SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 29961/96
présentée par Manuel WACKENHEIM
contre la France
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La Commission européenne des Droits de l'Homme (Deuxième
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 16 octobre 1996 en présence
de
Mme G.H. THUNE, Présidente
MM. J.-C. GEUS
G. JÖRUNDSSON
A. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
F. MARTINEZ
L. LOUCAIDES
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
P. LORENZEN
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
Mme M.-T. SCHOEPFER, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 4 février 1994 par Manuel WACKENHEIM
contre la France et enregistrée le 25 janvier 1996 sous le N° de
dossier 29961/96 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, de nationalité française, est né en 1967 et réside
à Sarralbe. Devant la Commission, il est représenté par Maître Serge
Pautot, avocat au barreau de Marseille.
Les faits, tels qu'ils ont été présentés par le requérant,
peuvent se résumer comme suit.
Le requérant est atteint de nanisme et se produit dans des
spectacles dits de "lancer de nains". Muni des protections nécessaires,
il se fait lancer à une courte distance sur un matelas pneumatique par
certains clients de l'établissement dans lequel ce spectacle est
organisé (discothèque).
Le 27 novembre 1991, le ministre de l'Intérieur prit une
circulaire relative à la police des spectacles, en particulier à
l'organisation de spectacles dits de "lancers de nains". Celle-ci
prescrivait aux préfets d'user de leur pouvoir de police pour prescrire
aux maires une grande vigilance à l'égard des spectacles de curiosité
organisés dans leur commune et la circulaire précisait que
l'interdiction des "lancers de nains" devrait se fonder sur l'article
3 de la Convention.
a) Le 30 octobre 1991, le requérant demanda l'annulation devant le
tribunal administratif de Versailles d'un arrêté du 25 octobre 1991 par
lequel le maire de Morsang-sur-Orge avait interdit le spectacle de
"lancer de nains" le 25 octobre dans une discothèque.
Par jugement du 25 février 1992, le tribunal administratif de
Versailles annula l'arrêté du maire au motif que :
"Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le
spectacle dont l'interdiction a été prononcée ait été de nature
à porter atteinte au bon ordre, à la tranquillité ou à la
salubrité publiques dans la ville de Morsang-sur-Orge; que la
seule circonstance que certaines personnalités aient exprimé
publiquement leur désapprobation de l'organisation d'un tel
spectacle ne pouvait être de nature à laisser présager la
survenance de trouble à l'ordre public ; qu'à supposer même que
ledit spectacle ait porté atteinte à la "dignité humaine" et ait
revêtu un "aspect dégradant" ainsi que le soutient le maire,
l'interdiction ne pouvait légalement être décidée en l'absence
de circonstances locales particulières; qu'ainsi l'arrêté attaqué
est entaché d'excès de pouvoir (...)".
Le 24 avril 1992, la commune de Morsang-sur-Orge représentée par
son maire en exercice, demanda l'annulation du jugement du 25 février
1992.
Par arrêt du 27 octobre 1995, le Conseil d'Etat annula ledit
jugement au motif d'une part, que le "lancer de nains" est une
attraction qui porte atteinte à la dignité de la personne humaine,
laquelle est une composante de l'ordre public dont l'autorité investie
du pouvoir de police municipale est la garante et, d'autre part, que
le respect du principe de la liberté du travail et du commerce ne fait
pas obstacle à ce que cette autorité interdise une activité même licite
si elle est de nature à troubler l'ordre public.
b) Le 20 mars 1992, le requérant présenta une requête tendant à
l'annulation de l'arrêté du 23 janvier 1992 par lequel le maire de la
commune d'Aix-en-Provence avait interdit le spectacle de "lancer de
nains" sur le territoire de sa commune.
Par jugement du 8 octobre 1992, le tribunal administratif de
Marseille annula la décision du maire au motif que l'activité en cause
n'était pas de nature à porter atteinte à la dignité humaine.
Par requête datée du 16 décembre 1992, la ville
d'Aix-en-Provence, représentée par son maire, demanda l'annulation de
ce jugement.
Par arrêt du 27 octobre 1995, le Conseil d'Etat annula le
jugement pour les mêmes motifs que ceux développés ci-dessus.
c) Le 24 mars 1992, le requérant demanda au tribunal administratif
de Besançon l'annulation d'un arrêté du 16 janvier 1992 par lequel le
maire d'une commune du Doubs avait interdit le spectacle.
Par arrêt du 15 juillet 1994, le tribunal administratif de
Besançon annula également la décision du maire.
GRIEFS
1. Le requérant proclame son droit à la liberté d'exercer un emploi
qu'il a choisi et invoque l'article 5 par. 1 de la Convention.
2. Le requérant estime que l'interdiction d'exercer cette profession
est une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée garanti
par l'article 8 de la Convention.
3. Le requérant se plaint enfin de discrimination dans l'exercice
du droit au travail et invoque l'article 14 de la Convention.
EN DROIT
1. Le requérant proclame son droit à la liberté d'exercer un emploi
qu'il a choisi et invoque l'article 5 par. 1 (art. 5-1) de la
Convention.
L'article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention dispose
notamment :
"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté (...)".
La Commission constate que le requérant ne fait l'objet d'aucune
privation de liberté et estime dès lors que l'article 5 (art. 5) de la
Convention n'est pas applicable au cas d'espèce.
Il s'ensuit que le grief doit être rejeté pour incompatibilité
ratione materiae avec les dispositions de la Convention.
2. Le requérant estime que l'interdiction qui lui est faite
d'exercer sa profession est une ingérence dans son droit au respect de
sa vie privée garanti par l'article 8 (art. 8) de la Convention qui
dispose :
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est
prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à
la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense
de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des
droits et libertés d'autrui."
Toutefois, aux termes de l'article 26 (art. 26) de la Convention,
"la Commission ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de
recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit
international généralement reconnus".
En l'espèce, le requérant n'a soulevé le présent grief ni
formellement ni en substance au cours des procédures devant le Conseil
d'Etat.
Il s'ensuit que le requérant n'a pas satisfait, quant à ce grief,
à la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes
et que sa requête doit être rejetée, sur ce point, conformément à
l'article 27 par. 3 (art. 27-3) de la Convention.
3. Le requérant se plaint enfin de discrimination dans l'exercice
du droit au travail et invoque l'article 14 (art. 14) de la Convention
qui dispose :
"La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente
Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée
notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la
religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions,
l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité
nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."
La Commission rappelle que la violation de l'article 14 (art. 14)
dépend de l'existence d'un grief relevant de la compétence de la
Commission au regard d'un autre article.
La Commission a constaté que les griefs du requérant sont, soit
incompatibles ratione materiae avec la Convention, soit irrecevables
parce que non soulevés devant les juridictions internes. Dès lors, elle
estime qu'elle n'est pas appelée à examiner la question de la
discrimination alléguée par le requérant.
Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté, conformément à
l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs
, la Commission, à l'unanimité,
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
M.-T. SCHOEPFER G.H. THUNE
Secrétaire Présidente
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre