Chronologie de l'affaire
Tribunal administratif de Melun 15 décembre 2021
Cour administrative d'appel de Paris 17 novembre 2022

Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 17 novembre 2022, 22PA00694

Mots clés exploitations · pêche maritime · agricoles · autorisation · preneur · production · ressort · schéma · préfet · priorité · orientation · départementale · requête · agriculture · rural

Synthèse

Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro affaire : 22PA00694
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Melun, 15 décembre 2021, N° 1904517
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur : M. Jean-François GOBEILL
Rapporteur public : M. DORE
Avocat(s) : SCP BAUER-VIOLAS,FESCHOTTE-DESBOIS

Chronologie de l'affaire

Tribunal administratif de Melun 15 décembre 2021
Cour administrative d'appel de Paris 17 novembre 2022

Texte

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. K... I..., Mme D... F... et l'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Bellevue ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 20 mars 2019 du préfet de la région Île-de-France accordant l'autorisation d'exploiter des parcelles à M. E... d'Ouince à La Croix-en-Brie au titre du contrôle des structures et en application du schéma directeur régional des exploitations agricoles.

Par un jugement n° 1904517 du 15 décembre 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 15 février et 21 mars 2022, M. K... I..., Mme D... F... et l'EARL Bellevue, représentés par la SCP Bauer-Violas Feschotte-Desbois Sebagh, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1904517 du 15 décembre 2021 du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler l'arrêté du 20 mars 2019 du préfet de la région Île-de-France ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- il est dépourvu de mentions permettant de vérifier que la composition de la juridiction était la même lors de l'audience et lors du délibéré ;

- il méconnait les dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative dès lors qu'il ne mentionne pas que les parties ont été entendues ni que le rapporteur public a été entendu ;

- c'est par une motivation insuffisante qu'il a écarté le moyen tiré de ce que l'autorisation délivrée à M. E... d'Ouince compromettait la viabilité de l'exploitation de l'EARL Bellevue ;

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

- la décision a été prise par une autorité incompétente pour ce faire ;

- la décision n'est pas suffisamment motivée en ce qu'elle ne justifie pas des motifs pour lesquels l'autorisation accordée à M. E... d'Ouince pouvait être délivrée au regard de la situation du preneur en place, en l'espèce l'EARL Bellevue ;

- la décision méconnait les dispositions des articles L. 331-3 et L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime et celles du schéma directeur régional d'Île-de-France des exploitations agricoles en ce que ne sont pas réunies les conditions auxquelles peut être accordée une autorisation d'exploitation pour un demandeur dont le rang de priorité est inférieur à celui d'un autre demandeur, Mme F... étant en l'espèce classée en priorité n° 1, aucun motif d'intérêt général et aucune circonstance particulière ne justifiant de déroger à l'ordre de priorité fixé par le schéma directeur ;

- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 331-3-1 du même code dès lors que le projet présenté par M. E... d'Ouince compromet la viabilité de l'exploitation de l'EARL Bellevue.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 mai 2022, M. C... E... d'Ouince, représenté par Me Varlet-Angove, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. I..., de Mme F... et de l'EARL Bellevue la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 mai 2022, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. G...,

- et les conclusions de M. Doré, rapporteur public.


Considérant ce qui suit

:

1. Le 10 octobre 2018, Mme D... F..., associée exploitante de l'EARL Bellevue, a présenté, auprès de la direction départementale des territoires de Seine-et-Marne, une demande d'autorisation d'exploiter des terres situées sur le territoire des communes de La Croix-en-Brie. Le 27 novembre 2018, une demande concurrente portant sur ces mêmes parcelles a été présentée par M. E... d'Ouince. Après que la commission départementale d'orientation agricole a examiné les demandes lors de sa séance du 7 février 2019, le préfet de la région Île-de-France a accordé à chacun une autorisation par une décision du 20 mars 2019. M. I..., Mme F... et l'EARL Bellevue relèvent appel du jugement du 15 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande d'annulation de l'arrêté accordant une autorisation d'exploitation à M. E... d'Ouince sur la parcelle E n° 2 d'une superficie de 18 h 23 a 60 ca de terres.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique (...). /Mention y est faite que le rapporteur et le rapporteur public et, s'il y a lieu, les parties, leurs mandataires ou défenseurs (...) ont été entendus (...) ".

3. Il ne ressort d'aucune des mentions de la minute du jugement attaqué que le rapporteur public a été entendu lors de l'audience. Ainsi, ce jugement ne fait pas la preuve que la procédure à l'issue de laquelle il a été prononcé a été régulière. Par suite, il doit être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. I..., Mme F... et l'EARL Bellevue devant le tribunal administratif de Melun.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

4. M. I..., Mme F... et l'EARL Bellevue demandent au tribunal d'enjoindre au préfet de la région Île-de-France de communiquer le procès-verbal de la réunion de la commission départementale d'orientation de l'agriculture de Seine-et-Marne qui s'est tenue le 7 février 2019. Cette pièce ayant été produite en défense, il n'y a pas lieu d'ordonner une telle communication.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. En premier lieu, les décisions attaquées sont signées par M. H... J..., directeur régional et départemental adjoint. Par une décision du 19 mars 2019, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture le 20 mars 2019, Mme A... B..., directrice régionale et interrégionale, a délégué sa signature à M. H... J.... Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... n'était pas absente ou empêchée. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire des décisions attaquées doit, dès lors, être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 313-5 du code rural et de la pêche maritime : " La commission départementale d'orientation de l'agriculture et les commissions prévues aux articles R. 313-3 et R. 313-4 peuvent créer une ou plusieurs sections spécialisées pour exercer les attributions consultatives qui leur sont dévolues s'agissant de décisions individuelles en matière de structures agricoles, d'aides aux exploitants, aux exploitations, aux cultures et aux modes de production (...) ". L'article R. 313-2 du même code fixe la composition de la commission départementale d'orientation de l'agriculture. Aux termes de l'article R. 313-6 de ce même code : " Les sections sont placées sous la présidence du préfet ou de son représentant. / Sont membres de toutes les sections : / 1° Le président du conseil départemental ou son représentant ; / 2° Le directeur départemental des territoires et, le cas échéant, des territoires et de la mer ou son représentant ; / 3° Le directeur départemental, ou s'il y a lieu régional, des finances publiques ou son représentant ; / 4° Le président de la chambre d'agriculture ou son représentant ; / 5° Les huit représentants des organisations syndicales d'exploitants agricoles à vocation générale mentionnées à l'article R. 313-2. / Conformément à l'avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture, le préfet désigne les autres membres de la commission appelés à siéger dans chaque section en fonction de son objet ". Par un arrêté du 7 octobre 2013 modifié par des arrêtés des 14 novembre 2016, 15 juin 2017 et 21 décembre 2018, le préfet de la Seine-et-Marne a fixé la composition de la section spécialisée structures agricoles, aides aux exploitants, exploitations, cultures et modes de production.

7. Outre qu'il ne ressort pas du procès-verbal de la réunion de la section spécialisée structures agricoles, aides aux exploitants, exploitations, cultures et modes de production que le quorum n'était pas atteint, le moyen tiré de la composition irrégulière de la section qui a siégé le 7 février 2019 est dépourvu de précisions permettant d'en apprécier la portée.

8. En troisième lieu, d'une part, aux termes des dispositions de l'article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime : " III.- Le schéma directeur régional des exploitations agricoles établit, pour répondre à l'ensemble des objectifs et orientations mentionnés au I du présent article, l'ordre des priorités entre les différents types d'opérations concernées par une demande d'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2, en prenant en compte l'intérêt économique et environnemental de l'opération. (...) ". L'article L. 331-1 du même code dispose que : " Le contrôle des structures des exploitations agricoles s'applique à la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors sol au sein d'une exploitation agricole, quels que soient la forme ou le mode d'organisation juridique de celle-ci et le titre en vertu duquel la mise en valeur est assurée. / L'objectif principal du contrôle des structures est de favoriser l'installation d'agriculteurs, y compris ceux engagés dans une démarche d'installation progressive. / Ce contrôle a aussi pour objectifs de : / 1° Consolider ou maintenir les exploitations afin de permettre à celles-ci d'atteindre ou de conserver une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles ; / 2° Promouvoir le développement des systèmes de production permettant de combiner performance économique et performance environnementale, dont ceux relevant du mode de production biologique au sens de l'article L. 641-13, ainsi que leur pérennisation ; / 3° Maintenir une agriculture diversifiée, riche en emplois et génératrice de valeur ajoutée, notamment en limitant les agrandissements et les concentrations d'exploitations au bénéfice, direct ou indirect, d'une même personne physique ou morale excessifs au regard des critères précisés par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. ". Aux termes des dispositions de l'article L. 331-3-1 du même code dans leur version alors applicable : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : / 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; / 2° Lorsque l'opération compromet la viabilité de l'exploitation du preneur en place ; (...) ". Aux termes des dispositions de l'article R. 331-6 du même code : " II.- La décision d'autorisation ou de refus d'autorisation d'exploiter prise par le préfet de région doit être motivée au regard du schéma directeur régional des exploitations agricoles et des motifs de refus énumérés à l'article L. 331-3-1. ".

9. D'autre part, le schéma directeur régional des exploitations agricoles, arrêté par le préfet de la région Île-de-France le 21 juin 2016, définit ses orientations à son article 2, l'ordre des priorités entre les différents types d'opérations concernées par une demande d'autorisation à son article 3, précision étant alors faite que " des autorisations pour des candidatures de priorités différentes peuvent être délivrées, pourvu que, pour une demande autorisée, les demandes de priorités supérieures le soient également ", la fixation des seuils de contrôle à son article 4 et les critères d'appréciation de l'intérêt d'une opération à son article 5, notamment la définition de la dimension économique viable d'une exploitation.

10. Les requérants soutiennent que la décision n'est pas suffisamment motivée en ce qu'elle ne fait pas référence à la situation du preneur en place. Outre qu'il ne ressort pas des dispositions précitées qu'un tel élément devrait nécessairement figurer parmi ses motifs, la décision, prise au visa des articles L. 312-1, L. 311-1 et suivants, R. 312-1 et suivants et R. 331-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, expose la situation des deux demandeurs, décrit notamment la superficie actuellement exploitée par chacun et le contenu de leur projet et précise, comme elle est tenue de le faire par les dispositions précitées de l'article R. 331-6 du code rural et de la pêche maritime, les motifs pour lesquels le dossier de chacun est conforme aux orientations du schéma directeur régional des exploitations agricoles de l'Île-de-France, à savoir que l'opération d'installation envisagée par Mme F... est classée n° 1 du fait de sa conformité avec l'orientation visant à " favoriser l'installation des jeunes agriculteurs et [à] conforter ces installations " et celle d'agrandissement de M. E... d'Ouince est classée n° 3 du fait de sa conformité avec l'orientation visant à " consolider et [à] maintenir une exploitation afin de permettre à celle-ci d'atteindre ou de conserver une dimension économique viable ". Dans ces conditions, la décision, qui n'avait pas à reprendre les observations faites lors de la procédure préalable, est suffisamment motivée.

11. Les requérants soutiennent également que la décision méconnait les dispositions des articles L. 331-3 et L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime et celles du schéma directeur régional des exploitations agricoles d'Île-de-France en ce que ne sont pas réunies les conditions auxquelles peut être accordée une autorisation d'exploitation pour un demandeur dont le rang de priorité est inférieur à celui d'un autre demandeur et en ce qu'elle est de nature à compromettre la viabilité de l'exploitation de l'EARL Bellevue.

12. Outre que les dispositions précitées du code rural et de la pêche maritime ne font pas obligation au préfet de refuser de délivrer une autorisation d'exploiter même lorsque le demandeur ou le titulaire d'autorisation concurrent bénéficie d'un rang de priorité supérieur ou lorsque l'opération compromet la viabilité de l'exploitation du preneur en place, il ressort des pièces du dossier que le préfet de la région Île-de-France a, ainsi qu'il a été dit au point 10 du présent arrêt, autorisé les demandes de Mme F..., classée n° 1, et de M. E... d'Ouince, classé n° 3, en se conformant à l'ordre de priorité établi par le schéma directeur régional des exploitations agricoles et après avis de la commission départementale d'orientation agricole, aucun élément, pas même l'étude menée par le cabinet CDER Conseil, ne permettant d'établir que la viabilité de l'exploitation de l'EARL Bellevue serait compromise. Il en résulte que la décision du préfet de la région Île-de-France n'a pas méconnu les dispositions précitées ni, pour les mêmes motifs, celles de l'article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. I..., Mme F... et l'EARL Bellevue ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. I..., Mme F... et l'EARL Bellevue demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de M. I..., de Mme F... et de l'EARL Bellevue une somme globale de 1 500 euros à verser à M. E... d'Ouince.

D E C I D E :



Article 1er : La requête de M. I..., de Mme F... et de l'entreprise agricole à responsabilité limitée Bellevue est rejetée.

Article 2 : M. I..., Mme F... et l'entreprise agricole à responsabilité limitée Bellevue verseront une somme globale de 1 500 euros à M. E... d'Ouince.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. K... I..., désigné comme représentant en vertu de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à M. C... E... d'Ouince et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré après l'audience du 20 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 novembre 2022.

Le rapporteur,

J-F. G...Le président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBER

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22PA00694