TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 08 janvier 2016
3ème chambre 2ème section N° RG : 14/04812
Assignation du 18 mars 2014
DEMANDERESSES S.A.S. SANDRO A [...] 75003 PARIS
S.A.R.L.U. SANDRO F [...] 75003 PARIS représentées par Me Philippe BESSIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0804
DÉFENDERESSE S.A.R.L. PEPE JEANS FRANCE [...] 75003 PARIS représentée par Maître Grégoire DESROUSSEAUX de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0438
COMPOSITION DU TRIBUNAL François A 1 er Vice-Président Adjoint Françoise B, Vice-Président Julien S. Vice-Président assistés de Jeanine R. Faisant Fonction de Greffier
DEBATS À l'audience du 20 novembre 2015 tenue en audience publique
JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort
FAITS. PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES La société SANDRO ANDY a pour activité La fabrication de vêtements, chaussures et accessoires, pour femme et pour homme, sous la marque notoire SANDRO. Elle distribue ses produits en France par l'intermédiaire de sa filiale, la société SANDRO FRANCE, laquelle est son distributeur exclusif sur ce territoire (ci-après désignées ensemble « les sociétés SANDRO »).La société PEPE JEANS FRANCE (ci-après « la société PEPE JEANS ») indique avoir pour activité principale la mise en relation de revendeurs multimarques souhaitant commercialiser, en France, des vêtements de la marque « PEPE JEANS » avec la société PEPE JEANS ESPAGNE, en application d'un contrat d'agent commercial conclu entre elles. À titre accessoire, elle explique avoir une activité de vente de vêtements griffés PEPE JEANS, mais seulement dans les 9 magasins qu'elle détient et exploite en France.
Les sociétés SANDRO prétendent être titulaires des droits d'auteur et de dessins et modèles communautaires non enregistrés sur les manteaux MICHIGAN (réf. M8370H)et MICHIGANBIS (réf. M84I2H).
Indiquant avoir appris qu'un manteau RUSSEL, comportant selon elles les mêmes caractéristiques que les manteaux MICHIGAN, était proposé à la vente par la société PEPE JEANS sous la marque éponyme, les sociétés SANDRO ont fait procéder à un constat d’achat par huissier, sur le site internet des Galeries Lafayette en date du 20 février 2014, et à une saisie-contrefaçon au siège de la société prétendument contrefacteur le 6 mars 2014.
C'est dans ces conditions que, par exploit du 18 mars 2014, les sociétés SANDRO ont assigné la société PEPE JEANS en contrefaçon de leurs droits d'auteur et de dessins et modèles communautaires non enregistrés, ainsi qu'en concurrence déloyale.
Dans leurs conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 6 mars 2015, les sociétés SANDRO demandent au tribunal, au visa des articles L. 111-1, L. 332-1 et L. 522-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 11 du règlement CE 6/2002 du 12 décembre
2001 et
1382 du code civil, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de:
- Juger que la société PEPE JEANS FRANCE, en commercialisant le manteau argué de contrefaçon, griffé PEPE JEANS, référencé RUSELL, s'est rendue coupable de contrefaçon des droits d'auteurs appartenant à la société SANDRO ANDY, exploitant sous la marque SANDRO, relatifs à son manteau MICHIGAN/MICHIGANBIS ;
- Juger que la société PEPE JEANS FRANCE, en commercialisant le manteau argué de contrefaçon référencé RUSELL, s'est également rendue coupable de contrefaçon des droits de dessins et modèles communautaires non enregistrés appartenant à SANDRO A relatifs à ce manteau MICHIGAN ;
- Dire qu'en commercialisant les produits argués de contrefaçon, la société PEPE JEANS FRANCE a porté atteinte à la société SANDRO FRANCE, laquelle a subi un préjudice économique distinct en sa qualité de distributeur des produits griffés SANDRO, tant en France qu'à l'étranger ;En tout état de cause:
- Faire interdiction à la défenderesse, sous astreinte définitive de 1.500 euros par infraction constatée, de détenir, d'offrir, vendre des produits contrefaisants ; - Ordonner la saisie et la destruction de tous produits, documents, ou supports contrefaisants appartenant à la défenderesse, et ce, en tous lieux où ils se trouveraient ; - Condamner la société PEPE JEANS FRANCE à payer : .à la société SANDRO ANDY la somme de 70.000 euros, à titre de dommages et intérêts du fait des actes de contrefaçon ; .à la société SANDRO FRANCE la somme de 200.000 euros, à titre de dommages et intérêts du fait des actes de concurrence déloyale qu'elle subit ;
- À titre subsidiaire, si le tribunal estime que les faits faisant l'objet de la présente assignation ne constituent pas des actes de contrefaçon, dire qu’il s'agit d'actes de concurrence déloyale, compte tenu du risque de confusion, tout en condamnant la défenderesse aux mêmes sommes que ci-dessus demandées, au bénéfice des sociétés SANDRO ANDY et SANDRO F ;
En tout état de cause : - Débouter la société PEPE JEANS FRANCE de ses demandes ; - Ordonner à titre de supplément de dommages et intérêts, la parution du jugement dans 5 journaux au choix des demanderesses et aux frais de la défenderesse et dans une limite de 5.000 euros HT maximum par insertion :
- Condamner la défenderesse aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Philippe BESS1S. ainsi qu’au remboursement des frais de constat et de saisie-contrefaçon de la SCP JOURDAIN DUBOIS, en ce compris les honoraires de l'huissier : - Condamner la défenderesse au paiement des frais irrépétibles exposés qu’il conviendra de fixer à la somme de 15.000 euros par application de l'article
700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 14 avril 2015, la société PEPE JEANS demande au tribunal au visa des articles L. 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, du règlement CE 44/2001, du règlement CE 6/2002 du 12 décembre 2001 et de l'article
1382 du code civil, de :
-Juger que les manteaux MICHIGAN et MICHIGANBIS pour lesquels la société Sandro Andy revendique les droits de propriété intellectuelle afférents sont dépourvus de toute originalité et, en conséquence, ne peuvent pas être protégés par le droit d’auteur :
- Déclarer nuls en tant que dessins et modèles communautaires non enregistrés les modèles de manteaux MICHIGAN et MICHIGANBIS dès lors qu'ils ne présentent aucune nouveauté ni caractère individuel au regard des vêtements composant le domaine publicantérieurement à leur divulgation le 29 août 2011 telle que revendiquée par Sandro A :
- Juger que le manteau RUSELL présente une physionomie et des caractéristiques qui lui sont propres, excluant en conséquence tout acte de contrefaçon des modèles MICHIGAN et MICHIGANBIS revendiques par Sandro A :
- Juger qu'aucun risque de confusion ne peut être caractérisé entre les manteaux RUSELL, d'une part, et MICHIGAN et MICHIGANBIS. d'autre part :
En conséquence.
- Déclarer irrecevable l'action de Sandro A en contrefaçon de droit d'auteur et de dessins et modèles communautaires non enregistrés : - Rejeter l'action en concurrence déloyale de Sandro A et de Sandro F : - Débouter Sandro Andy et Sandro F de l'ensemble de leurs demandes : À titre subsidiaire. - Juger que seuls les actes de commercialisation du manteau RUSELL par Pepe Jeans France dans ses boutiques peuvent constituer des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale : - Juger que la masse contrefaisante correspond aux 69 manteaux RUSELL commercialisés par Pepe Jeans France dans ses boutiques : - Juger que le montant des dommages-intérêts pouvant être alloué à Sandro A au titre d’actes de contrefaçon correspond à une somme inférieure à 5.235 euros calculée sur une base de 69 manteaux RUSELL vendus par Pepe Jeans France dans ses boutiques : - Juger que le montant des dommages-intérêts pouvant être alloué à Sandro F au titre d’actes de concurrence déloyale correspond à une somme inférieure 3.842 euros calculée sur une base de 69 manteaux RUSELL vendus par Pepe Jeans France dans ses boutiques et un taux de chance de 25% ; En tout état de cause, condamner Sandro Andy et Sandro F à verser 7.500 euros chacune à Pepe Jeans France au titre de 1 article
700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 avril 2015 et l'affaire, plaidée à l'audience du 18 novembre 2015, a été mise en délibéré au 8 janvier 2016.
MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur la protection au titre des droits d'auteur
Il convient à titre liminaire de prendre acte du fait que la société PEPE JEANS ne conteste pas la titularité de la société SANDRO ANDY, mais conteste en revanche l'originalité des manteaux.À cet égard, les sociétés SANDRO soutiennent que les manteaux MICHIGAN (réf. M8370H) et MICHIGANBIS (réf. M8412H) présentent une combinaison originale ouvrant droit à leur protection et produisent, afin de justifier du processus créatif, l'attestation de Mme C auquel est annexé un croquis et son contrat de cession de droits.
La société PEPE JEANS rétorque que les manteaux MICHIGAN sont dépourvus d'originalité et ne peuvent ainsi être considères comme œuvres protégeables, ces manteaux ne faisant que relever des tendances de la mode déjà présentes depuis 2009 et s'inférant du fonds commun de vêtements déjà existants en 2011, date de création qui doit être retenue en l'absence de preuve d'une date antérieure.
Sur ce.
L’article
L. 112-1 du code de la propriété intellectuelle protège par le droit d'auteur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales. Selon l'article
L. 112-2, 14 du même code, sont considérées notamment comme œuvres de l'esprit les créations des industries saisonnières de l'habillement et de la parure.
Le siège de l'originalité de l'œuvre réside dans le choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des parures, mais également dans la combinaison originale d'éléments connus.
En l'espèce, les sociétés SANDRO caractérisent ainsi le modèle MICHIGAN et sa variante : -manteau droit, -trois-quarts, -à manches longues, -en bimatière cuir et laine, de même couleur, -se fermant par une fermeture asymétrique éclair argentée remontant jusqu'en haut du col. -le col est un col de blouson de type motard, en cuir. -à l'extrémité de chaque pointe se trouve une pression argentée. -une patte en cuir est apposée sur chaque épaule du modèle. -le bas des manches est ouvert et se terme grâce à une fermeture zippée argentée de 10 cm environ. -deux poches passepoilées sur le devant (variante sur le manteau MICHIGANBIS).
Mme C précise dans son attestation datée du 20 octobre 2010 avoir « imaginé un modèle de manteau rock, tout en restant très féminin, en présentant une coupe droite moderne et structurée , avoir « dessiné un manteau au look minimal chic, combinant un aspect beaucoup plus rock avec des empiècements en cuir, notamment en ce qui concerne le col du modèle et les pattes d’épaule (...) le manteau [étant] structuré par des zips argentés tranchant le look classique du modèle », avoir « choisi de dessiner un manteau hybride, décalé, rock et chic à la fois, à I instar de la clientèle SANDRO » (...) cette pièce présentant« résolument un caractère décalé, ayant volontairement joué sur le côté masculin-féminin ».
Pour contester l'originalité du modèle MICHIGAN, la société PEPE JEANS fait valoir qu'aucun élément n'établit que le modèle MICHIGAN a été créé le 20 octobre 2010, l'esquisse produite par les demanderesses à cette fin ne correspondant pas selon elle au modèle MICHIGAN commercialisé : elle en déduit que la seule date de création pouvant être retenue est celle du 11 mai 2011 correspondant au reçu Fidealis horodaté, reproduisant le modèle commercialisé.
Selon elle, le modèle de manteau MICHIGAN reprend de manière quasi identique les caractéristiques et la physionomie de plusieurs manteaux (manteaux GOLIATH de C. Copine. ZUCCA et LONGLINEBIKER de Whistles) qui n'avaient pas été soumis à l'appréciation du tribunal dans l'affaire invoquée par les demanderesses et les ayant opposé à la société ZARA ayant donné lieu au jugement du 14 février 2014 qui a jugé que le manteau MICHIGAN était original, et qui priveraient ainsi la société SANDRO ANDY de la protection revendiquée.
Cependant, non seulement aucun de ces vêtements, ainsi qu'il sera dit plus bas. ne reprend l'ensemble des caractéristiques invoquées dans la même combinaison, mais il convient de rappeler que la notion d'antériorité est indifférente en droit d'auteur, qui exige en revanche que celui qui se prévaut de ses dispositions justifie de ce que l'œuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur.
À cet égard, le manteau MICHIGAN/MICHIGANBIS est un manteau se présentant comme étant la combinaison plutôt inédite d'un blouson de type Perfecto et d'un manteau plus classique de style pardessus, présentant en outre l'assemblage de deux matières, à savoir le cuir et la laine, celle-ci ne se trouvant jamais sur des blousons de ce genre qui sont exclusivement façonnés avec du cuir.
Ainsi, le manteau dont s'agit, qui reprend des éléments, certes connus, mais dans une combinaison novatrice, diffuse l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Il bénéficie en conséquence de la protection prévue par les livres I et III du code de la propriété intellectuelle.
2) Sur la protection au titre des dessins ou modèles communautaires
Les sociétés SANDRO soutiennent que le modèle de manteau MICHIGAN et la déclinaison MICHIGAN BIS bénéficient de la protection issue de l'article 4 du règlement CE 6/2002 du 12 décembre 2001 en raison de leurs combinaisons inédites et des formes, proportions et structures résultant de ce modèle.La société PEPE JEANS rétorque qu'au regard des nouveaux éléments soumis à l'appréciation du tribunal, le modèle MICHIGAN doit être jugé dépourvu de nouveauté et de caractère propre pour un utilisateur averti, qu'il soit professionnel de la mode ou consommateur féru de mode, compte tenu de l'existence antérieure de manteaux de forme similaire, combinant un manteau « sage » et un blouson style « rockeur », avec un col et une fermeture éclair asymétrique identiques et donc une apparence globale identique.
Sur ce.
Aux termes de l'article 4 alinéa 1er du Règlement (CE) n 6/2002 du 12 décembre 2001, « la protection d'un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel ».
En application des articles 5 et 6 dudit Règlement, un dessin ou modèle est considéré comme nouveau « si aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué au public » et comme présentant un caractère individuel « si l'impression globale qu'il produit sur l'utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public ».
Enfin, l'article 11 du même Règlement dispose qu' un dessin ou modèle qui remplit les conditions énoncées dans la section 1 est protégé en qualité de dessin ou modèle communautaire non enregistré pendant une période de trois ans à compter de la date à laquelle le dessin ou modèle a été divulgué au public pour la première fois au sein de la communauté.
Pour bénéficier de la protection des droits de dessins et modèles communautaires non enregistrés, la société SANDRO ANDY doit donc revendiquer un modèle dépourvu d'antériorité pouvant être raisonnablement connu des professionnels du secteur concerné et conférant une même impression visuelle d'ensemble chez l'utilisateur averti ce qui implique qu'au moins un des éléments essentiels du modèle revendiqué soit distinct par rapport à l'état de l'art antérieur en France ou dans la Communauté européenne.
S'agissant du critère de la nouveauté, la société PEPE JEANS soutient que le manteau MICHIGAN ne présente : - aucune nouveauté par rapport aux modèles de manteau qu'elle verse aux débats, les pattes sur les épaules ainsi que la forme des poches du modèle MICHIGAN constituant des différences insignifiantes; - aucun caractère individuel dès lors qu'il ne produit pas une impression globale propre sur un utilisateur averti, lisant notamment la presse spécialisée, et que les pattes apposées sur les épaules du manteau MICHIGAN ainsi que l'alliance laine et cuir sont des élémentscourants, caractérisant la tendance de la mode lors de la divulgation du manteau MICHIGAN.
Il ressort cependant de la comparaison de chacun des modèles opposés par la société PEPE JEANS que ceux-ci présentent des différences avec le manteau revendiqué.
En effet, le manteau GOLIATH de la marque Cop. Copine, faisant partie de sa collection Automne/Hiver 2010-2011, dont le descriptif a été publié les 23 juin et 27 octobre 2010 sur les sites internet lejournaldesfemmes.com et elle.fr, est un manteau en laine et non en bi-matière ; il ne comporte ni pattes avec pression sur les épaules ni fermeture de zip au bas des manches langues, et il dispose de deux poches à rabat avec pression et non passepoilées sur le devant.
Le manteau de la marque ZUCCA, présenté sur le site internet lasouris-teigneuse.blogspot.fr le 22 octobre 2009, ne comporte pas de col en cuir ; il comporte en revanche de multiples poches dont une poche droite se fermant par un rabat avec un bouton, et la fermeture éclair centrale descend jusqu'au bas du modèle.
Le manteau de la marque LONGLINE BIK.ER de la marque Whistles à supposer qu'il date bien de 2009, ne comporte pas de col en cuir ; en revanche, il comporte de multiples poches avec zip, une fermeture éclair centrale jusqu'au bas du modèle et des tirettes en cuir au bas des manches.
Ainsi, aucune antériorité opposée n'est de nature à détruire à elle seule la nouveauté du modèle revendiqué.
S'agissant du critère de l'individualité, aucun des vêtements opposés par la défenderesse ne comporte l'association entre un « blouson de rockeur » et un manteau « sage et classique », et la présence de caractéristiques essentielles telles que le mélange cuir-laine d'un manteau droit trois-quarts, des manches longues avec zip, deux pâtes aux épaules, une fermeture asymétrique éclair argentée remontant jusqu'en haut du col mais ne descendant pas jusqu'au bas, et deux poches passepoilées sur le devant, ayant pour effet que l'impression d'ensemble produite sur l'utilisateur averti, qu'il s'agisse d'un professionnel de la mode ou d'une consommatrice de la mode féminine, par le manteau MICHIGAN, seul à associer ces deux images peu naturellement conciliables, diffère de celle résultant des vêtements antérieurs.
Ce manteau, à la fois nouveau et pourvu d'un caractère individuel, bénéficie donc de la protection relative aux dessins et modèles communautaires non enregistrés.
3) Sur la contrefaçon
Les sociétés SANDRO soutiennent que la société PEPE JEANS FRANCE s'est rendue coupable de contrefaçon des droits d'auteurdont la société SANDRO ANDY est titulaire sur ses manteaux MICHIGAN et MICHIGANBIS, et de contrefaçon de dessins et modèles communautaires non enregistrés, du fait de la reproduction de la combinaison originale et arbitraire des éléments constitutifs de ces manteaux, ainsi que de la commercialisation d'une copie servi le du manteau MICHIGAN, à compter de la collection Automne/Hiver 2013.
Elles expliquent que la défenderesse propose à la vente dans son réseau multimarques, ses succursales, les corners des grands magasins ou par correspondance, un modèle de manteau, griffé RUSELL, qui comporte les mêmes caractéristiques que celles qui ont été décrites ci-dessus.
Elles versent à l'appui de cette affirmation le procès-verbal de saisie- contrefaçon dressé le 6 mars 2014 au siège social de la société PEPE JEANS dans lequel l'huissier décrit le manteau litigieux comme étant de taille trois quart, droit, de couleur noire, mélangeant deux matières (cuir et laine) de même couleur, à manches longues dont l'extrémité est ouverte et se ferme par une fermeture zippée argentée d'une dizaine de centimètres de longueur, avec une patte de cuir à fermeture pression sur chaque épaule, et un col de blouson en cuir, toutes caractéristiques qui sont la reprise quasiment à l'identique des caractéristiques revendiquées.
La société PEPE JEANS conteste toute contrefaçon en exposant notamment que le manteau RUSELL présente d'importantes différences avec les modèles revendiqués et qu'il se borne à s'inspirer des vêtements et tendances qui ont marqué la mode, en particulier le look Rock & Chic et l'alliance des matières cuir et tissu.
Elle fait valoir que le manteau qu'elle commercialise, dans des boutiques et corners distinctes de ceux des demanderesses, présente des différences, à savoir : pattes en cuir à l'extrémité des manches, forme des manches et absence de rabat de cuir, aspect loose et fluide du manteau, souplesse dans la matière utilisée de type laine bouillie, boutons de pressions gravés Pepe Jeans, plaque sous la poche gauche gravée Pepe Jeans, étiquettes intérieures mentionnant M RUSSEL.
Sur ce.
Aux termes de 1 article
L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle. « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en va de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».
De même, selon l'article 19 du Règlement 6/2002 du 12 décembre 2001 : « 1. Le dessin ou modèle communautaireenregistré confère à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser et d'interdire à tout tiers de l'utiliser sans son consentement. Par utilisation au sens de la présente disposition, on entend en particulier la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation ou l'utilisation d'un produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé ou auquel celui-ci est appliqué, ou le stockage du produit à ces mêmes fins. 2. Le dessin ou modèle communautaire non enregistré ne confère cependant à son titulaire le droit d'interdire les actes visés au paragraphe I que si l'utilisation contestée résulte d’une copie du dessin ou modèle protégé ».
Se fondant sur ces textes, les sociétés SANDRO soutiennent que la société PEPE JEANS a contrefait le manteau MICHIGAN/MICHIGANBIS.
Cependant, non seulement la contrefaçon s'apprécie à partir des ressemblances et non des différences, mais celles qui sont mises en avant par la société défenderesse ne sont pas immédiatement perceptibles et n'affectent pas l'impression d'ensemble qui se dégage des deux manteaux.
En effet, tant les constatations de l'huissier que l'examen par le tribunal des modèles de manteau en cause établissent que le manteau RUSSEL découvert lors des opérations de saisies-contrefaçon reproduisent le modèle protégé en ce qu'ils reprennent ses éléments caractéristiques essentielles, dans leur combinaison originale et arbitraire, nonobstant les différences relevées en défense, à savoir : un manteau de taille trois quart, droit, de couleur noire, mélangeant deux matières (cuir et laine) de même couleur, à manches longues dont l'extrémité est ouverte et se ferme par une fermeture zippée argentée d'une dizaine de centimètres de longueur, avec une patte de cuir à fermeture pression sur chaque épaule, et un col de blouson en cuir.
Cette reproduction, ainsi que la commercialisation dudit manteau à compter de la collection Automne/Hiver 2013 par la société PEPE JEANS, caractérisent la contrefaçon, tant de droits d'auteur que de dessins ou modèles communautaires non enregistrés.
4) Sur la concurrence déloyale
Les demanderesses soutiennent que les sociétés SANDRO FRANCE et PEPE JEANS FRANCE se trouvent en situation de concurrence, visant toutes les deux le même public de consommatrices s'intéressant à la mode et que la société SANDRO FRANCE a subi du fait de la vente des produits litigieux contrefaisants un préjudice qui lui est propre dont la société PEPE JEANS FRANCE lui doit réparation au visa de l'article
1382 du code civil.La société PEPE JEANS réplique que les manteaux RUSELL et MICHIGAN ne peuvent être confondus en eux-mêmes, compte tenu des nombreuses différences qui les opposent, et du fait que les modèles de manteau litigieux sont commercialisés dans leurs boutiques respectives ou dans des corners de grands magasins différents, caractérisés par des présentations, des styles et des agencements propres et différents.
Elle ajoute que les techniques et réseaux de distribution des articles griffés PEPE JEANS ou SANDRO excluent toute confusion possible, dès lors que les articles en cause ne sont pas présentés aux consommateurs simultanément, ni à proximité, ni dans des espaces ressemblants et ne s'adressent pas à la même clientèle.
Sur ce.
La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un signe qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.
La demande formée à ce titre par la société SANDRO ANDY, qui n'était que subsidiaire par rapport à celles concernant la contrefaçon, ne sera donc pas examinée puisque la contrefaçon a été retenue.
Par ailleurs, la société SANDRO FRANCE justifie effectivement, par les pièces versées aux débats, commercialiser tant en France qu'à l'étranger les vêtements griffés SANDRO et en particulier le manteau MICHIGAN/MICHIGANBIS litigieux, et ainsi se trouver en situation de concurrence avec la société PEPE JEANS, les deux sociétés s'adressant au même public féminin s'intéressanl à la mode, leur « positionnement » important peu à cet égard.
Les faits de contrefaçon de ce manteau qui viennent d'être retenus créent ainsi un risque de confusion dans l'esprit de ces consommatrices entre les manteaux PEPE JEANS et les manteaux SANDRO distribués par la société SANDRO FRANCE, et sont donc constitutifs d'actes de concurrence déloyale à son préjudice.
5) Sur les mesures réparatrices
Il sera fait droit aux mesures d'interdiction, sous astreinte, dans les conditions qui seront précisées au dispositif de la présente décision.
La cessation des actes de contrefaçon étant ainsi suffisamment garantie, il ne sera pas fait droit aux mesures de saisie et de destruction sollicitées.S'agissant des demandes indemnitaires, les demanderesses retiennent une masse contrefaisante de 568 manteaux.
Pour la contrefaçon, la société SANDRO ANDY explique que, compte tenu de son propre prix de vente public de 445 euros l'unité et de sa marge habituelle (75.87 euros), son préjudice s'élève à 70.000 euros, précisant qu'elle fait face à des dépenses de bureau de style, publicitaires et promotionnelles.
Au titre de la concurrence déloyale, la société SANDRO FRANCE précise que, compte tenu de sa propre marge, soit 222.72 euros par manteau, elle subit un préjudice de 200.000 euros.
La société PEPE JEANS rétorque qu'elle n'a commercialisé que 69 manteaux RUSSEL dans cinq boutiques lui appartenant, n'ayant agi pour le reste qu'en tant qu'agent commercial de PEPE JEANS ESPAGNE, activité au titre de laquelle aucun acte de contrefaçon ou de concurrence déloyale ne peut être retenu, celui-ci n'étant qu'un simple intermédiaire chargé de promouvoir des articles sans les importer ni les vendre en son nom et pour son compte.
Certes, au terme des articles 1, 5 et 6, du contrat -confidentiel- régissant l'activité d'agent commercial de PEPE JEANS FRANCE avec PEPE JEANS ESPAGNE, en date du 15 juillet 2002, c'est PEPE JEANS ESPAGNE qui vend et facture les articles PEPE JEANS aux revendeurs multimarques et les importe en France (et non PEPE JEANS FRANCE), détient une clientèle en France (revendeur multimarques), conclut avec eux les accords de vente et d'achat de produits PEPE JEANS, et fixe les conditions générales de vente en France.
Néanmoins, la société PEPE JEANS reconnaît à tout le moins vendre pour son compte des articles griffés PEPE JEANS dans des boutiques lui appartenant, à titre accessoire.
Dès lors, conformément aux déclarations faites lors de la saisie-contre façon, justifiées par des journaux de vente transmis à l'huissier instrumentaire et certifiées par un expert-comptable, il convient de retenir que PEPE JEANS a importé uniquement 69 manteaux contrefaisants, vendus dans les boutiques lui appartenant.
Par ailleurs, compte tenu des importantes différences de prix unitaires pratiqués de part et d'autre, tant les marges que le nombre d'exemplaires vendus ne sont pas totalement superposables, de sorte que les calculs faits par les sociétés demanderesses ne peuvent être suivis.
Au vu de ces éléments, il convient d'allouer à la société SANDRO ANDY la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice né de la contrefaçon, et à la société SANDRO FRANCE celle de 20.000 euros au titre de la concurrence déloyale.Enfin, il convient d'autoriser la publication d'un communiqué judiciaire dans les conditions détaillées dans le dispositif de la présente décision.
6) Sur les autres demandes
Il y a lieu de condamner la société PEPE JEANS FRANCE, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile.
En outre, elle versera aux sociétés SANDRO, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l’article
700 de ce même code qu’il est équitable de fixer à la somme globale de 6.000 euros, outre les frais de saisie-contrefaçon, la société PEPE JEANS FRANCE voyant sa propre demande à ce titre rejetée.
Enfin, les circonstances de l'espèce justifient le prononcé de l’exécution provisoire, qui est en outre compatible avec la nature du litige, sauf en ce qui concerne les mesures de publication.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort.
- DIT qu'en offrant à la vente le modèle de manteau référencé RUSELL reprenant les caractéristiques du manteau MICHIGAN/MICHIGANBIS, la société PEPE JEANS FRANCE a commis des actes de contrefaçon au titre du droit d'auteur et des dessins ou modèles communautaires non enregistrés au préjudice de la société SANDRO ANDY ;
- DIT qu'ont en outre été commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société SANDRO FRANCE :
- INTERDIT la poursuite de ces agissements, sous astreinte de 350 euros par infraction constatée après la signification du présent jugement, et ce durant 3 mois :
- Se RESERVE la liquidation de l'astreinte :
- CONDAMNE la société PEPE JEANS FRANCE à payer à la société SANDRO ANDY la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice né de la contrefaçon :
- CONDAMNE la société PEPE JEANS FRANCE à payer à la société SANDRO FRANCE la somme de 20.000 euros au titre de la concurrence déloyale :
- ORDONNE la publication du communiqué judiciaire suivant dans trois journaux ou revues au choix des sociétés SANDRO ANDY etSANDRO F, aux frais de la société PEPE JEANS FRANCE, sans que le coût de chaque insertion ne puisse être supérieur à 3.500 euros HT, soit 10.500 euros HT au total, avec la possibilité d'y faire figuier les photos des vêtements en présence, afin d'illustration :
« Par décision en date du 8 janvier 2016, le tribunal de grande instance de Paris (chambre des marques et brevets) a notamment jugé que la société PEPE JEANS FRANCE a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société SANDRO ANDY et des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société SANDRO FRANCE en commercialisant des manteaux référencés « RUSSEL » reproduisant les caractéristiques essentielles des manteaux «MICHIGAN » et « MICHIGANBIS» et a condamné celle société à indemniser les sociétés SANDRO ANDY et SANDRO F en réparation des préjudices subis par elles de ce fait. » :
- CONDAMNE la société PEPE JEANS FRANCE à payer à la société SANDRO ANDY et à la société SANDRO FRANCE la somme globale de 6.000 € euros au titre de l'article
700 du code de procédure civile, outre les frais de saisie-contrefaçon ;
- REJETTE le surplus des demandes :
- CONDAMNE la société PEPE JEANS FRANCE aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du code de procédure civile ;
- ORDONNE l'exécution provisoire, sauf en ce qui concerne les mesures de publication.