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Cour de cassation, Chambre criminelle, 1 décembre 2020, 19-87.379

Mots clés
maire • diffamation • mandat • renvoi • tiers • pourvoi • réquisitions • société • transcription • absence • nullité • prescription • presse • saisie • terrorisme

Synthèse

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Résumé

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Partie demanderesse
Personne physique anonymisée
Partie défenderesse
Personne physique anonymisée
défendu(e) par Cabinet SOCIETE PIWNICA-MOLINIE AVOCATS & ASS

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Texte intégral

N° V 19-87.379 F-D N° 2363 EB2 1ER DÉCEMBRE 2020 CASSATION SANS RENVOI M. SOULARD président, R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E ________________________________________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________ ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 1ER DÉCEMBRE 2020 M. H... S... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 29 octobre 2019, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, a prononcé sur les intérêts civils. Des mémoires ont été produits, en demande et en défense. Sur le rapport de M. Bonnal, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. H... S..., les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. M... K..., et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 13 octobre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre, la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit. 2. M. M... K..., maire adjoint de Nice, a fait citer devant le tribunal correctionnel de Nice, du chef précité, M. E... C..., président de la société Les éditions du Seuil, et M. H... S..., en raison du passage suivant d'un ouvrage publié par le premier et signé du second, sous le titre « Les revenants » : « Mais V... en veut également beaucoup à l'ancien maire de Nice, M... K..., dont il dénonce la passivité. Car tout au long de son mandat, Y... R... a pu aisément infuser en profondeur, en toute impunité, et recruter à Nice, plus d'une centaine de Jihadistes. Au point d'en faire aujourd'hui la ville la plus touchée en France par le phénomène. « Pourquoi avoir attendu notre départ, avoir attendu le départ de tous ces niçois et de tous ces Français pour enquêter, alors que Y... J... était bien connu ? Quand je suis parti, ça devait être la sixième ou la septième saison de ses vidéos, ça faisait des années qu'il était dessus, pas juste quelques mois, donc ils savaient les intentions d'Y... J.... Il avait été arrêté en partance pour l'Afghanistan. Il savait très bien ce qu'il faisait au quartier Saint-Charles. J'en veux au maire de Nice parce qu'il était au courant de tout ça, il a laissé faire. » 3. Le tribunal correctionnel a annulé la citation délivrée à M. C... et constaté la prescription à son égard, rejeté le moyen de nullité de la citation soutenu par M. S... et renvoyé celui-ci des fins de la poursuite, a reçu M. K... en sa constitution de partie civile et l'a débouté de toutes ses demandes. 4. La partie civile a seule relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen 5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen



Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a entendu le ministère public en ses réquisitions, alors « que le débat ne portait que sur les intérêts civils, méconnaissant ainsi la présomption d'innocence ainsi que les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 2, 464, 512, 591, 592 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'application combinée des articles 464, alinéa 3, et 512 du code de procédure pénale que la présence du ministère public n'est pas obligatoire devant la cour d'appel lorsque le débat ne porte que sur les intérêts civils, y compris lorsqu'il revient à cette juridiction, saisie du seul appel formé par la partie civile contre un jugement de relaxe, d'apprécier l'existence d'une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite. 8. Le fait que, sur les intérêts civils, le procureur général ou l'un de ses substituts prenne néanmoins des réquisitions écrites ou développe les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice, qui n'est interdit par aucune disposition légale, ne méconnaît ni le principe de la présomption d'innocence, ni les dispositions conventionnelles invoquées. 9. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Mais sur les troisième et quatrième moyens

Enoncé des moyens 10. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que M. S... a commis une diffamation envers un citoyen chargé d'un mandat public, alors : « 1°/ que des imputations concernant un sujet d'intérêt général et reposant sur une base factuelle suffisante, ne sont pas diffamatoires ; qu'ayant énoncé que les propos litigieux portant sur les opérations de recrutement des jihadistes constituaient « un sujet d'intérêt général » reposant sur « une enquête sérieuse », la cour d'appel qui a cependant considéré que ces propos étaient diffamatoires, a méconnu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ; 2°/ que la cour d'appel a jugé que les propos étaient diffamatoires en ce que l'auteur n'avait désigné comme responsable que « le seul maire de Nice » au lieu de dénoncer l'inaction « des pouvoirs publics » en général ; que le fait que n'étaient pas visées par les propos litigieux d'autres personnes responsables implique que les propos reposaient sur une base factuelle suffisamment sérieuse pour mettre en cause le maire de Nice ; qu'en considérant la diffamation constituée en ce qu'un seul responsable était mis en cause par les propos litigieux, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, n'a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. » 11. Le quatrième moyen critique l'arrêt attaqué du même chef, alors : « 1°/ que la bonne foi requiert la légitimité du but poursuivi, l'absence d'animosité personnelle, la prudence dans l'expression et le sérieux de l'enquête ; que la cour d'appel qui a jugé l'absence de prudence dans l'expression en ce que les propos ne reposaient « sur aucune base factuelle » tandis qu'elle a tout à la fois constaté que le journaliste s'était livré à une « enquête sérieuse », n'a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ; 2°/ que la liberté d'expression ne peut être soumise à des limitations que si celles-ci sont nécessaires dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi ; que la manière de traiter un sujet relève de la liberté journalistique et il n'appartient pas aux juridictions de se substituer à la presse en la matière ; que l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme laisse aux journalistes le soin de décider quels détails doivent être publiés et de choisir, parmi les informations qui leur parviennent, celles qu'ils traiteront et la manière dont ils le feront ; qu'il n'appartient pas aux journalistes d'instruire à charge et à décharge ; qu'en reprochant cependant aux journalistes de ne pas avoir mis également en cause les autres responsables de l'inaction dénoncée, la cour d'appel a méconnu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. » Réponse de la Cour 12. Les moyens sont réunis.

Vu

l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme : 13. La liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans le cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 dudit article. 14. Pour, refusant à M. S... le bénéfice de la bonne foi, dire que celui-ci a commis une faute civile à partir et dans la limite des faits de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public objet de la poursuite et infirmer le jugement sur les intérêts civils, l'arrêt attaqué, après avoir exactement relevé que le propos incriminé impute à un responsable politique d'avoir été volontairement inactif, voire complaisant, à l'égard d'un activiste islamiste qu'il aurait laissé, en toute connaissance de cause, développer son oeuvre de propagande et de recrutement à l'égard de jeunes gens influençables, énonce que, si le passage incriminé est pour une large part la transcription des propos qui auraient été tenus par un tiers, le journaliste qui les reçoit et les publie n'est pas dispensé d'effectuer des vérifications sérieuses pour s'assurer que ces propos reflètent la réalité des faits ni de prendre de la distance avec ce qui, en eux, pourrait lui apparaître comme discutable et d'attirer à cet égard l'attention du lecteur. 15. Les juges ajoutent que, si M. S... a effectué, sur un sujet d'intérêt général, une enquête pouvant être qualifiée de sérieuse, il a repris ces propos à son compte, leur donnant un crédit certain, alors qu'il aurait pu ne pas désigner le seul maire de Nice, dont les pouvoirs en matière de terrorisme sont pourtant limités, comme le principal responsable de la situation décrite et qu'une dénonciation plus générale de la prétendue inaction des pouvoirs publics n'aurait en rien dénaturé les propos attribués au repenti. 16. Ils en déduisent une absence de prudence et de mesure dans l'expression critiquée qui ne repose sur aucune base factuelle relative spécifiquement à la ville de Nice et au rôle de M. K....

17. En se déterminant ainsi

, alors que, pour les motifs qui suivent, les propos n'excédaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé. 18. En premier lieu, elle a mal apprécié le sens et la portée des deuxième et troisième phrases du passage incriminé, par lesquelles le journaliste s'est contenté d'introduire et d'expliciter la citation des propos tenus par un tiers qu'il a reproduits ensuite, sans les reprendre à son compte. 19. En deuxième lieu, il ne pouvait être exigé du journaliste qu'il prenne ses distances à l'égard des propos qu'il rapportait, dès lors que la diffusion de ces propos, rendue possible par une enquête sérieuse qui garantissait qu'elle participait d'un débat d'intérêt général portant, en l'espèce, sur la passivité alléguée de certains responsables publics face à des processus d'endoctrinement engendrant la radicalisation, contribuait à la légitime information du public. 20. Enfin, la cour d'appel ne pouvait, dans ces conditions, reprocher au journaliste un prétendu manque de prudence ni l'éventuelle insuffisance de la base factuelle des seuls propos tenus par le tiers. 21. La cassation est en conséquence encourue de ce chef. Portée et conséquences de la cassation 22. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS

, la Cour : CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 29 octobre 2019, mais en ses seules dispositions ayant dit que M. S... a commis une faute civile à l'origine du préjudice subi par M. K... et l'ayant condamné à payer à celui-ci des sommes à titre de dommages-intérêts et en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; DIT n'y avoir lieu à renvoi ; DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ; ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier décembre deux mille vingt.

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