AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Sklam, dont le siège social est 9, rue Sainte-Appoline à Paris (3e), en cassation d'un arrêt rendu le 2 avril 1993 par la cour d'appel de Paris (25e Chambre, Section B), au profit :
1 ) de la société Computervision, anciennement société Prime France, dont le siège social est 1 bis, rue du Petit Clamart à Vélizy-Villacoublay (Yvelines),
2 ) de la société Sofinabail, dont le siège social est 46-48, rue Saint-Lazare à Paris (9e),
3 ) de la société Softec, dont le siège social est 4, rue de Chatou à Nanterre (Hauts-de-Seine), défenderesses à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article
L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 2 novembre 1994, où étaient présents : Mme Pasturel, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Apollis, conseiller rapporteur, M. Edin, conseiller, M. de Gouttes, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Apollis, les observations de la SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen, avocat de la société Sklam, de la SCP Tiffreau et Thouin-Palat, avocat de la société Computervision, de Me Baraduc-Bénabent, avocat de la société Sofinabail, de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde, avocat de la société Softec, les conclusions de M. de Gouttes, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 avril 1993), que la société Computervision, venant aux droits de la société Prime, a vendu un système informatique à la société Sklam, financé en crédit-bail ; que le logiciel d'application a été fourni par une société C et O informatique ; que la société Softec a, quant à elle, implanté des caisses enregistreuses reliées au système central ; que la société Sklam, qui n'a pas été satisfaite du fonctionnement du système, a assigné en résolution du contrat la société Computervision, tant en qualité de maître d'oeuvre que de venderesse, et les sociétés Softec et C et O, en leur qualité de fournisseurs de matériel et de logiciel ; que la société Sklam a assigné la société Sofinabail en résolution du contrat de crédit-bail ;
qu'après avoir retenu, malgré ses dénégations, que la société Computervision avait la maîtrise d'oeuvre de l'opération litigieuse, les premiers juges ont accueilli les demandes de la société Sklam ;
Sur le premier moyen
, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société Sklam fait grief à l'arrêt d'avoir infirmé cette décision et de l'avoir déboutée de sa demande de résolution du contrat portant sur l'acquisition et l'installation d'un ensemble informatique composé d'un système d'exploitation de matériels, d'un logiciel de base et d'un logiciel applicatif, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte des propres constatations de la cour d'appel que c'est la société Computervision elle-même qui a proposé sans ambiguïté, le 21 avril 1989, sa maîtrise d'oeuvre complète pour l'emsemble de l'information recherchée par la société Sklam ; que, six jours après cette offre, le contrat de vente a été conclu avec la société Computervision, portant notamment sur l'ensemble des logiciels, y compris le logiciel d'application défectueux, et l'intégralité du prix de ces logiciels a été versée à la seule société Computervision, la société Softec ne recevant que le prix d'une commande distincte de caisses enregistreuses et d'une imprimante, à l'exclusion du prix du logiciel applicatif ;
qu'en revanche, la cour d'appel n'a relevé l'existence d'aucun contrat passé directement avec la société Softec, ou la société C et O, pour la fourniture du logiciel applicatif vicié ; qu'au contraire, elle a constaté que c'était la société Computervision qui avait sous-traité cette fourniture à la société Softec, laquelle l'avait sous-traitée à son tour à la société C et O ; qu'il s'évinçait de l'ensemble de ces circonstances que la société Computervision, seule contractante de la société Sklam pour la livraison et l'utilisation des matériels et logiciels convenus, y compris le logiciel applicatif, avait la qualité de maître d'oeuvre responsable en tant que tel de la défectuosité du logiciel applicatif ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré toutes les conséquences légales de ses propres constatations et violé, ce faisant, les articles
1134 et
1147 du Code civil ; alors, d'autre part, que le jugement dont la confirmation était demandée sur ce point avait mis en évidence que le contrat passé entre les sociétés Computervision et Sklam, le 27 avril 1989, faisait suite à de nombreuses discussions préalables entre les parties au cours desquelles la société Computervision avait toujours affirmé son rôle de maître d'oeuvre de l'informatisation de la société Sklam ; que le jugement avait encore souligné que, dans cette perspective, la société Computervision avait, d'un côté, rédigé un cahier des charges très complet et global d'un système intégrant le matériel et les logiciels, notamment les logiciels applicatifs et, de l'autre, remis à la société Sklam un descriptif détaillé de ce dernier logiciel s'apparentant à une analyse fonctionnelle de ce logiciel ; que les premiers juges avaient retenu que c'était sur la base de ces documents que la société Computervision avait conclu le contrat du 27 avril 1989 et en avaient, à juste titre, déduit que l'intention commune des parties avait été de laisser à la société Computervision, professionnel de l'informatique et interlocuteur unique de la société Sklam, professionnel en la matière, la maîtrise d'oeuvre complète de l'ensemble de l'informatisation ; qu'en ne s'expliquant sur aucune de ces circonstances, et notamment en ne prenant pas en compte les pourparlers préalables de nature à caractériser l'intention commune des parties lors de la signature du contrat le 27 avril 1989, la cour d'appel n'a pu, sans priver sa décision de base légale au regard des articles
1134 et
1147 du Code civil, exclure la qualité de maître d'oeuvre de la société Computervision ; alors, en outre, que le vendeur professionnel est tenu de connaître les vices de la chose vendue, en sorte que la clause exclusive de garantie passée entre lui et un acheteur occasionnel est réputée non écrite ; qu'en l'espèce, en se fondant sur la clause contractuelle stipulée au contrat de vente aux termes de laquelle la société Computervision ne garantit en aucun cas que les logiciels concédés satisferont aux exigences de performance du client, à ses attentes sur le plan opérationnel ou fonctionnel, ni que les logiciels concédés ne fonctionneront sans discontinuité ni "bogue", pour écarter la qualité de maître d'oeuvre de la société Computervision et l'exonérer de sa garantie normalement due à la suite de la vente du logiciel applicatif devenue inutilisable, la cour d'appel a violé l'article
1643 du Code civil ; et alors, enfin, que la société Sklam invoquait avec raison dans ses conclusions
d'appel l'indivisibilité des prestations fournies par la société Computervision et la société Softec, son sous-traitant, remplacée ultérieurement par la société C et O, et soutenait que les parties avaient envisagé globalement la réalisation de l'ensemble informatique qui constituait un tout indissociable ; qu'en ne s'expliquant nullement sur ces éléments et en ne recherchant pas si les obligations contractées par la société Computervision et la société Softec ne présentaient pas un caractère d'indivisibilité, en sorte que chacune des sociétés était responsable de l'entière réalisation de l'ensemble informatique, la cour d'appel a, d'un côté, privé sa décisiosn de base légale au regard des articles
1147 et
1218 du Code civil et, de l'autre, violé l'article
455 du nouveau Code de procédure civile pour avoir délaissé un chef péremptoire des conclusions d'appel de la société Sklam ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient des éléments de la cause, d'un côté, que la société Sklam ne rapporte pas la preuve que la proposition de maîtrise d'oeuvre que lui avait faite la société Computervision ait été suivie d'effet, aucune rémunération n'ayant été incluse, à ce titre, dans le contrat de vente conclu entre ces deux sociétés, et, d'un autre côté, qu'il résulte du procès-verbal de réception relatif au logiciel d'application établi par la société C et O, le 27 novembre 1989, et approuvé par la société Sklam, hors la présence des sociétés Computervision et Softec, l'existence de rapports autonomes entre la société C et O et la société Sklam ; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que, pour débouter la société Sklam de ses demandes, l'arrêt ne s'est pas fondé sur la clause d'exclusion de garantie incluse dans le contrat de vente, mais a retenu des éléments de preuve qui lui ont été soumis qu'aucune faute n'était établie à l'encontre des sociétés Computervision et Softec ;
D'où il suit que, manquant en fait en sa troisième branche, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
Et
sur le second moyen
, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Sklam fait encore grief à l'arrêt d'avoir statué ainsi qu'il a fait tandis que le système informatique était devenu inexploitable, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la renonciation à agir ne se présume pas ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que le bon de visite signé le 27 novembre 1989 indiquait seulement "travail effectué : recette de l'application site" ; que, faute pour ledit bon de contenir la description des textes effectués permettant de vérifier que le logiciel applicatif fonctionnait normalement et qu'il n'était entaché d'aucun vice apparent ni caché, ce document ne pouvait valoir réception définitive et sans réserve de nature à interdire à la société Sklam d'invoquer la défectuosité survenue quelques mois plus tard à l'occasion de l'utilisation du logiciel ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1641 et suivants du Code civil ; alors, d'autre part, qu'en l'état de la dénonciation, en août et octobre 1989, puis, à nouveau, en janvier 1990, du dysfonctionnement du logiciel applicatif, il appartenait aux sociétés Computervision, Softec et C et O, qui avaient livré et installé ce logiciel, de démontrer, pour s'exonérer de leur garantie, que ce dysfonctionnement ne constituait pas un vice caché et qu'il était imputable à la société Sklam ;
qu'en l'espèce, en déduisant l'existence d'erreurs de manipulation des salariés de Sklam, au demeurant expressément écartées par l'expertise judiciaire dont l'homologation était demandée, du seul fait de l'absence de protestation du client pendant quatre mois, la cour d'appel a méconnu les règles relatives à la charge de la preuve et violé l'article
1315 du Code civil ; et alors, enfin, qu'outre l'existence d'un vice affectant le logiciel applicatif le rendant inexploitable, la société Sklam avait également reproché à la société Computervision d'avoir délivré un système informatique non conforme à ce qui avait été convenu entre les parties ; qu'elle invoquait ainsi les nombreuses insuffisances et discordances mises en évidence par l'expertise amiable de M. Viet entre les qualités promises par Computervision et les fonctions effectives réduites du système livré ; qu'en statuant exclusivement sur le fondement du vice affectant le logiciel applicatif (blocage total du système) sans rechercher, à aucun moment, si la société Computervision avait satisfait à son obligation de délivrer un système informatique conforme à la demande et propre à l'usage auquel il était destiné, la cour d'appel a, d'une part, privé sa décision de base légale au regard des articles
1184 et
1604 du Code civil, d'autre part, violé l'article
455 du nouveau Code de procédure civile pour avoir délaissé un chef péremptoire des conclusions d'appel de l'intéressé ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt n'a pas retenu que le bon de visite du 27 novembre 1989 valait réception sans réserve du logiciel d'application litigieux fourni par la société C et O, mais que ce bon de visite établissait que plus de quatre mois après son installation ce logiciel fonctionnait ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt a relevé que, d'octobre 1989 au mois de janvier 1990, aucune anomalie n'a été signalée et que ce n'est qu'ensuite que l'acheteur s'est plaint, ce dont il résultait que seule une erreur de manipulation pouvait être la cause des dysfonctionnements invoqués ;
Attendu, enfin, que, dans ses conclusions d'appel produites à l'appui de ses prétentions, la société Sklam a soutenu, sans autre précision, "qu'hormis sa mission générale de maîtrise d'oeuvre clairement acceptée, Computervision doit sa garantie de vendeur professionnel" ;
que la cour d'appel n'avait donc pas à effectuer la recherche prétendument omise ;
D'où il suit que, manquant en fait en sa première branche, le moyen est, pour le surplus, sans fondement ;
Sur les demandes présentées au titre de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que les sociétés Computervision et Softec sollicitent chacune, sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 12 000 francs ;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir ces demandes ;
PAR CES MOTIFS
:
REJETTE le pourvoi ;
Rejette également les demandes présentées sur le fondement de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société Sklam, envers les défenderesses, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par Mme le conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en son audience publique du trois janvier mil neuf cent quatre-vingt-quinze.