Conseil d'État, 29 octobre 2021, 457574

Mots clés requête · santé · vaccins · liberté · marché · vaccination obligatoire · statut · vie privée · sérieux · prévention · sanitaire · doute · établissements · schéma · consentir

Synthèse

Juridiction : Conseil d'État
Numéro affaire : 457574
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Publication : Inédit au recueil Lebon
Identifiant européen : ECLI:FR:CEORD:2021:457574.20211029

Texte

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 16 et 28 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... et la société Optique du centre demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'article 1er du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret 2021-6999 du 1er juin 2021, prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, en ce qu'il instaure, à son 8°, une vaccination obligatoire pour les professionnels médicaux et paramédicaux ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger cet article en tant qu'il ne permet pas aux personnes soumises à la vaccination obligatoire de faire valoir leur absence de consentement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 9 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils justifient d'un intérêt à agir dès lors que, d'une part, ils ne sont pas vaccinés et ne détiennent pas de certificat de rétablissement, d'autre part, ils sont soumis à l'obligation vaccinale de sorte que le décret attaqué restreint leur accès à leur profession ;

- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, les requérants se sont vu enjoindre de présenter un schéma vaccinal complet le 16 octobre 2021 au plus tard pour ne pas être suspendus de leurs fonctions, en deuxième lieu, les vaccins administrés ne bénéficient plus d'autorisation de mise sur le marché conditionnelle depuis le 21 septembre 2021 et, en dernier lieu, l'exigence d'un schéma vaccinal complet a directement pour effet de faire obstacle à l'exercice de leur droit d'exercer leur activité ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- la disposition attaquée porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et d'exercer une activité professionnelle, à la liberté de consentir aux soins et au droit au respect de la vie privée, eu égard au caractère punitif et non préventif des sanctions prévues ;

- elle est entachée d'illégalité dès lors que, d'une part, l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle des vaccins administrés n'a pas été renouvelée depuis le 21 septembre 2021 et, d'autre part, les données de pharmacovigilance mettent en avant de nombreux effets indésirables ;

- cet article méconnaît la liberté du commerce et de l'industrie.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative ;


Considérant ce qui suit

:

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans :/ a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique ainsi que les hôpitaux des armées mentionnés à l'article L. 6147-7 du même code ; / b) Les centres de santé mentionnés à l'article L. 6323-1 dudit code ; / c) Les maisons de santé mentionnées à l'article L. 6323-3 du même code ; / d) Les centres et équipes mobiles de soins mentionnés à l'article L. 6325-1 du même code ; / e) Les centres médicaux et équipes de soins mobiles du service de santé des armées mentionnés à l'article L. 6326-1 du même code ; / f) Les dispositifs d'appui à la coordination des parcours de santé complexes mentionnés aux II et III de l'article 23 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé ; / g) Les centres de lutte contre la tuberculose mentionnés à l'article L. 3112-2 du code de la santé publique ; / h) Les centres gratuits d'information, de dépistage et de diagnostic mentionnés à l'article L. 3121-2 du même code ; / i) Les services de médecine préventive et de promotion de la santé mentionnés à l'article L. 831-1 du code de l'éducation ; /j) Les services de prévention et de santé au travail mentionnés à l'article L. 4622-1 du code du travail et les services de prévention et de santé au travail interentreprises définis à l'article L. 4622-7 du même code ; / Les établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 2°, 3°, 5°, 6°, 7°, 9° et 12° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'exception des travailleurs handicapés accompagnés dans le cadre d'un contrat de soutien et d'aide par le travail mentionné au dernier alinéa de l'article L. 311-4 du même code ; / Les établissements mentionnés à l'article L. 633-1 du code de la construction et de l'habitation, qui ne relèvent pas des établissements sociaux et médico-sociaux mentionnés aux 6° et 7° du I de l'article L. 3121 du code de l'action sociale et des familles, destinés à l'accueil des personnes âgées ou handicapées ; / Les résidences-services destinées à l'accueil des personnes âgées ou handicapées mentionnées à l'article L. 631-13 du code de la construction et de l'habitation ; / Les habitats inclusifs mentionnés à l'article L. 281-1 du code de l'action sociale et des familles ; / 2° Les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique, lorsqu'ils ne relèvent pas du 1° du présent I ; / 3° Les personnes, lorsqu'elles ne relèvent pas des 1° ou 2° du présent I, faisant usage : / a) Du titre de psychologue mentionné à l'article 44 de la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social ; / b) Du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur mentionné à l'article 75 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ; / c) Du titre de psychothérapeute mentionné à l'article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique ; / 4° Les étudiants ou élèves des établissements préparant à l'exercice des professions mentionnées aux 2° et 3° du présent I ainsi que les personnes travaillant dans les mêmes locaux que les professionnels mentionnés au 2° ou que les personnes mentionnées au 3° ; / 5° Les professionnels employés par un particulier employeur mentionné à l'article L. 7221-1 du code du travail, effectuant des interventions au domicile des personnes attributaires des allocations définies aux articles L. 232-1 et L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles ; / 6° Les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers des services d'incendie et de secours, les pilotes et personnels navigants de la sécurité civile assurant la prise en charge de victimes, les militaires des unités investies à titre permanent de missions de sécurité civile mentionnés au premier alinéa de l'article L. 721-2 du code de la sécurité intérieure ainsi que les membres des associations agréées de sécurité civile mentionnées à l'article L. 725-3 du même code participant, à la demande de l'autorité de police compétente ou lors du déclenchement du plan Orsec, aux opérations de secours et à l'encadrement des bénévoles dans le cadre des actions de soutien aux populations ou qui contribuent à la mise en place des dispositifs de sécurité civile dans le cadre de rassemblements de personnes ; / 7° Les personnes exerçant l'activité de transport sanitaire mentionnée à l'article L. 6312-1 du code de la santé publique ainsi que celles assurant les transports pris en charge sur prescription médicale mentionnés à l'article L. 322-5 du code de la sécurité sociale ; / 8° Les prestataires de services et les distributeurs de matériels mentionnés à l'article L. 5232-3 du code de la santé publique. / II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la Covid-19 des personnes mentionnées au I du présent article. Il précise les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises. / Ce décret fixe les éléments permettant d'établir un certificat de statut vaccinal pour les personnes mentionnées au même I et les modalités de présentation de ce certificat sous une forme ne permettant d'identifier que la nature de celui-ci et la satisfaction aux critères requis. Il détermine également les éléments permettant d'établir le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la Covid-19 et le certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la Covid-19. / III. - Le I ne s'applique pas aux personnes chargées de l'exécution d'une tâche ponctuelle au sein des locaux dans lesquels les personnes mentionnées aux 1°, 2°, 3° et 4° du même I exercent ou travaillent. / IV. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, peut, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques, suspendre, pour tout ou partie des catégories de personnes mentionnées au I, l'obligation prévue au même I.2 ".

3. En premier lieu, les requérants soutiennent que le décret attaqué, en instituant une obligation de vaccination pour certaines personnes exerçant leur activité dans le domaine sanitaire, rompt le nécessaire équilibre entre la garantie des libertés publiques et la prévention des risques sanitaires et porte, de ce fait, une atteinte injustifiée aux droit à la vie, à la liberté du commerce et de l'industrie, au respect de la vie privée, et au caractère répressif et non préventif des sanctions. Cependant, tant le principe de cette obligation que la détermination des personnes concernées par celle-ci résultent directement de la loi du 5 août 2021, et non du décret litigieux. Si certaines des libertés dont ils invoquent la violation sont, comme ils le relèvent, garanties par la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ils n'articulent cependant aucun moyen d'annulation du décret litigieux tiré de la méconnaissance par la loi elle-même des stipulations de cette convention. Par suite et en tout état de cause, ces moyens ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué.

4. En deuxième lieu, les requérants affirment, à l'appui de leurs conclusions, d'une part, que l'obligation de vaccination " porte en définitive sur une thérapie génique dont il n'est pas établi que les autorisations de mise sur le marché, au demeurant conditionnelles, aient été renouvelées dans le temps ", et d'autre part qu'ils sont " privés de leur liberté fondamentale de donner leur libre consentement à un essai clinique à but vaccinal ". Mais d'une part, s'agissant de l'autorisation de mise sur le marché des vaccins, il résulte des termes mêmes du 2° de l'article 2-2 du décret du 1er juin 2021, auquel renvoie le deuxième alinéa de l'article 49-1 dans sa rédaction issue du décret litigieux, que le justificatif du statut vaccinal doit résulter d'un schéma vaccinal complet " de l'un des vaccins contre la Covid-19 ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission européenne après évaluation de l'agence européenne du médicament ou dont la composition et le procédé de fabrication sont reconnus comme similaires à l'un de ces vaccins par l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé ". Il en résulte que ce décret ne saurait, en tout état de cause, être regardé comme permettant que soient utilisés dans le cadre de l'obligation vaccinale des vaccins qui n'auraient pas été régulièrement mis sur le marché. D'autre part, les requérants n'apportent aucun élément sérieux de nature à corroborer leur affirmation selon lesquelles ces vaccins constitueraient en réalité des thérapies géniques, ou des essais cliniques à grande échelle qui ne sauraient être imposés aux soignants sans violer leur liberté d'y consentir. Il en résulte que les moyens tirés de ce que le décret litigieux méconnaîtrait les règles relatives à la mise sur le marché des vaccins, aux essais cliniques ou aux thérapies géniques ne sont pas de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité.

5. Il résulte de ce qui précède que M.B... et autres n'invoquent, au soutien de leur requête tendant à la suspension de l'article 1er du décret litigieux, aucun moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de ces dispositions, et que leur requête est manifestement mal fondée. Il y a lieu, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence, de la rejeter, y compris leurs conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :


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Article 1er : La requête de M. B... et autre est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., premier requérant déommé.

Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.

Fait à Paris, le 29 octobre 2021

Signé : Cyril Roger-Lacan