Chronologie de l'affaire
Tribunal administratif de Poitiers 21 décembre 2021
Cour administrative d'appel de Bordeaux 08 novembre 2022

Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 8 novembre 2022, 22BX00539

Mots clés médical · rapport · médecins · collège · santé · séjour · préfète · astreinte · étranger · requête · service · transmission · enfant · office · pays

Synthèse

Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro affaire : 22BX00539
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Poitiers, 21 décembre 2021, N° 2001351
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur : Mme Karine BUTERI
Rapporteur public : Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : SCP BREILLAT DIEUMEGARD MASSON

Chronologie de l'affaire

Tribunal administratif de Poitiers 21 décembre 2021
Cour administrative d'appel de Bordeaux 08 novembre 2022

Texte

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 27 avril 2020 par laquelle la préfète de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2001351 du 21 décembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 février 2022, M. B..., représenté par Me Masson, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 21 décembre 2021 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) d'annuler la décision de la préfète de la Vienne du 27 avril 2020 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Vienne, à titre principal, de lui délivrer une carte de

séjour temporaire d'une durée d'un an, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, dans un délai de quinze jours à compter de la même date, sous la même astreinte, jusqu'à ce que l'autorité administrative ait

statué sur sa situation administrative, et de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à

compter de la même date, sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision litigieuse a été prise par une autorité incompétente en ce que la délégation de signature trop large ne permet pas de déterminer les attributions accordées au secrétaire général de la préfecture ;

- elle est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle notamment médicale, la préfète s'étant bornée à reprendre l'avis du collège de médecins, et familiale ;

- elle est entachée d'un vice de procédure dès lors que l'avis du collège de médecins, émis plus de quinze mois avant la décision contestée, ne reflète pas sa situation médicale actuelle ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation et méconnaît le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, son état de santé nécessitant un suivi régulier en France ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par une ordonnance du 11 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 11 mai 2022.

Le préfet de la Vienne a produit un mémoire en défense enregistré le 10 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés

fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... A... a été entendu au cours de l'audience publique.


Considérant ce qui suit

:

1. M. B..., ressortissant guinéen né le 2 février 1985 à Kamsar Boke, est entré irrégulièrement en France en janvier 2011 selon ses déclarations. A la suite d'un rejet de sa demande d'asile, il a présenté, en 2015, une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade. Après que l'arrêté du préfet de la Vienne du 19 août 2015 portant refus de

délivrance d'un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français a été annulé par un jugement du 20 janvier 2016 du tribunal administratif de Poitiers, un

titre de séjour pour motif de santé a été délivré à M. B... le 24 mai 2016 et renouvelé jusqu'au 12 août 2018. L'intéressé a de nouveau sollicité le renouvellement de son titre de

séjour le 29 août 2018. Par une décision du 27 avril 2020, la préfète de la Vienne a refusé de faire droit à cette demande. M. B... relève appel du jugement du 21 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

2. En premier lieu, M. B... soutient en appel que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'autorité signataire de la décision contestée était compétente dès lors que la délégation de signature est extrêmement large et ne permet pas de déterminer quelles attributions ont été accordées au secrétaire général de la préfecture, notamment pour signer une telle décision. Toutefois, il ressort des dispositions de l'arrêté du 3 février 2020, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Vienne, que M. Emile Soumbo, secrétaire général de cette préfecture, disposait d'une délégation à l'effet de signer l'ensemble des décisions et actes relevant des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Contrairement à ce que soutient M. B..., une telle délégation n'est ni trop générale ni trop imprécise. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte litigieux doit être écarté.

3. En deuxième lieu, la décision en litige vise les textes dont elle fait application, notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle indique les conditions d'entrée et de séjour de M. B... sur le territoire français, la teneur de l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et, contrairement à ce qu'il soutient, expose sa situation familiale et notamment le fait qu'il est père d'un enfant né sur le territoire français le 17 septembre 2019. Dans ces conditions, la décision en litige est suffisamment motivée. Le caractère suffisant de cette motivation révèle, en outre, que l'autorité préfectorale, qui n'avait pas à reprendre l'ensemble des éléments caractérisant la situation personnelle de l'intéressé, s'est livrée, sans commettre d'erreur de droit, à un examen réel et sérieux de sa situation.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. (...) ". En vertu de l'article R. 313- 22 de ce code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ". Selon l'article R. 313-23 du même code : " Le rapport médical visé à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui le suit habituellement ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre (...) Il transmet son rapport médical au collège de médecins. Sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le service médical de l'office informe le préfet qu'il a transmis au collège de médecins le rapport médical. (...) La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'office. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. (...) L'avis est rendu par le collège dans un délai de trois mois à compter de la transmission par le demandeur des éléments médicaux (...) ". Enfin, l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précise que : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. Cet avis mentionne les éléments de procédure. Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".

5. D'une part, si les dispositions précitées ont pour objet de permettre au préfet, auquel il incombe de prendre en considération les modalités d'exécution d'une éventuelle mesure d'éloignement dès le stade de l'examen de la demande de titre de séjour présentée sur le fondement des dispositions rappelées ci-dessus du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de disposer d'une information complète sur l'état de santé d'un étranger malade, elles ne restreignent pas la validité de l'avis émis par le collège de médecins de l'OFII à une durée quelconque sous peine de caducité ou de nullité. De plus, M. B... n'établit pas que son état de santé aurait évolué entre la date de cet avis, émis le 3 décembre 2018, et l'édiction de la décision en litige. Par suite, la circonstance que l'arrêté litigieux se fonde sur un avis ancien du collège de médecins est sans incidence sur la légalité du refus de titre de séjour.

6. D'autre part, la partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi.

7. Il ressort des pièces du dossier que, par un avis du 3 décembre 2018, le collège de médecins du service médical de l'OFII a estimé que l'état de santé de M. B... nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'au vu des éléments de son dossier, son état de santé lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine. Pour remettre en cause l'appréciation portée par l'autorité préfectorale au vu notamment de cet avis, M. B... s'est prévalu en première instance de pièces médicales anciennes faisant état de traumatismes à l'origine d'une prise en charge psychothérapique et médicamenteuse et de diverses opérations subies pour une pathologie intestinale susceptible de provoquer une éventration. Ainsi que l'a pertinemment considéré le tribunal, qui a relevé qu'un compte-rendu médical du 17 novembre 2018 faisait état d'une amélioration et d'une stabilisation de l'état de santé de l'intéressé, aucune des pièces médicales produites ne permettait de considérer qu'à la date de la décision en litige, le défaut de prise en charge médicale était susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et ainsi d'infirmer l'avis du collège de médecins. En appel, M. B... produit, d'une part, un certificat médical du 19 janvier 2022 d'un praticien hospitalier indiquant que son état de santé nécessite la poursuite d'un suivi en CMP et, d'autre part, un certificat médical du 15 février 2022 qui, après avoir rappelé le parcours médical de l'intéressé, se borne à relever qu'il présente une pathologie intestinale secondaire avec douleurs et troubles digestifs chroniques nécessitant des traitements constants pour lesquels il est reconnu en affection de longue durée. Ces nouveaux éléments ne sont pas davantage de nature à remettre en cause l'avis du collège de médecins de l'OFII. Dès lors, en rejetant la demande de titre de séjour présentée par M. B..., la préfète de la Vienne n'a pas commis d'erreur d'appréciation ni méconnu les dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

9. M. B..., qui fait valoir qu'il est entré en France en 2011, se prévaut de ce qu'il est père d'un enfant né le 17 septembre 2019 sur le territoire français de son union avec Mme B... avec laquelle il affirme entretenir une relation de couple. S'il soutient que la circonstance qu'à la date de la décision attaquée il ne résidait pas à La Rochelle avec la mère de son enfant et celui-ci est uniquement liée à des contraintes professionnelles, il ne fournit la preuve que d'un seul déplacement dans cette ville pour leur rendre visite. En se bornant par ailleurs à produire en appel, alors qu'il n'avait versé aucune pièce devant le tribunal, quelques tickets d'achats effectués en supermarché en 2020, deux preuves d'achat de biens en décembre 2021 et deux règlements de la crèche en septembre 2019 et en juin 2021, il n'établit pas l'existence de liens suffisants avec son enfant. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, la préfète de la Vienne n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a pris la décision attaquée et n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. En cinquième lieu, aux termes du 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

11. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la préfète de la Vienne n'a pas méconnu les stipulations précitées.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 27 avril 2020. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :



Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera transmise à la préfète de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

M. Anthony Duplan, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 novembre 2022.

La rapporteure,

Karine A...

La présidente,

Florence Demurger

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX00539