CJUE, Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, 11 février 2003, C-204/00

Mots clés commission · point · infraction · société · amende · entreprise · entrepris · participation · pourvoi · règlement · paragraphe · voir · preuve · documents · pouvoir

Synthèse

Juridiction : CJUE
Numéro affaire : C-204/00
Date de dépôt : 24 mai 2000
Titre : Pourvoi - Concurrence - Marché du ciment - Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) - Compétence du Tribunal - Droits de la défense - Accès au dossier - Infraction unique et continue - Imputation d'une infraction - Preuve de la participation à l'accord général et à sa mise en oeuvre - Amende - Détermination du montant.
Rapporteur : Edward
Avocat général : Ruiz-Jarabo Colomer
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2003:85

Texte

Avis juridique important

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62000C0204

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 février 2003. - Aalborg Portland A/S (C-204/00 P), Irish Cement Ltd (C-205/00 P), Ciments français SA (C-211/00 P), Italcementi - Fabbriche Riunite Cemento SpA (C-213/00 P), Buzzi Unicem SpA (C-217/00 P) et Cementir - Cementerie del Tirreno SpA (C-219/00 P) contre Commission des Communautés européennes. - Pourvoi - Concurrence - Marché du ciment - Article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) - Compétence du Tribunal - Droits de la défense - Accès au dossier - Infraction unique et continue - Imputation d'une infraction - Preuve de la participation à l'accord général et à sa mise en oeuvre - Amende - Détermination du montant. - Affaires jointes C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P.

Recueil de jurisprudence 2004 page 00000

Conclusions de l'avocat général

1 Aalborg Portland A/S (ci-après «Aalborg») a formé un pourvoi contre l'arrêt que la quatrième chambre élargie du Tribunal de première instance a rendu le 15 mars 2000 dans l'affaire connue sous le nom de Cimenteries CBR e.a./Commission (1).

I - Les faits

2 Des faits exposés dans l'arrêt entrepris, on retiendra les suivants aux fins du pourvoi:

- Entre les mois d'avril 1989 et juillet 1990, les services de la Commission ont effectué certaines vérifications auprès de producteurs européens de ciment et d'associations professionnelles du secteur conformément à l'article 14, paragraphes 2 et 3, du règlement n_ 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (2). Comme suite de ces contrôles, la Commission a décidé, le 12 novembre 1991, d'engager la procédure administrative (3) à l'encontre d'un certain nombre d'entreprises, et notamment à l'encontre d'Aalborg (4).

- Le 25 novembre 1991, la Commission a adressé la communication des griefs aux 76 entreprises et associations d'entreprises concernées. Aalborg a eu l'occasion de formuler des observations écrites sur cette communication des griefs. Elle a également été entendue en ses observations orales au cours des audiences qui ont eu lieu le 1er mars et le 1er avril 1993 (5).

- Le texte de la communication des griefs, contenu dans un seul document, n'a pas été envoyé dans son intégralité à chacune des entreprises et associations d'entreprises impliquées dans la procédure. Son index complet ainsi qu'une liste de l'ensemble des pièces, mentionnant pour chaque partie concernée les documents qui lui étaient accessibles, ont été transmis à chaque destinataire de la communication des griefs. Certaines des entreprises mises en cause ont demandé à la Commission de leur communiquer les chapitres manquant dans le texte de la communication des griefs qui leur avait été envoyé et de leur donner accès à l'ensemble des pièces du dossier, à l'exception des documents internes et confidentiels. La Commission a refusé de faire droit à cette demande (6).

- Dans la décision 94/815/CE, du 30 novembre 1994 (7) (ci-après la«décision»), la Commission imputait à Aalborg un certain nombre de pratiques contraires aux règles de la concurrence qui enfreignaient toutes l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) (8). Ces pratiques sont les suivantes:

1. Participation, à partir du 14 janvier 1983, à un accord, appelé «accord Cembureau», ayant pour objet le respect des marchés domestiques et la réglementation des transferts de ciment d'un pays à l'autre (article 1er).

2. Participation, du 14 janvier 1983 au 14 avril 1986, à des accords portant sur des échanges d'informations sur les prix, visant à faciliter l'exécution de l'accord visé à l'article 1er de la décision (article 2, paragraphe 1). Les accords visés ici avaient été adoptés au cours des réunions des chefs de délégation et du comité exécutif de Cembureau - Association européenne du Ciment (ci-après «Cembureau»).

3. Participation, entre le 1er janvier 1984 et le 31 décembre 1988, dans le même but, à des pratiques concertées portant sur:

a) la circulation d'informations sur les prix minimaux pour les livraisons de ciment par camion des producteurs belges et néerlandais et les prix, rabais inclus, du producteur luxembourgeois;

b) la circulation d'informations sur les barèmes individuels des prix des producteurs danois et irlandais, sur les barèmes de la profession en vigueur en Grèce, en Italie et au Portugal et sur les moyennes des prix pratiqués en Allemagne, en France, en Espagne et au Royaume-Uni (article 2, paragraphe 2).

4. Participation, à partir du 28 mai 1986, à un accord portant sur la constitution de la Cembureau Task Force ou European Task Force (article 4, paragraphe 1).

5. Participation, du 17 juin 1986 au 15 mars 1987, à des pratiques concertées visant à détourner l'entreprise italienne Calcestruzzi de ses fournisseurs grecs, et en particulier de Titan Cement Company, SA [article 4, paragraphe 3, sous a)].

6. Participation dans le cadre du European Cement Export Committee, du 14 mars 1984 au 22 septembre 1989, à des pratiques concertées portant sur l'échange d'informations sur la situation de l'offre et la situation de la demande dans les pays importateurs, sur les prix praticables à l'exportation, sur la situation des importations dans les pays membres et sur la situation de l'offre et de la demande des marchés internes et visant à éviter les incursions des concurrents sur les marchés nationaux respectifs de la Communauté (article 5).

- La Commission a enjoint à Aalborg de mettre fin immédiatement aux infractions susvisées et de s'abstenir à l'avenir de tout accord ou pratique concertée incompatibles avec la libre concurrence dans le cadre des marchés du ciment gris et du ciment blanc (article 8). Elle lui a également infligé une amende de 4 008 000 écus, payable dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision, montant qui porterait intérêt de plein droit à compter de l'expiration du délai précité (articles 9 et 11).

3 En désaccord avec la décision de la Commission, Aalborg s'est pourvue en appel de celle-ci devant le Tribunal de première instance.

II - La procédure devant le Tribunal de première instance et l'arrêt entrepris

4 Dans sa requête, Aalborg a conclu, à titre principal, à l'annulation, pour ce qui la concernait, des articles 1er, 2, 4, paragraphes 1 et 3, sous a), 5, 8 et 12 de la décision. À titre subsidiaire, elle a conclu à l'annulation de l'amende ou à la réduction de son montant. En tout état de cause, elle a demandé au Tribunal de condamner la Commission aux dépens.

5 Par décision notifiée aux parties dans chacune des affaires entre le 19 janvier et le 2 février 1996, le Tribunal de première instance a invité la Commission à produire un certain nombre de documents. Celle-ci s'est exécutée le 29 février et a produit (9):

1. la communication des griefs telle que notifiée aux entreprises incriminées, devenues requérantes;

2. le procès-verbal de l'audition de chacune d'entre elles;

3. la liste de toutes les pièces versées aux dossiers;

4. les boîtes contenant les documents sur lesquels la Commission avait fondé les conclusions en fait qu'elle avait reprises dans la communication des griefs et

5. la correspondance échangée au cours de la procédure administrative entre l'institution et les parties requérantes.

6 Le Tribunal a encore rendu deux décisions qui ont été notifiées le 2 octobre 1996, pour la première, et les 18 et 19 juin 1987, pour la seconde. Par ces décisions, le Tribunal ordonnait toutes les mesures nécessaires pour que les parties requérantes puissent examiner tous les documents originaux du dossier, à l'exception de ceux qui contenaient des secrets commerciaux ou d'autres données confidentielles et à l'exception également des documents internes de la Commission (10).

7 Après leur avoir donné accès au dossier dans son intégralité, le Tribunal a invité les entreprises et associations professionnelles requérantes à déposer un mémoire en se limitant à identifier avec précision toute pièce non rendue accessible pendant la procédure administrative qui aurait pu affecter leur défense et à expliquer brièvement les raisons pour lesquelles cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent si elles avaient pu consulter les pièces en question. Il les a également invitées à joindre à leur éventuel mémoire la copie de chaque pièce commentée. Toutes les parties requérantes concernées, à l'exception d'une seule (11), ont déposé des observations après avoir consulté le dossier de la Commission. La Commission a répondu à chacune d'entre elles (12).

8 Par l'arrêt entrepris, le Tribunal a partiellement fait droit au recours d'Aalborg et il a dit pour droit ce qui suit:

«- l'article 1er de la décision 94/815 est annulé, dans la mesure où il retient que la partie requérante a participé à l'infraction au-delà du 31 décembre 1988;

- l'article 2, paragraphe 1, de la décision 94/815 est annulé, dans la mesure où il constate que des accords portant sur des échanges d'informations sur les prix sont intervenus au cours des réunions du comité exécutif de Cembureau - Association européenne du ciment et dans la mesure où il retient la participation de la partie requérante à l'infraction au-delà du 19 mars 1984;

- l'article 2, paragraphe 2, de la décision 94/815 est annulé à l'égard de la partie requérante, dans la mesure où il constate que la circulation périodique d'informations entre Cembureau - Association européenne du ciment et ses membres a porté, en ce qui concerne les prix belges et néerlandais, sur les prix minimaux pour les livraisons de ciment par camion des producteurs de ces deux pays et, en ce qui concerne le Luxembourg, sur les prix, rabais inclus, du producteur de ce pays;

- l'article 4, paragraphe 1, de la décision 94/815 est annulé, dans la mesure où il retient que la partie requérante a participé à l'infraction avant le 9 septembre 1986 et au-delà du 31 mai 1987;

- l'article 4, paragraphe 3, sous a), de la décision 94/815 est annulé, dans la mesure où il retient que la partie requérante a participé à l'infraction avant le 9 septembre 1986;

- l'article 5 de la décision 94/815 est annulé à l'égard de la partie requérante;

- le montant de l'amende infligée à la partie requérante par l'article 9 de la décision 94/815 est fixé à 2 349 000 euros;

- le recours est rejeté pour le surplus;

- la partie requérante supportera ses propres dépens et un tiers des dépens exposés par la Commission;

- la Commission supportera deux tiers de ses propres dépens.»

9 En d'autres termes, le Tribunal a déclaré Aalborg coupable de pratiques anticoncurrentielles pour avoir participé:

1. du 14 janvier 1983 au 31 décembre 1988, à l'accord Cembureau ayant pour objet le respect des marchés domestiques du ciment gris (article 1er de la décision);

2. du 14 janvier 1983 au 19 mars 1984, à des échanges ponctuels d'informations sur les prix du ciment gris (article 2, paragraphe 1, de la décision);

3. entre le 1er janvier 1984 et le 31 décembre 1988, à la circulation périodique d'informations sur les barèmes individuels des prix des producteurs danois et irlandais, sur les barèmes de la profession en vigueur en Grèce, en Italie et au Portugal et sur les moyennes des prix pratiqués en Allemagne, en France, en Espagne et au Royaume-Uni [article 2, paragraphe 2, sous b), de la décision];

4. entre le 9 septembre 1986 et le 31 mai 1987, à l'accord portant sur la constitution de la European Task Force (article 4, paragraphe 1, de la décision), et

5. entre le 9 septembre 1986 et le 15 mars 1987, aux pratiques concertées visant à détourner Calcestruzzi de ses fournisseurs grecs [article 4, paragraphe 3, sous a), de la décision].

III - La procédure devant la Cour

10 Après présentation de la requête et accomplissement de la procédure écrite, la Cour, faisant usage de la faculté que lui confère l'article 119 du règlement de procédure (13), a rejeté le deuxième moyen du pourvoi par ordonnance du 5 juin 2002.

11 Pour ce qui est des autres moyens, les entreprises requérantes et la Commission ont comparu à l'audience conjointe organisée le 4 juillet 2002 pour les six pourvois engagés contre l'arrêt du Tribunal de première instance.

IV - Le pourvoi

12 Aalborg demande à la Cour d'annuler intégralement la partie du dispositif qui la concerne en ce que l'arrêt entrepris a confirmé, au moins partiellement, la décision de la Commission. À titre subsidiaire, elle demande à la Cour de renvoyer l'affaire devant le Tribunal de première instance afin qu'il statue à nouveau, annule l'amende en tout ou en partie et condamne la Commission aux dépens afférents aussi bien à la procédure devant lui qu'à la procédure devant la Cour.

13 À l'appui de ces prétentions, elle a articulé cinq moyens, dont certains sont fondés sur diverses bases juridiques. Comme je l'ai dit plus haut, le deuxième de ces moyens a déjà été rejeté par ordonnance du 5 juin 2002.

14 J'en viens aux griefs d'Aalborg et à la réponse que la Commission a donnée à chacun d'eux et je vais les analyser de manière à justifier les solutions que je propose.

1. Sur la violation des droits de la défense au cours de la procédure administrative, la Commission ayant refusé l'accès à des documents à décharge (premier moyen)

A - Les arguments des parties

15 Aux points 152 et 153 de l'arrêt entrepris, le Tribunal déclare que la Commission a commis des violations flagrantes et substantielles des principes qui régissent l'accès des entreprises au dossier au cours d'une procédure administrative parce qu'elle leur a refusé de consulter pratiquement trois quarts des pièces qui y avaient été versées. Aalborg est d'accord avec cette appréciation et avec les conséquences juridiques que le Tribunal attache, de manière abstraite, à de telles circonstances, en particulier, la violation des droits de la défense s'il devait s'avérer qu'«il existait une chance - même réduite - que la procédure administrative pût aboutir à un résultat différent» dans l'hypothèse où la partie requérante aurait eu accès à un document et aurait commenté son contenu (14).

16 La société requérante conteste cependant l'application que le Tribunal a faite de cette règle de procédure et prétend même que, dans la pratique, il en arrive à la contredire. À l'appui de cette affirmation, elle propose trois exemples:

a) les notes de M. Toscano (point 1122 de l'arrêt) (15);

b) le document démontrant que les réunions du 14 janvier 1983, du 19 mars 1984 et du 7 novembre 1984 portaient sur le dumping et sur un système de points de parité (points 1209 et 1210 de l'arrêt entrepris) (16), et

c) les documents relatifs à la réunion du 9 septembre 1986 à Baden-Baden (points 2888 et 2889 de l'arrêt entrepris) (17).

17 L'entreprise requérante prétend que, si elle avait eu accès à ces documents au cours du traitement du dossier répressif, elle aurait eu la possibilité, si minime soit elle, d'infléchir le résultat de la procédure administrative. Elle conteste la conclusion à laquelle le Tribunal aboutit à ce sujet aux points 1132, 1211 et 2898 de l'arrêt entrepris, en violation du critère correctement exposé au point 237, lequel serait vidé de sa substance s'il fallait exiger un niveau élevé de certitude concernant cette possibilité. Qui plus est, elle estime que, pour réfuter la pertinence des documents, le Tribunal a dû donner, de la responsabilité matérielle, une appréciation nouvelle et plus étroite, différente et plus sévère que la thèse sur laquelle la Commission a fondé la décision, à savoir que la présence d'Aalborg à Baden-Baden était le fait de son appartenance à la European Task Force. Alors que la Commission avait incriminé la société requérante pour toutes les réunions relatives à cette organisation, sans attacher d'importance à son absence à l'une ou l'autre d'entre elles, le Tribunal a, pour sa part, fondé la responsabilité d'Aalborg uniquement et exclusivement sur sa présence à Baden-Baden (18).

18 En tant qu'instrument de la défense, l'importance des documents devait dès lors être examinée au regard des griefs communiqués par la Commission et en fonction de l'objectif d'Aalborg, qui cherchait à éviter de figurer dans la décision. Ce n'est donc pas dans le cadre d'une procédure portant uniquement sur la question de savoir si une décision déjà adoptée pouvait être maintenue en vigueur que le Tribunal devait l'apprécier. Selon Aalborg, celui-ci a commis une erreur de droit obligeant la Cour à annuler l'arrêt dans sa totalité ou, du moins, en partie, dans la mesure où le Tribunal l'y a déclarée responsable des infractions décrites à l'article 4, paragraphes 1 et 3, sous a), de la décision et a étendu l'infraction de l'article 1er au-delà des trois réunions du 14 janvier 1983, du 19 mars 1984 et du 7 novembre 1984.

19 À l'abondante argumentation d'Aalborg, la Commission rétorque que le Tribunal a correctement appliqué le critère suivant lequel les nouveaux éléments de preuve doivent être examinés au regard du contenu des documents que la requérante aurait souhaité consulter au cours de la procédure administrative. Selon elle, ce moyen est irrecevable parce qu'en réalité, il s'agit d'une évaluation des preuves qui doit rester en dehors du cadre d'un pourvoi.

20 En tout état de cause, la Commission considère que le moyen est dénué de fondement parce que le Tribunal a correctement apprécié le respect des droits de la défense et conclu qu'ils n'avaient pas été violés en l'espèce. Les documents cités par Aalborg confirment un fait que nul n'a contesté, à savoir que le secteur était préoccupé par le dumping et par les aides d'État, problèmes qui ont été examinés au cours des réunions des chefs de délégation en 1983 et 1984. Par ailleurs, ces mêmes documents ne sont pas de nature à invalider les éléments de preuve dont la Commission a tenu compte pour rendre sa décision, éléments de preuve qui contribuaient à démontrer au cours de ces réunions, les participants avaient traité d'autres questions ayant pour objet des pratiques contraires à la libre concurrence.

21 Aalborg rétorque que le contrôle de l'application de la règle de procédure utilisée par le Tribunal, règle utilisée à d'autres occasions dans la jurisprudence communautaire (19), est une opération strictement juridique qui peut être effectuée dans le cadre d'un pourvoi, la Cour pouvant émender l'arrêt entrepris dans la mesure où le juge a quo aurait vidé sa propre méthode de jugement de tout contenu.

22 La Commission affirme, dans la duplique, que la pratique dément les conjectures pessimistes d'Aalborg puisque, dans l'arrêt entrepris, le Tribunal a annulé certaines parties du dispositif de la décision au motif que la Commission avait refusé à deux des entreprises mises en cause la possibilité de consulter certains documents au cours de la procédure administrative (20).

B - La légitimité des mesures de réorganisation de la procédure décrétées par le Tribunal de première instance

23 Pour répondre aux critiques qui avaient été émises à propos de la régularité de la procédure administrative et combler les éventuelles lacunes résultant de l'absence d'accès à certains documents, le Tribunal a demandé à la Commission de lui fournir l'intégralité du dossier afin qu'il puisse être mis à la disposition des parties (21) de manière à ce que celles-ci puissent identifier ceux qu'elles n'avaient pas pu examiner durant l'instruction et expliquer les raisons pour lesquelles la procédure aurait pu déboucher sur un résultat différent si elles avaient eu l'occasion de les consulter.

24 Dans son arrêt, le Tribunal a analysé les documents désignés par les requérantes ainsi que les observations présentées par celles-ci. Il a statué sur le cas d'Aalborg au point 15 du dispositif de la manière que nous avons reproduite au point 8 des présentes conclusions. À cet effet, il a appliqué le principe suivant: il y aurait violation des droits de la défense s'il existait une chance, même infime, que la procédure administrative eût pu aboutir à un résultat différent dans l'hypothèse où la partie requérante aurait pu se prévaloir du document auquel l'accès lui avait été refusé (22).

25 Aalborg s'interroge sur la perspective correcte suivant laquelle doit s'effectuer l'examen de l'importance qu'auraient pu avoir comme preuve à décharge les documents auxquels elle n'a pas eu accès au cours de la procédure administrative. Le juge doit-il se confronter à la communication des griefs et se placer dans l'optique de celui qui entend n'être pas inclus dans la décision? Ou bien peut-il, au contraire, restreindre son champ de vision au point de vue de celui qui se limite à juger si la décision peut être maintenue en vigueur telle qu'elle a été adoptée? Ces questions mettent en cause, dès la racine, tout le travail réalisé par le Tribunal dans l'arrêt entrepris.

26 La procédure de constatation des infractions aux articles 81 CE et 82 CE est une procédure répressive. Elle a non seulement pour objet de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles, mais également de sanctionner les comportements qui les provoquent. À cette fin, elle confère à la Commission le pouvoir de punir les auteurs au moyen de sanctions pécuniaires. Pour remplir sa mission, cette institution dispose de larges pouvoirs d'enquête et d'instruction, mais c'est précisément à cause de cette nature et de la réunion de pouvoirs de perquisition et de décision dans le chef d'un même organe que les droits de la défense de ceux qui sont soumis à la procédure doivent être reconnus et respectés de manière inconditionnelle (23).

27 Tel est le sens des dispositions inscrites dans le règlement n_ 17, en particulier à son article 19, et dans le règlement (CE) n_ 2842/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l'audition dans certaines procédures fondées sur les articles 85 et 86 du traité (24); la jurisprudence de la Cour (25) et du Tribunal de première instance (26) ne leur a d'ailleurs pas donné une autre portée. La Cour européenne des droits de l'homme a étendu le champ d'application des garanties inscrites à l'article 6 de la convention de Rome aux procédures administratives à caractère disciplinaire (27).

La charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (28) va encore plus loin puisqu'elle garantit non seulement à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi (29), mais encore le droit d'être entendue par les institutions de l'Union européenne avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ainsi que le droit d'accéder au dossier qui la concerne (30).

28 La consultation du dossier est un outil supplémentaire au service des droits de la défense (31). Il ne s'agit pas d'une fin en soi (32). Les garanties formelles que comporte la procédure, juridictionnelle ou administrative, s'expliquent en fonction de ce but, qui n'est autre que de garantir la protection effective des droits et intérêts légitimes de tout un chacun. Toute lacune dans la procédure ou les règles de forme est susceptible d'entraîner des conséquences juridiques si les moyens de défense s'en trouvent diminués. En d'autres termes, la notion d'impossibilité de se défendre est une notion matérielle, de sorte que, si nombreuses soient-elles, les failles de la procédure sont dénuées de pertinence lorsque l'intéressé disposait malgré tout des moyens adéquats de se défendre.

29 Le caractère instrumental du droit d'accès au dossier comporte cependant une conséquence supplémentaire. Même lorsque ce droit n'a été respecté que de manière insuffisante ou défectueuse et que cette violation diminue les possibilités de défense de l'intéressé, il n'y a lieu d'annuler la décision clôturant la procédure que si l'on constate que l'issue de celle-ci aurait pu être différente et plus favorable à l'intéressé si les règles de procédure avaient été scrupuleusement respectées ou encore si l'on constate précisément que le vice de forme empêche de déterminer si la décision aurait été différente. Dans l'un comme dans l'autre cas, il y aurait lieu d'annuler la résolution finale et, le cas échéant, de reprendre toute la procédure afin de la redresser.

30 En somme, les vices de forme n'ont pas une vie propre, distincte de la substance du litige. Lorsqu'une décision rendue au terme d'un itinéraire formel défectueux est annulée parce que, en raison des vices entachant le cheminement suivi pour son adoption, elle est incorrecte quant au fond, l'annulation est déterminée par l'incorrection substantielle de la résolution et non par la présence du défaut de procédure. Le vice de forme n'acquiert une existence propre que lorsque, du fait de son occurrence, il n'est pas possible de se former un jugement sur la décision adoptée.

31 Les considérations qui précèdent donnent un sens aux mesures d'organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal.

32 La Commission leur ayant refusé l'accès à tous les documents à décharge qui figuraient dans le dossier, les entreprises et associations requérantes ont dénoncé ce vice de procédure, qui a été constaté par la juridiction. Il était donc obligatoire d'analyser son incidence sur leurs droits de la défense. À cette fin, il était nécessaire de connaître les éléments disculpants dont la consultation leur a été refusée ainsi que leur opinion sur le sujet. Ayant pris connaissance de ces éléments, le Tribunal a examiné la mesure dans laquelle la décision aurait été différente, c'est-à-dire plus favorable aux inculpées, si les pièces litigieuses du dossier avaient pu être consultées et invoquées devant la Commission.

33 Le Tribunal n'a donc pas supplanté la Commission et ne lui a pas davantage usurpé sa position. Il s'est au contraire limité à exercer son pouvoir juridictionnel de la manière la plus scrupuleuse qui soit dans le cadre de ses compétences en examinant la correction de l'activité répressive exercée par cette institution. Et, dans cet état d'esprit, le jugement, qui se projette sur le passé, doit s'exprimer avec tous les éléments dont on dispose dans le présent, ce qui lui confère une plus grande richesse et une sagesse accrue (33).

34 La manière dont le Tribunal a procédé n'est en aucune façon incompatible avec la jurisprudence de la Cour. Dans l'arrêt Hercules Chemicals/Commission, que j'ai déjà cité, celle-ci a dit pour droit qu'il ne suffit pas de donner tardivement accès aux documents du dossier pour remédier à une violation des droits de la défense, car, même si cette consultation permet à l'entreprise affectée d'en tirer des moyens et arguments à l'appui de ses conclusions, elle ne la replace pas dans la situation qui aurait été la sienne si elle avait pu s'appuyer sur les mêmes documents pour présenter ses observations écrites et orales devant la Commission (34).

35 Le Tribunal n'a pas cherché à remédier a posteriori à une situation consommée d'impossibilité de se défendre. Remontant en amont de la décision, il s'est limité à vérifier si cette situation s'était bel et bien produite (35). Lorsqu'il a constaté que c'était bien le cas, il a annulé la décision à l'égard de l'entreprise concernée (36). Lorsqu'il a, au contraire, constaté que l'entreprise ne s'était pas trouvée dans le cas de ne pas pouvoir se défendre, il a déclaré que le vice de forme entachant le traitement du dossier administratif était, en fin de compte, dénué d'importance.

36 L'arrêt Hercules Chemicals/Commission lui-même n'a d'ailleurs pas une portée différente. Une lecture attentive de son point 80 montre que l'élément décisif n'est pas le vice de forme considéré en soi, mais son incidence sur les droits de la défense, incidence qui peut être nulle si l'entreprise concernée elle-même ne démontre pas que l'impossibilité de prendre connaissance de certaines preuves à décharge l'a privée d'instruments qui lui auraient permis de convaincre la Commission de son innocence.

C - L'appréciation des documents à décharge

37 En réalité, l'essentiel du grief qu'Aalborg déduit de cet aspect se réduit à un simple désaccord avec l'appréciation que le Tribunal a donnée des documents qu'elle avait indiqués une fois que le dossier a été transmis à celui-ci.

38 Il suffit de lire les pages de la requête consacrées à ce moyen (37) pour constater que la société requérante demande à la Cour de s'engager sur un terrain étranger à sa fonction d'organe de cassation. C'est au Tribunal qu'il appartient d'établir les faits du litige et d'apprécier les éléments de preuve dont il dispose. En tant qu'organe de cassation, la Cour ne doit pénétrer sur ce terrain que si une disposition ou un principe général du droit communautaire a été enfreint lors de l'obtention des preuves, si les règles relatives à la charge de la preuve ont été violées au cours de l'appréciation de celles-ci ou si ladite appréciation est illogique ou arbitraire et si, par conséquent, elle dénature les éléments probatoires. La Cour a uniquement le pouvoir de réparer la violation de droit que le Tribunal aurait commise, mais il ne peut jamais établir les faits, sans préjudice de son pouvoir de contrôler la qualification juridique qui leur aurait été donnée (38).

39 Après avoir consulté les documents auxquels la Commission lui avait refusé l'accès au cours de la procédure administrative, Aalborg a exposé un certain nombre de considérations sur l'objet de la conférence des chefs de délégation du 14 janvier 1983 et sur les deux autres qui ont eu lieu en 1984 ainsi que sur les conditions dans lesquelles son représentant a assisté à la réunion qui a de nouveau rassemblé les chefs de délégation le 9 septembre 1986 à Baden-Baden. Ces considérations sont l'expression d'une manière différente d'aborder les faits qui ne démontre aucunement que le Tribunal aurait apprécié l'ensemble des preuves d'une manière arbitraire ou illogique.

40 Faisant application du critère d'examen qu'il avait défini au point 241 de l'arrêt entrepris, le Tribunal a déclaré que les pièces dévoilées par la Commission n'étaient pas susceptibles de modifier la version des faits qu'elle avait donnée dans la décision. En effet, il a estimé que les notes de M. Toscano et les autres documents cités par Aalborg accréditent le fait que des questions sensibles pour le secteur du ciment concernant le dumping et les aides d'État avaient été abordées au cours des réunions, mais ne permettaient pas de réfuter que des accords contraires à la libre concurrence y avaient été conclus, conclusion à laquelle la Commission avait abouti sur la base de preuves documentaires directes (39). Force est donc de constater que le débat qu'Aalborg cherche à susciter n'affecte aucunement l'évaluation du corpus probatoire ni les constatations de fait opérées par la Commission.

41 Il en va de même des documents relatifs à la réunion de Baden-Baden au moyen desquels Aalborg cherche à accréditer les intentions avec lesquelles son représentant s'est rendu dans la ville thermale et à démontrer que, s'il avait pu les utiliser au cours de l'instruction du dossier, il aurait eu la possibilité, si minime soit-elle, de convaincre la Commission qu'elle n'a pas participé à la Cembureau Task Force. Par cet argument, elle met en cause les appréciations opérées par le Tribunal aux points 2888 à 2898 de l'arrêt entrepris à propos de la portée de ces documents et de l'incidence que les observations qu'elle aurait éventuellement pu présenter au cours de la procédure administrative auraient pu avoir sur l'issue de la procédure. Comme je l'ai déjà signalé, cette question est étrangère au débat propre à un pourvoi. La mission juridictionnelle de décanter le substrat factuel d'un litige porte aussi bien sur la détermination des données de fait déduites directement des preuves versées au dossier que sur les conséquences logiques qui s'attachent à la relation mutuelle entre les différents instruments de preuve.

42 En d'autres termes, le contrôle de l'application de la règle d'examen utilisée par le Tribunal est, comme le signale Aalborg, une opération strictement juridique que la Cour peut effectuer dans le cadre d'un pourvoi. Néanmoins, la détermination des antécédents de fait nécessaires à son application est du ressort exclusif du juge d'instance, à moins que, comme je l'ai déjà signalé, il ne renverse la charge de la preuve au cours de cette opération ou ne se livre alors à des déductions arbitraires ou dénuées de logique. Or, la requérante n'est pas parvenue à établir une infraction de cette nature, la plainte pouvant se réduire à un simple désaccord sur les événements qui sont à la base du litige.

43 Ce moyen - le premier - doit donc être rejeté comme irrecevable et non fondé.

2. Sur l'imputation d'actes réalisés par une autre personne morale (troisième moyen)

A - La position des parties

44 Le Tribunal a confirmé la décision de la Commission qui attribue à Aalborg, société fondée le 26 juin 1990 et qui, avec effet au 1er janvier de la même année, a succédé à la cimenterie Aktieselskabet Aalborg Portland-Cement Fabrik (ci-après l'«ancienne cimenterie»), la responsabilité de l'accord conclu le 14 janvier 1983, qui a été appliqué jusqu'au 31 décembre 1988. Selon la société requérante, le Tribunal a commis une erreur de droit parce que les conditions matérielles permettant d'opérer un transfert de responsabilité n'étaient pas réunies en l'espèce et parce que, de surcroît, il n'a pas répondu au moyen pris du défaut de motifs entachant la décision sur la question de ce transfert.

a) L'inexistence des conditions nécessaires à un transfert de responsabilité

45 Au point 1336 de l'arrêt entrepris, le Tribunal déclare qu'Aalborg et l'ancienne cimenterie «constituaient une même entité économique». La requérante rappelle à qui veut l'entendre que sa propre création et l'acquisition de l'ancienne cimenterie s'inscrivent dans le cadre d'une réorganisation du groupe auquel elle appartient. En réalité, c'est une autre entité juridique, à savoir Blue Circle, qui, par le rachat de 50 % des actions d'Aalborg au moment où cette entreprise est devenue propriétaire de l'ancienne cimenterie, a acquis la moitié de ses activités. La société requérante estime donc que le Tribunal a commis une erreur d'interprétation des faits et, qui plus est, une erreur de droit.

46 La seconde erreur trouve son origine dans le fait que, conformément à la jurisprudence (40), pour que le transfert de responsabilité puisse se produire, il faut que l'entreprise à laquelle celle-ci était imputée ait cessé d'exister et qu'une autre ait acquis l'ensemble de ses ressources humaines et matérielles. Or, Aalborg prétend que l'ancienne cimenterie n'a jamais cessé d'exister et que la responsabilité des infractions constatées ne peut donc pas lui être transférée à elle, nouvelle société.

47 La Commission affirme qu'indépendamment de l'interprétation que l'on donne du contenu de l'arrêt, le fait déterminant est qu'il s'est toujours agi d'une même entité économique et, qu'elle qu'ait pu être la structure de la propriété de l'ancienne cimenterie, toutes les activités qu'elle exerçait dans le secteur ont été transférées à Aalborg.

48 La Commission considère que la continuité de la société originaire sous la forme d'un holding, dont elle est copropriétaire, ne peut pas avoir pour conséquence que la responsabilité soit attribuée à l'entité nouvellement créée. L'élément décisif est que, sur le plan économique, il s'agit de la même société parce que l'ensemble des moyens matériels et humains qui ont concouru à l'infraction se trouvait à la disposition d'Aalborg le 1er janvier 1990.

49 Aalborg lui rétorque dans la réplique qu'il ne peut s'agir de la même entité juridique ni de la même entité économique lorsqu'une troisième entreprise acquiert 50 % du capital de la nouvelle société. La Commission lui répond que l'entité économique est la même lorsque l'ensemble des moyens de production utilisés pour la fabrication du ciment est transféré d'une entreprise (l'ancienne cimenterie) à une autre (la requérante), qui continue l'activité industrielle. La participation d'une nouvelle entreprise (Blue Circle), qui apporte du capital, ne change rien au fait qu'en ce qui concerne la production il s'agit toujours de la même entité économique, aspect fondamental dans le domaine des règles de la concurrence.

b) Le défaut de motifs concernant la personne responsable

50 Aalborg prétend que la Commission n'a pas correctement motivé la détermination de la personne responsable de l'infraction. L'arrêt entrepris n'ayant pas annulé la décision pour défaut de motifs, Aalborg prétend qu'il doit être cassé. Au point 1336 de l'arrêt entrepris, le Tribunal explique que, comme Aalborg n'avait pas fait valoir, dans sa réponse à la communication des griefs, qu'elle ne pouvait pas être considérée comme étant responsable des activités de l'ancienne cimenterie, et comme les deux sociétés formaient une seule et même entité économique, la Commission n'était pas obligée d'expliciter dans la décision les raisons pour lesquelles elle tenait Aalborg pour responsable des activités de l'ancienne cimenterie. Selon la société requérante, ce critère de l'inertie, ou du silence, appliqué par le Tribunal de première instance doit être entièrement rejeté comme contraire aux droits fondamentaux.

51 Pour la Commission, rien ne permet d'accueillir les arguments que l'entreprise a exposés sur ce point. Comme elle avait déjà démontré dans la communication des griefs que les infractions s'étaient poursuivies au-delà de 1990, on ne peut pas exiger d'elle qu'elle motive de manière détaillée dans la décision un fait dénué de pertinence pour l'affaire. La Commission ajoute que le Tribunal n'a commis aucune irrégularité de procédure lorsqu'il a tenu compte du fait que, dans sa réponse à la communication des griefs, Aalborg a reconnu n'avoir pas contesté la possibilité d'être tenue pour responsable des actes de l'ancienne cimenterie.

52 Dans la réplique, la société requérante expose qu'elle n'avait aucune raison de rectifier l'identité du destinataire des charges énoncées dans la communication des griefs puisque celles-ci étaient fondées sur une thèse différente de celle qui a ensuite été retenue dans la décision, thèse fondée sur la prémisse que l'entente dénoncée existait toujours. Néanmoins, cette thèse a été modifiée dans la décision puisque l'infraction s'y réfère à certaines réunions et périodes déterminées, de sorte que la question du destinataire est devenue essentielle. Aalborg ne pouvait, et ne peut toujours pas, être tenue pour responsable de l'entente au cours de la période à laquelle, à la différence de la communication des griefs, la décision lie l'infraction puisqu'elle n'avait pas encore été constituée à ce moment-là.

53 Dans la duplique, la Commission s'oppose à ce que l'on dénonce à nouveau, et sans raison, une différence entre la communication des griefs et la décision. Les deux textes sont fondés sur l'idée que l'accord Cembureau continuait à exister, ainsi qu'il résulte du point 65, paragraphe 4, des motifs et de la combinaison des articles 1er et 8 de la décision. Elle estime dès lors qu'elle n'était pas obligée d'examiner, au moment où elle a rendu celle-ci, les éventuelles conséquences du transfert d'activités de production d'une entreprise à une autre.

B - L'existence de motivation

54 Cette branche du moyen en comporte, en réalité, deux, l'une ayant trait à la forme, l'autre au fond. Le grief formel vise l'absence de motivation concernant la détermination de la personne morale responsable.

55 De ce point de vue, le moyen est irrecevable en ce qu'il n'est pas dirigé contre l'arrêt lui-même, mais ne fait que réitérer l'argument déjà exposé dans la requête et auquel le Tribunal a répondu au point 1336 de l'arrêt. Pour le surplus, les lacunes que présente l'exposé des motifs de la décision ne contaminent pas l'arrêt entrepris du simple fait que le Tribunal les a déclarées dénuées de pertinence.

56 Cette branche du moyen est également infondée. La motivation qui, conformément à l'article 253 CE, doit accompagner les actes et les dispositions adoptés par les institutions communautaires a pour objet à la fois de permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle (41). Cette obligation n'exige donc pas de l'auteur de l'acte qu'il développe dans une mesure déterminée les raisonnements sur lesquels il fonde sa décision ni qu'il spécifie tous les éléments de fait et de droit réunis dans le dossier (42), mais uniquement les éléments pertinents en fonction des circonstances de l'espèce et, notamment, en fonction du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et indirectement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications (43).

57 Dans la communication des griefs, la Commission avait déjà exposé des faits dont elle rendait Aalborg responsable, quel qu'en fût l'auteur matériel, l'ancienne cimenterie ou Aalborg. Lorsqu'elle a produit les éléments susceptibles de la disculper, celle-ci n'a formulé aucune observation à ce sujet. Il ne pouvait dès lors pas être exigé de la Commission qu'elle explique une décision qu'Aalborg elle-même n'avait pas contestée au cours de la procédure administrative puisque, comme le signale le Tribunal (44), celle-ci n'a contesté à aucun moment pouvoir être tenue pour responsable des activités de l'entreprise à laquelle elle avait succédé.

58 Tout autre est la question, qui n'a rien à voir avec le défaut de motifs allégué (45), de savoir si, compte tenu du déroulement des faits tel qu'il est reproduit dans la décision, il était justifié de rendre Aalborg responsable des comportements anticoncurrentiels de l'ancienne cimenterie. Tel est le problème soulevé dans la seconde branche du moyen.

C - Un transfert de responsabilité non fondé

59 Aalborg introduit son argumentation sur ce point en contestant l'affirmation que fait le Tribunal aux points 1335 et 1336 de l'arrêt entrepris, où il déclare que la requérante et l'ancienne cimenterie «constituent une même entité économique aux fins de l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité».

60 Il est exact que, comme elle le signale à l'appui de ce moyen dans la requête, elle a été créée le 26 juin 1990, qu'elle a acquis rétroactivement, avec effet au 1er janvier de la même année, la chaîne de production de l'ancienne cimenterie, grosse de l'actif et du passif afférents à cette activité, et qu'elle a continué à exister en tant que société holding, propriétaire de 50 % de la nouvelle entité. Dans le même temps, le groupe britannique Blue Circle (46) s'est porté acquéreur des 50 % restants du capital social d'Aalborg.

61 Si, lorsqu'il utilise l'expression «même entité économique», le Tribunal souhaite indiquer qu'Aalborg a poursuivi l'activité de l'ancienne cimenterie, dont les moyens humains et matériels lui avaient été transférés, il s'agit, selon moi, d'une appréciation correcte. Si, en revanche, il entend signifier qu'en réalité l'une et l'autre société sont la même organisation ou, dit de manière plus imagée, «la même personne revêtue d'un habit différent», il se trompe, car il ne peut écarter le fait que le groupe britannique Blue Circle possède la moitié du capital social de la requérante.

62 L'élément décisif, c'est qu'Aalborg a poursuivi les activités de l'ancienne cimenterie à laquelle elle a succédé. Le noyau même de ce moyen consiste à déterminer les conséquences juridiques de ce fait de manière à pouvoir imputer la responsabilité des pratiques contraires à la libre concurrence.

63 Pour répondre à ce moyen, la Cour doit commencer par rappeler un principe général de droit qui limite l'exercice du ius puniendi des pouvoirs publics: il s'agit du principe de la personnalité des peines, qui complète celui de la culpabilité, dont le premier et principal élément est qu'un fait punissable ne peut être imputé qu'à son auteur même.

64 Comme toutes les garanties issues du droit pénal, ce principe ne peut être transposé dans le domaine de la répression administrative qu'avec des trésors de circonspection, car, lorsqu'il s'agit de punir, de réprimer un comportement illicite, aucun régime de responsabilité objective ou sans cause ne peut être admis.

65 Bien que son application doive être modulée lorsqu'il s'agit de personnes morales, rien n'autorise à supprimer l'élément subjectif de la faute qu'il convient néanmoins d'objectiver quelque peu. En effet, l'élément volitif au sens strict est absent dans le cas d'entités collectives, mais une fiction juridique (47) permet de leur imputer les infractions qui résultent de leurs comportements. Si elles sont incapables d'actes de volonté, elles sont en revanche capables d'enfreindre les normes auxquelles elles sont soumises. Le corollaire en est évidemment qu'on ne saurait leur imputer des infractions qu'elles n'ont pas commises.

66 Dans un domaine tel que celui de la concurrence sur le marché intérieur, on est cependant confronté à des conduites intriquées, qui se manifestent par des comportements insidieux qui s'inscrivent dans des structures et des organisations complexes. Ce sont cette réalité et le principe d'efficacité, qui exige une protection acharnée de la concurrence, qui sont à la base de la jurisprudence de la Cour invoquée par Aalborg dans la requête.

67 Il résulte de cette jurisprudence que les comportements anticoncurrentiels d'une société peuvent être attribués à une autre, qui en assume la responsabilité, lorsque deux conditions sont réunies: la première est que la nouvelle société poursuive l'activité de l'auteur des faits d'une manière telle qu'il existe une «continuité économique» entre la première et la seconde (48); la seconde, que l'ancienne société ait cessé d'exister juridiquement (49). Ces deux critères ont pour objet d'éviter que, grâce à des opérations d'«ingénierie financière», des comportements répréhensibles demeurent impunis et se jouent des règles de la concurrence.

68 Ces conditions ont pour objet de sauvegarder l'intérêt public communautaire dès lors qu'il y aura toujours une personne à l'encontre de qui exercer le pouvoir répressif. Il s'agira, en règle générale, de la société auteur des faits, mais, à titre exceptionnel, en cas d'extinction de celle-ci, l'action se reportera sur celle qui lui a succédé et la continue en poursuivant son activité économique après avoir acquis les moyens matériels et humains de l'exploitation.

69 Il n'est pas satisfait à la seconde condition en l'espèce. La société auteur des faits incriminés, à savoir l'ancienne cimenterie, a continué à exister en tant que société holding, propriétaire du capital social d'Aalborg à raison de 50 %. Par conséquent, Aalborg ne pouvait pas être rendue responsable des comportements de l'ancienne cimenterie. En particulier, on ne pouvait pas lui imputer l'infraction sanctionnée à l'article 1er de la décision, car, comme le Tribunal l'a lui-même déclaré, elle a pris fin le 31 décembre 1988, c'est-à-dire avant la date à laquelle Aalborg a repris l'activité de l'ancienne cimenterie, à savoir le 1er janvier 1990.

70 Le critère appliqué par le Tribunal est, selon moi, entaché d'une double erreur. En premier lieu, il contredit la jurisprudence de la Cour conformément à laquelle «il incombe, en principe, à la personne physique ou morale qui dirigeait l'entreprise en cause au moment où l'infraction a été commise de répondre de celle-ci, même si, au jour de l'adoption de la décision constatant l'infraction, l'exploitation de l'entreprise a été placée sous la responsabilité d'une autre personne» (50).

71 En second lieu, parce qu'en tant qu'élément clef du transfert de la responsabilité de l'ancienne cimenterie vers Aalborg, le critère de la «même entité économique» est fondé sur une conception objective qu'il convient de rejeter. En effet, indépendamment de l'erreur qui entache cette affirmation, dans la mesure où il existe un tiers (à savoir Blue Circle) qui détient 50 % du capital social de la requérante, focaliser le point de vue sur l'acte et non pas sur la personne qui en est l'auteur, alors que celle-ci existe toujours et pourrait répondre de ses agissements, méconnaît les principes de culpabilité et de personnalité des peines.

72 En réalité, par la solution qu'il a adoptée, le Tribunal propose un changement radical. Dans l'exercice du pouvoir répressif, il faudrait suivre le cours de l'activité de l'entreprise afin de châtier celle qui l'exerce au moment d'infliger la sanction; la responsabilité devrait demeurer liée à l'entreprise, c'est-à-dire à l'activité, et non pas à la personne, physique ou morale, qui l'exerce. Exposée ainsi, dans toute sa nudité, cette solution, qui fait abstraction du fait que l'auteur existe toujours et puisse répondre de ses actes, est inacceptable parce qu'incompatible avec les deux principes que j'ai cités plus haut.

73 Conformément aux raisonnements que je viens d'exposer, je considère que ce moyen doit être accueilli et que l'arrêt entrepris doit être annulé dans la mesure où il a rejeté la requête d'Aalborg et confirmé la décision.

74 Je dois préciser, néanmoins, que l'arrêt que la Cour va rendre doit aller au-delà de ce que semblent indiquer les premières lignes des arguments qu'Aalborg a invoqués à l'appui de ce moyen. Si elle s'est référée uniquement à la réunion des chefs de délégation du 14 janvier 1983 et à l'infraction sanctionnée par l'article 1er de la décision, elle a néanmoins conclu son moyen en demandant l'annulation de l'arrêt entrepris dans la mesure où, confirmant la décision sur ce point, il lui impute les infractions constatées. Cette manière de présenter les choses est parfaitement sensée dès lors que toutes les contraventions visées ont été perpétrées, consommées et terminées avant le 1er janvier 1990. Les raisons justifiant l'annulation de l'article 1er de la décision dans le cas présent obligent également à annuler, à l'égard d'Aalborg, les autres éléments répressifs du dispositif.

75 La solution que je propose n'est pas une solution ultra petita dès lors qu'à titre premier et principal, Aalborg a directement conclu à l'annulation intégrale de la décision en première instance et qu'elle a réitéré cette même demande dans le pourvoi lorsqu'elle a conclu à l'annulation de l'arrêt du Tribunal. Qui plus est, s'il est vrai que la requérante a soulevé cette question devant le Tribunal uniquement à propos de l'infraction visée à l'article 1er de la décision, il n'en demeure pas moins qu'elle l'a posée parce qu'en ce qui concerne les autres articles, elle n'apparaît pas, au stade du pourvoi, comme un moyen nouveau qui devrait être rejeté.

3. Sur la violation des principes régissant l'imposition des amendes (quatrième moyen)

A - La position des parties

76 Accueillir le troisième moyen rendrait superflu l'examen des autres, mais, comme la Cour pourrait très bien ne pas me suivre dans la solution que j'ai suggérée, je poursuis l'analyse du pourvoi en lui proposant les réponses que j'estime appartenir en droit.

77 La requérante formule trois griefs à propos de l'amende qui lui a été imposée, à savoir a) que la méthode de calcul automatique des sanctions, qui empêche de tenir compte du rôle individuel joué par chacune des entreprises et associations dans l'entente, est inadéquate; que b) la Commission n'a pris aucune circonstance atténuante en considération et qu'elle n'a, en particulier, pas tenu compte du «caractère périphérique» des liens rattachant Aalborg à l'accord Cembureau et, enfin, que c) la Commission a confirmé le critère qui lui permet de distinguer les participants directs des participants indirects pour fixer le montant des amendes.

78 Aalborg prétend que le Tribunal a enfreint les principes de proportionnalité et d'égalité parce qu'il n'a pas tenu compte du fait qu'elle n'avait joué qu'un rôle limité et passif dans l'accord Cembureau et que sa participation n'avait eu aucune incidence sur le marché. Elle invite donc la Cour à annuler l'amende dans son intégralité ou, à titre subsidiaire, à en réduire le montant.

79 Pour la société requérante, déterminer le montant des amendes en appliquant une méthode mécanique (51) dans laquelle le rôle individuel de chaque entreprise n'est pas examiné séparément est contraire au principe de proportionnalité.

80 Elle ajoute qu'en décidant, malgré le fait qu'elle n'avait participé que passivement à l'accord, qu'elle était responsable pour «non-distanciement» et qu'il fallait dès lors lui appliquer une amende égale à 4 % de son chiffre d'affaires comme aux entreprises dont les infractions avaient été considérées comme les plus graves, le Tribunal a enfreint le principe d'égalité, d'autant plus que les participants les plus actifs de l'entente, qui, comme par hasard, n'assistaient pas à la réunion du 14 janvier 1983, ne se sont vu imposer une amende que de 2,8 % de leur chiffre d'affaires. Pour Aalborg, le Tribunal n'a pas tenu compte d'éléments essentiels du degré de culpabilité, tels que l'initiative, la recommandation ou la restriction active de la concurrence sur le marché, ni d'autres éléments auxquels la jurisprudence lie normalement l'importance et la gravité de l'infraction.

81 Dans le mémoire en défense, la Commission rappelle que, comme l'entreprise requérante le reconnaît elle-même, le pouvoir qu'a la Cour de contrôler le montant de l'amende est limité et qu'il y a donc lieu de déclarer ce moyen irrecevable et de le rejeter intégralement dans la mesure où il tend à obtenir une nouvelle appréciation des preuves et éléments de fait. Selon l'institution défenderesse, le montant de l'amende infligée à Aalborg n'a, en tout état de cause, pas été calculé suivant une méthode mécanique. Il est pleinement compatible avec les principes invoqués dans le pourvoi de regrouper les entreprises, lorsqu'elles sont très nombreuses, en fonction de leur participation telle qu'elle a pu être établie au moyen des preuves versées au dossier afin de déterminer les responsabilités des unes et des autres dans une constellation de faits qui concernent un grand nombre d'entre elles. Une telle répartition est précisément le fruit de l'application du principe d'égalité.

82 D'autre part, la Commission a dûment nuancé la participation de chaque entreprise aux infractions au point 65, paragraphe (9), des motifs de la décision. Enfin, le Tribunal a examiné la manière dont la Commission avait déterminé le degré de culpabilité des entreprises ainsi que la gravité des infractions commises aux points 4785 et 4804 à 4989 de l'arrêt entrepris.

B - Les critères utilisés par la Commission pour infliger les amendes

83 Pour analyser ce moyen, il convient de rappeler la structure du dispositif de la décision ainsi que les critères utilisés pour déterminer la sanction.

84 Dans la décision, la Commission distingue deux marchés, à savoir le marché du ciment gris et le marché du ciment blanc. En ce qui concerne le premier, elle condamne l'adoption de l'accord Cembureau, par lequel les participants sont convenus de respecter les marchés nationaux et de réguler les transferts de ciment d'un pays à un autre. Les articles 2 à 6 visent des comportements, bilatéraux ou multilatéraux, visant à exécuter cet accord «unique et continu» ou à en faciliter l'exécution ou encore à éliminer les obstacles susceptibles d'en contrecarrer l'efficacité, comme, par exemple, ce qu'il fut convenu d'appeler la «menace grecque». L'article 7, enfin, a trait à des comportements anticoncurrentiels sur le marché du ciment blanc.

85 La Commission a retenu des sanctions distinctes pour les infractions relatives à l'un et à l'autre marché (52).

86 En ce qui concerne le marché du ciment gris, le seul sur lequel des comportements anticoncurrentiels aient été imputés à Aalborg, elle a décidé de ne pas sanctionner chaque comportement isolé et elle a infligé une amende globale à chaque entreprise en raison des rapports réciproques entre l'accord Cembureau et toutes ses mesures d'application (53). Cette manière de procéder est légitime et est fondée sur le pouvoir qu'a la Commission de se prononcer sur différentes infractions au moyen d'une seule décision (54).

87 Elle a en outre considéré que toutes les entreprises et associations destinataires de la décision s'étaient ralliées à l'accord Cembureau et elle a exposé les éléments qu'elle avait utilisés pour établir la participation de chacune d'entre elles. C'est ainsi que, dans le cas d'Aalborg, elle a estimé qu'en tant que membre de Cembureau cette entreprise s'était ralliée à l'accord ou principe de respect des marchés nationaux dès les discussions qui devaient aboutir à son approbation et qu'elle a également participé à l'adoption de mesures et accords visant à le compléter pour contribuer à son application (55).

88 «Toutefois, elle a tenu compte, dans le cadre de cette constatation générale, du rôle joué par chaque entreprise dans la conclusion de l'accord» ou dans l'adoption des arrangements et mesures convenus pour compléter cet accord et le mettre en oeuvre. Elle a également tenu compte de la durée des uns et des autres (56).

89 Fidèle à cette approche, elle a isolé deux groupes d'entreprises et associations. D'une part, celles qui ont participé à l'accord Cembureau et, d'autre part, celles dont l'intervention avait été moins décisive et, par conséquent, d'une moindre gravité (57).

90 À l'intérieur de la première catégorie, la Commission a distingué trois sous-groupes: 1) le premier est constitué par les entreprises et associations qui ont participé de manière directe, en qualité de membres de Cembureau, à l'adoption de l'accord sur le respect des marchés nationaux et des mesures de protection directe de ces marchés, groupe dans lequel elle a inclus Aalborg; 2) le deuxième sous-groupe comprend les sociétés qui, par le truchement de leurs principaux dirigeants, ont assumé la fonction de chefs de délégation auprès de Cembureau soit à l'époque où l'accord a été adopté soit pendant la période de sa mise en oeuvre et 3) le troisième et dernier groupe est composé des entreprises qui ont participé à des mesures d'application de l'accord visant à protéger directement les marchés domestiques (58).

91 Dans la seconde catégorie, elle a également établi trois types de responsables: 1) les entreprises qui ont participé uniquement aux mesures d'application de l'accord visant à canaliser les surplus de production vers les pays tiers; 2) celles qui, tout en ayant participé à des mesures d'application de l'accord visant à protéger directement les marchés domestiques, ont essayé de se soustraire à son application et 3) la société Ciments luxembourgeois SA qui, tout en étant membre direct de Cembureau et tout en ayant participé aux réunions des chefs de délégation au cours desquelles l'accord Cembureau ou principe homonyme a été convenu, n'a mis en oeuvre aucune mesure d'exécution (59).

92 La Commission a sanctionné les entreprises et associations de la première catégorie en leur infligeant une amende dont le montant correspondait à 4 % du chiffre d'affaires que chacune d'entre elles avait réalisé sur le marché du ciment gris au cours de l'année 1992. Le montant de l'amende imposée à celles de la seconde catégorie équivalait à 2,8 % du même paramètre (60).

93 Le Tribunal a partiellement fait droit au recours d'Aalborg parce que, pour fixer le montant de l'amende qu'elle lui avait infligée, la Commission avait considéré que cette entreprise avait participé à l'entente Cembureau pendant 122 mois alors que la procédure avait permis d'établir que la durée réelle de sa participation n'était que de 71,5 mois (61). Fort de cet élément et fidèle à la méthode de calcul utilisée par la Commission, le Tribunal a réduit proportionnellement le montant de l'amende (62).

94 La requérante fait grief au Tribunal d'avoir confirmé la distinction entre participants directs et indirects et reproche à sa manière de procéder d'être incompatible avec l'article 15, paragraphe 2, du règlement n_ 17 et d'enfreindre les principes d'égalité et de proportionnalité dans le calcul des amendes.

95 Formulé de cette manière, le moyen est irrecevable dans la mesure où il se borne à reproduire les mêmes arguments que ceux que la requérante avait déjà exposés dans la requête de première instance et auxquels le Tribunal a répondu aux points 4965 à 4969 de l'arrêt entrepris. Aalborg n'apporte aucun élément neuf dans ce moyen et n'ajoute rien qui n'ait fait l'objet d'un débat et d'une décision au cours de la procédure. Elle profite du fait que le Tribunal applique le même critère de quantification des amendes que la Commission pour réengager un débat qui, en réalité, n'est pas une critique dirigée contre l'arrêt lui-même, mais bien contre la décision administrative répressive.

C - Le respect des principes de proportionnalité et d'égalité

96 J'estime d'emblée que ce moyen est également infondé.

97 La sanction a une double finalité: elle est à la fois répressive et dissuasive. Elle vise à réprimer une conduite et à décourager leurs auteurs ou d'autres contrevenants éventuels d'adopter des comportements anticoncurrentiels. C'est la raison pour laquelle elle doit être à la fois appropriée et équilibrée de manière à punir la conduite incriminée et, dans le même temps, avoir valeur exemplaire.

98 En ce qui concerne le premier aspect, à savoir le rôle répressif de la sanction, celle-ci doit, en tant que corollaire du principe de proportionnalité des peines auquel j'ai fait allusion précédemment, être proportionnelle à la gravité de l'infraction et aux autres circonstances, subjectives et objectives, qui entourent chaque cas d'espèce. C'est la raison pour laquelle l'article 15, paragraphe 2, in fine, du règlement n_ 17 dispose que le montant de l'amende est fixé en fonction de la gravité de l'infraction et, s'il y a lieu, de sa durée.

99 La Cour a dit pour droit que la gravité des infractions doit être établie en fonction de nombreux éléments tels que les circonstances particulières de l'affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu'ait été établie une liste contraignante ou exhaustive des critères devant obligatoirement être pris en compte (63).

100 Je crois que cette appréciation doit être fondée sur trois critères principaux: la nature de l'infraction, son impact sur la concurrence et l'étendue géographique du marché affecté. Chacun de ces critères doit être envisagé sur un plan objectif, à savoir celui de l'infraction elle-même, et sur un plan subjectif, celui de l'entreprise responsable (64).

101 C'est ainsi qu'il faut apprécier le contenu des comportements anticoncurrentiels, l'étendue du marché qui en est la victime et, plus particulièrement, la détérioration subie par l'ordre public économique, appréciation aux fins de laquelle des éléments tels que la durée de la pratique prohibée, la nature du marché en question, le nombre et l'intensité des mesures d'application mises en oeuvre ne sont pas négligeables.

102 Sur le plan subjectif, qui est celui des entreprises responsables, se présentent des circonstances telles que leur importance relative ou leur part de marché dans le secteur économique en cause ainsi que la récidive dans les comportements contraires à la concurrence.

103 L'obligation d'infliger une sanction proportionnelle à la gravité de l'infraction implique que, lorsqu'une infraction a été commise par plusieurs personnes (65), on examine la gravité relative de la participation de chacune d'entre elles en utilisant les règles que j'ai rappelées plus haut (66). Le principe d'égalité exige, en effet, que l'amende soit identique pour toutes les entreprises qui se trouvent dans la même situation et interdit d'infliger la même sanction à celles qui se trouvent dans des positions différentes.

104 C'est ce qu'a fait le Tribunal lorsqu'il a ratifié et appliqué les critères que la Commission avait utilisés pour fixer le montant des amendes. Ces critères ne correspondent pas à une classification arbitraire des sociétés et associations responsables. Bien au contraire, ils sont le résultat d'une analyse détaillée de la participation et du comportement de chacune d'entre elles. Je n'en veux pour preuve que les paragraphes (3), (5) et (9) du point 65 des motifs de la décision, laquelle, il ne faut pas l'oublier, comporte une première partie abondante dans laquelle les faits sont exposés et décrite la participation des différentes entreprises et associations visées par l'enquête.

105 Tous les comportements, qui ne sont évidemment pas tous identiques, poursuivaient un même objectif anticoncurrentiel, de sorte qu'aux fins de la sanction ils pouvaient être regroupés par gravité en une ou plusieurs catégories en fonction de leur incidence sur le marché et de leur effet sur la libre concurrence.

106 Cette façon de procéder ne comporte rien d'irrégulier puisque, comme je l'ai déjà signalé, la gravité d'une infraction est susceptible d'être appréciée en regard de l'atteinte portée à l'ordre public économique par les comportements litigieux. Comme le Tribunal l'a déclaré au point 4966 de l'arrêt entrepris, chacune des entreprises qui ont participé à l'accord Cembureau «a cherché à garantir le respect des marchés domestiques à travers le nombre de mesures jugé nécessaire en fonction, notamment, de ses intérêts commerciaux et de la situation géographique de son marché naturel. Le fait d'avoir pris part, en considération de ces éléments, à un nombre limité de mesures illicites ne traduit dès lors pas une adhésion moins forte à l'accord Cembureau et, donc, une responsabilité moins grave dans l'infraction sanctionnée». Par rapport au préjudice en termes de concurrence, la situation de chaque entreprise était la même.

107 Lorsqu'Aalborg insinue que d'autres entreprises également classées dans le groupe de celles dont la responsabilité était la plus grande avaient participé de manière plus intense à l'entente, son grief est hors de propos même lorsque l'on considère que son intervention n'a pas été dolosive, mais bien négligente, parce que, du point de vue de la concurrence, les infractions commises par imprudence ne sont pas moins graves que les infractions commises de manière délibérée. Pour déterminer la gravité de l'infraction, le Tribunal n'était pas obligé de vérifier si elle avait été commise intentionnellement ou par négligence (67). En matière de concurrence, si la culpabilité est une prémisse à la sanction, le degré de culpabilité n'est pas un critère de fixation du montant de l'amende (68).

108 Il n'y a pas davantage violation du principe d'égalité si les sociétés prises pour la comparaison sont les sociétés du groupe «à moindre responsabilité». À l'appui de la distinction qu'elle a faite entre les deux catégories d'entreprises, la Commission a exposé un certain nombre de raisons, que le Tribunal n'a pas réfutées (69). Ces raisons répondent à un critère objectif et raisonnable, qui est l'incidence des comportements sur la concurrence et, en particulier, sur le cloisonnement des marchés domestiques. De cette manière, les comportements décrits aux articles 2, 3 et 4 de la décision ont été déclarés les plus graves dans la mesure où ils visaient à protéger directement ces marchés alors que ceux qui sont décrits aux articles 5 et 6, qui avaient eu «des effets moins directs» sur le cloisonnement (70), pouvaient être qualifiés de moins graves.

109 Par conséquent, si les critères de la Commission sont conformes aux principes qui président à l'imposition des amendes, la réduction que le Tribunal a opérée en suivant les mêmes règles les respectait également.

110 Eu égard aux considérations qui précèdent, ce moyen doit être rejeté comme étant irrecevable et non fondé.

4. Sur la prescription de l'infraction (cinquième moyen)

A - La position des parties

111 Aalborg a exposé devant le Tribunal que la procédure administrative avait été engagée par la notification de la communication des griefs, qui a eu lieu le 27 novembre 1991. Avant cette date, la Commission ne lui avait adressé aucune demande de renseignements et n'avait pas effectué la moindre diligence dans ses locaux. Par conséquent, conformément aux dispositions des articles 1er et 2 du règlement (CEE) n_ 2988/74 (71), relatif à la prescription, elle ne pouvait pas être sanctionnée puisque la dernière preuve de sa participation aux faits illicites concerne le 9 septembre 1986, jour auquel son représentant a assisté à la réunion de Baden-Baden, c'est-à-dire plus de cinq ans avant qu'elle ne reçoive la communication des griefs. Le Tribunal a rejeté cet argument au point 4797 de l'arrêt entrepris, dans lequel il lui a imputé d'avoir participé à l'infraction sanctionnée à l'article 9 de la décision de manière ininterrompue du 14 janvier 1983 au 13 décembre 1988, de sorte qu'au moment où la communication des griefs lui a été notifiée, le pouvoir répressif de la Commission n'était pas encore prescrit.

112 Aalborg estime que l'arrêt qu'elle querelle est, sur ce point, entaché d'un vice justifiant son annulation, et cela pour trois raisons. La première, parce que le Tribunal y a estimé à tort que l'entente s'est prolongée jusqu'au 31 décembre 1988 et qu'il a justifié cette conclusion en qualifiant les échanges annuels de renseignements de mesures d'exécution de l'accord dénoncé à l'article 1er de la décision. La deuxième, parce qu'à tort également il la déclare coupable de l'infraction visée à l'article 4, paragraphe 1, de la décision, en ce qu'elle aurait participé à la Cembureau Task Force au-delà du 9 décembre 1986 et, partant, également à la pratique définie à l'article 4, paragraphe 3, sous a), dont l'objectif était de détourner Calcestruzzi de ses fournisseurs grecs. La troisième, enfin, parce que le Tribunal a écarté l'exception de prescription sans préciser les motifs de ce rejet.

113 À l'appui des deux premières branches du moyen, la société requérante invoque la nature des échanges de renseignements sur les prix, sa participation à la Cembureau Task Force et aux «actions Calcestruzzi» ainsi que la durée de ces comportements.

114 Pour la Commission, ces deux branches du cinquième moyen sont irrecevables dans la mesure où elles impliquent que la Cour se prononce sur les faits et sur l'appréciation des preuves bien que la société requérante cherche à les présenter comme des erreurs de droit. Elle ajoute qu'en tout état de cause, la responsabilité de l'entreprise ne saurait être prescrite puisque le délai a été interrompu en 1989 lorsque les autres participants à l'accord Cembureau ont fait l'objet de vérifications.

115 Sur ce dernier point, Aalborg rétorque que le principe de la sécurité juridique empêche que des constatations effectuées à propos d'autres personnes, et qui ne lui ont pas été notifiées, puissent interrompre la prescription. Dans la duplique, la Commission invoque l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 2988/74 ainsi que l'arrêt que le Tribunal a rendu le 20 avril 1999 dans l'affaire Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (72).

116 Aalborg conclut ce dernier moyen en déclarant que l'arrêt entrepris doit être annulé parce qu'il est entaché d'une erreur de droit en ce que le Tribunal n'a pas annulé la décision pour défaut de motifs sur le point de la prescription.

117 La Commission lui répond qu'un examen détaillé des points 46 à 65 des motifs de la décision et des points 4330 à 4333, 4459 et suivants de l'arrêt entrepris permet de réfuter les affirmations de la société requérante.

B - L'inexistence d'un défaut de motifs

118 Je commencerai par la fin, à savoir par le défaut de motifs. Si elle est dirigée contre le silence de la Commission, cette branche du moyen est irrecevable et elle est manifestement infondée si elle vise l'«insuffisance» de motifs de l'arrêt du Tribunal.

119 Si le grief d'Aalborg est dirigé contre la décision de la Commission, il est déplacé parce que l'objet d'un pourvoi est l'arrêt entrepris et non pas l'acte administratif qui y a donné lieu. Il ne suffit pas, pour étayer un pourvoi, de reproduire sans plus les arguments déjà invoqués en première instance.

120 Si, au contraire, ce dont se plaint la requérante est que le Tribunal ne lui ait pas fourni une réponse «suffisante», le grief est fondé sur une hypothèse non avérée. Il suffit de lire les points 4796 et 4797, en combinaison avec les points 4331 et 4332, de l'arrêt entrepris, pour constater que le Tribunal a analysé la question avant de déclarer que l'infraction imputée à Aalborg n'était pas prescrite. Cet exposé des motifs est parfaitement conforme aux règles qui régissent l'obligation de motivation, car il expose les faits qui lui servent de cause et les raisonnements juridiques sur lesquels il est basé. Il fournit donc aussi bien à Aalborg qu'à la Cour les éléments de jugement dont elles ont besoin pour critiquer et contrôler la décision du Tribunal.

C - La correction de la réponse du Tribunal

121 Pour la société requérante, les échanges d'informations sur les prix ne méritent pas d'être qualifiés d'exécution de l'accord Cembureau et, par conséquent, la durée de l'infraction ne pouvait pas être étendue jusqu'au 31 décembre 1988. Sa présence passive à la réunion de Baden-Baden ne permettait pas davantage de la rendre responsable de la création de la European Task Force et des actions Calcestruzzi et encore moins d'étendre sa responsabilité de ces faits jusqu'au 31 mai et au 15 mars 1987 respectivement.

122 Comme bien il se doit, la réponse à ce moyen doit partir des faits déclarés avérés dans l'arrêt entrepris. En ce qui concerne Aalborg, le Tribunal a déclaré qu'elle avait participé aux réunions des chefs de délégation du 14 janvier 1983, du 19 mars et du 7 novembre 1984. Elle a également collaboré aux échanges ponctuels de données sur les prix entre le 14 janvier 1983 et le 19 mars 1984 ainsi qu'à ceux qui ont été opérés périodiquement entre le 1er janvier 1984 et le 31 décembre 1988. Enfin, elle a pris part aux mesures adoptées dans le cadre de l'accord relatif à la European Task Force du 9 septembre 1986 au 31 mai 1987. Cela signifie que, pour le Tribunal, la société requérante a participé à l'accord Cembureau et à ses mesures d'application du 14 janvier 1983 au 31 décembre 1988 (73).

123 Je suis donc en mesure d'affirmer qu'en ce qui concerne la mise sur pied de la European Task Force et des actions Calcestruzzi, une des branches du moyen doit être rejetée, à savoir celle qui est dirigée contre le fait que le Tribunal a étendu la participation d'Aalborg à ces pratiques jusqu'au 31 mai et au 15 mars 1987 respectivement. Cette conclusion est déduite des preuves et n'est donc ni arbitraire ni déraisonnable. Par conséquent, elle ne peut pas faire l'objet d'une révision au stade du pourvoi.

124 En effet, le Tribunal explique qu'après la réunion de Baden-Baden au cours de laquelle la European Task Force a été créée, d'autres réunions ont encore été organisées, la dernière ayant eu lieu à Luxembourg à la fin du mois de mai 1987, ce qui permet de déduire que le concours de toutes les volontés qui s'est manifesté lors du premier rassemblement s'est maintenu jusqu'à cette dernière date (74), indépendamment du fait que l'un ou plusieurs des participants à l'entente étaient absents aux autres réunions. Dès l'instant où une entreprise a exprimé son adhésion à l'accord, elle est présumée continuer à en faire partie aussi longtemps qu'elle ne l'a pas dénoncé de manière expresse (75). Cette solution paraît raisonnable et il n'y a aucune raison que la Cour la révise.

125 Pour ce qui est de la durée de l'infraction relative aux actions Calcestruzzi, l'argument est, en outre, irrecevable parce que, comme il appert de l'arrêt entrepris, Aalborg n'avait pas soulevé la question en première instance, de sorte qu'en tant qu'argument neuf elle ne peut pas être abordée au stade du pourvoi. Aux points 3301 à 3310 de l'arrêt entrepris, le Tribunal examine les arguments exposés par certaines requérantes à propos de la durée de l'infraction, mais on n'y trouve pas la moindre référence à aucun de ceux qu'avait articulés Aalborg, qui, par-dessus le marché, n'a pas invoqué un défaut de motifs au stade du pourvoi à propos de ce point particulier. La seule interprétation possible est que la question n'a pas été soulevée devant le Tribunal et qu'elle ne peut dès lors pas l'être non plus devant la Cour.

126 Deux questions restent encore en souffrance, à savoir la responsabilité pour «non-distanciation» et la qualification des échanges de renseignements sur les prix en tant que mise en oeuvre de l'accord Cembureau.

127 Si une société participe, avec ses concurrents du marché, à une ou plusieurs réunions dont émerge un accord contraire à la concurrence, la technique des présomptions permet de déduire, à défaut d'une manifestation expresse en sens contraire, qu'elle fait partie de l'entente, a fortiori si elle collabore ensuite à des mesures d'exécution de la convention anticoncurrentielle.

128 La preuve par présomption est fondée à la fois sur la logique rationnelle et sur le sens commun ainsi que sur l'expérience. Pour en démontrer le bien-fondé, il faut partir d'événements avérés qui, au terme d'un cheminement mental conforme aux règles du discernement humain, permettent de considérer certains faits comme étant démontrés.

129 C'est précisément ce qu'a fait le Tribunal. Se fondant sur des faits que nul n'avait contestés (la présence d'Aalborg aux réunions, l'adoption d'accords contraires à la concurrence, le fait qu'elle ne se soit pas opposée expressément à de tels accords et qu'elle ait participé aux échanges de renseignements sur les prix), il a jugé établi qu'elle faisait partie de l'entente. Cette conclusion, qui est raisonnable et conforme aux règles de l'entendement humain, me paraît avoir été expliquée de manière adéquate dans l'arrêt entrepris (76).

130 La Cour a tranché dans le même sens dans l'arrêt Commission/Anic Partecipazioni, déjà cité, dans lequel elle a déclaré que le Tribunal pouvait estimer à bon droit que, dès l'instant où était démontrée la participation d'Anic aux réunions au cours desquelles des initiatives en matière de prix avaient été adoptées, organisées et contrôlées, c'était à cette entreprise qu'il appartenait de prouver qu'elle n'avait jamais adhéré à ces initiatives, la Cour ayant estimé qu'en agissant de la sorte, le Tribunal n'avait pas renversé la charge de la preuve (77). La Cour estime donc que la participation d'une entreprise à un accord anticoncurrentiel serait démontrée par le biais de la preuve par présomption, sans préjudice du fait qu'à l'instar de toutes les présomptions iuris tantum, celle-ci puisse être mise à néant au moyen de la preuve contraire.

131 Le même principe confirme que le Tribunal a jugé de façon correcte lorsqu'il a estimé que les échanges de renseignements sur les prix étaient des mesures d'exécution de l'accord Cembureau.

132 En ce qui concerne les échanges d'informations sur les prix (78), le Tribunal a déclaré que la Commission avait tiré une conclusion correcte et il s'est en cela fondé sur des faits parfaitement avérés et que nul ne conteste: 1) les réunions de chefs de délégation au cours desquelles les participants ont exprimé leurs préoccupations au sujet de la réduction sensible du niveau de certains prix et ont échangé des renseignements à ce sujet; 2) le tableau «Prix domestiques», visé au point 1646 de l'arrêt entrepris, qui a été diffusé au cours de la réunion des chefs de délégation du 30 mai 1983 (79) et 3) les échanges de renseignements eux-mêmes, échanges qui permettent objectivement d'indiquer la tendance des différents prix appliqués dans les pays où sont établis les membres de Cembureau (80) et fournissent donc des indications permettant de les situer à des niveaux dissuasifs (81). Le Tribunal déduit de ces éléments que le troc régulier d'informations a permis aux membres de Cembureau, à partir de la conclusion de l'accord du même nom, de mettre celui-ci en oeuvre plus aisément (82).

133 Le fait que la dernière réunion des chefs de délégation relative à l'accord Cembureau ait eu lieu le 7 novembre 1984, les échanges de renseignements se poursuivant jusqu'au 31 décembre 1988, n'est pas un élément de preuve permettant de réfuter la déduction précédente. Que le système, une fois mis en marche, ait continué à fonctionner sans qu'il faille organiser de nouvelles réunions des chefs de délégation n'est contraire ni à la logique ni au bon sens.

134 Pour le surplus, le Tribunal ne dit à aucun endroit de l'arrêt que le partage d'informations était intrinsèquement licite. Il affirme, au contraire, qu'indépendamment du fait que la mise en commun de certaines données puisse être contraire à la libre concurrence, il était nécessaire de préciser si elle poursuivait le même objectif anticoncurrentiel que l'accord Cembureau, c'est-à-dire si elle avait pour objet de le mettre en oeuvre (83). On ne voit dès lors guère comment Aalborg peut s'étonner dans le pourvoi et prétendre que la communication réciproque de données, pratique licite et sans incidence sur la concurrence, soit, du jour au lendemain et du seul fait de la conclusion de l'accord Cembureau, devenue un comportement anticoncurrentiel.

135 L'exposé que je viens de faire démantèle ainsi l'appareil d'arguments mis en place par Aalborg pour démontrer que sa participation aux infractions avait pris fin à une date antérieure. Il faut alors rejeter la prescription qu'elle invoque et laver le Tribunal de toute violation de l'article 1er du règlement n_ 2988/74. Ce moyen doit donc lui aussi être rejeté.

V - Récapitulation et proposition de solution

136 Le deuxième moyen du pourvoi ayant été déclaré en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement infondé par ordonnance du 5 juin 2002, je suggère à la Cour de rejeter le premier, le quatrième et le cinquième moyen et de faire droit au troisième pour les raisons que j'ai exposées précédemment. Si elle me suit, elle devra donc casser et annuler l'arrêt du Tribunal.

137 L'arrêt une fois soustrait au monde du droit, la Cour, qui dispose de tous les éléments dont elle a besoin pour se former un jugement, pourra statuer elle-même sur les prétentions d'Aalborg (84), ne fût-ce que pour d'élémentaires raisons d'économie de procédure (85).

138 Eu égard aux considérations que j'ai exposées aux points 73 à 75 plus haut, il convient de faire intégralement droit à la demande d'Aalborg et d'annuler la décision de la Commission en ce qui la concerne.

139 Si la Cour fait entièrement droit au pourvoi, elle doit également condamner la Commission aux dépens puisqu'Aalborg le lui a demandé conformément aux dispositions de l'article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal de première instance (86).

VI - Les dépens

140 Conformément aux dispositions combinées de l'article 122, premier alinéa, et de l'article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour, les dépens causés par le pourvoi doivent également être supportés par la Commission.


VII - Conclusion


141 Eu égard à tout ce qui précède, je propose à la Cour:

1) de faire droit au troisième moyen du pourvoi articulé par Aalborg Portland A/S;

2) de casser et d'annuler intégralement l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes (quatrième chambre élargie) du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission (T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95,T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95);

3) de faire droit à la demande d'Aalborg Portland A/S et d'annuler intégralement la décision 94/815/CE de la Commission, du 30 novembre 1994 relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE, pour ce qui concerne cette entreprise et

4) de condamner la Commission aux dépens tant de la procédure en première instance que du pourvoi.

(1) - T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, ci-après l'«arrêt entrepris».

(2) - JO L 13, p. 204.

(3) - Affaire IV/33.126 et 33.322 - Ciment.

(4) - Points 2 et 3 de l'arrêt entrepris.

(5) - Points 3, 9 et 12 de l'arrêt entrepris.

(6) - Points 4 à 6 de l'arrêt entrepris.

(7) - JO L 343, p. 1.

(8) - Point 22 de l'arrêt entrepris.

(9) - Voir point 163 de l'arrêt entrepris, lu en combinaison avec les points 5 et 95.

(10) - Voir points 164 à 168 de l'arrêt entrepris.

(11) - Ciments luxembourgeois SA.

(12) - Points 169 et 170 de l'arrêt entrepris.

(13) - Texte codifié publié au JO 2001, C 34, p. 1.

(14) - Voir point 241 de l'arrêt entrepris.

(15) - Document nos 33.322/314 à 317.

(16) - Il s'agit 1) du dossier de notification déposé par la Cement Makers'Federation à la Commission en 1973 à propos de l'accord britannique CPMA; 2) des documents nos 33.126/1078 à 1088, 1147 à 1163, 2569 à 2578, 2591 à 2597, 5038 à 5051, 9010 à 9075 et 9078 à 9082, qui attesteraient les contacts étroits entretenus avec la Commission pendant de nombreuses années par l'industrie européenne du ciment sur l'introduction d'un système de formation des prix; 3) la lettre de M. van Hove (documents nos 33.126/2412 à 2415); 4) des documents nos 33.126/4982/54 et 66, 5295, 5296 et 6160 à 6165, qui attesteraient que c'étaient les importations en provenance d'Europe de l'Est et d'Espagne faisant l'objet de dumping qui préoccupaient l'industrie européenne du ciment en 1983 et en 1984, et, enfin, 5) du document nos 33.126/6162, selon lequel «les règles du jeu économique ne sont pas appliquées par les pays de l'Est et, en particulier, l'Allemagne de l'Est».

(17) - Il s'agit des documents suivants: 1) les documents illustrant que l'activité déployée par l'industrie du ciment était une activité légitime de lobby (documents nos 33.126/17158, 17163, 17164, 17168, 17627, 17629, 17630 et 17641 à 17653, en particulier 17641 et 17646; 2) la note interne relative à la réunion du 19 juin 1986 du «Management Group» de Blue Circle (documents nos 33.126/10822 et 10823) et 3) les nombreux documents qui auraient permis d'accréditer les faits sur lesquels la défense avait fondé son argument suivant lequel l'industrie européenne du ciment était, en général, préoccupée par les importations en provenance de Grèce et de démontrer que les seules actions auxquelles Aalborg avait pris part étaient des initiatives licites de lobby (documents nos 33.126/16469, 11000, 11101, 11107 à 11109, 11074, 11075, 18961, 18962, 18963, 11004, 11021, 11022, 11062 à 11064, 11054 à 11060, 16183, 11028 à 11031, 11033 à 11038, 7723, 11072, 17173, 17174, 11126, 11130, 11131, 11138 à 11141, 11116, 11117, 18892 à 18997 et 15388; 33.322/1319 à 1323).

(18) - Voir points 2656 et 2600 de l'arrêt entrepris.

(19) - Elle cite les conclusions que l'avocat général Léger a présentées dans l'affaire BPB Industries et British Gypsum/Commission (arrêt du 6 avril 1995, C-310/93 P, Rec. p. I-865, points 120 et 121), ainsi que l'arrêt du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission (C-51/92, Rec. p. I-4250, point 81).

(20) - Il s'agit de Cedest SA (T-38/95), points 2211 et 2286, et point 11 du dispositif et The Rugby Group plc (T-53/95), points 3406 à 3436, et point 22 du dispositif.

(21) - À l'exception des documents contenant des secrets commerciaux ou d'autres données confidentielles et des documents internes de la Commission.

(22) - Voir point 241 de l'arrêt entrepris.

(23) - Sur les droits de la défense dans les procédures d'application des règles de la concurrence, on consultera utilement l'article de Lenaerts K., et Maselis I., intitulé «Le justiciable face à la Commission européenne dans les procédures de constatation d'infraction aux articles 81 et 82 CE», publié au Journal des tribunaux, n_ 5973 (2000), p. 496 à 504. Tout aussi utile l'étude de Goossens L., «Concurrence et droits de la défense: la phase administrative devant la Commission», parue au Journal des tribunaux. Droit européen, n_ 52 (1998), p. 169 à 175, et n_ 53 (1998), p. 200 à 204. Bien qu'il date quelque peu, l'article d'O. Due, ancien président de la Cour, «Le respect des droits de la défense dans le droit administratif communautaire», publié dans les Cahiers de Droit européen, nos 1 et 2 (1987), p. 383 à 396, n'a rien perdu de son intérêt.

(24) - JO L 354, p. 18. Ce règlement a remplacé le règlement n_ 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2 du règlement n_ 17 (JO 1963, 127, p. 2268), qui était en vigueur à l'époque où la procédure administrative a été engagée dans la présente affaire.

(25) - Voir, pour tous les autres et parmi les plus récents, l'arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, points 75 et suiv.

(26) - L'arrêt contre lequel le présent pourvoi a été engagé en est un bon exemple (voir points 142 à 144 et 240).

(27) - Voir arrêts Cour eur. Engel e.a. c. Pays-Bas, du 8 juin 1976, série A n_ 22, pour les procédures disciplinaires militaires, et Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, du 23 juin 1981, série A n_ 43, pour les procédures disciplinaires engagées par un ordre national des médecins.

(28) - JO 2000, C 364, p. 1.

(29) - Voir articles 47, deuxième alinéa, et 48, paragraphe 2.

(30) - Article 41, paragraphe 2, premier et deuxième tirets.

(31) - Tout comme le sont également le droit d'être entendu, le droit d'être informé des griefs formulés contre soi, le droit d'employer les moyens de preuve utiles à la défense ou, le cas échéant, le droit de bénéficier de l'aide d'un avocat.

(32) - Voir les conclusions que l'avocat général Mischo a présentées le 25 octobre 2001 dans les affaires C-244/99 P et C-251/99 P, points 331 et 125, respectivement, dans lesquelles la Cour a statué le 15 octobre 2002 (arrêt LVM e.a./Commission, C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375, ci-après l'«arrêt PVC II»).

(33) - À l'instar de l'historien, le juge reconstruit le passé. Pour s'acquitter de sa tâche, il doit réunir preuves et témoignages pour reproduire les faits tels qu'ils se sont passés. Sa neutralité lui interdit de se trouver dans la position des personnes sur lesquelles porte son examen; il doit au contraire la transcender. Sur les relations entre droit et histoire, on consultera utilement le livre de Ginzburg C., El juez y el historiador (Consideraciones al margen del proceso Sofri), édition Anaya y Mario Muchnik, Madrid, 1993.

(34) - Points 78 et 79.

(35) - La Cour a appliqué le même critère dans l'arrêt PVC II, précité, points 315 et suiv., en particulier point 325.

(36) - Ce fut le cas de l'entreprise Cedest SA (T-38/95). Voir points 2211 et 2286 de l'arrêt entrepris.

(37) - Voir chapitre I.4, points 1), 2) et 3), de la requête (p. 18 à 37 de la traduction française), dont j'ai résumé le contenu aux points 13 à 17 des présentes conclusions.

(38) - Voir point 27 des conclusions que j'ai présentées le 3 mai 2001 dans l'affaire Ismeri Europa/Cour des comptes (arrêt du 10 juillet 2001, C-315/99 P, Rec. p. I-5281) ainsi que les arrêts que j'ai cités à la note 17 des présentes conclusions, de même que le point 19 de l'arrêt Ismeri Europa/Cour des comptes. Parmi les décisions plus récentes de la Cour, on consultera l'arrêt du 21 juin 2001, Moccia Irme e.a./Commission (C-280/99 P à C-282/99 P, Rec. p. I-4717, point 78).

(39) - Il s'agit des preuves énoncées aux points 18, 19 et 45 des motifs de la décision. Pour ce qui est de l'arrêt entrepris, voir les points 1122 et suiv. (en particulier 1130, 1131 et 1132), pour ce qui est des notes de M. Toscano, et le point 1211, lu en combinaison avec le point 1183, pour les autres documents.

(40) - Arrêts du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 74 à 88); du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission (29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 9), et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 145).

(41) - Voir, parmi les plus récents, les arrêts du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission (C-15/98 et C-105/99, Rec. p. I-8855, point 65), et du 25 octobre 2001, Italie/Conseil (C-120/99, Rec. p. I-7997, point 28).

(42) - Voir arrêts du 17 juillet 1997, Affish (C-183/95, Rec. p. I-4315, point 63), et Italie/Conseil, déjà cité à la note précédente, point 27.

(43) - Voir arrêts déjà cités Italie et Sardegna Lines/Commission, point 65, et Italie/Conseil, point 29.

(44) - Voir point 1336 de l'arrêt entrepris.

(45) - Le fait qu'Aalborg n'ait pas soulevé le problème au cours de la procédure administrative ne l'empêchait pas de le faire ensuite devant le juge. Les arguments que les parties requérantes peuvent articuler devant le Tribunal de première instance afin de faire valoir leurs droits ne sont soumis à aucune limitation. Si elles ne peuvent pas articuler des prétentions qu'elles auraient négligé de faire valoir au cours de la procédure administrative (à savoir l'absence de fondement d'une décision répressive), elles peuvent en revanche fonder ces prétentions sur tous les fondements juridiques qu'elles jugent convenables, même si elles ne les ont pas utilisés auparavant.

(46) - «Blue Circle Industrie Plc [...] est un groupe qui contrôle plusieurs sociétés dans le monde actives dans la production de ciment, de béton prêt à l'emploi, la commercialisation et le transport de ciment et de clinker» [décision, point 5, sous o), troisième tiret, des motifs]. Le clinker est un produit standard dont dérivent tous les types de ciment. Il est obtenu par cuisson d'un mélange de matériaux contenant du calcaire, tels que la craie et la chaux, avec des produits argileux, tels que les schistes, l'ardoise et le sable [décision, point 6, paragraphes (1) et (2), des motifs].

(47) - Les personnes morales sont elles-mêmes une fiction.

(48) - Voir arrêts, déjà cités, Suiker Unie e.a./Commission, point 84; CRAM et Rheinzink/Commission, point 9, et Commission/Anic Partecipazioni, point 145.

(49) - Arrêt Commission/Anic Partecipazioni, déjà cité, point 145. Dans cet arrêt, la Cour a rejeté l'argument qu'une société accusée d'un comportement punissable avait exposé pour s'exonérer de toute responsabilité, à savoir qu'elle avait cédé à une autre l'activité dans le cadre de laquelle elle s'était rendue coupable de l'infraction qui lui était reprochée. La Cour a déclaré que «le critère dit `de la continuité économique' ne peut jouer qu'au cas où la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise aurait cessé d'exister juridiquement après la commission de l'infraction».

(50) - Arrêt du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (C-286/98 P, Rec. p. I-9925, point 37).

(51) - Distinction entre participants «directs», et participants «indirects», les participants directs étant ceux qui assistaient à la réunion du 14 janvier 1983. Ceux-ci ont été frappés d'une amende égale à 4 % du chiffre d'affaires qu'ils avaient réalisé sur le marché du ciment en 1992 alors que l'amende des participants indirects n'était que de 2,8 % de ce chiffre (voir les points 4731 et 4815 de l'arrêt entrepris).

(52) - Voir point 65, paragraphe (7), des motifs de la décision.

(53) - Voir point 65, paragraphe (8), premier tiret, des motifs de la décision.

(54) - Voir arrêt Suiker Unie e.a./Commission, déjà cité, point 111. Pour ce qui est de la détermination du montant des amendes en cas d'infractions complexes, voir David E., «La détermination du montant des amendes sanctionnant les infractions complexes: régime commun ou régime particulier?», Revue trimestrielle de droit européen, n_ 36(3), juillet-septembre 2000, p. 511 à 545.

(55) - Voir décision, point 65, paragraphe (3), sous a), et paragraphe (9), sous a), premier tiret, des motifs.

(56) - Point 65, paragraphe (9), premier tiret, des motifs de la décision. Voir également le point 4950 de l'arrêt entrepris. La Commission «a fixé une amende globale pour chaque entreprise pour sa participation à l'accord ou principe Cembureau et aux mesures d'application de celui-ci» [point 65, paragraphe (8), second tiret, des motifs].

(57) - Point 65, paragraphe (9), sous a) et b), des motifs de la décision.

(58) - Point 65, paragraphe (9), sous a), des motifs de la décision.

(59) - Point 65, paragraphe (9), sous b), des motifs de la décision.

(60) - Voir la lettre que la Commission a adressée au Tribunal le 7 juillet 1998, en particulier les paragraphes 2 et 3. Voir également les points 4738, 4957 et 4963 de l'arrêt entrepris.

(61) - Voir points 4807 à 4814 de l'arrêt entrepris, et plus particulièrement le second tiret de ce dernier point.

(62) - Voir point 4815 de l'arrêt entrepris et le septième tiret du point 15 de son dispositif.

(63) - Voir arrêts du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, p. 447, point 120), et du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission (C-219/95 P, Rec. p. I-4411, point 33); voir également l'ordonnance du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission (C-137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54).

(64) - Dans son ouvrage cité précédemment, E. David affirme que «la gravité s'apprécie selon trois critères: la nature de l'infraction, son impact sur le marché lorsqu'il est mesurable et le marché géographique et à deux niveaux: ceux de l'infraction et de l'entreprise» (p. 522).

(65) - Les infractions à l'article 81 CE supposent, par définition, un comportement collectif.

(66) - Voir les arrêts, déjà cités, Suiker Unie e.a./Commission, point 623, et Hercules Chemicals/Commission, point 110.

(67) - Voir l'ordonnance Spo e.a./Commission, déjà citée, points 55 et 57.

(68) - Conformément à la jurisprudence de la Cour, l'article 15, paragraphe 2, du règlement n_ 17 traite de deux questions distinctes. D'une part, il détermine les conditions auxquelles la Commission peut infliger des amendes (conditions d'ouverture); parmi ces conditions figure celle qui a trait au caractère délibéré ou négligent de l'infraction (premier alinéa). D'autre part, il réglemente la détermination du montant de l'amende, lequel est fonction de la gravité et de la durée de l'infraction (second alinéa) (ordonnance Spo e.a./Commission, déjà citée, point 53, et Ferriere Nord/Commission, déjà cité également, point 32).

(69) - Voir point 65, paragraphe (9), des motifs de la décision, et point 4968 de l'arrêt entrepris.

(70) - Point 4968, in fine, de l'arrêt entrepris.

(71) - Règlement du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d'exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1).

(72) - T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931.

(73) - Voir points 4330 à 4332 de l'arrêt entrepris.

(74) - Voir points 2794 et 2796 de l'arrêt entrepris.

(75) - Voir points 2814 et 2815 de l'arrêt entrepris.

(76) - Voir points 1426, pour l'accord Cembureau, 2600 et 2656, pour la constitution de la European Task Force, et 3202 à 3205, pour les actions Calcestruzzi.

(77) - Voir point 96 de l'arrêt. La Cour a statué dans le même sens dans les arrêts du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C-199/92 P, Rec. p. I-4287, point 155), et Montecatini/Commission (C-235/92 P, Rec. p. I-4539, point 181).

(78) - En particulier ceux qui sont décrits à l'article 2, paragraphe 2, sous b), de la décision, auxquels Aalborg se réfère dans ce moyen.

(79) - C'est par erreur que le Tribunal dit dans l'arrêt que cette diffusion a eu lieu au cours de la réunion du 14 janvier 1983. Au point 16, paragraphe (5), des motifs de la décision, en revanche, la Commission parle de la réunion du 30 mai 1983.

(80) - Voir point 1643 de l'arrêt entrepris.

(81) - Les échanges «permettaient effectivement à l'entreprise confrontée à la demande d'un client potentiel établi dans un autre pays membre de connaître le niveau général des prix en vigueur, à ce moment, dans ce pays et d'aligner ses prix à l'exportation en conséquence, pour dissuader ce client de se procurer du ciment en dehors de son pays et éviter ainsi de concurrencer les producteurs locaux» (point 1642 de l'arrêt entrepris).

(82) - Voir points 1644 à 1646 de l'arrêt entrepris.

(83) - Voir points 1634 et 1638 de l'arrêt entrepris.

(84) - Dans les conclusions que j'ai présentées dans l'affaire Commission/AssiDomän Kraft Products e.a. (arrêt du 14 septembre 1999, C-310/97 P, Rec. p. I-5363), note 70, j'ai signalé qu'il s'agit là d'un pouvoir conféré à la Cour par l'article 54 de son statut CE, aux termes duquel, «lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé, soit renvoyer l'affaire devant le Tribunal pour qu'il statue». Une des hypothèses auxquelles la possibilité offerte par cette disposition peut s'appliquer est celle de l'erreur in iudicando, à condition que l'exposé des faits soit complet et suffisant pour rendre un jugement définitif et qu'il n'y ait pas lieu d'administrer des preuves supplémentaires. C'est ainsi, semble-t-il, que l'a entendu la Cour dans sa jurisprudence bien qu'elle n'ait jamais exprimé la raison pour laquelle elle estimait que le litige était en état d'être jugé et qu'elle pouvait dès lors statuer elle-même. Elle s'est limitée à affirmer laconiquement, par exemple, «ce qui est le cas en l'espèce» (arrêts du 20 février 1992, Parlement/Hanning, C-345/90 P, Rec. p. I-949 et suiv., en particulier p. I-989, et du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a., C-137/92 P, Rec. p. I-2555, I-2648).

En somme, la Cour doit statuer sur le fond lorsqu'il apparaît du dossier que le litige est en état d'être jugé (voir Héron J., Droit judiciaire privé, édition Montchrétien, Paris 1991, p. 517, Vincent, J., et Guinchard, S., Procédure civile, édition Dalloz, Paris 1994, p. 922), conformément à la volonté du législateur communautaire qui en a fait une cour de cassation moderne, dotée d'un large pouvoir de statuer au rescisoire lorsqu'elle le juge opportun (voir Nieva Fenoll, J., El recurso de casación ante el Tribunal de Justicia de las Comunidades Europeas, édition Bosch, Barcelone 1998, p. 430).

(85) - La décision a été adoptée en 1994.

(86) - Texte codifié publié au JO 2001, C 34, p. 39.