Cour d'appel de Paris, 6 juin 2012, 2010/23053

Synthèse

  • Juridiction : Cour d'appel de Paris
  • Numéro de pourvoi :
    2010/23053
  • Domaine de propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
  • Parties : ATELIER LZC SARL ; C (Michaël) ; L (Vanessa) ; Z (Barbara) / JEFF DE BRUGES DIFFUSION SAS ; JEFF DE BRUGES EXPLOITATION SAS ; RAYMOND (venant aux droits de la SARL LE DOS DE LA CUILLER)
  • Décision précédente :Tribunal de grande instance de Paris, 9 novembre 2010
  • Avocat(s) : Maître Magali T
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Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Paris
2012-06-06
Tribunal de grande instance de Paris
2010-11-09

Texte intégral

COUR D'APPEL DE PARISARRET DU 06 JUIN 2012 Pôle 5 - Chambre 1(n° 146, 8 pages)Numéro d'inscription au répertoire général : 10/23053 Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Novembre 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/07920 APPELANTSS.A.R.L. ATELIER LZC agissant poursuites et diligences en la personne de son gérantdont le siège social est[...]93100 MONTREUIL Monsieur Michaël C Madame Vanessa L Madame Barbara Zreprésentés par Maître Patricia HARDOUIN, avocat membre de la SELARL HJYH AVOCATS, avocats postulants au barreau de Paris (L 0056)assistés de Maître Jean-Marie G, avocat au barreau de Paris (G 0818) INTIMEESS.A.S. JEFF DE BRUGES DIFFUSION prise en la personne de ses représentants légaux.dont le siège social est[...]Parc du Bel Air77164 FERRIERES EN BRIE S.A.S. JEFF DE BRUGES EXPLOITATION prise en la personne de ses représentants légaux.dont le siège social est[...]Parc du Bel Air77164 FERRIERES EN BRIEreprésentées par la SCP RIBAUT, avocats postulants au barreau de Paris (L 0051) assistées de Maître Benoît L, avocat au barreau de Paris (A 197) qui a déposé le dossier SOCIETE RAYMOND venant aux droits de la S.A.R.L. LE DOS DE LA CUILLER prise en la personne de ses représentants légaux.dont le siège social est[...]93400 SAINT OUEN représentée par Maître François TEYTAUD, avocat postulant au barreau de Paris(J 125)assistée de Maître Magali T, avocat au barreau de Paris (P 496)substituant Maître Christophe P, avocat COMPOSITION DE LA COUR : Après le rapport oral de Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère, dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile et en application des dispositions de l'article 786 et 910 du même code, l'affaire a été débattue le 2 Mai 2012, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire et de Madame Anne-Marie G, Conseillère. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère faisant fonction de PrésidentMadame Anne-Marie GABER, ConseillèreMadame Sylvie NEROT, Conseillère Greffier, lors des débats : Monsieur Gilles DUPONT

ARRET

:- contradictoire- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.- signé par Madame Brigitte CHOKRON, Conseillère faisant fonction de Président et par Monsieur Gilles DUPONT, Greffier Vu l'appel interjeté par la société LZC (SARL), Vanessa L, Barbara Z, Michaël C, du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 9 novembre 2010 ; Vu les dernières conclusions des appelants, signifiées le 10 avril 2012 ; Vu les dernières conclusions des sociétés JEFF DE BRUGES DIFFUSION (SAS) et JEFF DE BRUGES EXPLOITATION (SAS), intimées, signifiées le 6 avril 2012 ; Vu les dernières conclusions de la société RAYMOND (SARL), venant aux droits de la société LE DOS DE LA CUILLER, intimée, signifiées le 26 mars 2012 ; Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 10 avril 2012

; SUR CE,

LA COUR : Considérant qu'il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement entrepris et aux écritures, précédemment visées, des parties ; Qu'il suffit de rappeler que Vanessa L, Barbara Z et Michaël C, dessinateurs- graphistes spécialisés dans le design des objets et accessoires pour la maison et la société LZC à laquelle ils ont cédé les droits patrimoniaux d'auteur sur leurs créations, ayant découvert l'offre en vente dans les magasins à l'enseigne JEFF DE BRUGES, pour la Saint-Valentin 2009, des boîtes de chocolat reproduisant sans autorisation le dessin intitulé 'jardin autocollant' sur lequel ils revendiquent des droits d'auteur, ont assigné en référé d'heure à heure, le 11 février 2009, les sociétés JEFF DE BRUGES EXPLOITATION et JEFF DE BRUGES DIFFUSION, respectivement en charge de la fabrication et de la distribution des produits de chocolaterie et de confiserie commercialisés sous l'enseigne JEFF DE BRUGES et ont obtenu, par ordonnance du 6 mars 2009, des mesures d'interdiction et des condamnations à titre provisionnel au titre des préjudices respectivement subis au plan moral et au plan patrimonial ; Qu'ils ont ensuite, suivant acte des 4 et 5 mai 2009, engagé au fond une procédure en contrefaçon à l'encontre des sociétés JEFF DE BRUGES mais aussi à l'encontre de la société LE DOS DE LA CUILLER, responsable des animations commerciales pour les magasins JEFF DE BRUGES ; Que le tribunal de grande instance de Paris, par le jugement dont appel, ayant relevé que l'originalité du dessin revendiqué n'était pas caractérisée, a déclaré les demandeurs irrecevables en leurs demandes en contrefaçon sur le fondement du droit d'auteur et ont par ailleurs débouté la société LZC de sa demande au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme ; Que les appelants réitèrent devant la cour leurs prétentions au fondement du droit d'auteur, la société LZC maintenant également, pour sa part, sa demande en concurrence déloyale et parasitisme, et sollicitent outre l'allocation de dommages- intérêts pour les préjudices subis, des mesures d'interdiction, de destruction, de publication ; Que les sociétés JEFF DE BRUGES poursuivent à titre principal la confirmation du jugement et demandent à titre subsidiaire, si la cour devait les condamner au titre de contrefaçon ou de concurrence déloyale, à être relevées et garanties par la société RAYMOND venant aux droits de la société LE DOS DE LA CUILLER ; Que la société RAYMOND, venant aux droits de la société LE DOS DE LA CUILLER, conclut également à la confirmation du jugement entrepris et au rejet en toute hypothèse des prétentions des appelants ; Sur la protection par le droit d'auteur, Considérant qu'en vertu de l'article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous qui comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial ; Que ce droit est conféré, selon l'article L 112-1 du même Code, à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, que sont notamment considérées comme œuvres de l'esprit, en vertu de l'article L 112-2-7°, les œuvres de dessin et de pe inture et en vertu de l'article L112-2-9°, les œuvres graphiques ; Qu'il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une œuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale ; Considérant qu'en l'espèce la création revendiquée est parfaitement identifiée comme portant sur un dessin intitulé 'jardin autocollant' dont il n'est pas discuté qu'il a été réalisé en septembre 2004 par Vanessa L, Barbara Z et Michaël C ; Considérant que l'éligibilité du dessin en cause à la protection par le droit d'auteur étant par contre contestée, il importe de se livrer à la recherche nécessaire de l'originalité dès lors que l'action en contrefaçon est subordonnée à la condition que l'œuvre, objet de cette action, soit une œuvre de l'esprit protégeable au sens de la loi, c'est-à-dire originale ; Considérant que les appelants décrivent le dessin 'jardin autocollant' comme représentant en aplat un branchage stylisé longiligne, légèrement courbé, composé de fleurs et de feuilles et constitué de plusieurs ramifications, chaque branche se terminant par des fleurs stylisées ouvertes de face (composées de cinq pétales), de profil ou en bouton ; un oiseau repose à l'extrémité droite du branchage ; Qu'ils entendent souligner les caractéristiques originales suivantes : inclinaison du branchage, forme des feuilles et des fleurs, représentation d'éléments floraux en leurs différents stades d'épanouissement, choix de la monochromie donnant une impression d'ombre chinoise ; Considérant que pour dénier à la création invoquée toute originalité, les sociétés intimées font valoir que la représentation en aplat de motifs floraux est un genre, qui fut très en vogue au XVIII ème siècle et tombé depuis dans le domaine public et que le choix de la monographie pour donner une impression d'ombre chinoise constitue un procédé employé et connu de tous qui n'est pas susceptible d'appropriation ; Mais considérant qu'il résulte de ce qui précède que les appelants ne prétendent pas s'arroger un genre de dessin représentant des motifs végétaux en aplat et en ombre chinoise, mais caractérisent l'originalité de l'œuvre revendiquée par un ensemble d'éléments, agencés dans une combinaison particulière qui ne se retrouve pas dans les dessins versés aux débats par les sociétés intimées pour preuve de sa prétendue banalité ; Que force est en effet de constater que si ces dessins représentent en aplat des motifs floraux, aucun n'allie un branchage stylisé longiligne, légèrement courbé, constitué de plusieurs ramifications, chaque branche étant ornée de feuilles et de fleurs également stylisées en leurs différents stades d'épanouissement, un oiseau perché à l'extrémité d'une ramification à droite du branchage, l'ensemble donnant une impression d'ombre chinoise; Qu'il suit de ces observations que si certains des éléments qui composent le dessin 'jardin autocollant' sont effectivement connus et, pris séparément, appartiennent au fonds commun des motifs décoratifs inspirés de la nature, leur combinaison telle que revendiquée, dès lors que l'appréciation de la Cour doit s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par l'agencement des différents éléments propres à ce modèle et non par l'examen de chacun d'eux pris individuellement, confère à ce dessin une physionomie propre qui le distingue des autres dessins du même genre, autrement agencés, et qui traduit, fût-il minime, un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ; Que le dessin 'jardin autocollant' satisfait dès lors à la condition d'originalité requise pour accéder à la protection par le droit d'auteur ; que le jugement déféré sera sur ce point réformé ; Sur la contrefaçon, Considérant qu'il résulte de l'article L 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, que la contrefaçon est réalisée par toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle de l'œuvre faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause ; Considérant qu'il résulte de l'examen auquel la Cour a procédé que le dessin décorant la boîte de chocolats litigieuse reproduit, dans la même combinaison, les éléments caractéristiques du dessin original et présente, à son côté, une impression visuelle d'identité, impression qui se trouve en outre corroborée par le fait que le dessin contrefaisant permet de réaliser une exacte juxtaposition avec le dessin original ; Que la contrefaçon est dès lors établie ; Considérant que selon l'article L 121-1 du même Code, l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre ; Que Vanessa L, Barbara Z et Michaël C, justifient en l'espèce d'une atteinte au respect à leur droit de paternité ainsi que d'une atteinte à l'intégrité du dessin original auquel ont été surajoutés des motifs d'oiseaux et un motif de cœur ; Sur la concurrence déloyale et le parasitisme, Considérant que la société LZC fait grief aux sociétés intimées d'avoir pillé son savoir-faire et profité de sa notoriété en reproduisant pour les besoins de la campagne commerciale de la Saint-Valentin 2009, sur les boîtes de chocolat mais aussi sur les banderoles décorant les magasins, un motif, distinct du dessin original, en forme de cœur orné à l'intérieur par des feuillages et des oiseaux stylisés, qu'elle a commercialisé en janvier 2007 ; Qu'elle leur reproche en outre d'avoir encore commis des actes distincts de concurrence déloyale et parasitaire, en utilisant un 'procédé créatif' dont elle aurait l'exclusivité et qui consiste à orner des chiffres et des lettres avec des feuillages et des oiseaux en ombre chinoise et qu'elle a divulgué en 2008 avec le logo réalisé pour l'anniversaire des dix ans de sa création ; Mais considérant que force est de constater que la société LZC se borne à avancer des allégations et ne justifie aucunement des investissements intellectuels et financiers qu'elle aurait engagés pour mettre au point un 'procédé créatif', qu'elle se garde de définir précisément et qui ne saurait résider dans la simple idée, qu'elle ne saurait monopoliser, consistant à décorer des chiffres et des lettres de feuillages et d'oiseaux en ombre chinoise; Considérant que la société LZC, qui ne saurait davantage interdire l'usage dans le commerce, au demeurant très banal à l'occasion de la Saint-Valentin, de motifs en forme de cœur décorés de feuillages et d'oiseaux, ne démontre pas davantage que le motif en forme de cœur qu'elle revendique pour l'exploiter depuis 2007 serait apte à l'identifier auprès du public et que les sociétés intimées auraient cherché à le copier pour créer un risque de confusion et tirer profit de sa notoriété ; Que la cour relève en toute hypothèse, au terme de l'examen des deux motifs en forme de cœur, mis en comparaison par les appelants en page 35 de leurs dernières écritures, qu'ils sont exempts de toute similitude et ne sont susceptibles de générer aucun risque de confusion dès lors que le motif en forme de cœur de la société LZC diffère de celui utilisé dans le cadre de la campagne promotionnelle JEFF DE BRUGES, tant par la forme du cœur, qui est stylisée de façon différente, que par la forme et par le positionnement des motifs décoratifs situés à l'intérieur du cœur ; Qu'il suit de ces éléments que le grief de concurrence déloyale et parasitaire n'est pas caractérisé ; Que le jugement entrepris sera confirmé de ce chef ; Sur les mesures réparatrices, Considérant qu'il est constant que le dessin contrefaisant a été massivement utilisé, sur les boîtes de chocolat mais aussi sur les étiquettes et les rubans destinés à l'emballage des produits ainsi que sur les banderoles décorant les magasins ; Qu'il n'est pas démenti par ailleurs que les sociétés JEFF DE BRUGES disposent d'un réseau de 271 boutiques en France et qu'elles ont pu mener la campagne commerciale de la Saint-Valentin jusqu'à son terme, l'ordonnance du juge des référés prononçant entre autres dispositions une mesure d'interdiction, n'étant intervenue que le 6 mars 2009 ; Considérant que la juridiction prend en considération, pour fixer les dommages- intérêts, les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte ; Considérant qu'au regard des critères posés par la loi, des circonstances de la cause et des éléments d'information recueillis dans les productions, la cour est en mesure, sans qu'il ne soit nécessaire de recourir à des investigations complémentaires, de fixer à 100.000 euros le montant des dommages-intérêts qu'il convient d'allouer, en réparation du préjudice de contrefaçon, à la société LZC, cessionnaire des droits patrimoniaux d'auteur sur l'œuvre contrefaite ; Considérant que chacun des trois auteurs sera justement indemnisé de l'atteinte portée à son droit moral par l'octroi d'une somme de 5.000 euros ; Considérant qu'une mesure d'interdiction sera prononcée dans les termes du dispositif suivant ; Qu'il n'y a pas lieu par contre, au regard de l'ancienneté des faits et du caractère saisonnier de la campagne publicitaire incriminée, d'organiser une mesure de publication judiciaire qui n'est pas justifiée par la nécessité de faire cesser les faits illicites ou de prévenir leur renouvellement ; Considérant que la société RAYMOND n'opposant aucune contestation à la demande en garantie formée à son encontre par les sociétés JEFF DE BRUGES, il y sera fait droit dans les termes du dispositif ci-après ;

PAR CES MOTIFS

, Confirme le jugement déféré en ce qu'il déboute la société LZC de sa demande en concurrence déloyale et parasitaire, Le réformant pour le surplus, Condamne in solidum les sociétés JEFF DE BRUGES EXPLOITATION, JEFF DE BRUGES DIFFUSION et RAYMOND à payer :- à la société LZC la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice patrimonial de contrefaçon, - à Vanessa L, Barbara Z, Michaël C, la somme de 5.000 euros chacun en réparation de l'atteinte au droit moral d'auteur, Condamne la société RAYMOND à relever et garantir les sociétés JEFF DE BRUGES du paiement des condamnations précitées, Fait interdiction aux sociétés JEFF DE BRUGES EXPLOITATION, JEFF DE BRUGES DIFFUSION et RAYMOND de détenir et d'exploiter tout support reproduisant l'œuvre 'jardin autocollant' sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée à compter de la signification du présent arrêt, Déboute du surplus des demandes, Condamne in solidum les sociétés JEFF DE BRUGES EXPLOITATION, JEFF DE BRUGES DIFFUSION et RAYMOND aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à payer à chacun des appelants la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.