LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. [J] [H],
contre l'arrêt de la cour d'appel de [Localité 1], chambre correctionnelle, en date du 14 avril 2016, qui, pour infractions à la législation sur les stupéfiants, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement et à une interdiction du territoire pendant 5 ans, et a ordonné la confiscation des scellés ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 1er février 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article
567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller PLANCHON, les observations de la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LE BAUT ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 130-1,
132-1, 132-19, 132-24, 132-25 et suivants, 222-37, 222-41, 222-44, 222-45,
222-47,
222-48,
222-49,
222-50 et
222-51 du code pénal, des articles
L. 5132-7,
L. 5132-8,
R. 5132-74 et
R. 5132-77 du code de la santé publique, de l'article préliminaire et de l'article
593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. [H] coupable d'acquisition, détention, transport et cession de stupéfiants, en l'occurrence de l'héroïne, et l'a condamné à la peine de deux ans d'emprisonnement, sans aménagement de peine, avec maintien en détention, outre l'interdiction du territoire français pour une durée de cinq ans ;
"aux motifs que, début décembre 2015, le SRPJ de Montpellier recevait un renseignement d'une source digne de confiance selon lequel un certain [K] se livrerait à la revente de stupéfiants sur le secteur de [Adresse 1] à [Localité 1] et utiliserait deux lignes de téléphone ; que les investigations effectuées sur ses deux lignes de téléphone avec l'accord du parquet, facturation et bornage, permettait de confirmer qu'une seule personne utilisait ces deux lignes et surtout que les correspondants étaient des personnes connues comme ayant fait l'objet de procédure pour infraction aux stupéfiants ; que, le 14 janvier 2016, le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance de Montpellier autorisait l'interception pour une durée d'un mois de ces deux lignes ainsi que l'enregistrement des conversations ; que les écoutes téléphoniques permettaient d'identifier le dénommé [K] comme étant M. [M] [H], lequel était en voyage au Maroc, mais aussi de démontrer que pendant son absence, c'était son frère M. [J] [H] qui utilisait ces deux lignes et qui gérait "ses affaires" ; qu'après un accident de la circulation au Maroc, M. [M] [H] était rapatrié en France le 20 janvier 2016 et circulait alors en fauteuil roulant, ayant été gravement blessé, ce qui ne l'empêchait pas de continuer ses activités malgré son handicap, d'après les surveillances physiques effectuées ; que, le 12 février 2016, le JLD renouvelait les autorisations d'interception des deux premières lignes, mais aussi une troisième utilisée par M. [J] [H] ; que grâce aux écoutes, les enquêteurs étaient prévenus d'une livraison entre M. [M] [H] et un de ses clients M. [O] [R] ; qu'ils décidaient donc d'intervenir après la transaction le 1er mars 2016 ; que, lors de leur interpellation, M. [M] [H] était trouvé porteur de 26 g d'héroïne brune et de 640 euros, et M. [O] [R] de 300 euros ; qu'au domicile de M. [M] [H] il était découvert 275 g d'héroïne, une balance de précision, et trois téléphones ; que M. [J] [H] était alors interpellé le même jour au domicile de sa compagne, Mme [L] [P] ; qu'au cours de la perquisition de leur domicile, il était découvert une pochette contenant 2 150 euros et dans la salle de bain dans le faux plafond, 30,06 g d'héroïne et 4,98 g de cocaïne ainsi qu'une balance de précision ; qu'après avoir très longtemps nié les faits, avec l'audition des écoutes téléphoniques, le témoignage de sa compagne et de plusieurs de ses clients, MM. [R], [N] et [Y], [J] [H] reconnaissait revendre de l'héroïne depuis l'été 2015 pour pouvoir subvenir à sa consommation de cocaïne en minimisant ses activités de vente ; que le bulletin numéro 1 du casier judiciaire de M. [J] [H] ne porte trace d'aucune condamnation ; qu'il est âgé de 39 ans, de nationalité marocaine, sans emploi et sans ressources déclarées ; qu'il est marié à une personne de nationalité espagnole et père de deux enfants de nationalité espagnole, tous trois domiciliés à Tenerife ; qu'il serait en instance de divorce ; qu'il est titulaire d'un passeport marocain dont il produit la photocopie et d'une carte de séjour pour l'Espagne ; qu'il est en situation irrégulière en France ; que les faits sont établis par les constatations régulières des procès-verbaux, et les infractions, reconnues par le prévenu, sont caractérisées en tous leurs éléments ; qu'en effet, les surveillances téléphoniques et physiques ont permis d'établir que M. [J] [H] était vendeur d'héroïne à [Adresse 1] ; qu'il explique qu'il revend de l'héroïne et de la cocaïne pour pouvoir subvenir à sa consommation personnelle ; qu'il donc déclaré coupable d'avoir à [Localité 1] du 1er janvier 2015 au 2 mars 2016 détenu, acquis, transporté, offert ou cédé des stupéfiants ; que les articles
130-1 et
132-1 du code pénal imposent au juge d'individualiser la peine prononcée, qui doit sanctionner l'auteur de l'infraction mais aussi favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ; qu'elle doit être déterminée en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime ; que M. [J] [H] déclare à l'audience qu'il ne revend qu'environ 60 g d'héroïne par mois, acheté 7euros le gramme et revendu 10 à 12 euros et qu'il achète 25 g de cocaïne par mois pour sa consommation personnelle à 60 ou 70 euros le gramme, et qu'il n'a que deux ou trois clients ; que, cependant, alors que son frère était au Maroc, les investigations, identification des numéros appelants et bornage, sur les deux lignes de téléphone que gérait M. [J] [H], démontrent qu'au moins douze personnes déjà connues par les services de police ou de la gendarmerie pour infractions aux stupéfiants appelaient sur ses deux lignes et les écoutes confirment que c'était pour s'approvisionner en héroïne ; que trois usagers ont aussi été entendus :
- M. [O] [R], consommateur d'héroïne depuis l'âge de 16 ans, à raison de 2 à 3 g par jour, reconnaît que [K] était son fournisseur habituel depuis un mois, mais qu'auparavant son fournisseur était [J], précise qu'il a connu celui-ci l'année d'avant, qu'il s'est fourni auprès de lui pendant environ trois semaines puis que celui-ci avait disparu de la circulation et était revenu au cours de l'été 2015, qu'à partir de cette date il lui prenait environ une à deux fois par semaine 2 ou 3 g à 20 euros le gramme mais que, [J] n'étant pas sérieux, depuis le retour d'[K], il ne se fournissait qu'auprès de lui ; lors d'une deuxième audition il précisait consommer 25 g d'héroïne par semaine ;
- M. [Z] [N] est consommateur d'héroïne depuis l'âge de 18 ans à raison de 5 g d'héroïne par semaine, il a fait la connaissance de M. [J] [H] par l'intermédiaire de son ami M. [O] [R] au cours de l'été 2015, il paye le gramme 20 euros mais ajoute que [J] a deux qualités de produits différentes, qu'il vend aussi une héroïne pure à 60 g ; il explique que le lieu de rendez-vous était devant le bar des Lilas, qu'il téléphonait à [J] sur son portable, puis qu'il envoyait un SMS pour dire dans combien de secondes il allait passer, le nombre de secondes équivalent au nombre de grammes demandés, puis il se rendait en voiture devant le bar des Lilas, [J] montait dans son véhicule, et la transaction avait lieu pendant qu'il faisait le tour du pâté de maison ; que ce modus operandi est confirmé par une des surveillances ;
- Mme [V] [Y] est consommatrice d'héroïne à raison de 2 g par semaine, elle précise avoir pris 8 g en décembre à [J] parce que [K] était, au bled à 20 euros le gramme soit 160 euros les 8 g, qu'ensuite en janvier, elle s'est à nouveau approvisionnée auprès d'[K] ;
qu'au cours de sa dernière audition par les services de police, M. [J] [H] a reconnu vendre à MM. [Z] ([N]), [G], [K], [N] et [S] (résine de cannabis) ; qu'a minima, M. [J] [H] avait donc sept clients et vendait 150 g d'héroïne par mois, achetée 7 euros et revendue 20 euros ; qu'il faisait donc un bénéfice par mois de minimum 2 050 euros, ce qui était supérieur à ses besoins financiers pour sa consommation de cocaïne, laquelle peut être évaluée à 1 500 euros ; que la revente d'héroïne était donc le moyen de subsistance du prévenu, ce que confirme sa compagne Mme [L] [P] qui explique qu'il ne travaillait pas et qu'il passait ses journées au bar, contrairement à ce qu'il soutient ; que la gravité de l'infraction, s'agissant d'un trafic d'héroïne dont la consommation est un problème de santé publique, et la personnalité du prévenu, qui a fait de la vente de stupéfiants son moyen de subsistance alors qu'il est en situation irrégulière sur le territoire français, imposent le prononcé d'une peine d'emprisonnement, seule façon pour que le prévenu prenne conscience de la gravité de ses actes, toute autre sanction étant manifestement inadéquate ; que M. [J] [H] sera condamné à la peine de deux ans d'emprisonnement ; qu'en l'état des pièces de la procédure et des débats, le prévenu étant en situation irrégulière et ne remplissant pas les conditions prévues aux articles 132-25 et suivants du code pénal, la cour est dans l'impossibilité matérielle d'aménager la peine prononcée ; que la nécessité d'assurer une exécution continue de la peine justifie le maintien en détention du prévenu ; qu'en outre, au regard des éléments ci-dessus développés, il y a lieu de prononcer à l'encontre de M. [J] [H] la peine complémentaire d'interdiction du territoire français pendant une durée de cinq ans ; qu'enfin, la somme de 2 150 euros découverte au domicile du prévenu et de sa compagne sera confisquée dans la mesure où les activités délictuelles du prévenu ont nécessairement permis à Mme [L] [P] de faire ces économies ; que les autres scellés seront aussi confisqués ;
"alors que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard des faits de l'espèce, de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur, de sa situation matérielle, familiale et sociale ainsi que du caractère inadéquat de toute autre sanction ; que, dans le cas où la peine n'est pas supérieure à deux ans, ou à un an pour une personne en état de récidive légale, le juge, s'il décide de ne pas l'aménager, doit en outre motiver spécialement cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle ; qu'en ne motivant pas davantage sa décision sur ces différents points, de façon personnalisée à la situation de M. [J] [H], la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu que, pour condamner M. [H] à une peine de deux ans d'emprisonnement, l'arrêt, après avoir rappelé la gravité des faits et souligné que le commerce de stupéfiants permet au prévenu, qui est sans emploi, d'assurer sa subsistance, relève que celui-ci est en situation irrégulière et énonce que toute autre sanction est manifestement inadéquate ; que les juges ajoutent que l'intéressé ne remplissant pas les conditions prévues aux articles 132-25 et suivants du code pénal, la cour est dans l'impossibilité matérielle d'aménager la peine prononcée ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel, qui, par une appréciation souveraine, a jugé que la gravité de l'infraction, la personnalité de son auteur
et le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction rendaient
nécessaire une peine d'emprisonnement sans sursis et qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de prononcer une mesure d'aménagement de cette peine
d'une durée n'excédant pas deux ans, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux mars deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.