1. |
Après la lecture des conclusions que nous avons présentées dans la présente affaire le 21 septembre 1994 ( 1 ) la Cour a décidé de rouvrir la phase orale de la procédure. En même temps, elle a renvoyé l'affaire devant la Cour plénière et a posé certaines questions visant en particulier à obtenir l'avis des parties au principal, de la Commission et des États membres sur la distinction entre droits propres et droits dérivés, telle qu'elle a été affirmée dans l'arrêt Kermaschek ( 2 ) et confirmée dans la jurisprudence ultérieure ( 3 ) (ci-après la « jurisprudence Kermaschek »). Sur la base de cette distinction, nous le rappelons, tandis que ceux qui ont la qualité de travailleurs en vertu du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983QO L 230, p. 6, ci-après le « règlement »), peuvent faire valoir le droit aux prestations qu'il vise en tant que droits propres, les membres de la famille ou les survivants d'un travailleur peuvent faire valoir uniquement les droits dérivés, c'est-à-dire acquis en leur qualité de membres de la famille et/ou de survivants d'un travailleur. |
2. |
Nous rappelons que Mme Cabanis-Issarte, ressortissante française, a résidé pendant presque 18 ans aux Pays-Bas en raison de l'activité professionnelle de son mari ( 4 ). Elle a demandé d'être admise à bénéficier des mêmes réductions de cotisation que celles accordées aux ressortissants néerlandais — sur la base de l'Algemene Ouderdomswet (loi néerlandaise portant régime général d'assurance vieillesse, ci-après l'« AOW ») — en cas d'acquisition des droits à pension par assurance volontaire, mais cela par rapport à une période au cours de laquelle elle n'a ni résidé ni travaillé dans cet État. Le Centrale Raad van Beroep, juridiction nationale devant laquelle l'affaire qui oppose Mme Cabanis-Issarte à la Bestuur van de Sociale Verzekeringsbank (organisme d'assurance néerlandais, ci-après la « SVB ») est pendante, a par conséquent demandé à la Cour l'interprétation des articles 2 et 3 du règlement ainsi que des points 2a, 2e et 2c, sous J, de l'annexe VI du même règlement, afin d'établir s'ils permettent à une personne se trouvant dans la situation de Mme Cabanis-Issarte de bénéficier des réductions de cotisation auxquelles les nationaux ont droit. |
3. |
Nous rappelons également que, dans nos conclusions du 21 septembre 1994, nous avons suggéré à la Cour de répondre à la juridiction nationale que les dispositions précitées du règlement doivent être interprétées en ce sens qu'elles ne s'opposent pas à l'application d'une législation nationale qui limite le droit à réduction de cotisation, dans le cadre de l'assurance volontaire, aux nationaux et aux personnes ayant la qualité de travailleur au sens dudit règlement. |
4. |
Nous restons convaincu, pour les motifs déjà exposés dans lesdites conclusions ( 5 ), que Mme Cabanis-Issarte ne peut pas invoquer utilement, aux fins de la réduction de cotisation, les dispositions de l'annexe VI, sous J, point 2, sous a) et e), auxquelles fait référence la juridiction de renvoi aux points a) et c) de la première question. A cet égard, nous nous limitons ici à rappeler que la circonstance que les femmes mariées peuvent se prévaloir, sous certaines conditions, des dispositions de l'annexe VI au règlement, aux fins de la prise en considération des périodes d'assurance au titre de l'AOW, n'a aucune pertinence par rapport aux modalités d'affiliation à l'assurance volontaire, qui restent régies par le droit national et qui, de toute façon, ne sont aucunement prises en considération dans l'annexe en question. De même, nous estimons toujours que l'application au cas qui nous occupe de la distinction entre droits propres et droits dérivés, telle qu'elle résulte de la jurisprudence Kermaschek, aboutit inévitablement à la conclusion que Mme Cabanis-Issarte n'a pas droit aux réductions de cotisation en question ( 6 ). En effet, étant donné que tous les résidents aux Pays-Bas sont couverts directement et personnellement par l'AOW, à partir de l'âge de 15 ans et jusqu'à celui de 65 ans accomplis, indépendamment du sexe et de la situation matrimoniale, il est évident que le droit à pension et les modalités qui s'y rattachent, même en ce qui concerne l'affiliation à un régime d'assurance volontaire, n'est pas un droit acquis en qualité de membre de la famille ou de survivant d'un travailleur migrant, mais un droit propre de chaque individu. |
5. |
Cela dit, nous reconnaissons qu'en suggérant à la Cour d'appliquer la distinction entre droits propres et droits dérivés au cas de Mme Cabanis-Issarte nous avons éprouvé un certain malaise, provoqué précisément par les implications de cette distinction sur la liberté de circulation, qui n'en est certes pas affectée, mais pas non plus encouragée. Ce malaise s'est accru lorsque, quelques mois plus tard, dans les conclusions relatives à l'affaire Krid ( 7 ), nous avons affirmé, conformément à une prise de position précédente de la Cour ( 8 ), que la jurisprudence Kermaschek ne s'applique pas aux membres de la famille et aux survivants de travailleurs de pays tiers avec lesquels la Communauté a conclu des accords de coopération. En somme, il s'agit d'une distinction qui nous laisse perplexe pour plus d'une raison. La réouverture de la phase orale de la procédure, compte tenu d'ailleurs des réponses de la SVB, des États membres et de la Commission aux questions posées par la Cour sur le point discuté ici, nous fournit donc l'occasion d'approfondir encore la question. |
6. |
Nous estimons opportun de rappeler tout d'abord que, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement, « Les personnes qui résident sur le territoire de l'un des États membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve des dispositions particulières contenues dans le présent règlement ». La disposition en question établit donc le principe de l'égalité de traitement entre les nationaux et les personnes auxquelles s'applique le règlement, à la condition qu'elles résident sur le territoire d'un État membre et sans préjudice des dispositions particulières du règlement lui-même. Conformément à l'article 2, paragraphes le règlement « s'applique aux travailleurs salariés ou non salariés qui sont ou ont été soumis à la législation de l'un ou de plusieurs États membres et qui sont des ressortissants de l'un des États membres (...) ainsi qu'aux membres de leur famille et à leurs survivants ». Pour ce qui revêt de l'importance ici, il faut en outre préciser que « le terme ‘membre de la famille’ désigne toute personne définie ou admise comme membre de la famille ou désignée comme membre du ménage par la législation au titre de laquelle les prestations sont servies ou (...) par la législation de l'État membre sur le territoire duquel elle réside » (article 1er, sous f). Le terme « survivant » est défini de manière substantiellement analogue (article 1er, sous g). Dans les deux cas, le renvoi effectué aux législations nationales trouve toutefois une limite dans la notion de « personne principalement à la charge » du travailleur, en ce sens que, dans ce cas, la condition de « membre de la famille » et/ou de « survivant » doit être de toute manière réputée remplie aux fins de l'application du règlement ( 9 ). |
7. |
Les dispositions que nous venons de rappeler font clairement apparaître, d'une part, que le règlement s'applique non seulement aux travailleurs, mais également aux membres de leur famille et/ou à leurs survivants; d'autre part, que le principe de l'égalité de traitement, en l'absence de dispositions particulières du règlement lui-même, devrait s'appliquer tant à l'égard des travailleurs que des membres de leur famille. C'est dans ce cadre normatif qu'est intervenue la jurisprudence Kermaschek, qui, à notre avis, n'est pas dépourvue de quelques contradictions. En tout cas, nous estimons opportun d'analyser brièvement cette jurisprudence, notamment dans le but de mieux comprendre les motivations qui sont à la base de la distinction entre droits propres et droits dérivés. Le point de départ de cet examen ne peut être constitué que par l'arrêt Kermaschek. |
8. |
Appelée, dans cette affaire, à se prononcer sur l'applicabilité des articles 67 à 70 du règlement, relatifs aux prestations de chômage, au conjoint — ressortissant d'un pays tiers — d'un travailleur allemand « sédentaire », qui donc ne se prévalait pas des règles sur la libre circulation des travailleurs, la Cour a affirmé que l'article 2, paragraphe 1, du règlement « vise deux catégories nettement distinctes: les travailleurs, d'une part, et les membres de leur famille et leurs survivants, d'autre part » ( 10 ). En partant de cette prémisse, elle a ensuite établi la distinction entre droits propres et droits dérivés, distinction qui serait confirmée, toujours selon la Cour, par l'article 2, paragraphe 2, ainsi que par l'article 1er, sous f) et g) ( 11 ). L'article 2, paragraphe 2, en vertu duquel les travailleurs qui ne sont pas ressortissants d'un État membre sont assimilés à ces ressortissants en ce qui concerne les droits de leurs survivants, à condition que ceux-ci soient ressortissants de l'un des États membres, se limite, en réalité, à prévoir que les ressortissants (communautaires) membres de la famille d'un travailleur qui est ressortissant d'un pays tiers bénéficient du règlement en leur qualité de survivant. La disposition en question, certainement pertinente dans le cas d'espèce, attendu que Mme Kermaschek — avant de devenir membre de la famille d'un ressortissant communautaire — avait résidé et travaillé dans un État membre, indique donc incontestablement que les travailleurs qui ne sont pas ressortissants d'un État membre n'ont pas le droit d'invoquer les dispositions du règlement en leur qualité de travailleurs, même s'ils sont membres de la famille d'un ressortissant communautaire. Dans cette perspective, l'article 2, paragraphe 2, du règlement ne nous semble pas étayer, et moins encore de la manière large et généralisée affirmée dans la jurisprudence ultérieure, la distinction entre droits propres et droits dérivés. De même, s'il est bien vrai que l'article 1er, sous f) et g), du règlement renvoie, pour l'identification du « membre de la famille » et/ou du « survivant », à la législation nationale au titre de laquelle les prestations sont servies ou à celle de l'État membre sur le territoire duquel la personne en question réside, il est également vrai que ce renvoi n'est effectué que pour établir s'il s'agit ou non d'une personne faisant partie du ménage du travailleur ( 12 ) et certainement pas dans le sens, pourtant préconisé par certains États et par la SVB au cours de la présente procédure, qu'il appartiendrait aux législations nationales d'établir quelles prestations, parmi celles qui entrent dans le champ d'application du règlement, seraient dues aux membres de la famille d'un travailleur. |
9. |
La distinction entre droits propres et droits dérivés, telle qu'elle résulte de l'arrêt Kermaschek, a été ensuite confirmée dans des occasions ultérieures ( 13 ). A cet égard, nous estimons important de souligner que, dans la majeure partie des cas soumis à l'attention de la Cour, les prestations refusées sur la base du règlement, dans la mesure où elles ont été qualifiées de droits propres, ont toutefois été accordées sur la base de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 ( 14 ), en vertu duquel le travailleur ressortissant d'un État membre bénéficie, sur le territoire des autres États membres, « des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ». L'interprétation large de la notion d'« avantage social », telle qu'elle a été fournie par la Cour dans une jurisprudence constante ( 15 ), permet donc d'accorder au membre de la famille du travailleur, dans la mesure où elles sont qualifiées d'avantage social ... pour le travailleur, des prestations d'assurance refusées sur la base du règlement, parce qu'elles n'apparaissent pas comme des droits dérivés de la qualité de membre de la famille du travailleur ( 16 ). De la sorte, ainsi que l'a souligné notamment le gouvernement français, les éventuelles conséquences négatives découlant de l'application de la jurisprudence Kermaschek seraient éliminées. |
10. |
A notre avis, le fait que nous venons de souligner ne peut cependant pas être considéré comme étant de nature à dissiper les doutes que suscite la distinction entre droits propres et droits dérivés. La preuve en est fournie, d'une part, par le cas même qui nous occupe, en ce sens que l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68 ne peut pas toujours être utilisé pour obvier aux limites inhérentes à cette distinction; d'autre part, la jurisprudence Kermaschek elle-même, considérée globalement, fait apparaître qu'une telle distinction, affirmée — autant le dire — dans un cas certainement particulier et motivée par rapport à celui-ci ( 17 ), a ensuite pris une dimension trop vaste et généralisée, au point de risquer d'être en contradiction avec l'objectif même du règlement, qui doit être lu en premier lieu et surtout dans l'optique de la libre circulation des travailleurs. A cet égard, il n'est certainement pas inutile de rappeler le texte même du cinquième considérant du règlement, aux termes duquel « les règles de coordination des législations nationales de sécurité sociale s'inscrivent dans le cadre de la libre circulation des travailleurs ressortissants des États membres et doivent, à ce titre, contribuer à l'amélioration de leur niveau de vie et des conditions de leur emploi, en garantissant à l'intérieur de la Communauté, d'une part, à tous les ressortissants des États membres l'égalité de traitement au regard des différentes législations nationales et, d'autre part, aux travailleurs et à leurs ayants droit le bénéfice des prestations de sécurité sociale, quel que soit le lieu de leur emploi ou de leur résidence ». |
11. |
Or, à notre avis, il est indéniable qu'à tout le moins il ne serait pas tenu compte de cette finalité si l'on permettait à chaque législation nationale de déterminer, par la définition des modalités et des caractéristiques qui s'y rapportent, les prestations de sécurité sociale auxquelles les membres de la famille et/ou les survivants des travailleurs ont droit. A cela s'ajoute, comme la Commission l'a relevé, qu'actuellement ces prestations sont de plus en plus conçues comme des droits propres, plutôt que comme des droits dérivés, compte tenu en particulier de l'évolution de la société. Dans cette optique, il n'est que trop évident que le maintien de la distinction entre droits propres et droits dérivés, dans les termes affirmés à partir de l'arrêt Kermaschek, finit par aboutir à la « piètre » conclusion que les membres de la famille d'un travailleur bénéficient certainement, sinon exclusivement, des prestations de maladie, des allocations familiales, ainsi que des pensions et des rentes de veuves et d'orphelins. Compte tenu de la nature de ces prestations, il nous semble toutefois permis de se demander quelles sont la valeur et la portée du principe de l'égalité de traitement prévu à l'article 3, paragraphe 1, du règlement, principe qui — faut-il le répéter — est établi, sans préjudice des dispositions particulières du règlement lui-même, à l'égard non pas de tous les travailleurs, mais de toutes les personnes auxquelles il est applicable, y compris, par conséquent, les membres de la famille et/ou les survivants des travailleurs. |
12. |
Nous ne pouvons pas ici ne pas rappeler que la distinction entre droits propres et droits dérivés n'est en revanche pas appliquée, comme nous l'avons déjà mentionné précédemment, lorsqu'il s'agit de membres de la famille de travailleurs de pays tiers avec lesquels la Communauté a conclu des accords de coopération. En effet, dans l'arrêt Kziber ( 18 ), dans lequel le litige portait sur l'indemnité de chômage demandée par la fille d'un travailleur marocain, la Cour a affirmé, à propos de la portée des droits des membres de la famille d'un travailleur marocain, résidant avec lui, que « le principe de l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité dans le domaine de la sécurité sociale (...) implique que l'intéressé, qui satisfait à toutes les conditions prévues par une législation nationale pour bénéficier de l'allocation d'attente, ne saurait se voir refuser le bénéfice de ces prestations, motif pris de sa nationalité » ( 19 ). Dans l'affaire ultérieure Krid ( 20 ), la Cour, explicitement invitée à appliquer la jurisprudence Kermaschek également aux membres de la famille des travailleurs de pays tiers avec lesquels la Communauté a conclu des accords de coopération — en l'espèce il s'agissait de l'accord de coopération avec l'Algérie —, a affirmé l'inapplicabilité de cette jurisprudence, dans la mesure où la sphère subjective de l'accord « ne coïncide pas avec celle de l'article 2 du règlement n° 1408/71 ». Cette affirmation ne peut qu'être partiellement partagée. En effet, il est bien vrai que la présence, dans les accords en question, de dispositions qui interdisent toute discrimination fondée sur la nationalité entre ressortissants, d'une part, et travailleurs de pays tiers et membres de leur famille, d'autre part, permet — en l'absence des dispositions d'application, pourtant prévues, à adopter par le conseil de coopération — de ne pas limiter, en ce qui concerne les membres de la famille des travailleurs, l'égalité de traitement ainsi prévue aux seules prestations qui peuvent apparaître comme des droits dérivés. U est néanmoins tout aussi vrai, nous semble-t-il, qu'il n'y a pas de raison de rendre inopérant le principe de l'égalité de traitement, tel qu'il est établi à l'article 3 du règlement, toutes les fois que la prestation en question n'est pas expressément prévue, par le règlement lui-même, uniquement et exclusivement en faveur des travailleurs. |
13. |
C'est d'ailleurs en ce sens que milite déjà l'affaire Époux F ( 21 ), dans laquelle la Cour avait précisément établi qu'« en ce qui concerne le champ d'application matériel du règlement et en l'absence d'une disposition particulière contraire, les membres de la famille d'un travailleur doivent être admis au bénéfice de la législation de l'État de leur résidence dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci » et qu'« en ce qui concerne, par conséquent, la jouissance des droits en vertu d'une législation nationale prévoyant des allocations pour handicapés, ni le travailleur lui-même ni les membres de sa famille ne sauraient être défavorisés par rapport aux ressortissants de l'État de résidence, du seul fait qu'ils ne possèdent pas la nationalité de celui-ci ». La Cour a donc conclu en ce sens que le règlement, en particulier les articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, ne permettait pas de refuser le bénéfice de l'allocation pour handicapé adulte au fils d'un travailleur migrant ( 22 ). La même solution, il faut le souligner, a également été adoptée par la Cour dans l'arrêt du 16 décembre 1976, Inzirillo ( 23 ), donc postérieur, quoique de peu, à l'arrêt Kermaschek. Nous ajoutons que cette solution nous semble mieux répondre non seulement aux finalités, mais également à la lettre des dispositions pertinentes du règlement. |
14. |
Cela ne signifie pas, bien entendu, que les membres de la famille des travailleurs ont droit à toutes les prestations de sécurité sociale prévues par le règlement, mais, beaucoup plus simplement, qu'ils y ont droit en vertu du principe de l'égalité de traitement, toutes les fois que la lettre du règlement ne s'y oppose pas. En d'autres termes, nous estimons qu'il faut certainement maintenir la distinction entre travailleurs et membres de leur famille, avec la conséquence que certaines prestations sont exclusivement dues au travailleur ( 24 ), tandis qu'il faut certainement éliminer la distinction entre droits propres et droits dérivés si elle est entendue, comme dans la jurisprudence Kermaschek, en ce sens que les membres de la famille des travailleurs ont droit uniquement aux prestations de sécurité sociale expressément prévues, en leur faveur également, par les différentes législations nationales. La thèse que nous venons d'exposer, qui est d'ailleurs en parfaite harmonie avec les arrêts Époux F et Inzirillo, implique, en définitive, que la qualité de droit propre ou de droit dérivé doit être établie d'après le règlement et non pas d'après les différentes législations nationales. Expliquons-nous: compte tenu du fait que l'objectif du règlement est essentiellement de garantir la libre circulation des travailleurs et que c'est précisément dans une telle perspective que les membres de la famille et/ou les survivants des travailleurs sont inclus dans le champ d'application personnel du règlement, la notion de droit dérivé et, avec elle, de prestations auxquelles les membres de la famille des travailleurs ont droit en cette qualité, ne peut être que communautaire. Cela nous amène à conclure que les membres de la famille des travailleurs ont droit, en vertu du principe de l'égalité de traitement, à bénéficier de toutes les prestations, accordées aux ressortissants, qui ne sont en aucune manière liées à l'exercice d'une activité salariée ou non et ne constituent donc pas un droit propre du travailleur. Cette interprétation ne nous semble pas du tout en contradiction avec le fait, d'ailleurs évoqué au cours de la procédure, que le règlement procède à une coordination des législations nationales dans le secteur de la sécurité sociale, sans cependant prévoir aucune harmonisation. A cet égard, nous nous limitons en effet à relever que la solution proposée n'implique aucun type d'harmonisation et qu'elle ne porte certainement pas atteinte à la diversité des législations nationales en la matière. |
15. |
En revenant au cas qui nous occupe, dans lequel sont en discussion des réductions de cotisation accordées aux seuls ressortissants dans le cadre de l'assurance volontaire aux fins de la pension, nous estimons utile de souligner que, ainsi qu'il résulte du point b) lui-même de la première question, Mme Cabanis-Issarte a bénéficié, par rapport à certaines périodes d'assurance, de l'acquisition de droits à pension en sa qualité de membre de la famille d'un travailleur migrant, donc comme droit dérivé au sens de la jurisprudence Kermaschek et, par rapport à d'autres périodes d'assurance, en tant que droit propre. Plus précisément, au cours des périodes durant lesquelles elle a résidé aux Pays-Bas, elle en a bénéficié en tant que droit propre, étant donné que l'AOW s'applique à tous les résidents et, au cours des périodes soumises à un régime transitoire ou durant lesquelles elle n'a pas résidé aux Pays-Bas, elle en a au contraire bénéficié en sa qualité d'épouse d'un travailleur, donc en tant que droit dérivé. Cela dit, nous précisons que ce qui est en discussion ici est uniquement le montant des cotisations dues dans le cadre de l'assurance volontaire pour la période du 15 juillet 1969 (date à laquelle Mme Cabanis-Issarte a cessé de résider aux Pays-Bas) au 13 mai 1974 (date de son 65e anniversaire). Compte tenu de ce que, au cours de cette période, Mme Cabanis-Issarte ne résidait plus aux Pays-Bas et que son mari était déjà pensionné, l'application de la jurisprudence Kermaschek aboutirait à la conclusion que, au cours de la période considérée, l'acquisition des droits à pension constitue un droit propre de l'intéressée, avec la conséquence ultérieure qu'elle ne pourrait en aucune manière se prévaloir des réductions de cotisation accordées aux ressortissants. |
16. |
Compte tenu des observations qui précèdent, il est clair que telle n'est plus la voie que nous proposons à la Cour de suivre. Nous observons d'ailleurs que le cas de Mme Cabanis-Issarte fait ressortir pleinement les effets pervers auxquels peut conduire la distinction entre droits propres et droits dérivés. En l'espèce, en effet, la qualité de droit propre ou de droit dérivé est reconnue en fonction des caractéristiques de la législation nationale en question, tandis que le fait que, pour Mme Cabanis-Issarte, le droit en question est intimement lié à sa qualité de membre de la famille d'un travailleur n'est absolument pas pris en considération. En effet, les droits à pension acquis par Mme Cabanis-Issarte sur la base de la législation néerlandaise dépendent exclusivement du fait qu'il s'agit du conjoint d'un travailleur migrant, travailleur qui a exercé son activité professionnelle aux Pays-Bas. Cela est d'autant plus vrai si l'on considère que, jusqu'au moment du décès de son mari, Mme Cabanis-Issarte ne recevait pas une pension autonome, ses droits à pension étant incorporés à ceux de son mari qui percevait de ce fait une pension pour personnes mariées. Dans cette perspective, le fait qu'au cours de la période en question ici elle ne résidait pas aux Pays-Bas et que son mari était désormais pensionné ne peut en aucun cas être considéré comme étant de nature à soumettre la possibilité d'acquérir des droits à pension, qui lui a d'ailleurs été offerte par la SVB elle-même, à des conditions plus onéreuses que celles prévues pour les ressortissants nationaux. En définitive, nous estimons que, sur la base de l'article 2, paragraphe 1, du règlement, lu à la lumière de l'article 3, paragraphe 1, de ce même règlement, Mme Cabanis-Issarte a le droit de bénéficier, en sa qualité de membre de la famille d'un travailleur migrant, des mêmes réductions de cotisation que celles qui sont accordées aux ressortissants dans le cadre de l'assurance volontaire. |
17. |
Attendu que nous proposons à la Cour de revoir, quoique partiellement, la jurisprudence Kermaschek, nous estimons nécessaire d'apprécier l'opportunité d'une limitation dans le temps des effets de l'arrêt qui suivrait l'approche que nous proposons. Nous ajoutons que, en prenant position à cet égard, d'ailleurs en réponse à une question précise posée par la Cour lors de la réouverture de la phase orale de la procédure, la SVB et les États membres ont demandé à la Cour, en cas d'abandon de la jurisprudence Kermaschek, de limiter les effets de l'arrêt dans le temps. La Commission elle-même, tout en estimant que les conséquences pratiques et financières pour les systèmes de sécurité sociale ne seraient pas très importantes, n'a pas soulevé d'objections à propos d'une telle hypothèse. |
18. |
A cet égard, nous rappelons tout d'abord que, comme on le sait, l'interprétation que la Cour fournit d'une disposition de droit communautaire, dans le cadre de la compétence qui lui est attribuée par l'article 177 du traité, éclaire et précise la signification et la portée de la disposition, telle qu'elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. En principe, par conséquent, la disposition ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l'arrêt d'interprétation, à la condition qu'il ne s'agisse pas de rapports déjà épuisés et que soient en outre réunies les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l'application de ladite disposition ( 25 ). Ce n'est donc qu'en présence de circonstances exceptionnelles que la Cour a limité, en application du principe général de la sécurité juridique, la possibilité pour les intéressés de faire valoir la disposition ainsi interprétée ( 26 ). En statuant en ce sens, la Cour a, d'une part, pris en considération le risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur; d'autre part, elle a évalué s'il y avait des incertitudes objectives et importantes concernant la portée des dispositions communautaires faisant l'objet de l'arrêt d'interprétation. |
19. |
Or, nous relevons tout d'abord que, compte tenu de ce que nous avons observé précédemment, l'abandon de la jurisprudence Kermaschek ne semble pas être de nature à entraîner des conséquences financières importantes pour les organismes de sécurité sociale des États membres, circonstance confirmée par les réponses mêmes des États membres à une question précise de la Cour ( 27 ). Il reste néanmoins que la solution que nous proposons implique une modification d'une jurisprudence datant désormais de 20 ans, de sorte qu'il n'est pas possible de ne pas reconnaître l'existence d'une incertitude objective et importante en ce qui concerne la portée des dispositions interprétées ici. Nous estimons donc qu'en l'espèce une limitation des effets de l'arrêt dans le temps s'impose. Bien entendu, dans le respect dû au principe de la pleine protection juridictionnelle, principe fondamental que la Cour est tenue de garantir, les droits de ceux qui, avant la date de l'arrêt, ont engagé une action juridictionnelle ou introduit une réclamation équivalente doivent en tout cas être sauvegardés. |
20. |
A la lumière des observations qui précèdent, nous estimons devoir suggérer à la Cour une solution différente de celle à laquelle nous étions parvenu dans nos conclusions du 21 septembre 1994. Nous proposons donc à la Cour de répondre comme suit à la juridiction nationale:
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