AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Sur le pourvoi formé par M. Sully X..., demeurant ... à Sainte-Maure de-Touraine (Indre-et-Loire), en cassation d'un arrêt rendu le 11 mars 1992 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre), au profit :
1 / de la société anonyme Guérin, dont le siège social est à Tremorel (Côtes-d'Armor),
2 / de M. Y..., ès qualités de représentant des créanciers de la société Guérin, demeurant ... à Saint-Brieuc (Côte-d'Armor),
3 / de M. Michel Z..., pris en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Guérin, demeurant ... (Ille-et-Vilaine), défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 21 juin 1994, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Canivet, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, MM. Edin, Grimaldi, Apollis, Mme Clavery, MM. Lassalle, Tricot, Badi, conseillers, MM. Le Dauphin, Rémery, conseillers référendaires, M. de Gouttes, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Canivet, les observations de la SCP Gatineau, avocat de M. X..., de Me Capron, avocat de la société Guerin, de MM. Y... et Z..., ès qualités, les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué
, que la société Guérin (la société) a été mise en redressement judiciaire sans avoir réglé à M. X... le prix de 416 veaux qui lui avaient été livrés antérieurement ; qu'excipant d'une clause de réserve de propriété, M. X... a revendiqué ces animaux ; que par ailleurs, M. X... a également revendiqué 188 têtes de bétail qu'il prétendait avoir remises en dépôt à un éleveur chargé de les recevoir pour le compte de la société ;
Sur le second moyen
pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... fait grief à
l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de son action en revendication portant sur 416 veaux livrés entre le 8 et le 29 mars 1991 pour le compte de la société alors, selon le pourvoi, d'une part, que la clause de réserve de propriété doit être convenue entre les parties dans un écrit établi, au plus tard, au moment de la livraison ; qu'en déboutant M. X... de sa demande en revendication du seul fait que les factures qui contenaient une clause de réserve de propriété n'établissaient pas que cette clause avait été convenue au plus tard avant la livraison, la cour d'appel a violé l'article 121, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985 et alors, d'autre part, que dans ses écritures d'appel M. X... faisait valoir que les veaux dont il revendiquait la propriété étaient individualisables au regard des contrôles effectués au moment de leur importation par le ministère de l'agriculture, les douanes et la direction des services vétérinaires dès lors que ces veaux portaient des boucles mentionnant leur provenance et leur numéro d'immatriculation ; que M. X... avait
également précisé que les veaux importés ne pouvaient jamais être mélangés avec des veaux d'une autre provenance et que le ministère de l'agriculture faisait obligation de laisser les animaux importés dans la même étable ; qu'ainsi en ne recherchant pas si le rapprochement entre les factures impayées versées aux débats, les constats d'huissier effectués chez l'éleveur et la liste des veaux immatriculés au moment de leur importation n'établissait pas que les veaux revendiqués étaient ceux-là -mêmes qui avaient fait l'objet des factures, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 121, alinéa 2 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu
que la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir souverain en estimant que, faute d'indication des numéros d'identification des animaux et des dates de livraison sur les factures, il n'était pas établi que les veaux retrouvés en possession du débiteur étaient ceux dont il n'avait pas payé le prix ; qu'ainsi, et abstraction faite du motif erroné mais surabondant dont fait état la première branche du moyen, elle a légalement justifié sa décision ;
que le premier moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;
Mais sur la seconde branche du premier moyen
:
Vu
l'article
1583 du Code civil ;
Attendu que pour débouter
M. X... de son action en revendication portant sur 188 veaux, l'arrêt relève que ces animaux ont fait l'objet de deux décomptes de livraison de la société à M.
X...
, l'un n° 2709 (9 avril/1er avril) pour le prix de 143 784 francs TTC et l'autre n° 2866 (15 avril/2 avril) pour le prix de 148 743,14 francs TTC, qu'il ressort d'un document du ministère de l'agriculture du 11 avril 1992 que le destinataire des veaux était la société, que M. A... ancien responsable du service des achats de la société a déclaré aux services de gendarmerie, le 19 juillet 1991, que ces veaux avaient été commandés par cette société début avril et qu'aucune négociation sur le prix n'avait eu lieu, que M. X... a déclaré, lors de cette enquête, avoir expédié ces veaux, bien que le prix n'en ait pas encore été fixé, que ces deux déclarations ne sont pas compatibles avec les dates figurant sur les deux décomptes susvisés et qu'enfin l'éleveur, qui a reçu les bêtes à l'engraissement pour la société n'indique pas dans sa déclaration lors de cette enquête, que ces veaux lui ont été remis en dépôt vente en attente d'un accord sur le prix, qu'il suit de ces données que ces veaux, qui n'ont pas été déposés mais vendus à la société, ont été avant le redressement judiciaire, livrés sans réserve par le vendeur à l'éleveur qu'il savait être chargé de les recevoir et de les engraisser ;
Attendu qu'en statuant ainsi
, sans rechercher si les parties étaient, lors de la remise des animaux à l'éleveur, d'accord sur le prix de ceux-ci et si, dès lors un contrat de vente s'était formé entre elles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS
, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première et la troisième branches du premier moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande en revendication portant sur 188 veaux, l'arrêt rendu le 11 mars 1992 entre les parties, par la cour d'appel de Rennes, remet, quant à ce, la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Rejette les demandes présentées par la société Guérin et MM. Z... et Y..., ès qualités, sur le fondement de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne les défendeurs, envers M. X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Rennes, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-cinq octobre mil neuf cent quatre-vingt-quatorze.