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Tribunal administratif de Toulouse, 19 juillet 2023, 2304194

Synthèse

  • Juridiction : Tribunal administratif de Toulouse
  • Numéro d'affaire :
    2304194
  • Type de recours : Excès de pouvoir
  • Dispositif : Satisfaction totale
  • Nature : Ordonnance
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Chronologie de l'affaire

Tribunal administratif de Toulouse
19 juillet 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante

: Par une requête et une pièce complémentaire, enregistrées le 18 juillet 2023 à 15 h 13 et à 17 h 33, l'association One Voice, représentée par Me Thouy, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : 1°) la suspension de l'exécution de l'arrêté du 17 juillet 2023 par lequel la préfète de l'Ariège a autorisé le groupement pastoral d'Arreau à procéder à des effarouchements par tirs à effets sonores de l'ours ; 2°) la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - l'urgence est établie dès lors que l'arrêté attaqué porte atteinte à son objet statutaire et aux animaux qu'elle s'est donnée pour mission de défendre ; les effarouchements conduisent à remettre en cause la fréquentation par l'ours de pans importants de son aire de réparation naturelle ; ils conduisent à repousser l'ours d'espaces essentiels à son alimentation ; ils portent atteinte au maintien des populations ursines et compromettent l'amélioration de l'état de cette espèce ; - il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de vivre dans un environnement équilibré. Par un mémoire en défense et un mémoire rectificatif, enregistrés le 19 juillet 2023 à 10 h 08 et à 10 h 58, la préfète de l'Ariège conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que : - les mesures d'effarouchement retenues n'ont aucun effet négatif à l'égard de l'espèce ; - l'association requérante n'apporte pas la preuve de ce que les mesures ne seraient pas effectives et proportionnées ; - l'estive concernée a mis en œuvre des moyens de protection suffisants et adaptés au secteur concerné et à la nature de l'élevage ; - l'estive répond bien aux conditions préalables à la mise en œuvre des mesures d'effarouchement renforcés figurant dans l'arrêté ministériel du 4 mai 2023 et permettant de confirmer les dommages caractérisés. Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ; - la Charte de l'environnement ; - le code de l'environnement ; - l'arrêté interministériel du 4 mai 2023 relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux ; - le code de justice administrative. La présidente du tribunal a désigné M. Truilhé, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique du 19 juillet 2023 à 11 h 30, en présence de Mme Guérin, greffière d'audience : - le rapport de M. Truilhé, juge des référés ; - les observations de Me Vidal, substituant Me Thouy, pour l'association requérante, qui a repris les écritures de sa consoeur ; - et les observations de M. A, directeur départemental des territoires de l'Ariège, et de M. B, responsable unité grands prédateurs à la direction régionale de l'Office français de la Biodiversité (OFB), représentant la préfète de l'Ariège. La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience. Une pièce, présentée par la préfète de l'Ariège, a été enregistrée le 19 juillet 2023 à 13 h 11 et n'a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit

: Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : 1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " ; et aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique () ". 2. Le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu'elle entend défendre, qu'il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l'action ou de la carence de l'autorité publique, peut saisir le juge des référés sur le fondement de cet article. Il lui appartient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises. En ce qui concerne l'urgence : 3. Lorsqu'un requérant fonde son action non sur la procédure de suspension régie par l'article L. 521-1 du code de justice administrative mais sur la procédure de protection particulière instituée par l'article L. 521-2 du même code, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d'urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par l'article L. 521-2 soient remplies, qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les quarante-huit heures. 4. L'arrêté du 17 juillet 2023 de la préfète de l'Ariège dont il est demandé la suspension de l'exécution a autorisé la mise en œuvre des tirs d'effarouchement à effet sonore de l'ours brun sur l'estive du groupement pastoral d'Arreau pour prévenir les dommages aux troupeaux, pour les deux nuits des 18 au 19 juillet 2023 et du 19 au 20 juillet 2023. 5. Eu égard à la protection particulièrement stricte dont bénéficie l'ours brun en vertu du droit de l'Union européenne, espèce considérée en danger critique d'extinction en France métropolitaine par le Muséum national d'histoire naturelle, le comité français de l'UICN, la société française pour l'étude et la protection des mammifères et l'ONCFS, et dès lors que l'arrêté attaqué a commencé à produire ses effets et que ceux-ci doivent reprendre dès 20 h 00 ce jour, l'association requérante justifie d'une situation particulière constitutive d'une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. En ce qui concerne l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : 6. D'une part, l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive " Habitats ", prévoit que : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : () b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance () ". L'ours brun (Ursus arctos) est au nombre des espèces figurant au point a) de l'annexe IV de la directive. L'article 16 de la même directive énonce toutefois que : " 1. A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des article 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : () b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ". 7. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de l'article 12 de la directive " Habitats " : " Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation () d'espèces animales non domestiques () et de leurs habitats, sont interdits : 1° () la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces () ". Aux termes du I de l'article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l'article 16 de la même directive : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques () ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en œuvre des interdictions prises en application du I de l'article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s'appliquent () ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : () b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage () et à d'autres formes de propriété ". 8. Pour l'application de ces dernières dispositions, l'article R. 411-1 du code de l'environnement prévoit que la liste des espèces animales non domestiques faisant l'objet des interdictions définies à l'article L. 411-1 du même code est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l'agriculture. L'article R. 411-6 du même code précise que : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / () ". Son article R. 411-13 prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature " () / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ". 9. Enfin, aux termes de l'article 4 de l'arrêté ministériel du 4 mai 2023 relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux : " I. - Pour la mise en œuvre de l'effarouchement renforcé, tout éleveur, groupement pastoral ou gestionnaire d'estive peut déposer auprès du préfet de département une demande de dérogation, assortie du compte-rendu prévu au III de l'article 3, permettant le recours à l'effarouchement par tirs à effet sonore à l'aide d'un fusil de calibre 12 chargé de cartouches à double détonation. Aucune opération d'effarouchement renforcé ne peut être réalisée en zone cœur du parc national des Pyrénées. Cette demande peut être présentée : - dès la deuxième attaque intervenue dans un délai inférieur à un mois malgré la mise en œuvre effective d'opérations d'effarouchement simple au cours de cette période ; - pour les estives ayant subi au moins quatre attaques cumulées sur les deux années précédentes, dès la première attaque survenue malgré la mise en œuvre effective d'opérations d'effarouchement simple lors de l'estive en cours ; ou - pour les estives ayant subi en moyenne plus de dix attaques par an au cours des trois saisons d'estive précédentes, ayant mis en œuvre de manière effective l'effarouchement simple durant les douze derniers mois, et ayant déjà subi une attaque après cette mise en œuvre effective. Pour ces estives, la demande d'effarouchement renforcée vaut également demande d'effarouchement simple. () ". 10. L'arrêté préfectoral contesté, pris sur le fondement des dispositions précitées, a pour objet d'autoriser et de fixer les conditions de recours à l'effarouchement par tirs à effet sonore de l'ours brun sur l'estive du groupement pastoral d'Arreau pour prévenir les dommages aux troupeaux. Il résulte de l'instruction, sans qu'il soit besoin de statuer sur le caractère effectif et proportionné des mesures de protection des troupeaux concernés, que le groupement pastoral d'Arreau a bénéficié de deux arrêtés des 3 et 10 juillet 2023 par lesquels la préfète de l'Ariège a autorisé le recours à l'effarouchement par tirs à effet sonore d'ours brun pour les nuits des 4, 5, 11 et 12 juillet 2023. Si la préfète indique, dans son arrêté litigieux, que le troupeau dudit groupement pastoral a fait l'objet de deux constats durant la semaine 28, elle n'établit pas qu'une nouvelle attaque d'ours serait intervenue sur son estive postérieurement à l'exécution de l'arrêté du 10 juillet 2023. Il résulte également de l'instruction qu'aucune attaque d'ours n'a été répertoriée au sein du groupement pastoral d'Arreau du 10 au 17 juillet 2023. Ainsi, faute pour la préfète d'établir l'existence d'une attaque d'ours depuis l'exécution de l'arrêté du 10 juillet 2023, les conditions de l'article 4 de l'arrêté ministériel du 4 mai 2023 précité, sur lequel se fonde l'arrêté litigieux, ne sont pas remplies. 11. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de l'Ariège, dans son arrêté, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de vivre dans un environnement équilibré, lequel constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. 12. Dès lors, et eu égard au caractère provisoire des mesures de référé, il y a lieu de suspendre l'exécution de l'arrêté du 17 juillet 2023 par lequel la préfète de l'Ariège a autorisé l'effarouchement par tirs à effet sonore de l'ours brun sur l'estive du groupement pastoral d'Arreau pour prévenir les dommages aux troupeaux, jusqu'au 20 juillet 2023 à 07 h 30. Sur les frais du litige : 13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 750 euros au titre des frais exposés par l'association One Voice non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : L'exécution de l'arrêté de la préfète de l'Ariège en date du 17 juillet 2023 portant autorisation de l'effarouchement par tirs à effet sonore de l'ours brun sur l'estive du groupement pastoral d'Arreau pour prévenir les dommages aux troupeaux est suspendue, jusqu'au 20 juillet à 07 h 30. Article 2 : L'Etat versera à l'association One Voice la somme de 750 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté. Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association One Voice et à la préfète de l'Ariège. Fait à Toulouse, le 19 juillet 2023. Le juge des référés, J. C. TRUILHE La greffière, S. GUERIN La République mande et ordonne à la préfète de l'Ariège, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance. Pour expédition conforme, la greffière en chef, ou par délégation, la greffière,