Tribunal de grande instance de Paris, 8 mars 2011, 2010/00121

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
  • Numéro de pourvoi :
    2010/00121
  • Domaine de propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
  • Parties : OKAIDI SA / MAJOR SAS

Chronologie de l'affaire

Cour d'appel de Paris
2012-03-16
Tribunal de grande instance de Paris
2011-03-08

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARISJUGEMENT rendu le 08 Mars 2011 3ème chambre 1ère sectionN° RG : 10/00121 DEMANDERESSES.A. OKAIDI[...]59100 ROUBAIXreprésentée par Me Bénédicte QUERENET HAHN, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #U0003 DEFENDERESSES.A.S MAJOR SAS[...]93100MONTREUILreprésentée par Me Corinne CHAMPAGNER KATZ, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #C1864 COMPOSITION DU TRIBUNALMarie-Christine C, Vice PrésidenteThérèse A. Vice PrésidenteCécile VITON, Jugeassistées de Léoncia BELLON, Greffier DEBATSA l'audience du 10 Janvier 2011tenue publiquement JUGEMENTPrononcé par mise à disposition au greffeContradictoirementen premier ressort EXPOSE DU LITIGELa société Okaïdi est une société dont l'activité consiste dans la création, la confection et la commercialisation des articles de prêt-à-porter pour enfants de deux à quatorze ans. La société Okaïdi fait partie du groupe ïdgroup qui est composé des marques Jacadi, Obaïdi, Okaïdi, Oxybul et Véronique Delachaux. La société Okaïdi commercialise ses produits en France et à l'international. Dans la collection Hiver 2008, la société Okaïdi commercialisait une robe pour fille référencée 41681, dénommée « Adrienne », robe également commercialisée dans la collection hiver 2009. La robe était déclinée en deux couleurs en 2008, à savoir avec des rayures rouges et des rayures noires et seulement avec des rayures noires dans la collection 2009. La société Okaïdi faisait valoir que la société Major SAS qui exploite la marque Sergent Major commercialisait dans sa collection Hiver 2009 une robe qui présentait les mêmes caractéristiques que la robe « Adrienne ». Par ordonnance du 3.12.2009, la société Okaïdi était autorisée par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris à procéder à une saisie-contrefaçon laquelle était faite par huissier de justice le 9.12.2009 au siège de la société Major SAS sur deux exemplaires, l'un de la robe «joutikette» pour fillette âgée de deux à sept ans et l'autre de la robe intitulée «joutik» robe pour fille entre huit et quatorze ans. Etaient également saisis une brochure publicitaire, les fiches techniques des deux robes, l'état des ventes pour les deux robes ainsi-que l'état des stocks, enfin les commandes, factures et bons de livraison pour deux entrepôts à Saint Vulbas en France et à Dubai. La société Okaïdi faisait reproche à la société Major d'avoir repris exactement dans les deux robes «Joutikette» et «Joutik» les caractéristiques de la robe « Adrienne » à savoir une coupe évasée un textile en jersey doux et extensible une matière à double face à savoir des rayures fines horizontales à l'extérieur des petits pois blancs sur fond noir à l'intérieur une encolure arrondie des emmanchures américaines Les seules différences résidaient dans quelques motifs décoratifs fixés sur la poche gauche, trois boutons sur l'arrière sous l'encolure, la reprise des pois sur les manches et l'absence d'ourlet. Par acte d'huissier du 23.12.2009, la société Okaïdi assignait la société Major devant le Tribunal de Grande Instance de Paris aux fins de voir juger que la société Major avait commis des actes de contrefaçon en reproduisant la robe « Adrienne » ainsi- que des actes de concurrence déloyale. Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées le 23.12.2010, la société Okaïdi demandait en conséquence au Tribunal de : Avant dire droit,VOIR ORDONNER et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à partir du jugement la production de tous documents ou informations concernant les quantités de robes joutikette et joutik produites, commercialisées, livrées reçues ou commandées et la période de commercialisation de ces robes, Au fond,ONSTATER que la société Major avait commis des actes de contrefaçon en reproduisant la robe « ,drienne » créée par la société Okaïdi,CONSTATER que la société Major avait commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,ORDONNER que les robes litigieuses soient rappelées des circuits commerciaux, écartées définitivement de ces circuits et détruites,CONDAMNER la société Major SAS au paiement des sommes suivantes :- 1.504.533,30 euros en réparation des actes de contrefaçon,- 114.563,63 euros en réparation des actes de concurrence déloyaleORDONNER l'affichage du jugement à intervenir dans tout magasin Sergent M pendant une durée de deux mois, ORDONNER la publication du dispositif du jugement à intervenir dans cinq journaux aux choix de la société Okaïdi pour un montant n'excédant pas 5000 euros par publication et au milieu de la page d'accueil du site web http:/www.sergent-major.com pendant une durée de deux mois,DEBOUTER la société Major de sa demande de condamnation de la société Okaïdi au paiement de la somme de 20000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir,CONDAMNER la société Major au paiement de la somme de 15000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,CONDAMNER la société Major au paiement des dépens en ce compris les frais de saisie contrefaçon. A l'appui de ses prétentions, la société Okaïdi faisait valoir qu'elle disposait d'un droit incorporel sur sa création et que la société Major en reproduisant la dite robe sans autorisation y portait atteinte. Elle ajoutait que la robe « Adrienne » était une œuvre de l'esprit créée par la société Okaïdi en octobre 2007 par Madame D qui en attestait le 21.12.2010, celle-ci étant chef de marché et non de produit, et ce au terme d'un processus de création ; qu'il s'agissait donc d'une œuvre de l'esprit protégée par le droit d'auteur, la création de la robe « Adrienne » présentant une originalité suffisante du fait de la combinaison innovatrice de ses caractéristiques. En réponse, la société Major, aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées le 22.10.2010, soulevait à titre liminaire LA NULLITE DU PROCES VERBAL DE CONTREFAÇON en date du 9.12.2009, l'ordonnance et la requête n'ayant été signifiées que quelques minutes avant le début des opérations. Elle soulevait à titre principal L'IRRECEVABILITE A AGIR de la société OKAIDI qui ne justifiait pas de la titularité des droits de propriété intellectuelle sur la robe revendiquée. A titre subsidiaire, la société Major demandait au tribunal de voir dire que le modèle revendiqué par la société Okaïdi était dépourvu d'originalité et ne pouvait bénéficier de la protection prévue au titre de la législation sur le droit d'auteur Elle demandait de voir dire et juger que la société OKAIDI ne rapportait pas la preuve de faits distincts et constitutifs de concurrence déloyale Elle concluait au rejet de l'ensemble des demandes de la société Okaïdi tant sur le fondement de la contrefaçon que sur celui de la concurrence déloyale ainsi qu'au rejet de la demande de production de pièces et documents sous astreinte. A titre reconventionnel, elle demandait la condamnation de la société Okaïdi à lui verser la somme de 20000 euros pour procédure abusive. En tout état de cause, elle demandait la condamnation de la société Okaïdi à lui verser la somme de 10000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, les dépens étant laissés à la charge de la société Okaïdi. A l'appui de ses demandes au principal, la société MAJOR faisait valoir que la société requérante ne rapportait pas la preuve de sa qualité et de sa création, le processus créatif invoqué n'étant pas prouvé. Elle soutenait que les pièces versées n'étaient pas suffisantes à établir la qualité de Madame D, présentée comme étant la créatrice, les fiches techniques produites étant également insuffisantes ; que la date certaine de création du modèle n'était pas davantage établie. Elle rappelait que la société Okaïdi avait une activité de commerce de gros et de négoce, se limitant à acheter des produits finis en vue de leur commercialisation. Par-ailleurs, elle prétendait que la robe revendiquée par la société Okaïdi était dépourvue d'originalité et ne pouvait bénéficier de la protection au bénéfice du droit d'auteur et que la preuve de faits distincts et constitutifs de concurrence déloyale n'était pas davantage rapportée. L'ordonnance de clôture était prononcée le 5 janvier 2011.

SUR QUOI

Sur la nullité du procès-verbal de contrefaçon : L'ordonnance rendue sur requête par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris le 3.12.2009 a été signifiée à la SAS MAJOR le 9.12.2009 à 9 heures 55 minutes et ce en la personne de Madame L Christine, directrice des achats. Le procès-verbal de saisie-contrefaçon a été établi le 9.12.2009 à 9 heures 57 minutes. Le délai de deux minutes entre la signification de l'ordonnance et les opérations de saisie contrefaçon est suffisant et raisonnable ayant permis à l'huissier de donner connaissance à la personne présente de l'ordonnance, celle-ci ayant ainsi pris la mesure de l'étendue de la mission de l'huissier. La nullité soulevée du procès verbal est donc rejetée. Sur l'irrecevabilité à agir de la société OKAIDI : L'article L 111-1 du code de la propriété littéraire et artistique dispose que « l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » L'article L. 113-1 du même code dispose que « la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée » Pour bénéficier de cette présomption, la personne morale qui revendique la titularité des droits d'auteur doit établir avec certitude la date soit de la création, soit de la divulgation ainsi-que la correspondance entre le produit divulgué et celui dont la titularité est revendiquée. La société OKAIDI en tant que personne morale n'invoque que subsidiairement la présomption de titularité du fait de la divulgation. En tout état de cause, elle ne rapporte pas la preuve suffisante de la commercialisation de la robe Adrienne par les pièces versées aux débats, ne produisant pas de factures portant la référence de la robe « Adrienne », l'impression du site internet n'étant pas datée (pièce n°6), et le document annexé à l'attestation du commissaire aux comptes (pièce 41) n'étant pas signé. Elle ne peut donc se prévaloir de la présomption de titularité à ce titre. La société OKAIDI soutient principalement que la robe « Adrienne » est une œuvre de l'esprit, créée en octobre 2007 et que cette création est protégeable lui conférant la titularité des droits de sa salariée, Madame D. La société MAJOR SAS conteste le fait que la Société OKAIDI se prétende auteur du modèle de la robe « Adrienne ». Il appartient à la société OKAIDI de rapporter la preuve de ce que la robe est une œuvre de l'esprit dont la création est certaine et sur laquelle elle est titulaire de droits d'auteur. A cet effet, la société OKAIDI soutient que la robe a été créée au mois d'octobre 2007 au vu de sa commercialisation dans la collection d'hiver 2008 par une créatrice Vinciane D avec une phase de conception intellectuelle de la robe en lien avec la société Fashion Link International. Madame D est présentée par la société requérante comme la créatrice de la robe litigieuse. L'analyse du contrat de travail en date du 4.11.2002 versé aux débats permet de constater que Madame D est dénommée chef de produits et non styliste. La fiche de fonction annexée au contrat, dans le descriptif de la mission principale, décrit celle-ci comme chef de marché «en relation permanente avec les acteurs de la centrale d'achats, les cabinets de style, les stylistes extérieurs et son directeur de marché avec pour mission de créer des collections créatives, accessibles, innovantes et cohérentes... » Dans l'attestation produite par Madame D en date du 21.12.2010, celle-ci écrit exercer la fonction de chef de marché portant sur la création de produits de prêt-à-porter pour enfants et ayant ainsi conçu et élaboré la gamme de vêtements OKAIDI, thème 1 « moving » comprenant la robe Adrienne sans pour autant décrire de façon précise le processus créatif. Il ressort de ces différentes pièces que Madame D est responsable de la cible et de la réalisation des collections mais n'est pas créatrice des modèles. La société demanderesse verse par ailleurs aux débats un mail du 15.10.2007 échangé entre Delphine V de la société OKAIDI dont on ne connaît pas la qualité et la société Fashion Link concernant des indications portant sur la robe Adrienne et des factures de la Société Fashion Link adressées à la société OKAIDI d'avril 2008 à septembre 2008 portant sur des commandes de la robe « Adrienne ». Ces échanges ne démontrent pas que la Société Fashion Link est l'agent de la société OKAIDI comme le soutient celle-ci mais davantage que des produits finis sont livrés par la société Fashion Link. la phase de conception créatrice et intellectuelle n'étant nullement démontrée comme opérée par la société requérante. Il résulte de ces éléments que la société OKAIDI ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle prend en charge la phase de conception créatrice et intellectuelle de la robe litigieuse et qu'elle est titulaire de droits sur celle-ci en tant que cessionnaire. La société OKAIDI est donc déclarée irrecevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur. Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire : La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute. Il n'est pas contesté par les parties que les deux sociétés ont la même notoriété et la même clientèle ce que reconnaît la société OKAIDI dans ses écritures et qu'elles sont donc en situation de concurrence. Cependant, la robe « adrienne » en forme de robe chasuble avec un tissu souple à double face est un produit banal, s'inscrivant dans la tendance de la mode enfantine sur lequel la société OKAIDI ne peut prétendre à aucun droit privatif d'autant que la Société MAJOR vendait déjà des robes chasubles durant l'été 2007 avec des coloris différents, qu'il n'y a donc aucune faute et qu' il n'y a pas de risque de confusion dans l'esprit de la clientèle. La preuve d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme n'étant donc pas rapportée par la société OKAIDI, celle-ci est déboutée de l'ensemble de ses demandes à ce titre. Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive : La société MAJOR SAS ne démontre pas avoir subi du fait de l'action intentée un préjudice autre que celui réparé pour les frais exposés pour sa défense, faute pour elle de rapporter la preuve d'une intention de nuire ou légèreté blâmable de la part de la société OKAIDI qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits. Sur les demandes accessoires : La société OKAIDI est déboutée de l'ensemble de ses demandes accessoires. Sur l'exécution provisoire : Eu égard aux circonstances de l'affaire, l'exécution provisoire n’est pas nécessaire. Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile : Les conditions sont réunies pour condamner la société OKAIDI à verser à la société MAJOR SAS la somme de 5000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur les dépens : Conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, la société OKAIDI est condamnée aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

le Tribunal statuant, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par remise au greffe au jour du délibéré REJETTE la demande de nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon du 9.12.2009 DECLARE la société OKAIDI irrecevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur DEBOUTE la société OKAIDI de ses demandes en concurrence déloyale et parasitaire DEBOUTE la société MAJOR SAS de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive DEBOUTE la société OKAIDI de ses demandes accessoires CONDAMNE la société OKAIDI à verser à la société MAJOR SAS la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code procédure civile DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision CONDAMNE la société OKAIDI aux dépens.