier, 26 janvier et 22 février 2023, la commune de Plouër-sur-Rance, représentée par Me Béguin, conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. et Mme C au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le maire de Plouër-sur-Rance a été habilité à représenter la commune en justice par délibération du 2 juin 2020 du conseil municipal ;
- le préjudice dont les requérants demandent réparation n'est pas établi.
Vu :
- la demande indemnitaire préalable datée du 21 décembre 2020 ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D,
- les conclusions de M. Desbourdes, rapporteur public,
- les observations de Me Donias, représentant M. et Mme C, et F, représentant la commune de Plouër-sur-Rance.
Considérant ce qui suit
:
1. M. et Mme C ont acquis, le 23 décembre 2003, une parcelle cadastrée D n° 1624 d'une surface de 1 696 mètres carrés sur la commune de Plouër-sur-Rance, après s'être vu délivrer une note de renseignements d'urbanisme mentionnant le classement de cette parcelle en zone Uh constructible au PLU de la commune approuvé le 24 octobre 2003. Constatant toutefois qu'eu égard à son emplacement, la parcelle n'est pas constructible, ils demandent au tribunal d'engager la responsabilité pour faute de la commune de Plouër-sur-Rance et de la condamner à réparer les préjudices qu'ils ont subis.
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. et Mme C :
2. Aux termes de l'article
L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : () / 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal () ". Selon l'article
L. 2132-2 du même code : " Le maire, en vertu de la délibération du conseil municipal, représente la commune en justice. ". Il résulte de ces dispositions que le conseil municipal peut légalement donner au maire une délégation générale pour ester en justice au nom de la commune pendant la durée de son mandat.
3. Par délibération du 2 juin 2020, reçue par la préfecture de Côtes-d'Armor le 5 juin 2020, et affichée le même jour, le conseil municipal de Plouër-sur-Rance a donné délégation à son maire aux fins notamment de défendre la commune dans les actions intentées contre elles, dans les cas définis par le conseil municipal. Il n'est ni établi ni même soutenu que l'action indemnitaire engagée par les requérants ne relèverait pas de ces cas. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que le maire de Plouër-sur-Rance ne justifierait pas avoir été dûment habilité à défendre sa commune ne peut qu'être écartée.
Sur le principe de responsabilité :
4. Il résulte de l'instruction que la commune de Plouër-sur-Rance est une commune littorale, soumise de ce fait aux dispositions spécifiques issues de la loi du 3 janvier 1986, codifiées à, la date à laquelle M. et Mme C ont acheté les parcelles, à l'article
L. 146-4 du code de l'urbanisme. Selon les dispositions du I de cet article, l'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement. Au cas d'espèce, les parcelles en litige s'inscrivent dans un secteur éloigné du centre bourg, marqué par une urbanisation très diffuse, limitée à une trentaine de constructions concentrées pour l'essentiel le long de la voie de circulation principale. Ainsi, les terrains considérés ne se situent pas en continuité avec les agglomérations ou villages existants au sens des dispositions du I de l'article
L. 146-4, alors en vigueur, du code de l'urbanisme, ni dans une zone destinée, par la règlementation d'urbanisme applicable à la commune, à accueillir un hameau nouveau. Dès lors, le classement en zone Uh des parcelles acquises par M. et Mme C E alors applicable doit être regardé comme ayant été illégal dès son origine, cette illégalité étant constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration.
5. D'autre part, la note de renseignements délivrée le 9 décembre 2003 par le maire de Plouër-sur-Rance aux époux, qui mentionne que les parcelles en litige sont situées en zone Uh, reprend ainsi l'erreur dont est entaché le PLU, sans évoquer les prescriptions particulières découlant des dispositions de la loi d'aménagement et d'urbanisme du 3 janvier 1986, dite " loi littoral ". La délivrance de cette note, qui a été de nature à induire ses destinataires en erreur quant à la constructibilité du terrain, révèle une seconde faute de l'administration.
Sur les préjudices :
6. M. et Mme C sont fondés à obtenir une indemnisation correspondant à la différence entre le prix auquel ils ont payé le terrain acheté le 23 décembre 2022 et sa valeur réelle. Il y a toutefois lieu de tenir compte de ce que les requérants ont procédé à la division de la parcelle litigieuse en deux parcelles 2104 et 2105, et que cette dernière parcelle, d'une surface de 451 mètres carrés, a été vendue par acte de vente du 15 février 2019, incluant quatre autres parcelles situées au nord de la route bordant les parcelles 2104 et 2015, et supportant leur maison d'habitation et le jardin y attenant. Si les requérants soutiennent que la parcelle 2105 a été incluse dans cette vente à titre gratuit, ils ne l'établissent pas, l'acte de vente ne distinguant pas le prix de cession retenu pour chacune des parcelles. Ainsi, à défaut de disposer d'éléments permettant de valoriser cette parcelle, l'indemnisation à laquelle M. et Mme C peuvent prétendre ne peut correspondre qu'à la perte de valeur subie au titre de la parcelle 2104 non encore vendue, d'une surface de 1 145 mètres carrés. La valeur actuelle de cette parcelle peut être estimée à 11 450 euros, cette évaluation tenant compte de la situation géographique de la commune, située en zone littorale. Le prix d'achat initial de cette parcelle pouvant être évalué à 22 386 euros, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Plouër-sur-Rance une somme de 10 936 euros, correspondant à la différence entre ce prix d'achat et cette valeur réelle.
7. Par ailleurs, il sera fait une juste appréciation des frais notariés exposés à tort en évaluant à 1 700 euros l'indemnité due aux requérants, correspondant à la différence entre les frais d'acquisition qu'ils ont exposés, s'élevant à 5 150 euros, et ceux correspondant à l'acquisition d'un terrain non constructible.
8. Les requérants sont en outre fondés à obtenir une indemnisation du préjudice d'immobilisation qu'ils ont subi, correspondant à une perte d'opportunité de placement de la somme de 10 936 euros à un taux d'intérêt qui peut être évalué, sur la période en litige, à 2% en moyenne. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, compte tenu du temps écoulé entre l'acquisition et la date du jugement, en retenant une somme de 5 000 euros.
9. Enfin, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. et Mme C du fait de la délivrance d'informations erronées les ayant induits en erreur sur l'usage possible des terres achetées, en condamnant la commune de Plouër-sur-France à leur verser une indemnité globale de 1 000 euros.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Plouër-sur-Rance doit être condamnée à payer à M. et Mme C une somme de 18 636 euros.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
11. M. et Mme C ont droit aux intérêts sur la somme de 18 636 euros à compter de la date du 24 décembre 2020 à laquelle la commune de Plouër-sur-Rance a reçu leur demande indemnitaire préalable. Les intérêts seront capitalisés à compter du 24 décembre 2021, date à laquelle une année d'intérêt était due, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
12. En vertu des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la commune de Plouër-sur-Rance doivent, dès lors, être rejetées.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Plouër-sur-Rance une somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme C au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La commune de Plouër-sur-Rance est condamnée à verser à M. et Mme C une indemnité de 18 636 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2020. Les intérêts seront capitalisés à compter du 24 décembre 2021 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : La commune de Plouër-sur-Rance versera à M. et Mme C une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Plouër-sur-Rance sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A C, à Mme B C, et à la commune de Plouër-sur-Rance.
Délibéré après l'audience du 27 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Gosselin, président,
Mme Pottier, première conseillère,
Mme Gourmelon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mars 2023.
La rapporteure,
signé
V. D
Le président,
signé
O. Gosselin
La greffière,
signé
E. Douillard
La République mande et ordonne au préfet des Côtes d'Armor en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 2102135