Vu la procédure suivante
:
Procédure contentieuse antérieure :
La commune
de Breteuil a demandé au tribunal
administratif de Rouen
de condamner solidairement la société par actions simplifiée (SAS)
Viafrance Normandie et M. A... B... à lui verser la somme
de 183 600 euros TTC sur le fondement
de la garantie décennale des constructeurs et la somme
de 56 875,07 euros au titre des frais d'expertise qu'elle a dû exposer et
de mettre solidairement à leur charge la somme
de 6 000 euros en application
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative.
Par un jugement n° 1804011 du 20 novembre 2020, le tribunal
administratif de Rouen, après avoir rejeté les conclusions
d'appel en garantie présentées contre la société coopérative ouvrière
de production (SCOP) Travaux publics services (TPS) et la société anonyme (SA) Axa France Iard comme présentées devant un ordre
de juridiction incompétent, a condamné solidairement la SAS
Viafrance Normandie et M. B... à verser à la commune
de Breteuil une somme
de 122 400 euros TTC, a mis les frais d'expertise judiciaire à la charge
de la commune
de Breteuil à hauteur
de 40 % et à la charge solidaire
de M. B... et
de la SAS
Viafrance Normandie à hauteur
de 60 % et a mis à la charge
de la SAS
Viafrance Normandie une somme
de 800 euros au titre
de l'article
L. 761-1 du code
de justice administrative à verser à la SA Axa France Iard.
Procédure devant la
cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 janvier et 29 juillet 2021, M. B..., représenté par la SELARL
Pierre-Xavier Boyer, demande à la
cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°)
de rejeter
l'appel incident formé par la commune
de Breteuil ;
3°)
de rejeter
l'appel en garantie formé à son encontre par la SAS
Viafrance Normandie ;
4°) à titre principal,
de rejeter la demande
de première instance
de la commune
de Breteuil en l'absence
de tout désordre à caractère décennal ;
5°) à titre subsidiaire,
de rejeter la demande
de la commune
de Breteuil en raison
de la faute exonératoire commise par la commune ;
6°) à titre infiniment subsidiaire,
de limiter à 20 % sa part
de responsabilité dans la survenance des désordres litigieux et, en tout état
de cause,
de fixer à 20 % sa part
de responsabilité à l'égard
de son codébiteur pour l'intégralité des condamnations qui seraient, le cas échéant, prononcées par la
cour ;
7°)
de mettre à la charge
de toute partie succombante la somme
de 3 500 euros au titre
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative.
Il soutient que :
- la garantie décennale n'a pas vocation à s'appliquer pour les travaux
de pavages et d'enrobés réalisés sur un ouvrage déjà construit dès lors que les désordres affectent seulement la couche
de surface ;
- il ne ressort pas du rapport d'expertise que la solidité
de l'ouvrage serait compromise avec certitude dans le délai d'épreuve décennale expirant le 25 avril 2018 et la commune ne démontre pas non plus, dans ce délai d'épreuve, le caractère dangereux des désordres pour la sécurité des usagers ;
- les désordres affectant la voirie ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination dans la mesure où la voirie est restée ouverte à la circulation sans interruption depuis la réalisation des travaux ;
- à titre subsidiaire, si la
cour estime que les désordres sont
de nature décennale, ceux-ci doivent être regardés comme imputables à la mauvaise évaluation
de ses besoins par la commune, à la mauvaise utilisation
de la voirie et à la dégradation
de son état du fait d'une inertie non négligeable du maître d'ouvrage, constitutives
de fautes
de nature à l'exonérer totalement
de sa responsabilité ;
- à titre infiniment subsidiaire, sa part
de responsabilité dans la survenue des désordres doit être limitée à 20 % dès lors qu'il ne peut lui être reproché un défaut
de conception et que la conception du pavage était du ressort
de la société
Viafrance Normandie.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er avril et 15 juillet 2021 puis le 2 février
2023, la SAS
Viafrance Normandie, représentée par Me
Olivier Jolly, demande à la
cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal,
de rejeter la demande
de première instance
de la commune
de Breteuil pour irrecevabilité ;
3°) à titre subsidiaire,
de rejeter la demande
de la commune
de Breteuil en l'absence
de désordre
de nature décennale et compte tenu
de la faute du maître d'ouvrage l'exonérant totalement
de sa responsabilité ;
4°) à titre très subsidiaire,
de limiter sa quote-part
de responsabilité à hauteur
de 50 %, le solde devant nécessairement être garanti par M. B... et
de statuer sur ce que
de droit sur le recours en garantie exercé à l'encontre
de la société TPS et son assureur, la société Axa France Iard ;
5°)
de mettre à la charge
de la commune
de Breteuil la somme
de 3 500 euros au titre
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative.
Elle soutient que :
- la demande
de première instance
de la commune
de Breteuil est irrecevable dès lors que le maire ne justifie pas avoir été habilité à ester en justice par une délibération générale ou spéciale du conseil municipal ;
- son
appel provoqué contre la commune est recevable dès lors qu'elle sollicite la réformation des articles 2 et 3 du jugement attaqué à l'instar
de M. B..., appelant principal ;
- le rapport d'expertise ne présente pas un caractère probant dès lors que l'origine des désordres n'a pu être dégagée avec certitude ;
- l'expert a souligné le défaut
de toute prestation d'entretien imputable à la commune alors que les ouvrages sont en service pour certains depuis 2005, ainsi que l'inadéquation entre le programme défini par la commune et la réalité
de la circulation et du trafic, ce qui est
de nature à l'exonérer
de sa responsabilité ;
- les désordres ne présentent pas un caractère décennal dès lors qu'ils sont liés à une absence d'entretien des ouvrages par la commune, qu'ils présentent un caractère esthétique et qu'ils n'empêchent pas l'utilisation des ouvrages ;
- si sa responsabilité doit être recherchée au titre
de défauts d'exécution éventuels et si la
cour devait confirmer la condamnation solidaire avec M. B..., elle ne peut cependant être condamnée au-delà
de 50 % des sommes sollicitées par la commune dès lors que l'absence
de plans d'exécution ne peut lui être reprochée et qu'elle a élaboré son offre sur la base du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) établi par le maître d'œuvre, le solde doit nécessairement être mis à la charge
de l'architecte, qui doit lui apporter sa garantie ;
- l'expert a exonéré à tort son sous-traitant, la société Travaux Publics Service (TPS),
de toute responsabilité en raison
de l'irrégularité
de la sous-traitance, à la suite du jugement du tribunal
administratif, elle a assigné la société TPS et l'assureur
de celle-ci, la société Axa France Iard, devant le tribunal judiciaire d'Evreux.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 avril 2021 et les 18 janvier et
9 février
2023, la SA Axa France Iard, représentée par Me
Etienne Hellot, demande à la
cour :
1°)
de confirmer le jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions
d'appel en garantie présentées à son encontre comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
2°) à titre subsidiaire,
de surseoir à statuer jusqu'à ce que le juge judiciaire se prononce sur l'absence
de garantie décennale qu'elle oppose s'agissant du contrat d'assurance conclu avec la société TPS ;
3°) à titre très subsidiaire,
de rejeter les demandes indemnitaires
de la commune
de Breteuil en l'absence
de désordre
de nature décennale ou, à défaut,
de confirmer le jugement en tant qu'il a fixé la responsabilité
de la commune à hauteur
de 40 % et
de juger que la société TPS ne porte aucune part
de responsabilité dans les désordres ;
4°) à titre encore plus subsidiaire,
de condamner M. B... à la garantir des condamnations pouvant être prononcées à son encontre ;
5°) à titre infiniment subsidiaire,
de limiter la part
de responsabilité
de la société TPS à 10 % ;
6°)
de mettre à la charge
de M. B... et toutes personnes succombantes la somme
de 3 000 euros au titre
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative ainsi que les dépens, ou
de mettre à la charge solidaire
de M. B... et
de la société
Viafrance Normandie la somme
de 3 000 euros au titre
de l'article
L. 761-1 du code
de justice administrative.
Elle soutient que :
- seule la juridiction judiciaire est compétente pour analyser la relation juridique
de droit privé existant entre la société
Viafrance Normandie et la compagnie d'assurance Axa France Iard ;
- si la
cour se reconnaît compétente pour statuer sur
l'appel en garantie formé par la société
Viafrance Normandie, elle devra surseoir à statuer dans l'attente d'une décision du juge judiciaire concernant l'absence
de garantie qu'elle oppose au contrat d'assurance souscrit par la société TPS, les ouvrages
de génie civil n'ayant pas fait l'objet d'une souscription au titre
de la garantie décennale ;
- les conditions
de la garantie décennale ne sont pas réunies dès lors qu'il n'est pas démontré que les désordres rendent l'ouvrage impropre à sa destination ;
- aucune des causes probables des désordres évoqués par l'expert n'est en lien avec l'intervention
de la société TPS ;
- l'expert a relevé un défaut d'entretien
de l'ouvrage imputable à la commune
de Breteuil et le fait que celle-ci n'a pas pris soin d'assurer une circulation des poids lourds
de moins
de 3,5 tonnes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juin 2021, la commune
de Breteuil, représentée par Me
Florence Malbesin, demande à la
cour :
1°)
de rejeter la requête
de M. B... et les conclusions
de la société
Viafrance Normandie ;
2°) par la voie
de l'appel incident,
de réformer le jugement en tant qu'il a limité le montant
de l'indemnité et des frais d'expertise qu'il a mis à la charge solidaire
de la SAS
Viafrance Normandie et
de M. B... ;
3°)
de condamner la SAS
Viafrance Normandie et M. A... B... à lui verser la somme de 183 600 euros TTC sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs et la somme de 56 875,07 euros au titre des frais d'expertise qu'elle a dû exposer ;
4°)
de mettre solidairement à la charge
de la SAS
Viafrance Normandie et
de M. A... B... la somme de 6 000 euros en application de l'article
L. 761-1 du code de justice
administrative.
Elle soutient que :
- sa demande devant le tribunal administratif n'est pas irrecevable dès lors qu'elle a produit la délibération du conseil municipal du 29 janvier 2016 donnant compétence au maire pour intenter au nom
de la commune " toute action où il est nécessaire d'intervenir en justice et devant toutes les juridictions " ;
- les demandes
de la société
Viafrance Normandie sont irrecevables car elles relèvent d'un litige distinct
de l'appel principal ;
- les désordres constatés après la réception déstructurent totalement la voirie et sont
de nature à porter atteinte à la solidité
de l'ouvrage et à le rendre impropre à sa destination en rendant dangereuse l'utilisation
de la voie du fait des nids
de poule qui se sont formés et le fait que les voiries soient maintenues ouvertes à la circulation ne permet pas d'écarter ce caractère décennal ;
- les désordres sont
de nature à engager la responsabilité décennale du maître d'œuvre pour défaut
de conception et défaut
de surveillance des travaux en raison
de leur sous-dimensionnement par rapport à la conception prévue au CCTP et
de ce qu'il lui appartenait
de vérifier que les prescriptions du CCTP étaient respectées par la société
Viafrance Normandie ;
- ils sont aussi
de nature à engager la responsabilité décennale
de la société
Viafrance Normandie pour des défauts d'exécution ;
- le tribunal a limité à tort à la somme
de 122 400 euros TTC son droit à indemnisation dès lors qu'il appartenait à M. B..., en sa qualité
de maître d'œuvre, d'apprécier le dimensionnement à retenir en fonction d'un trafic routier sur lequel il lui appartenait
de s'interroger ;
- si la
cour estime que la mauvaise information sur l'importance du trafic doit lui être reprochée, il convient
de tenir compte
de l'abattement
de 10 % déjà déduit du montant des réclamations ;
- l'expert a fait une analyse poussée des causes du sinistre, désordre par désordre, qui lui permet
de proposer des partages
de responsabilité en fonction
de l'implication
de chacun.
La requête a été communiquée à la SCP Mandateam, liquidateur judiciaire
de la Travaux Publics Service (TPS), qui n'a pas produit
de mémoire.
Par ordonnance du 10 février
2023, la clôture
de l'instruction a été fixée au 27 février
2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments
de mission
de maîtrise d'œuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires
de droit privé ;
- le code
de justice
administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour
de l'audience.
Ont été entendus au
cours de l'audience publique :
- le rapport
de Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère,
- et les conclusions
de M. Guillaume Toutias, rapporteur public.
Considérant ce qui suit
:
1. La commune
de Breteuil-sur-Iton, aux droits
de laquelle vient la commune
de Breteuil, a décidé la réalisation
de travaux
de qualification des entrées et du centre-bourg. Par acte d'engagement du 23 avril 2003, elle a passé un marché
de maîtrise d'œuvre pour la réalisation
de ces travaux avec M. A... B... exerçant sous l'enseigne " Arc en Terre ". La société par actions simplifiée (SAS)
Viafrance Normandie était titulaire du lot n° 1 " Voirie et Réseaux Divers " par acte d'engagement du 3 juin 2004. Elle a sous-traité à la société coopérative ouvrière
de production (SCOP) Travaux publics services (TPS) la pose des pavages. La réception des travaux a été prononcée sans réserve le 25 avril 2008. Par une ordonnance du 20
mai 2014, le juge des référés du tribunal
administratif de Rouen, saisi par la commune
de Breteuil, a ordonné une expertise portant sur les désordres affectant la voirie sur plusieurs zones et l'expert a déposé son rapport le 10 novembre 2016, en évaluant le montant total des travaux
de réparation à 183 600 euros TTC. Par un jugement n° 1804011 du 20 novembre 2020, le tribunal
administratif de Rouen a retenu une faute
de la commune
de Breteuil exonérant les constructeurs
de leur responsabilité à hauteur
de 40 %, a condamné solidairement la société
Viafrance Normandie et M. B..., au titre
de la garantie décennale des constructeurs, à verser à la commune
de Breteuil une somme
de 122 400 euros toutes taxes comprises (TTC), a rejeté les conclusions
d'appel en garantie dirigées contre la société TPS et son assureur, la société Axa France Iard, comme présentées devant un ordre
de juridiction incompétent pour en connaître et a mis les frais d'expertise judiciaire à la charge
de la commune
de Breteuil à hauteur
de 40 % et solidairement à la charge
de la société
Viafrance Normandie et
de M. B... à hauteur
de 60 %.
2. M. B... relève
appel de ce jugement. La commune
de Breteuil conclut au rejet
de la requête et demande, par la voie
de l'appel incident,
de réformer ce jugement en tant qu'il a estimé qu'elle avait commis une faute
de nature à exonérer les constructeurs à hauteur
de 40 %
de leur responsabilité décennale. La société
Viafrance Normandie conteste, par la voie
de l'appel provoqué, le jugement en tant qu'il a admis la recevabilité
de la demande
de la commune
de Breteuil, a prononcé sa condamnation solidaire avec M. B... à indemniser la commune et l'a condamnée solidairement avec M. B... à payer 60 % des frais d'expertise. Enfin, la société Axa France Iard forme des conclusions
d'appel incident à titre infiniment subsidiaire tendant à la condamnation
de M. B... à la garantir des condamnations pouvant être prononcées à son encontre.
Sur les conclusions
d'appel principal présentées par M. B... :
En ce qui concerne le caractère décennal des désordres :
3. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve
de dix ans,
de nature à compromettre la solidité
de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même si les désordres ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai
de dix ans.
4. Il résulte
de l'instruction et, notamment, du rapport
de l'expert désigné par le tribunal
administratif de Rouen que les désordres affectant quatorze rues et places du centre-bourg
de la commune
de Breteuil sont caractérisés par des affaissements
de pavages, d'enrobés,
de briques,
de bordures et
de caniveaux, par des fissurations des enrobée, des descellements et par la déstructuration
de joints. Ces dégradations, qui concernent la couche
de roulement, sont généralisées sur la voirie et ne permettent pas, eu égard à leur ampleur,
de répondre correctement aux sollicitations du trafic routier. S'il est constant que les désordres n'ont pas interrompu la circulation routière à la date où l'expert a effectué ses constatations, il résulte
de l'instruction et, notamment, des plaintes
de riverains
de février et mars 2021 faisant état
de plusieurs " nids
de poule " et
de l'attestation
de l'organisme chargé des réparations ponctuelles du 10 mars 2021 produites par la commune
de Breteuil, que ces désordres présentent un caractère évolutif auquel la commune tente
de remédier en procédant à des travaux d'entretien récurrents pour reboucher les trous et mettre en œuvre
de l'enrobé à froid. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu le caractère décennal
de ces désordres, qui affectent la solidité
de l'ouvrage et sont
de nature à le rendre impropre à sa destination.
En ce qui concerne l'imputabilité des désordres :
5. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur le fondement
de la garantie décennale ne peut en être exonéré, outre les cas
de force majeure et
de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
6. Il résulte du rapport d'expertise que les désordres en litige trouvent leur origine dans plusieurs manquements
de la société
Viafrance Normandie, chargée
de la fourniture et
de la pose des revêtements
de surface, qui, d'une part, a failli à son obligation
de contrôle
de la qualité et
de la portance
de la structure des chaussées et des réseaux fixée par l'article 1.01 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) en n'ayant procédé à aucun sondage pour connaître la nature du sol en profondeur alors qu'il présentait un caractère hétérogène et, d'autre part, a réalisé des travaux non conformes aux prescriptions du marché, l'expert ayant notamment relevé un manque
de rigueur sur la régularité des épaisseurs
de couches composant la voirie, un sous-dosage en ciment des joints, une surépaisseur
de mortier pour les zones en briques, en enrobés et en pavés ainsi que l'absence d'adjonction
de résine
de jointement des pavages
de voirie et dans le mortier
de pose des pavés sur la chaussée. Par ailleurs, l'expert a relevé que ces désordres trouvaient également leur origine dans la conception même
de l'ouvrage, en particulier un sous-dimensionnement des chaussées configurées sur la base d'une circulation occasionnelle
de poids-lourds alors qu'il convenait
de prendre en compte l'hypothèse d'un trafic
de 50 poids-lourds par jour. A cet égard, M. B... n'a sollicité auprès
de la commune
de Breteuil aucun élément d'information concernant l'importance du trafic alors que dans son acte d'engagement du 23 avril 2004, il s'était vu confier une mission
de maîtrise d'œuvre complète en ce qui concerne le lot n° 1 " Voirie et Réseaux Divers ", laquelle incluait notamment une mission
de conception
de l'ouvrage. En outre, M. B..., qui s'était aussi vu confier une mission
de surveillance et
de direction du chantier, n'a pas procédé à un contrôle suffisant des travaux réalisés par la société
Viafrance Normandie. Dès lors, en vertu des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs, les désordres en cause doivent être regardés comme étant imputables à la société
Viafrance Normandie et à M. B....
En ce qui concerne la faute exonératoire du maître d'ouvrage :
7. Il résulte
de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise que les désordres en cause ont également pour origine l'absence d'entretien par le maître d'ouvrage des joints
de sable et des joints
de mortier sur les pavés et les bordures depuis 2006 et le passage
de nombreux poids-lourds sur les voiries en cause. A cet égard, l'expert a relevé un passage régulier
de poids-lourds en contradiction avec le programme que la commune avait défini et celle-ci n'a fourni à M. B... aucune données sur la densité du trafic routier, en méconnaissance des dispositions
de l'article 1 bis
de l'annexe III
de l'arrêté du 21 décembre 1993 précisant les modalités techniques d'exécution des éléments de mission de maîtrise d'œuvre confiés par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires
de droit privé. En outre, il ne résulte pas davantage
de l'instruction que la commune
de Breteuil ait tenté
de limiter le passage régulier des poids-lourds sur son territoire en demandant à son maire
de faire usage
de ses pouvoirs
de police afin
de faire respecter l'interdiction
de circuler
de ces véhicules. Dans ces conditions, la commune
de Breteuil doit être regardée comme ayant commis une faute
de nature à exonérer les constructeurs à hauteur
de 20 %
de leur responsabilité décennale.
En ce qui concerne la condamnation solidaire :
8. Le maître d'ouvrage qui le demande a droit à la condamnation solidaire
de tous les constructeurs ayant concouru au même dommage. M. B... et la société
Viafrance Normandie ayant concouru à la réalisation des désordres affectant les voiries, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu leur responsabilité solidaire à l'égard
de la commune
de Breteuil et ont condamné le maître d'œuvre solidairement avec la société
Viafrance Normandie à indemniser la commune
de Breteuil au titre
de la garantie décennale des constructeurs. M. B... n'est donc pas fondé à contester une telle condamnation solidaire et à solliciter un partage
de son obligation à réparation, alors qu'il n'a pas présenté
de conclusions
d'appel en garantie à l'encontre
de la société
Viafrance Normandie.
Sur les conclusions
d'appel incident présentées par la commune
de Breteuil :
9. Compte tenu
de la faute
de la commune
de Breteuil exonérant les constructeurs
de 20 %
de leur responsabilité et au regard du montant total des réparations fixé à 183 600 euros TTC, la somme
de 122 400 euros TTC que le tribunal
administratif de Rouen a condamné solidairement M. B... et la société
Viafrance Normandie à verser à la commune au titre des frais liés aux travaux nécessaires à la remise en état
de la chaussée routière, doit être portée à 163 200 euros TTC.
Sur les conclusions
d'appel provoqué présentée par la société
Viafrance Normandie :
10. Des conclusions
d'appel provoqué sont recevables dès lors que la situation
de leur auteur est aggravée par le sort réservé à
l'appel principal, sans qu'il y ait lieu
de distinguer selon que ces conclusions ont ou non trait, parmi les divers chefs
de préjudice que le jugement attaqué a distingué, à des chefs pour lesquels les conclusions
de l'appel principal ont été accueillies.
11. L'admission
de l'appel incident
de la commune
de Breteuil, qui conduit à diminuer sa part
de responsabilité à 20 % seulement du préjudice subi, a pour effet d'augmenter le montant
de l'indemnisation qui lui a été accordée par les premiers juges et, par suite, d'aggraver la situation
de la société
Viafrance Normandie, condamnée solidairement avec M. B..., appelant principal, sur le fondement
de garantie décennale des constructeurs. Par suite,
l'appel provoqué
de la société
Viafrance Normandie est recevable et il y a lieu d'écarter la fin
de non-recevoir opposée par la commune
de Breteuil.
12. D'une part, aux termes
de l'article
L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée
de son mandat : / (...) 16° D'intenter au nom
de la commune les actions en justice ou
de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal (...) ". Il résulte
de ces dispositions que l'organe délibérant d'une commune peut légalement donner au maire une délégation générale pour ester en justice au nom
de la commune.
13. Il résulte
de l'instruction que par une délibération du 29 janvier 2016, transmise au représentant
de l'Etat le 17 février 2016 et régulièrement publiée, le conseil municipal
de la commune
de Breteuil a donné délégation au maire pour " intenter au nom
de la commune les actions en justice (...) pour toute action où il est nécessaire d'intervenir en justice et devant toutes les juridictions ". Contrairement à ce que soutient la société
Viafrance Normandie, cette délégation, bien que ne définissant pas les cas dans lesquels le maire pourra agir en justice, lui a donné qualité pour agir en justice au nom
de la commune et la représenter régulièrement dans l'instance devant le tribunal
administratif de Rouen. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté cette fin
de non-recevoir.
14. D'autre part, compte tenu
de ce qui a été dit au point 6, il sera fait une juste appréciation des responsabilités en présence dans la survenance des désordres affectant les voiries en condamnant M. B... à garantir la société
Viafrance Normandie à hauteur
de 40 % du montant
de la condamnation solidaire arrêtée à la somme
de 163 200 euros TTC.
15. Enfin, la compétence
de la juridiction
administrative pour connaître des litiges nés
de l'exécution d'un marché
de travaux publics et opposant des participants à l'exécution
de ces travaux, ne s'étend pas à l'action en garantie du titulaire du marché contre son sous-traitant avec lequel il est lié par un contrat
de droit privé. En outre, si l'action directe ouverte par l'article
L. 124-3 du code des assurances à la victime d'un dommage ou à l'assureur
de celle-ci subrogé dans ses droits, contre l'assureur
de l'auteur responsable du sinistre, tend à la réparation du préjudice subi par la victime, elle se distingue
de l'action en responsabilité contre l'auteur du dommage en ce qu'elle poursuit l'exécution
de l'obligation
de réparer qui pèse sur l'assureur en vertu du contrat d'assurance. Il s'ensuit qu'il n'appartient qu'aux juridictions
de l'ordre judiciaire
de connaître des actions tendant au paiement des sommes dues par un assureur au titre
de ses obligations
de droit privé, alors même que l'appréciation
de la responsabilité
de son assuré dans la réalisation du fait dommageable relèverait
de la juridiction
administrative. En conséquence, il y a lieu
de rejeter comme portées devant un ordre
de juridiction incompétent pour en connaître, les conclusions
d'appel en garantie présentées par la société
Viafrance Normandie contre son sous-traitant, la société TPS et contre la société Axa France Iard, assureur
de ce dernier.
Sur les conclusions
d'appel en garantie
de la société Axa France Iard :
16. En l'absence
de toute condamnation prononcée à l'encontre
de la société Axa France Iard, celle-ci n'est pas fondée à demander, à titre infiniment subsidiaire, que M. B... la garantisse des sommes mises à sa charge.
Sur les frais d'expertise :
17. Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme
de 56 875,07 euros TTC par ordonnance du 3 avril 2017 du tribunal
administratif de Rouen, sont mis définitivement à la charge solidaire
de M. B... et
de la société
Viafrance Normandie à hauteur
de 80 % et à la charge
de la commune
de Breteuil, à hauteur
de 20 %.
Sur les frais liés à l'instance :
18. En application
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative, il y a lieu
de mettre à la charge solidaire
de M. B... et
de la société
Viafrance Normandie la somme
de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune
de Breteuil et non compris dans les dépens. Dans les circonstances
de l'espèce, il y a lieu
de laisser à la charge des autres parties les frais qu'elles ont engagés dans le cadre
de la présente instance et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 122 400 euros TTC que M. B... et la société
Viafrance Normandie ont été condamnés solidairement à verser à la commune
de Breteuil par l'article 2 du jugement du 20 novembre 2020 du tribunal
administratif de Rouen, est portée à 163 200 euros TTC.
Article 2 : M. B... garantira la société
Viafrance Normandie à hauteur
de 40 % du montant
de la condamnation solidaire.
Article 3 : Les frais
de l'expertise taxés et liquidés à hauteur
de 56 875,07 euros TTC sont définitivement mis à la charge solidaire
de la société
ViaFrance Normandie et
de M. B... à hauteur
de 80 % et à la charge
de la commune
de Breteuil, à hauteur
de 20 %.
Article 4 : Le jugement du tribunal
administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a
de contraire au présent arrêt.
Article 5 : M. B... et la société
Viafrance Normandie verseront solidairement à la commune
de Breteuil une somme
de 2 000 euros au titre
de l'article
L. 761-1 du code
de justice
administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société
Viafrance Normandie, à la commune
de Breteuil, à la société Travaux publics Services (TPS), représentée par la SCP Mandateam, liquidateur judiciaire et à la société Axa France Iard.
Délibéré après l'audience publique du 11 avril
2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente
de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le
9 mai 2023.
La rapporteure,
Signé : S. StefanczykLa présidente
de chambre,
Signé : A. SeulinLa greffière,
Signé : A.S. Villette La République mande et ordonne au préfet
de l'Eure, en ce qui le concerne ou à tous commissaires
de justice à ce requis en ce qui concerne les voies
de droit commun contre les parties privées,
de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière
Anne-Sophie Villette
2
N°
21DA00124