TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS JUGEMENT rendu le 16 Septembre 2003
3ème chambre 3ème section N°RG: 02/18142
DEMANDERESSES Société OBSCHESTVO S OGRANICHENNOI OTVETSTENNOSTJU, "SOCRAFISH",- représentée par M. Alekseeva Darija. Yauzsry Blvrd 13-3 109028 MOSCOU RUSSIE
S.A. CHATKA INTERNATIONAL, représentée par M. Alain DI DUCA. 73 cote d'Eich L-1450 LUXEMBOURG
Société FOOD PARTNERS CO, représentée par M. Serge NORDMANN. [...] B-6220 HEPPIGNIES représentées par Me Marie-Pia HUTIN, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire T03
DÉFENDEURS ENTREPRISE FEDERALE UNITAIRE D'ETAT COMITE D'ETAT DES PECHES, représentée par M. TARASSENKO. Rozhdestvenskyi Blvd 12 103031 MOSCOU représentée par Me Jacques-Max LASSEZ, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire PO 155
Monsieur Eugène PARISE représenté par Me Richard MILCHIOR, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire R250
Société FRAI'MER LUX, représentée par M. Antoine CODUGNELLA. [...] L. 1212 LUXEMBOURG représentée par Me Jacques-Max LASSEZ, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire PO 155 et Me D, avocat au barreau de BOULOGNE SUR MER, avocat plaidant
Monsieur Antoine CODUGNELLA représenté par Me Jacques-Max LASSEZ, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire PO 155 et Me D, avocat au barreau de BOULOGNE SUR MER, avocat plaidant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Mme B, Vice-Président, signataire de la décision Mme V. Vice-Président Mme R, Vice-Président assistée de Catherine MAIN, Greffier, signataire de la décision
DEBATS A l'audience du 16 juin 2003 tenue publiquementJUGEMENT Prononcé en audience publique Contradictoire en premier ressort
Faits et procédure
La société de droit russe Socrafish, spécialisée dans le négoce des produits de la mer, est titulaire de la marque française semi-figurative "CHATKA" n° 1 272 362, déposée à l'INPI le 16 mars 1984 en renouvellement de dépôts antérieurs et dûment renouvelée le 7 mars 1994.
Cette marque désigne les produits suivants: "Viandes; poisson; volaille et gibier; extraits de viande; fruits et légumes, conservés, séchés et cuits; gelée, confiture; oeufs, lait et autres produits laitiers; huiles et graisses comestibles; sauces à salades; conserves". Elle est exploitée pour des conserves de crabe confectionnées à partir de crabe royal.
La société Socrafish a par acte en date du 1er mars 2002 consenti une licence exclusive à la société Chatka International, laquelle a elle-même concédé une sous-licence à la société Food Partners par contrat en date du 14 mars 2002. Ces actes ont été transcrits au Registre National des Marques le 24 juillet 2002.
Exposant que : - le 6 juillet 2002, la société Chatka International avait reçu de Monsieur PARISE, agissant pour le compte de l'Entreprise Unitaire Fédérale Unitaire d'État, "Le Comité d'État des Pêches" de Russie, une mise en demeure tendant à lui interdire d'utiliser la dénomination CHATKA qu'elle exploiterait, selon lui, à la suite de manoeuvres frauduleuses,
- le lendemain, la société Food Partners avait été destinataire d'une sommation aux mêmes fins dans laquelle il était soutenu que le terme CHATKA serait la propriété des "producteurs organisés du Kamchatka",
- parallèlement, Monsieur CODUGNELLA, responsable commercial pour la France de la société Food Partners, commettait des actes de nature à nuire aux relations entre la société Chatka International et la société Socrafish,
- enfin, courant septembre 2002, elle découvrait que l'Entreprise Unitaire Fédérale d'État, représentée par Monsieur PARISE, conseil en propriété intellectuelle, avait procédé le 31 juillet précédent au dépôt d'une demande de marque française semi-figurative CHATKA sous le n° 3 177 449 pour désigner: "Viandes, poiss ons, gibier, fruits et légumes conservés, séchés et cuits, oeufs- eaux minérales et gazeuses. Préparation pour faire des boissons"dont la calligraphie reprenait celle de la marque première, dépôt publié le 6 septembre 2002 à l'encontre duquel elle a formé opposition,
- le 23 septembre Monsieur Codugnella mettait fin à sa collaboration avec la société Food Partners au motif qu'elle ne se fournissait pas auprès des entreprises recommandées par le Comité des Pêches de Russie dont il était le représentant depuis mai 2000,
- le 25 septembre 2002, l'intéressé, agissant pour le compte de "l'Entreprise Fédérale Unitaire d'État, Comité des Pêches de Russie, National Fish Ressources" adressait un courrier à la société SCAMER, filiale d'achat du groupe Intermarché, mettant en cause la qualité des produits vendus sous la marque CHATKA, qui selon lui proviendraient de pêches illégales et invitait cette société à s'approvisionner auprès de la structure dedistribution nouvellement mise en place par le Comité des Pêches de Russie, ce courrier comportant l'adresse électronique suivante: "
[email protected]" correspondant à une société Fraimer à Boulogne sur Mer,
- courant septembre et octobre, de nombreuses autres sociétés de distribution étaient destinataires de messages identiques,
- le 17 septembre 2002, le magazine "Les Produits de la Mer" mettait en garde les distributeurs contre des "contrefaçons" et "des utilisations abusives de la marque CHATKA" à la suite d'informations fournies par Monsieur CODUGNELLA se réclamant du Comité des Pêches de Russie.
Les sociétés SOCRAFISH, CHATKA INTERNATIONAL et FOOD PARTNERS par actes en date du 4 décembre 2002 ont d’une part introduit une instance en référé aux fins de voir : -faire interdiction sous astreinte à Monsieur PARISE, Monsieur CODUGNELLA et à la société FRAI'MER LUX d'offrir à la vente des produits de la mer sous la dénomination CHATKA,
- leur faire interdiction sous astreinte de poursuivre tout acte de dénigrement et tout agissement déloyal à l'égard des sociétés demanderesses,
- ordonner la publication de la décision à intervenir,
et d'autre part, saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris au fond.
Par ordonnance en date du 29 janvier 2003, le juge des référés a :
-rejeté les demandes fondées sur l'article
L 716-6 du Code de la Propriété Intellectuelle,
- interdit à Messieurs C et P ainsi qu'à la société FRAI'MER LUX et au Comité d'État des Pêches de Russie de poursuivre les actes de dénigrement et de concurrence déloyale constitués par l'envoi de lettres circulaires aux clients des sociétés FOOD PARTNERS et Food Partners sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée,
et enjoint:
- la société Socrafish de produire les statuts et les autorisations permettant aux société VAO SOVRYFLOT et SOVRYFLOT Co. LTD de céder les 17 février 1992, 20 février 1996 et le 5 novembre 2001 la marque française CHATKA ainsi que la copie du jugement rendu par la Cour Arbitrale de Moscou n° A 40- 24918/00.27.38 du 16 août 2000 opposant la société SOVRYBFLOT à la société OO SOVRYBFLOT,
- le Comité d'État des Pêches de Russie de produire tous documents justifiant qu'il vient aux droits de l'Union du Commerce Extérieur "PRODINTORG" et/ou de l'Union du Commerce Extérieur à Autonomie SOVRYBFLOT,
et renvoyé l'affaire au fond pour plaidoirie le 16 juin 2003.
Aux termes de leurs conclusions récapitulatives en date du 10 juin 2003, les sociétés Socrafish, Chatka International et Food Partners demandent de : - dire et juger que par le dépôt de la demande de marque française n° 3 177 449, l'Entreprise fédérale unitaire d'État "le comité d'État des pêches" de Russie s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon de la marque française n° 1 272 362 au sens de l'article L 713-2 ou à tout le moins
L 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle,- dire et juger que par l'offre à l'importation et à la vente de produits de la mer revêtus de la marque CHATKA, l'Entreprise fédérale unitaire d'État " le comité d'État des pêches de Russie, la société FRAI'MER LUX, Monsieur Eugène Parise et Monsieur Antoine Codugnella se sont rendus coupables d'actes de contrefaçon de la marque française n° 1 272 362 au sens des articles susvisé s, - de dire et juger que l'Entreprise fédérale unitaire d'État "le comité d'État des pêches de Russie", la société FRAI'MER LUX, Monsieur Parise et Monsieur Codugnella ont commis des actes distincts de concurrence déloyale à l'égard des sociétés demanderesses,
- interdire en conséquence, aux défendeurs de faire usage de la marque de la société Socrafish directement ou indirectement, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, sous astreinte définitive de 1000 euros par infraction constatée,
- ordonner la radiation de la marque n° 3 177 449 dép osée par l'Entreprise fédérale unitaire d'Etat "le comité d'État des pêches de Russie",
- interdire aux défendeurs de poursuivre leurs actes de dénigrement sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée,
- condamner solidairement les défendeurs à payer à la société Socrafish:
* 150 000 euros en réparation de l'atteinte à son droit de propriété sur la marque n° 1 272 362,
* 50 000 euros en réparation de son préjudice commercial subi de fait de la contrefaçon,
* 50 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale,
- condamner solidairement les défendeurs à verser à chacune des sociétés Chatka International et Food Partners:
* 100 000 euros à titre de réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à la marque dont elle est la licenciée exclusive,
* 100 000 euros à titre de réparation des actes de concurrence déloyale,
- ordonner la confiscation et la destruction de tous les articles contrefaisants aux frais des défendeurs, sous contrôle d'un huissier de justice et sous astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision,
- ordonner la publication du jugement dans dix revues ou journaux au choix des demanderesses et aux frais solidaires des défendeurs à concurrence de 10 000 euros HT par insertion et ce, au besoin, à titre de dommages et intérêts supplémentaires,
le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire,
et de condamner solidairement les défendeurs à payer à chacune des demanderesses la somme de 50 000 euros au titre de l'article
700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de leur conseil.
A l'appui des leurs demandes, les sociétés Socrafish, Chatka International et Food Partners font valoir que:- la défenderesse à l'instance est l'Entreprise fédérale unitaire d'État au nom de laquelle la marque litigieuse a été déposée et non la Comité d'État des Pêches qui est un organe public, fondateur et actionnaire de l'Entreprise fédérale unitaire d'État,
- elle justifie d'une chaîne ininterrompue de droits aux termes de laquelle elle est bien le réel titulaire de la marque CHATKA, les défendeurs ne rapportant pas la preuve ni de la fraude, ni des irrégularités qu'ils allèguent dans les cessions successives,
- l'Entreprise fédérale unitaire d'État ne démontre pas qu'elle disposerait d'un droit sur la marque première qui résulterait de ce qu'elle serait la société nationale qui a succédé à l'Union du Commerce extérieur de l'URSS à autonomie comptable SOVRYBFLOT (VHVO SOVRYBFLOT) qui en était titulaire depuis avril 1988 à la suite du Groupement PRODINTORG,
- que les cessions successives de la marque russe ont toutes été enregistrées au Rospatent, équivalent du Registre National des Marques, lequel n'aurait pas manqué de relever l'irrégularité prétendument tirée de l'impossibilité de transférer une marque étatique à une société privée ainsi que ce fut le cas lorsque Sovryflot est devenue une société anonyme en 1991,
- la marque CHATKA n° 3 177 449 constitue une reprodu ction servile au plan phonétique et quasi servile au plan visuel de la marque première et les produits visés sont partiellement similaires de sorte que le risque de confusion est inévitable,
- les défendeurs ont commis des actes de dénigrement destinés à évincer les demanderesses du marché,
- la qualité de mandataire de l'Entreprise fédérale unitaire d'État de Messieurs P et C ne les exonère pas des délits commis dans l'accomplissement de leur mission,
- les demanderesses ont subi un préjudice important »
Le Comité d'État des pêches de Russie, Entreprise fédérale unitaire d'État, ou "National Fish Resource" ainsi nommé dans le dernier état de ses écritures en date du 2 juin 2003, soulève liminairement l'irrecevabilité de la demande en se prévalant du bénéfice de l'immunité de juridiction en sa qualité d'organe du pouvoir central de la Fédération de Russie. Il relève en second lieu que certaines pièces ne lui ont pas été communiquée personnellement en original, mais seulement en copie, les originaux ayant été déposés au greffe, certaines de ces pièces n'étant d'ailleurs pas des originaux et qu'elle n'a pas disposé d'un délai suffisant pour assurer sa défense de sorte que le procès n'est pas équitable à son égard.
Sur le fond, ce défendeur soutient que Socrafish a détourné la marque CHATKA, tant française que russe en ce que : * les statuts de la société VAO Sovrybflot montrent une création de société et non le transfert d'une entreprise publique (VHVO SOVRYBFLOT) à une entreprise privée, * ils ne mentionnent pas la reprise de quelque actif que ce soit, * Socrafish ne fournit pas d'éléments suffisants pour justifier de la validité des cessions successivement intervenues, * la dernière cession en date est invalide pour avoir été "réalisée entre deux sociétés usurpatrices" et au surplus elle constitue un faux en ce que le signataire de l'acte n'avait plus le pouvoir d'engager la société à la date du 5 novembre 2001 pour avoir été limogé de ses fonctions de direction depuis le 17 mai précédent.Elle ajoute que les pièces qu'elle verse aux débats établissent que la société Food Partners se fournit en crabe sur des circuits illégaux.
Elle demande d'ordonner le renvoi à une audience ultérieure, de constater qu'elle bénéficie d'une immunité de juridiction et en conséquence de déclarer les demandes irrecevables à son encontre. Subsidiairement, elle demande de : * sommer les demanderesses de verser aux débats les originaux d'un certain nombre de pièces sous astreinte de 1000 euros par jour de retard, * prononcer sa mise hors de cause ainsi que la nullité de l'assignation,
et reconventionnellement de :
* ordonner la nullité de l'enregistrement de la marque française CHATKA par SOCRAFISH par application des articles
L 712-6 et L 714- 3 du Code de la Propriété Intellectuelle,
* dire et juger que la marque CHATKA est une marque notoire au sens de l'article 6 bis de la Convention de l'Union de Paris aux fins de protection mondiale,
* ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux sous astreinte de 1000 euros par jour de retard, dans la limite de 10 000 euros HT par parution,
* condamner solidairement les demanderesses à lui payer la somme de 500 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 50 000 euros au titre de l'article
700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Monsieur Eugène Parise, après avoir demandé le renvoi de l'affaire à une autre formation au motif que le magistrat qui a statué en référé ne peut connaître de l'affaire au fond, conclut à l'irrecevabilité des demandes des sociétés Chatka International et Food Partners en ce qu'elles ne sont pas licenciées exclusives de la marque litigieuse et en ce que la société Chatka ne justifie pas d'une autorisation d'exploitation exigée par la législation luxembourgeoise. Il demande:
- de prononcer la déchéance de cette marque faute d'exploitation pour les produits désignés dans la demande d'enregistrement,
- sa mise hors de cause en ce qu'il n'a agi qu'en qualité de conseil en propriété industrielle, mandataire de l'Entreprise fédérale unitaire d'État et du Comité d'État des pêches de Russie et en ce qu'il n'a pas commis d'acte de contrefaçon ou de concurrence déloyale,
- d'écarter des débats les pièces n° 3, 23, 38 à 55 i ncluses et 61 à 65 incluses en ce qu'elles ne sont pas traduites ou traduites de façon libre et en ce que certains originaux ne sont pas produits aux débats.
Subsidiairement, il estime les demanderesses irrecevable à agir et en tout cas mal fondées en ce qu'il n'est pas justifié par la société Socrafish d'une chaîne de droits lui permettant de se prévaloir de la propriété de la marque française CHATKA.
Plus subsidiairement, il oppose que le préjudice subi est inexistant ou tout au plus symbolique. Il sollicite l'allocation de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article
700 du Nouveau Code de Procédure civile.
Monsieur Codugnella et la société FRAI'MER LUX concluent à l'irrecevabilité et subsidiairement au mal fondé des demandes. Monsieur Codugnella sollicite sa mise hors decause à titre personnel en raison de sa qualité de mandataire. Ces deux parties demandent reconventionnellement:
- de prononcer la nullité des enregistrements de la marque effectués par la société Socrafish,
- de leur allouer la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- de leur allouer la somme de 50 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles. Elles exposent que :
L'ancienne URSS et la Fédération de Russie se sont fait dépouiller, probablement avec la complicité de certains personnels administratifs, de leurs droits légitimes sur un signe et une marque de notoriété internationale par le biais de cessions fictives permettant à des individus peu scrupuleux de l'utiliser frauduleusement pour commercialiser des produits de qualité médiocre sans rapport avec l'origine géographique du produit.
Depuis l'année 2000, les autorités russes de la filière pêche se préoccupent de cette dépossession et ont engagé des enquêtes et des actions pour faire constater la nullité des enregistrements successifs;
Ces cessions sont irrégulières dès l'origine car cette marque ne pouvait en aucun cas sortir du patrimoine national russe, ce qui est advenu par le biais de la transformation du Groupement public Sovrybflot en société anonyme puis par des actes de cessions conclus à vil prix par des dirigeants sans pouvoir et sans autorisation pour ce faire, lesdites cessions n'ayant pas été enregistrées.
Ayant obtenu la propriété de la marque à la suite de manoeuvres frauduleuses, la société Socrafish ne peut qu'être déboutée de son action de même que les licenciées de la marque.
Monsieur Codugnella ajoute qu'il n'a commis aucun acte de dénigrement en cherchant à contrecarrer les agissements illicites d'entreprises qui se fournissent sur des circuits d'approvisionnement illégaux.
Motifs de la décision
Sur la demande de renvoi :
Attendu que le moyen tiré de la composition de la formation de jugement, formé dans les écritures en date du 10 juin 2003, soit six jours avant l'audience de plaidoirie alors qu'il n'avait pas été invoqué dans les conclusions déposées le 5 mars 2003, sera écarté en raison de son caractère tardif.
Sur la régularité de l'échange des pièces et des conclusions:
Attendu que les pièces ont été communiquées entre les parties en copie dans des délais permettant à chacune d'elles d'y répondre;
Attendu que le dépôt des originaux au greffe de la juridiction n'est pas de nature à faire échec au principe du contradictoire; qu'il est du reste établi que lesdits originaux ont été effectivement consultés puisque l'Entreprise fédérale unitaire d'État a communiqué une attestation à ce sujet et conclu au vu de ces pièces;Attendu que les pièces communiquées exclusivement en langue étrangère ne seront pas retenues dans la motivation de la présente décision; que le grief de défaut de traduction jurée est inopérant dès lors qu'il n'existe aucune contestation sur le sens donné aux écrits versés aux débats;
Sur l'immunité de juridiction :
Attendu qu'il est de principe que tout état étranger peut opposer à sa citation devant un tribunal français une immunité de juridiction dès lors que l'acte litigieux a été accompli par cet état lui même ou par un service ou organisme public dans l'exercice de prérogatives de puissance publique;
Attendu qu'en l'espèce le litige porte sur une contrefaçon de la marque CHATKA dont sera titulaire la société Socrafish, contrefaçon réalisée par le dépôt et l'usage d'une marque seconde CHATKA ;
Que le déposant de cette marque seconde n° 02 3 177 449 est l'Entreprise Fédérale Unitaire d'État "Les Ressources Halieutiques Nationales" dont le siège est à MOSCOU et non le Comité d'État des Pêches de la Fédération de Russie; Qu'il résulte de ses statuts que cette entreprise, crée par ordonnance du Gouvernement de la Fédération de Russie du 18 juin 1999 est une société commerciale, disposant de la personnalité morale qui a pour objet d'organiser et de gérer les différentes activités de la filière pêche dans le but expressément exprimer de dégager des bénéfices ;
Attendu que si cette entreprise est placée sous la tutelle du Comité d'État des Pêches qui notamment nomme son Directeur Général, il n'en demeure pas moins qu'elle développe en son nom propre une activité industrielle et commerciale;
Que si dans le cadre des missions qui lui sont conférées, elle dispose d'attributs relevant de la puissance publique, par exemple 1 ' attribution des quotas de pêche aux États étrangers, tel n'est pas le cas en l'espèce, le dépôt d'une marque en France ne relevant pas de tels attributs mais d'un acte de gestion privée;
Attendu que le défendeur à la présente instance n'est pas le Comité d'État des Pêches de la Fédération de Russie, organisme public gérant l'ensemble de la filière pêche dont les compétences sont définies par l'ordonnance n° 147 d u 10 février 1999, mais l'Entreprise Fédérale Unitaire d'État, représentée par Monsieur TARASSENKO, ainsi que cela résulte de l'acte de saisine de ce tribunal;
Qu'en conséquence, l'immunité de juridiction ne trouve pas à s'appliquer.
Attendu que la circonstance que l'acte de saisine de la juridiction vise l'Entreprise fédérale unitaire d'État "le comité d'État des pêches" de Russie, dont le siège social est 103031 MOSCOU, Rozhdestvenskyi Blvd 12, prise en la personne de son représentant légal Monsieur Tarassenko, est sans incidence sur sa validité dès lors que la défenderesse visée est sans ambiguïté possible l'entreprise désignée par son siège et son dirigeant, Monsieur Tarassenko n'étant pas le dirigeant du Comité des pêches mais le dirigeant de l'Entreprise fédérale unitaire d'État, nommé par le Président dudit comité sous la responsabilité duquel il se trouve placé.
Sur la titularité des droits de la société Socrafish sur la marque française CHATKA n° 1 272 362 :Attendu qu'il est constant que cette marque a été déposée à l'origine le 16 mars 1984 par l'Union du Commerce extérieur de l'URSS à l'autonomie comptable "Prodintorg", ci-après Prodintorg.
Qu'il est établi par les pièces produites par la société Socrafish que :
- cette marque a été cédée le 17 février 1992 par Prodintorg à la société VAO Sovrybflot, société elle-même issue de la transformation le 1° janvier 1991 de l'Union du Commerce Extérieur de l'URSS à autonomie comptable "VHVO Sovrybflot", organisme public, en une société par action; cette cession a été enregistrée à l'INPI le 9 avril 1992,
- selon contrat de cession non daté, mais enregistré à l'INPI le 20 février 1996, la marque est devenue la propriété de Sovrybflot Co LTD; que l'acte est signé par Monsieur K agissant au nom du Président de VAO Sovrybflot et par Monsieur R au nom du Directeur de Sovrybflot Co LTD,
- selon contrat en date du 5 novembre 2001, la marque française a été cédée à la société Socrafish; ce contrat a été inscrit au Registre National des Marques le 11 février 2002; le contrat a été signé par Monsieur K pour le compte de la société Sovryflot;
Attendu que les cessions successives de la marque russe CHATKA déposée le 15 septembre 1984 par Prodintorg n'ont pas a être analysées ici dès lors que l'action en contrefaçon et en concurrence déloyale est exclusivement fondée sur la marque française;
Attendu que pour contester la titularité des droits de la société Socrafish, les défendeurs font valoir que cette marque appartient à la Fédération de Russie qui en a été dépossédée par fraude; que force est de constater qu'aucun des défendeurs ne sollicite la nullité des contrats en cause ni ne rapporte la preuve de ce que l'une ou l'autre des cessions ci-dessus rappelées ait été invalidée par les autorités judiciaires russes, ni même que lesdites autorités aient été saisies en ce sens, étant précisé que les contrats ont tous été souscrits en Russie entre des personnes morales de droit russe;
Attendu que la requête adressée le 30 décembre 2002 par l'Entreprise Unitaire d'État au Parquet Général de Moscou par laquelle elle demandait que soit engagée une action en vue d'obtenir la restitution de la marque litigieuse s'est heurtée à une fin de non recevoir au motif qu'une enquête était en cours;
Attendu que si l'action publique a été mise en mouvement par le Parquet de Moscou le 28 mai 2003, il doit être observé que les irrégularités relevées au travers de l'absence de pouvoir des personnes représentant les sociétés cédantes, Monsieur A pour la société VAO Sovrybflot et KOJEV pour Sovryflot Co LTD, ne concernent que les cessions de la marque russe; que cette ordonnance énonce en outre que la marque a été cédée en avril 2002 par Monsieur K à la société française CHATKA International, ce qui ne correspond a aucun des enregistrements versés aux débats et cette société ne se prévalant pas d'un titre de propriété mais d'une licence d'exploitation;
Qu'en tout état de cause, les suites données aux poursuites ainsi lancées ne sont pas connues à ce jour de sorte qu'il n'est pas possible en l'état d'affirmer l'existence d'une fraude;
Qu'au surplus, et dans la mesure où elle admet que les droits de propriété sur la marque CHATKA ont été transférés en 1992 à une société de droit privé en l'occurrence la société VAO Sovrybflot, l'Entreprise Unitaire d'État n'est pas fondée à soutenir qu'elle en serait la véritable titulaire historique, aucune des pièces versées aux débats ne permettant d'établir qu'elle viendrait aux droits de VAO Sovrybflot;Attendu que Monsieur Codugnella oppose pour sa part que la chaîne des droits sur la marque française serait tronquée dans la mesure où Prodintorg ne pouvait pas vendre en 1992 à la société VAO Sovrybflot une marque qu'il avait déjà cédée en 1988 à VHVO Sovrybflot;
Attendu cependant que la cession intervenue en 1988 ne concerne que la marque russe ainsi qu'en font foi le contrat de cession et la décision d'enregistrement qui porte mention du certificat n° 76 922; qu'en conséquence, cet argume nt manque de portée;
Que Monsieur Codugnella fait valoir en second lieu que cette cession ne peut être régulière dès lors que VHVO Sovrybflot n'existait plus en 1992;
Qu'il convient de relever que le cessionnaire n'est pas la société publique VHVO Sovryflot mais la société anonyme Sovrybflot ;
Attendu que l'Entreprise Unitaire d'État fait valoir pour sa part que la cession intervenue le 5 novembre 2001 au profit de la société Socrafish serait nulle, Monsieur K ayant été démis de ses fonctions de dirigeant par une décision d'une assemblée générale extraordinaire du 17 mai 2001; Que cependant, si le procès-verbal de cette assemblée relate bien la révocation de Monsieur K, l'Administration fiscale de Moscou a délivré à ce dernier le 25 février 2003 un certificat attestant qu'il est bien, depuis le 24 décembre 1999 et jusqu'à présent, le directeur habilité de la société Sovrybflot selon les informations contenues dans le Registre d'État; Qu'en conséquence, ce moyen n'est pas fondé;
Attendu en conséquence que la société Socrafish, qui justifie d'une chaîne ininterrompue de droits, est recevable à agir.
Sur la recevabilité de l'action des licenciés :
Attendu que Monsieur Codugnella ne verse aucune pièce aux débats de nature à démontrer que la législation luxembourgeoise imposerait à toute société de se soumettre à une procédure particulière d'autorisation d'exploitation, ni qu'une telle autorisation à la supposer nécessaire fasse défaut à la société Chatka International;
Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article
L 716-5 du Code de la Propriété Intellectuelle: "L'action civile en contrefaçon est engagée par le propriétaire de la marque. Toutefois, le bénéficiaire d'un droit exclusif d'exploitation peut agir en contrefaçon, sauf stipulation contraire du contrat si, après mise en demeure, le titulaire n’exerce pas ce droit. Toute partie à un contrat de licence est recevable à intervenir dans l'instance en contrefaçon engagée par une autre partie afin d'obtenir la réparation du préjudice qui lui est propre ";
Attendu qu'en l'espèce, la société Chatka International est concessionnaire d'une licence exclusive en vertu du contrat signé le 1° mars 2002 avec la société Socrafish, la société Chatka International ayant elle-même concédé un sous-licence à la société Food Partners le 14 mars 2002;
Attendu que dans la mesure où ces titulaires de droit d'exploitation agissent en justice au côté du titulaire de la marque, il importe peu qu'ils bénéficient ou non d'un droit exclusif d'exploitation, le texte ci-dessus visé réservant expressément le droit d'intervention à tout licencié;
Qu'en conséquence, ce moyen d'irrecevabilité n'est pas fondé.Attendu que le contrat de licence au profit de la société Chatka International a été inscrit au Registre National des Marques le 24 juillet 2002; Attendu en revanche qu'il n'est pas justifié de la publication du contrat de sous-licence au profit de la société Food Partners; qu'en application des dispositions de l'article
L 714-7 du Code de la Propriété Intellectuelle cette convention est inopposable aux tiers de sorte que cette société est irrecevable à agir ;
Sur les demandes reconventionnelles en nullité des enregistrements :
Attendu que l'Entreprise Unitaire d'État demande reconventionnellement de prononcer la nullité de l'enregistrement de la marque CHATKA par la société Socrafish sur le fondement des dispositions des articles
L 712-6 et
L 714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle;
Attendu que l'action ouverte sur le fondement de l'article
L 712-6 du Code de la Propriété Intellectuelle est une action en revendication de marque à la suite d'un dépôt frauduleux; qu'elle a pour objet de transférer le droit litigieux au demandeur qui justifie d'un droit antérieur dont il se trouve dépossédé par un tiers de mauvaise foi;
Attendu que l'existence d'une fraude n'étant pas démontrée, pas plus que le droit antérieur de cette défenderesse, ce moyen doit être écarté;
Attendu que l'article
L 714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que: "Est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement qui n'est pas conforme aux dispositions des articles
L 711-1 à
L711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle...";
Attendu que la défenderesse ne fournit aucune explication sur le ou les motifs précis qu'elle invoque au soutien de cette demande de nullité; que cependant, elle ne peut à l'évidence solliciter la nullité d'une marque dont elle indique qu'elle est de grande valeur pour le patrimoine qu'elle est en charge de développer et qui a été enregistrée en 1984 dans des conditions dont nul ne conteste la régularité;
Qu'il y a lieu dès lors d'en conclure qu'elle entend obtenir l'annulation de l'enregistrement de la cession intervenue au profit de la société Socrafish ;
Attendu cependant que cette nullité ne peut résulter que de la nullité de la cession elle-même, laquelle n'est pas demandée.
Attendu que dans la mesure où la marque Chatka est régulièrement enregistrée, l'invocation du caractère notoire de celle-ci est sans incidence sur l'issue du litige et ce d'autant que l'Entreprise Unitaire d'État a également déposé cette marque; qu'au surplus cette notoriété n'est pas démontrée;
Attendu qu'aucun document versé aux débats ne vient établir que le terme "Chatka" désignerait une espèce de crabe provenant du KAMCHATKA dont la production serait organisée et réglementée; qu'aucune mention de l'origine géographique du produit ne figure du reste sur les boîtes commercialisées par les défendeurs lesquels ne justifient d'aucun enregistrement, ni d'aucune demande d'enregistrement d'une indication géographique protégée auprès de la Commission européenne;
Qu'il s'en suit qu'il convient de considérer qu'il s'agit d'une marque de pure fantaisie inspirée par le nom d'une espèce de crabe " paralithodes camchatica" ou crabe royal, péché dans de nombreuses mers du monde y compris au large du Kamchatka ;
Sur la demande reconventionnelle en déchéance:Attendu que l'article
L 714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que : "Encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l'enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans... La déchéance peut être demandée en justice par toute personne intéressée... La preuve de l'exploitation incombe au propriétaire de la marque dont la déchéance est demandée. Elle peut être apportée par tout moyen. La déchéance prend effet à la date d'expiration du délai de cinq ans prévu au 1° alinéa du présent article. Elle a un effet absolu." ;
Attendu qu'il est de principe que le défendeur à l'action en contrefaçon dispose d'un intérêt à agir en déchéance de la marque; que la demande reconventionnelle présentée en ce sens par Monsieur Parise est dès lors recevable ;
Attendu qu'il est constant que les sociétés demanderesses sont spécialisées dans le négoce des produits de la mer et qu’elles exploitent la marque CHATKA au travers de la commercialisation de conserves de crabe; que le poisson et les conserves figurent bien parmi les produits visés à l'enregistrement ;
Attendu que ces sociétés ne justifient en revanche d'aucune exploitation effective de la marque CHATKA pour les autres produits désignés à savoir: "viande, gibier; extraits de viande, fruits et légumes conservés séchés et cuits; gelées, confitures; oeufs, lait et autres produits laitiers; huiles et graisses comestibles; sauces à salades" ;
Attendu qu'il y a lieu dès lors de prononcer la déchéance partielle de la marque à compter du 28 décembre 1996.
Sur la contrefaçon:
Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article
L 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle "Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public: b) l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement";
Attendu que la marque CHATKA déposée le 31 juillet 2002 par l'Entreprise fédérale unitaire d'Etat ne diffère de la marque première que par le graphisme qui apparaît comme une reproduction malhabile de la calligraphie d'origine; qu'en effet la forme des lettres est sensiblement identique notamment en ce qui concerne les A qui comportent une pointe au milieu de la base entre les deux pieds ; que l'ensemble produit une impression visuelle semblable pour un consommateur qui n'aurait pas les deux signes sous les yeux de façon simultanée ;
Attendu que le risque de confusion est encore accru par le fait que les deux marques désignent des produits identiques ou similaires en l'occurrence les poissons et qu'elles sont utilisées l'une et l'autre pour la commercialisation de conserves de crabe ;
Qu'en conséquence, le délit de contrefaçon par imitation, qui au demeurant n'est pas discuté par les défendeurs, est constitué ;
Sur les responsabilités :
Attendu que le dépôt de la marque et son usage commercial qui résulte des pièces versées aux débats et en particulier des tarifs et des publicités diffusés (Lafayette Gourmet décembre 2002) sont imputables à l'Entreprise fédérale unitaire d'État qui a expressémentmandaté Messieurs P et C, l'un pour procéder au dépôt de la marque l'autre pour développer la commercialisation du produit sous cette marque contrefaisante ;
Attendu que la commercialisation a été réalisée par la société FRAI'MER LUX dont MonsieurCodugnella est le dirigeant et non par ce dernier à titre personnel de sorte que celui-ci doit être mis hors de cause de ce chef ;
Attendu que Monsieur Parise, qui connaissait l'existence de la marque antérieure pour avoir en juillet 2002 envoyé plusieurs "sommations" aux sociétés Chatka International et Food Partners ainsi qu'à la société Novagraaf, conseil en marques de la société Socrafish et pour avoir effectué une mission de consultant en mai 2002 pour le compte de la société Food Partners, s'est rendu complice du délit de contrefaçon en procédant délibérément au dépôt de la marque contrefaisante et ce nonobstant ses qualités de Conseil en Propriété Industrielle établi au Luxembourg et de mandataire de l'Entreprise fédérale unitaire d'État, qualités qui ne l'exonèrent pas de sa responsabilité personnelle;
Sur la concurrence déloyale :
Attendu que les actes de contrefaçon ci-dessus visés constituent des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Chatka International à laquelle il est dû réparation;
Attendu qu'il est par ailleurs reproché aux défendeurs des faits de dénigrement destinés à évincer les demanderesses du marché et constitués par : * le fait d'avoir déclaré de façon mensongère à la clientèle que la marque CHATKA ne serait pas valable, * en soutenant que la société Chatka International se livrerait à des manoeuvres frauduleuses, * en prétendant que les produits de la marque CHATKA seraient composés de crabe de contrebande et ne seraient pas conformes aux normes d'hygiène et de sécurité.
Attendu que les pièces versées aux débats établissent:
* que le 25 septembre 2002, Monsieur Codugnella a adressé à la société SCAMER, filiale d'achat du groupe INTERMARCHE une lettre dans laquelle il est indiqué que la société Food Partners "importe des matières premières provenant en majeure partie de pêches illégales de Russie et facture une redevance pour l'utilisation de la marque CHATKA en tant que licenciée de la société Socrafish ... J'ai durant toute la période de soutien commercial à la société Socrafish refusé de signé les cahiers des charges et chartes de qualité de la grande distribution, ne pouvant cautionner les importations de matières illégales entraînant des fabrications non conformes aux standards..." Que l'intéressé ne conteste pas qu'il s'agissait là d'une lettre circulaire qui a été adressée à de nombreuses grandes sociétés de distribution (Carrefour, Système U, Métro, Intermarché, Auchan...), ainsi que le mentionne le courrier adressé le 29 octobre 2002 par la dirigeant de Food Partners à la société Chatka International ;
* que par courrier électronique en date du 17 septembre 2002, Monsieur Codugnella a transmis à la revue "Produits de la Mer" un document émanant de Monsieur TARASSENKO, directeur général de l'Entreprise fédérale unitaire d'État dans lequel il "revendique le droit historique à l'utilisation de la marque CHATKA pour les produits à base de crabe" en énonçant les marques récemment déposées ou en cours de dépôt au Bureau Benelux des Marques et auprès de l'OHMI et de l'OMPI, ce document comportant l'adresse de FRAI'MER LUX ;
* qu'à la suite de cette correspondance et des pièces qui y étaient jointes, la revue "Produits de la Mer" a publié dans son numéro 75 un encart indiquant que le Ministère de laPêche de la Fédération de Russie met en garde contre les utilisations abusives de la marque CHATKA, dont le ministère est propriétaire; que cette société a publié un rectificatif dans le n° 76;
Attendu que ces éléments établissent la responsabilité de Monsieur Codugnella et de l'Entreprise fédérale unitaire d'État dans la commission de ces faits portant atteinte aux intérêts de la société Chatka International;
Attendu que Monsieur Parise a également jeté le discrédit sur cette société en adressant à la société Food Partners le 7 juillet 2002 une lettre intitulée "Sommation en préavis de saisie-arrêt conservatoire de marchandises prohibées" dans laquelle il met en demeure cette société notamment de cesser d'utiliser le vocable CHATKA comme marque commerciale et de stopper ses approvisionnements "CHATKA International" ;
Attendu que la société FRAI'MER LUX sera mise hors de cause de ce chef.
Attendu que ces actes de dénigrement portent également atteinte à la marque dont est titulaire la société Socrafish.
Sur les mesures réparatrices :
Attendu que la demande de radiation de la marque contrefaisante ne peut être ordonnée en ce qu'elle constitue la conséquence nécessaire du prononcé de la nullité de cette marque, nullité qui n'est pas demandée et ne peut être soulevée d'office par le tribunal;
Attendu qu'il y a lieu de faire droit aux demandes d'interdiction et de confiscation et de destruction des marchandises contrefaisantes aux frais des défendeurs et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé le délai d'un mois suivant la signification de la présente décision, ainsi qu'à la demande d'autorisation de publication de la décision selon les modalités précisées au dispositif,
Attendu que le préjudice consécutif à l'atteinte à la marque résultant de la contrefaçon sera intégralement réparé par l'allocation à la société Socrafish de la somme de 15 000 euros à la charge in solidum de l'Entreprise fédérale unitaire d'État, de Monsieur Parise et de la société FRAIMER LUX, que le préjudice résultant des actes de dénigrement sera intégralement réparé par l'allocation de la somme de 30 000 euros à la charge in solidum de l'Entreprise fédérale unitaire d'État, de Monsieur Codugnella et de Monsieur Parise ;
Attendu que la société Socrafish et la société CHATKA, qui ne justifient d'aucun préjudice commercial seront déboutées de leur demande de ce chef ;
Attendu qu'il sera alloué à la société Chatka International la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice commercial qu'elle a subi du fait de l'ensemble des actes de dénigrement commis à son préjudice ;
Attendu que la publication de la présente décision sera ordonnée selon les modalités prévues au dispositif ci-dessous,
Attendu qu'il convient d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision, exécution provisoire qui n'est en l'espèce contraire à aucune disposition légale ;
Sur les frais et dépens:
Attendu que les sociétés Socrafish et Chatka International ont engagé pour la présente procédure des frais non taxables dont il serait inéquitable qu'ils restent à sa charge; qu'il leursera alloué la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article
700 du Nouveau Code de Procédure civile;
Attendu que les défendeurs seront condamnés in solidum aux entiers dépens de l'instance que le conseil des demanderesses sera autorisé à recouvrer directement.
Par ces motifs
Le Tribunal,
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
Rejette les exceptions tirées de l'immunité de juridiction et de la nullité de l'assignation,
Rejette les demandes tendant à voir écarter certaines pièces des débats,
Dit que la société Socrafish justifie être titulaire de la marque française CHATKA n° 1 272 362 déposée le 16 mars 1984 et régulièreme nt renouvelée le 7 mars 1997,
En conséquence,
La déclare recevable à agir en contrefaçon et en concurrence déloyale sur le fondement de ce titre,
Rejette l'exception d'irrecevabilité des demandes formées par la société Chatka International,
Dit que la société Food Partners est irrecevable à agir faute de publication du contrat de sous-licence dont elle bénéficie,
Prononce la déchéance partielle de la marque CHATKA n° 1 272 362 en ce qu'elle désigne: viande, volailles et gibier; extraits de viande; fruits et légumes conservés, séchés et cuits; gelées, confitures; oeufs lait et autres produits laitiers; huiles et graisses comestibles et sauces à salades, et ce à compter du 28 décembre 1996,
Ordonne la transcription de cette décision, une fois devenue définitive, au Registre National des Marques à la diligence du greffier saisi à la requête de la partie la plus diligente,
Dit qu'en déposant la marque CHATKA n° 3 177 449 et en offrant à la vente des produits sous cette marque l'Entreprise fédérale Unitaire d'État, Monsieur PARISE et la société FRAIMER LUX ont commis des actes de contrefaçon de la marque française CHATKA n° 1 272 362,
Dit que les actes de commercialisation ci- dessus visés constituent des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Chatka International,
Dit que l'Entreprise Fédérale Unitaire d'État, Monsieur Parise et Monsieur Codugnella ont commis des faits distincts de concurrence déloyale par dénigrement portant atteinte tant aux intérêts de la société Socrafish que de la société Chatka international,
En conséquence,
Condamne in solidum l'Entreprise fédérale unitaire d'État, Monsieur Parise, et la société FRAI'MER LUX à payer à la société Socrafish la somme de 15 000 euros à titre dedommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à la marque du fait des actes de contrefaçon,
Condamne in solidum l'Entreprise fédérale unitaire d'État, Monsieur Parise et Monsieur Codugnella à payer à la société Socrafish la somme de 30 000 euros en réparation de l'atteinte à la marque résultant des actes de dénigrement,
Condamne in solidum l'Entreprise fédérale unitaire d'État, Monsieur Codugnella et Monsieur Parise à payer à la société Chatka International la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice résultant de la concurrence déloyale,
Autorise la publication de la présente décision dans trois journaux ou revues au choix des demanderesses et aux frais in solidum des défendeurs dans la limite d'un coût de 3000 euros HT par publication,
Fait interdiction aux défendeurs de faire usage de la marque CHATKA directement ou indirectement, sous quelque forme et à quelque titre que ce soit sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision,
Fait interdiction aux défendeurs de poursuivre leurs actes de dénigrement sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la présente décision,
Ordonne la confiscation et la destruction en quelques mains qu'elles se trouve et en particulier entre les mains de la société FRAI'MER LUX des marchandises contrefaisantes aux frais in solidum des défendeurs et sous contrôle d'un Huissier de Justice sous astreinte de 1000 euros par jour de retard passé le délai de deux mois suivant la signification de la présente décision,
Déboute la société Socrafish et la société Chatka International de leur demande en contrefaçon en ce qu'elle vise Monsieur Codugnella et de leur demande en concurrence déloyale pour actes de dénigrement en ce qu'elle est dirigée contre la société FRAI'MER LUX,
Déboute les demanderesses de leurs demandes en radiation de la marque française CHATKA n° 3 177 449,
Déboute les défenderesses de leurs demandes plus amples ou contraires,
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,
Condamne in solidum l'Entreprise fédérale unitaire d'État, Monsieur Parise, Monsieur Codugnella et la société FRAIMER LUX à payer à la société Socrafish et à la société Chatka International la somme globale de 25 000 euros en application des dispositions de l'article
700 du Nouveau Code de Procédure civile ,
Les condamne in solidum aux entiers dépens lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article
699 du Nouveau Code de Procédure civile.