Vu la procédure suivante
:
Par une requête, enregistrée le 18 avril 2023, Mme A B, représentée par Me Michel, demande au juge des référés :
1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution des effets de :
- la décision du 24 janvier 2023 par laquelle le recteur a refusé de la réintégrer à temps partiel thérapeutique ;
- la décision implicite du rejet de son recours gracieux notifié le 13 février 2023 ;
- l'arrêté du 28 février 2023 par lequel le recteur de l'académie d'Aix-Marseille l'a radiée des cadres pour inaptitude physique ;
2°) d'enjoindre au recteur de l'académie d'Aix-Marseille de la réintégrer provisoirement et de reconstituer sa carrière en conséquence dans l'attente du jugement au fond ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de l'urgence :
- la décision la prive de toute activité professionnelle à l'âge de 53 ans et prive son foyer fiscal, soit elle-même et son fils majeur étudiant, d'une partie substantielle de leurs ressources financières, d'autant plus qu'elle n'a toujours pas perçu l'allocation d'aide au retour à l'emploi ou une indemnité de licenciement ;
- l'allocation ne lui permettra pas, en tout état de cause, de faire face à ses charges.
S'agissant d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision :
- l'auteur des décisions est incompétent ;
- les décisions de radiation et de refus de réintégration ne sont pas suffisamment motivées, notamment en droit, en contrariété avec l'article
L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle n'a pas eu la possibilité de se voir communiquer son dossier administratif ;
- elle a sollicité la communication intégrale de son dossier, mais cette demande n'a jamais été suivie d'effet ;
- le conseil médical n'a pas été saisi de sa situation avant le prononcé de la décision de licenciement en contrariété avec les articles
1 et
2 du décret n° 84-1051 du 30 novembre 1984, de l'article L. 31 du code des pensions civiles et militaires, de l'article
49 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 et de l'article
7 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- les décisions sont entachées d'une inexactitude matérielle des faits et d'une erreur manifeste d'appréciation : en effet, son inaptitude physique n'est pas démontrée, alors que deux médecins agréés se sont prononcés favorablement pour la reprise ; l'arrêté du 5 décembre 2017 ne saurait suffire à rapporter cette preuve puisque tant le comité médical supérieur que le comité médical départemental n'ont pas constaté une inaptitude totale et définitive à toutes fonctions ; de plus cet arrêté évoque une situation antérieure de 5 années ; elle est apte à la reprise de ses fonctions dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, ce qu'a d'ailleurs constaté l'autorité de nomination elle-même pour une reprise à compter du 4 novembre 2022 ;
- l'impossibilité de la reclasser dans les conditions de l'article
L. 826-1 et suivants du code général de la fonction publique n'est pas justifiée : il ne lui appartient pas de se placer dans une situation administrative régulière ; il appartient à l'administration de rechercher un poste de travail adapté à son état de santé, dans un emploi de son grade ; elle aurait dû être placée en disponibilité d'office au terme de a période de préparation au reclassement ; il n'est pas démontré qu'aucun emploi vacant ne pouvait lui être proposée ; les motifs opposés par l'administration relèvent de l'insuffisance professionnelle.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 mai 2023, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait ;
- sur le fond, elle n'avait d'autre choix que de prononcer la décision de licenciement compte tenu de l'inaptitude totale et définitive aux fonctions statutaires et de l'échec de la période préparatoire au reclassement.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- la requête au fond enregistrée sous le n° 2303661.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de l'Etat ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-1051 du 30 novembre 1984 ;
- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné Mme Hogedez, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 9 mai 2023 à 14 heures, en présence de M. Brémond, greffier d'audience :
- le rapport de Mme Hogedez, juge des référés ;
- les observations de Me Michel pour Mme B qui a renouvelé, en les développant ou les précisant, les moyens de la requête.
La clôture d'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit
:
Sur les conclusions présentées au titre de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative :
1. Aux termes de l'article
L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Il résulte de ces dispositions que le prononcé d'une ordonnance de suspension de l'exécution d'une décision administrative est subordonné à la réunion cumulative de l'existence d'une situation d'urgence et d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
2. En premier lieu, aux termes de l'article
34 de la loi du 11 janvier 1984 visée ci-dessus dispose que : " Le fonctionnaire en activité a droit : / () des congés de longue maladie d'une durée maximale de trois ans dans les cas où il est constaté que la maladie met l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rend nécessaire un traitement et des soins prolongés et qu'elle présente un caractère invalidant et de gravité confirmée. Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement pendant un an ; le traitement est réduit de moitié pendant les deux années qui suivent. L'intéressé conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Les dispositions du deuxième alinéa du 2° du présent article sont applicables au congé de longue maladie. Le fonctionnaire qui a obtenu un congé de longue maladie ne peut bénéficier d'un autre congé de cette nature, s'il n'a pas auparavant repris l'exercice de ses fonctions pendant un an () ". Par ailleurs, selon l'article 7 du décret du 14 mai 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans sa version issue du décret n° 2022-353 du 11 mars 2022 : " I. -Les conseils médicaux en formation restreinte sont consultés pour avis sur : 1° L'octroi d'une première période de congé de longue maladie ou de congé de longue durée .2° Le renouvellement d'un congé de longue maladie et d'un congé de longue durée après épuisement de la période rémunérée à plein traitement ; 3° La réintégration à expiration des droits à congés pour raison de santé ; 4° La réintégration à l'issue d'une période de congé de longue maladie ou congé de longue durée lorsque le bénéficiaire de ce congé exerce des fonctions qui exigent des conditions de santé particulières ou lorsqu'il a fait l'objet des dispositions prévues à l'article 34 du présent décret ; 5° La mise en disponibilité d'office pour raison de santé, son renouvellement et la réintégration à l'issue d'une période de disponibilité pour raison de santé ; 6° Le reclassement dans un emploi d'un autre corps ou cadre d'emplois à la suite d'une altération de l'état de santé du fonctionnaire ().
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article
1er du décret du 30 novembre 1984 susvisé, relatif au reclassement des fonctionnaires de l'Etat reconnus inaptes à l'exercice de leurs fonctions, dans sa version issue du décret n° 2022-632 du 22 avril 2022 : " Lorsqu'un fonctionnaire n'est plus en mesure d'exercer ses fonctions, de façon temporaire ou permanente, et si les nécessités du service ne permettent pas un aménagement des conditions de travail, l'administration, après avis du médecin du travail ou, lorsqu'il a été consulté, du conseil médical, peut affecter ce fonctionnaire dans un emploi dans lequel les conditions de service sont de nature à lui permettre d'assurer les fonctions correspondant à son grade ". Aux termes de l'article 2 de ce même décret : " Lorsque l'état de santé d'un fonctionnaire, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas de remplir les fonctions correspondant aux emplois de son grade, l'administration, après avis du conseil médical, propose à l'intéressé une période de préparation au reclassement en application de l'article
L. 826-2 du code général de la fonction publique () ".
4. Il résulte de ces dispositions que lorsque le fonctionnaire a épuisé ses droits à un congé de longue maladie et ne peut reprendre ses fonctions, il appartient à la personne publique qui l'emploie, d'une part, de saisir le comité médical, qui doit se prononcer sur son reclassement dans un autre emploi, sa mise en disponibilité ou son admission à la retraite, et, d'autre part, de lui verser un demi-traitement pendant toute la durée de la procédure nécessitant cet avis.
5. Il résulte de l'instruction que Mme B, professeure en lettres modernes, a été placée en congé de maladie à plusieurs reprises à compter de novembre 2011 à raison d'une pathologie dépressive sévère. Elle a été ainsi placée une première fois en congé de longue maladie jusqu'au 12 novembre 2015. Puis, par deux avis rendus en octobre et novembre 2017, soit cinq ans avant les faits en litige, le comité médical supérieur et le comité médical départemental, ont considéré qu'elle était inapte, totalement et définitivement, à ses fonctions d'enseignante mais ne l'ont pas déclarée inapte à toute fonction. Compte tenu de ces avis, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a organisé une période de préparation au reclassement, en proposant trois stages de mises en situation sur différents postes de secrétariat administratif, en qualité de secrétaire et d'adjoint administratif auprès d'établissements scolaires, stages qu'il a estimé non concluants. Il a néanmoins placé l'intéressée en congé de longue maladie puis en congé de longue durée pour la période du 4 novembre 2019 au 3 novembre 2022, l'a ensuite autorisée à reprendre ses fonctions à mi-temps thérapeutique à compter du 4 novembre 2022 par arrêtés du 30 septembre 2022, qu'il a toutefois retirés par arrêté du 30 octobre 2022 afin qu'une nouvelle expertise soit diligentée. Il résulte également de l'instruction que les deux médecins experts que la requérante a rencontrés à la demande de l'administration ont tous deux émis, les 27 septembre et 30 novembre 2022, un avis favorable à la reprise des fonctions à temps partiel thérapeutique. Pourtant, par deux arrêtés des 24 janvier et 28 février 2023, dont Mme B demande la suspension de l'exécution des effets, ainsi que du rejet de son recours gracieux présenté le 13 février 2023, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a refusé de la réintégrer à temps partiel thérapeutique puis l'a radiée des cadres pour inaptitude physique.
6. En l'état de l'instruction, compte tenu notamment de la chronologie des évènements exposée ci-dessus, de la teneur des avis des médecins experts mais également de la teneur des certificats médicaux produits par Mme B, les moyens tirés du défaut de motivation en droit, de l'absence de communication du dossier administratif, de l'absence de saisine préalable du comité médical et de l'erreur manifeste d'appréciation de la situation de l'intéressée au regard de ses capacités à reprendre l'exercice de ses fonctions sont de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions en litige.
7. Par ailleurs, ces décisions ont pour effet de priver Mme B, âgée de 53 ans, de son activité professionnelle et, par suite, de priver son foyer fiscal, qu'elle compose avec son fils étudiant, d'une partie substantielle de ses ressources financières alors qu'il n'est pas contesté que l'aide au retour à l'emploi n'a toujours pas été versée ou toute autre indemnité à laquelle la requérante aurait droit, de sorte que la condition d'urgence doit être regardée comme satisfaite.
8. Les deux conditions posées par l'article
L. 521-1 du code de justice administrative étant remplies, il y a lieu de suspendre l'exécution de effets de la décision du 24 janvier 2023 par laquelle le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a refusé de réintégrer Mme B à temps partiel thérapeutique, ainsi que de la décision du 28 février 2023 par laquelle cette même autorité a radié la requérante des cadres pour inaptitude physique et de la décision rejetant le recours gracieux notifié le 13 février 2023, jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande d'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Aux termes de l'article
L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".
10. Il sera rappelé qu'aux termes de l'article
L. 11 du code de justice administrative : " Les jugements sont exécutoires ". Par ailleurs, aux termes de l'article
L. 511-1 du même code : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. ".
11. Il sera aussi rappelé, d'une part, que saisi sur le fondement de l'article
L. 521-1 précité, le juge des référés ne peut, sans excéder son office, ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant la décision administrative contestée.
12. D'autre part, si, eu égard à leur caractère provisoire, les décisions du juge des référés n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, elles sont néanmoins, conformément au principe rappelé à l'article
L. 11 du code de justice administrative, exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires. Il en résulte que lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative et qu'il n'a pas été mis fin à cette suspension - soit, par l'aboutissement d'une voie de recours, soit dans les conditions prévues à l'article
L. 521-4 du code de justice administrative, soit par l'intervention d'une décision au fond - l'administration ne saurait légalement reprendre une même décision sans qu'il ait été remédié au vice que le juge des référés avait pris en considération pour prononcer la suspension.
13. Ainsi, lorsque le juge des référés a suspendu une décision défavorable, il incombe à l'administration, sur injonction du juge des référés ou lorsqu'elle est saisie par le demandeur en ce sens, de procéder au réexamen de la demande ayant donné lieu à cette décision défavorable. Lorsque le juge des référés a retenu comme propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision défavorable un moyen, ou comme en l'espèce plusieurs moyens, dirigés contre les motifs de cette décision, l'autorité administrative ne saurait, eu égard à la force obligatoire de l'ordonnance de suspension, et sauf circonstances nouvelles, rejeter de nouveau la demande en se fondant sur les motifs en cause.
14. La présente ordonnance implique donc nécessairement que le recteur de l'académie d'Aix-Marseille se prononce à nouveau sur la demande présentée par
Mme B et tendant à sa réintégration à temps partiel thérapeutique, en suivant la procédure requise par les différents décrets mentionnés dans les visas de la présente ordonnance, en plaçant dans cette attente l'intéressée dans la situation administrative la plus appropriée et en reconstituant sa carrière le cas échéant, ce dans l'attente du jugement au fond.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à
Mme B sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
Article 1er : L'exécution de la décision du 24 janvier 2023 par laquelle le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a refusé de réintégrer Mme B à temps partiel thérapeutique, de la décision du 28 février 2023 par laquelle cette même autorité a radié
Mme B des cadres pour inaptitude physique et de la décision rejetant le recours gracieux notifié le 13 février 2023 est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande d'annulation de ces décisions.
Article 2 : Il est enjoint au recteur de l'académie d'Aix-Marseille de se prononcer à nouveau sur la demande présentée par Mme B et tendant à sa réintégration à temps partiel thérapeutique, en suivant la procédure requise, en plaçant dans cette attente l'intéressée dans la situation administrative la plus appropriée et en reconstituant sa carrière le cas échéant, ce dans l'attente du jugement au fond.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A B et au recteur de l'académie d'Aix-Marseille.
Copie pour information en sera adressée au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Fait à Marseille, le 11 mai 2023.
La juge des référés,
signé
I. Hogedez
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne et à tous commissaires à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Pour la greffière en chef,
Le greffier.
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